"Si vous êtes content du système, ne m'écoutez pas. Sinon, examinons les voies pour s'en sortir!"

François Bayrou était l'invité des Matins de France Culture, lundi, pour défendre "la seule réponse politique qui repousse les risques extrémistes".

France Culture - Quel homme êtes vous aujourd'hui François Bayrou ?

François Bayrou - Je suis un responsable politique qui, devant les Français, défend une idée aujourd'hui cruciale qui est de trouver le chemin qui permettra à notre pays de sortir de l’effondrement lent, je dis « un crash au ralenti », dans lequel nous sommes enfermés.

La faillite ?

Pas seulement la faillite ! Si ce n'était que la faillite, si ce n'était qu'un problème de comptabilité, alors les choses seraient différentes, et d'ailleurs ne présenteraient pas de réel espoir. Moi je considère qu'il y a un vrai espoir, parce que c'est un pays qui a en lui des ressources, une capacité à créer. Regardez, on est en train de signer aujourd'hui un contrat de 200 Airbus. Si c'est possible dans l'aéronautique, dans le luxe, dans l'agroalimentaire, alors c'est possible partout. Qu'est-ce qui fait que en quinze ans, parce que l'infléchissement des courbes c'est le début des années 2000 à peu près, pourquoi en quinze ans avons-nous dévalé cette pente ? Et qu'est-ce qui fait que nous n'avons pas eu les ressources politiques et économiques, surtout politiques, de redresser les choses alors que les pays qui nous entourent l'ont fait ? Ce qui selon moi explique ce glissement sur la pente désastreuse où nous sommes c'est que à chaque échéance électorale, au lieu de regarder en face les problèmes du pays, nous avons choisi la démagogie.

Mais vous ne répondez pas à la question. Vous dites « J'ai fait un chemin. Moi aussi j'ai été un homme politique », et vous confessez au fond que vous aussi avez forcément usé d'arguments démagogiques... 

Non, je n'ai pas dit ça. J'ai fait un chemin, je vais essayer d'expliquer cela. C'est vrai que j'ai été un homme politique classique qui avait assez jeune des responsabilités que beaucoup d'autres n'ont pas. Et puis je me suis aperçu qu'il y avait beaucoup d'illusions et d'apparences dans le monde politique classique et dans la bipolarisation. L'idée que, à chaque vote ou presque, on prend les promesses des uns pour remplacer les problèmes des autres et qu'aucune jamais ne se réalise, peu à peu je m'en suis éloigné et détaché. C'est-à-dire que j'ai accordé moins d'importance aux équations électorales, aux problèmes électoraux, et même à la question électorale que je n'ai accordé d'importance à la questions civique. Pour moi ce n'est pas la même chose ! Les figures dont je fais le portrait dans le livre, Mendès-France en particulier, ce sont des gens qui ont choisi d'être du côté du civisme et moins du côté électoral.

Ce sont des perdants en politique. 

Des perdants devant les élections mais Mendès-France aujourd'hui, tout le monde sait qui c'est et fait référence au symbole de vérité qu'il a été. Et tous ceux qui à l'époque l'emportaient, les Guy Mollet, les Joseph Laniel, les Félix Gaillard ont complètement disparu du champ des consciences. Qui a gagné au bout du compte ? Je vous pose la question. Pour moi ce ne sont pas forcément ceux qui paraissaient l'emporter à l'époque. J'ajoute une dernière chose. Nous sommes aujourd'hui devant le constat impitoyable, impossible à effacer, que ces vingt années de politique démagogique ont lamentablement échoué, à droite comme à gauche. Il suffit de vous écouter, d'écouter les informations tous les jours, pour mesurer qu'il y a là en effet un scandaleux et injuste échec.

Ne sommes-nous pas là au cœur du problème ? Vous avez une parole souvent forte, il y a un certain nombre de choses que vous dites dans votre livre qui sont des choses fortes, des constats incontestables. Et puis il y a une autre réalité, la réalité politique de votre puissance politique. Celle-là est faible. Est-ce qu'il n'y a pas un problème de relation à la vérité chez vous ? A savoir que sur la société, vous portez le regard de vérité qui est le vôtre, mais sur nos institutions politiques vous n'avez jamais accepté une autre vérité, à savoir que sous les institutions de la Vème République, sans alliance on n'existe pas. 

D'abord, je ne suis pas la question. Si c'était Français Bayrou la question, le monde irait mieux. Cela prouverait que l'économie va bien, que l'emploi est là, et que nous nous intéressons à cette écume des choses que représente le destin individuel des politiques. Je ne suis pas la question. Si ce livre est écrit, c'est parce que la situation du pays est désastreuse, pas seulement difficile, pas seulement accidentellement problématique. La question c'est le pays. Vous me dites « ce que vous dites est bien, c'est même fort », c'est ce que vous avez utilisé comme mot, mais « il faut accepter nos institutions ». Je vous réponds que les institutions sont la cause, ou en tout cas une des causes des difficultés que nous avons. Lorsque 40% des Français, au moins, sont exclus de la représentation, vous voyez bien que cela empêche le débat de se former. Si vous additionnez des gens qui ne s'aiment pas entre eux et que je n'aime pas tous, l'extrême-gauche de Jean-Luc Mélenchon, l'extrême-droite des Le Pen et le centre que j'ai représenté aux trois dernières élections présidentielles. Si vous les ajoutez sur ces trois échéances, c'est à chaque fois 40% des voix. Ces 40% des voix n'ont pas de représentation à l'Assemblée Nationale. Ceci est simplement inacceptable. Ce qui fait que ne sont représentés à l'Assemblée Nationale, à la tribune, que les courants dominants, l'UMP et le PS. Il se trouve que ces courants dominants sont l'un et l'autre soumis à la loi de la démagogie maximale.

Comment fait-on pour que ce ne soit plus acceptable politiquement ? Pour que les choses changent ?

Ceux qui vous écoutent vont l'imposer. Si vous croyez que nous allons continuer comme cela à siffloter en dansant sur le chemin qui nous conduit au gouffre, vous vous trompez.

Nous dansons sur un volcan ?

Nous dansons sur un volcan et à mon avis l'éruption est en cours. Nous entendons les grondements et nous voyons l'alarme.

Quelle forme cette explosion va-t-elle prendre ?

Honnêtement je ne sais pas. Je vois plusieurs hypothèses. Une poussée extrémiste est possible. C'est la première fois de ma vie que je dis cela. J'ai toujours pensé que ce ne serait pas le cas. Mais une poussée extrémiste, c'est possible.

La Une du Journal du Dimanche indiquant que Marine Le Pen est la deuxième femme politique préférée des Français vous inquiète-t-elle ? 

Cela est médiatique, ce n'est pas à ça que je pense. Mais je pense qu'il est possible, nous l'avons vu hier dans l'élection législative partielle qui a eu lieu, que cela se passe très mal socialement. Il est possible que nous ayons des mouvements de résistance passive, de blocage. De ce point de vue, pour moi en tout cas, je ne sais pas quelle sera la forme que prendra le refus, le rejet, que les Français vont appliquer. Si ce rejet prend la forme d'un recours aux extrêmes, cela finira très mal. Si ce rejet prend au contraire la forme d'une volonté de changement de nos institutions, il y a une chance que nous nous en sortons. C'est cette thèse que je défends.

Donc, vous la défendez à travers l'idée qu'il faudrait revenir très vite à un système, par exemple, d'élections à la proportionnelle pour qu'il y ait davantage tous ces courants qui seraient représentés.

Cela, c'est technique, mais je vais défendre cette idée. Nous avons des institutions qui poussent à la démagogie maximale à chaque élection. Ce qui n'est pas le cas des autres. J'ai suivi comme vous attentivement l'élection américaine. J'ai été frappé de voir que les problèmes ont été traités au fond. Le problème de la protection sociale, le problème de la fiscalité ont été traités au fond. Il y a eu ainsi une espèce de sérieux dans les débats qu'il n'y a pas du tout eu en France. Nicolas Sarkozy et François Hollande annonçaient tous les deux des chiffres insoutenables qui étaient, pour cette année par exemple, 2% de croissance. Pour être juste, l'un, Nicolas Sarkozy, disait 2, l'autre, François Hollande, disait 1,8. C'est le même ordre de grandeur. Evidemment, quand vous racontez aux gens qu'il n'y a plus de problèmes parce que les impôts vont rentrer et qu'il va y avoir la possibilité de dépenser de l'argent, vous les trompez ! Un peu avec leur assentiment, mais comment les peuples pourraient-ils s'imposer la discipline de penser différemment que les leaders qui tous se précipitent devant eux pour dire que cela va aller bien ? Si les institutions sont responsables comme je le crois, alors il faut un changement des institutions et au minimum que les grands courants qui permettent de faire naître le débat soient tous représentés. Les électeurs de Jean-Luc Mélenchon, les électeurs de Marine Le Pen, et les électeurs du centre, ce ne sont pas des sous-citoyens. D'où vient l'idée que ceux-là n'auraient pas le droit d'être représentés ? 

En tête du dernier chapitre sur l'Europe, vous écrivez « Comment l'idéal le plus attachant, le plus ambitieux, le plus généreux et en même temps le plus réaliste de l'histoire de l'humanité a-t-il pu se trouver pris dans cette énorme crise de confiance ? ». En écrivant la phrase que vous avez écrite, comment regardez-vous les images que nous avons vues hier à la télévision à propos de Chypre ? 

Je suis très inquiet, je considère que c'est un risque maximal qui est pris. Pas seulement pour Chypre qui sera amené d'une manière d'une manière ou d'une autre à rejeter ce genre de lois imposées semble-t-il de l'extérieur, mais pour l'ensemble de l'Union Européenne et peut-être pour l'économie mondiale. Il y a là un risque de contagion. Nous sommes des économies qui sont interpénétrées. La crise de Chypre vient principalement de la crise grecque et de la culture britannique des banques installées à Chypre. Je trouve que, ce que tout cela montre, c'est que aucune autorité démocratique n'a jamais discuté des mesures que l'on impose à Chypre depuis hier. Personne n'avait évoqué cette idée dans aucun débat politique, notamment européen. S'il n'y a pas de transparence avec le citoyen pour qu'il sache ce qu'il se passe et qu'il puisse influer, je crains que tout ceci aille dans le mur.

François Rebsamen à Dijon, a dit qu'il ne serait pas choqué si vous rentriez au gouvernement. Si vous deveniez premier Ministre de François Hollande, ce livre pourrait être une forme d'un programme ? 

Entendez-bien ma réponse. Je n'entrerai jamais dans un gouvernement dont la politique ne serait pas définie et claire aux yeux des Français dans le sens de ce que je trouve nécessaire pour le pays. Je n'ai aucune envie d'être une de ces roues de secours, une caution de cet ordre. Je l'ai refusé sous Nicolas Sarkozy, ce n'est pas pour l'accepter du temps du gouvernement socialiste actuel. La ligne qui est la mienne est au contraire de faire naître, et c'est pour cela que c'est un grand courant politique et un espace politique important contrairement à ce que vous dites, le grand courant réformiste dont la France a besoin. Ce n'est pas une aventure solitaire, c'est une aventure qui concerne des millions de Français que jusqu'à maintenant nous avons empêché d'exister parce que les règles électorales sont des règles désastreuses.

Le bipartisme ?

Oui, le bipartisme, qui nous a conduits où nous sommes. Si le bipartisme exercé depuis vingt-cinq ans nous avait amenés à une situation favorable, positive, à l'équivalent la situation allemande ou d'autres pays scandinaves, alors nous pourrions dire que cela va très bien. Je ne serais pas là à vous dire « Ouvrez les yeux ». Quand vous dites « le bipartisme », vous devriez dire en une formule « le bipartisme désastreux qui nous a conduits où nous sommes et qui a trompé les gens à chaque élection ».

Depuis 1981, presque chaque élection dans ce pays s'est traduit par un mouvement d'essuie-glace : sortez les sortants. Nous avons pris la gauche, nous avons été déçu, nous avons pris la droite, nous avons été déçu etc. Ce que vous nous proposez en réalité, c'est une alliance au centre des réformistes. Il y en a autant à droite qu'à gauche, et vous pourriez effectivement fédérer ces gens. Mais si vous parvenez à votre but, comme il y aura forcément une déception, ne craignez-vous pas que la solution pour l'électorat sera d'essayer les extrémistes ?

Vous voulez rire ? En prononçant cette formule, vous devriez vous pincer en vous disant « Je vais prendre pied dans la réalité ». Les extrémistes sont à 30% dans le pays.

Au moins ils ne sont pas au pouvoir, c'est déjà quelque chose.

Je propose précisément que nous mettions en place le système politique qui fait qu'ils sont représentés et pas au pouvoir. Regardez ce qu'il se passe. Nous sommes vingt-six pays d'Europe continentale. Dans les vingt-cinq autres pays, il y a cette représentation de tous les grands courants politiques, ce pluralisme qui fait que les extrêmes ne sont pas au courant. Et, même, que dans la plupart des pays ils reculent.Regardez les Pays-Bas, c'était la dernière grande élection avant les élections italiennes. On nous annonçait que les extrêmes, et notamment l'extrême-droite flamande allait l'emporter et s'imposer. Qui est-ce qui a gagné au Pays-Bas ? Les deux centres, centre-gauche et centre-droit, et ils se sont alliés. Qui est-ce qui va gagner en Allemagne ? Ce ne sont pas les extrêmes. Je crois que ce qui va l'emporter c'est la grande coalition entre le centre-gauche et le centre-droit. Ces pays se portent-ils plus mal ? Ils se portent mieux ! Pour moi, il est évident qu'il faut appliquer la vieille formule biblique, juger l'homme à ses fruits. Les fruits sont désastreux. Allons-nous continuer à nous enfoncer longtemps ? Croyez-vous que pendant longtemps, vous allez avoir des gens qui vont accepter de n'avoir aucune voix dans le débat politique français ?

En lisant le livre d'économie cosigné de Michel Sapin et de Jean Arthuis, nous nous rendons compte qu'il n'y a entre eux qu'une feuille de papier à cigarettes. Un peu millimétrée, un peu épaisse... Entre les deux, qu'est-ce qui fait que, au final, Michel Sapin est dans son camp et Jean Arthuis dans le sien ? Un coup c'est l'un qui est élu, un coup c'est l'autre. C'est une belle idée que vous dites mais cela ne marche pas.

Excusez-moi de vous le dire, mais vous mettez la charrue avant les bœufs. C'est-à-dire que vous inversez l'ordre des facteurs. La question n'est pas de savoir pourquoi cela ne marche pas mais de savoir si le fait que cela ne marche pas rend service au pays ou lui nuit. Est-ce que le fait qu'il soit impossible de sortir de cette loi du plus offrant démagogique nous a aidés ou pas depuis vingt ans ?

Quand Jean Arthuis et Michel Sapin se parlent, je n'ai pas l'impression qu'il y ait beaucoup de démagogie dans le livre en question. 

Ils ne sont pas proposants d'une solutions politique différente. Chacun est dans son camp, ils sont donc activement complices de la situation où nous sommes. Mais je veux dire un mot, parce que beaucoup d'enseignants nous écoutent forcément sur France Culture. Le ministère de l'éducation nationale vient de sortir en décembre, il y a deux mois et demi, la résultat de la grande enquête sur le niveau de lecture à la fin de l'école primaire, au CM2. Nous France, le pays qui a inventé l'éducation de masse, qui a fait de l'éducation la clef de l'égalité républicaine, sommes 29ème au classement des pays du même genre pour le niveau de lecture à la fin de l'école primaire. Il y a pire, ce que dit l'enquête, c'est que quelque chose a changé profondément. Autrefois nous disions que, malgré le niveau moyen, nous avions beaucoup d'excellence. Ce que dit l'enquête de l'éducation nationale, c'est que la France est sous-représentée dans la catégorie des excellents, et sur-représentée dans la catégorie de ceux qui ont le plus de difficultés. Vous me dites que cela va bien, alors nous n'avons qu'à continuer comme cela. Si nous continuons comme cela, il ne se passera pas deux ans avant que nous soyons dans des difficultés catastrophiques. Donc, il doit y avoir des gens qui disent « il existe un autre chemin ». Un autre chemin politique, institutionnel, peut-être économique, pour que nous redressions, pour que nous respirions et que nous pensions que la France n'est pas le pays triste que Depardieu décrit.

Ce qui fait votre force dans le pays, c'est votre capacité à dire les choses, à énoncer les problèmes, et en même temps une difficulté à les traduire politiquement. Vous êtes un intellectuel, vous travaillez sur les questions d'histoire, vous avez fait un ouvrage sur Henri IV. N'êtes-vous pas frappés, puisque vous faites de la question des institutions et du bipartisme une des clefs des difficultés de notre pays, du fait que, ces institutions, il faut trouver leur fondement dans quelque chose qui n'est pas lié à l'efficacité du politique ? Mais à quelque chose de plus profond, d'anthropologique, autrefois entre catholiques et protestants, puis entre partisans de la laïcité de l'Eglise, entre la gauche et la droite aujourd'hui. C'est-à-dire le besoin du pays pour tenir ensemble que la politique soit un mouvement symbolique où nous avons besoin forcément d'un antagonisme, nonobstant ce que l'on dit, pour faire tenir ensemble les Français. Donc, le sujet qui est le vôtre pour faire advenir vos idées, c'est peut-être non pas l'idée de remettre en cause cet élément anthropologique mais de jouer l'événement. Prenons la situation aujourd'hui. Sans le dire, François Hollande durant l'élection présidentielle, a opéré une petite révolution copernicienne sur le contenu.

Après l'élection présidentielle.

Pendant, après... Peut-être plus après. 

C'est la principale question. L'eut-il fait avant que le livre n'existerait pas.

Il l'a fait un peu avant, au Bourget.

François Hollande est quelqu'un pour qui je n'ai pas d'antipathie, au contraire. Nous nous connaissons bien et j'ai voté pour lui parce que Nicolas Sarkozy avait dans sa campagne choisi l'axe principal de la division du pays. Il avait choisi de mettre de la violence et de se service de la division du pays comme un appeau électoral (l'appeau étant ce qui attire les oiseaux du passage pour qu'ils viennent se poser là). Le discours du Bourget disait : « Le problème principal du pays est le gouvernant et c'est son changement qui en apportera la clef. Alors, si vous votez pour le changement, vous allez pouvoir créer 60 000 postes dans l'éducation, revenir à la retraire à 60 ans augmenter les allocations, notamment l'allocation de rentrée scolaire de 30% et alors le rééquilibrage des comptes se fera tout seul. » C'est cela le discours du Bourget.

C'est aussi : « La France n'est pas le problème, la France est la solution ».

Ajoutons une phrase qui a été la phrase mythique du discours du Bourget : « Mon ennemi, c'est la finance ». Ennemi masqué, que l'on ne voit pas... Qu'est-ce que cela veut dire. Pourquoi suis-je à ce point en désaccord ? Pas par amour de la finance. Je suis probablement un de ceux dans la vie politique française qui s'est le plus battu contre la soumission du politique à l'argent, et encore récemment. « Mon ennemi, c'est la finance » veut dire que nos problèmes viennent d'ailleurs, comme ceux qui disent que nos problèmes viennent de l'Europe, de l'Euro, de la mondialisation... C'est cela que le discours du Bourget a dit.

Et la lutte contre les déficits ?

Sifflée entre les lignes. J'ai compté, dans un discours de plusieurs milliers de ligne, la lutte contre les déficits représente, je crois, trois lignes.

C'était le seul dirigeant de gauche qui, deux ans avant sur Slate, disait que le déficit public était intenable et avait critiqué l'endettement et le grand emprunt public. Il était le seul à gauche à dire cela.

Absolument. C'est pourquoi j'avais beaucoup de liens avec lui. Je considérais qu'il était courageux en disant cela, de la même manière qu'en septembre, dans le débat des primaires au Parti Socialiste il dit « Attention, un excès d'imposition est nuisible » et il visait 60%. Le problème c'est que, quelques mois après, il a pris 75%. Parce qu'il a fait cette campagne-là de la surenchères à des surenchères qui à mon avis sont nuisibles.

Quand vous parliez des Pays-Bas en disant que c'était formidable parce que l'extrême-droite y reculait. En Belgique, les nationalistes xénophobes ont pris Anvers. Au Danemark la droite populiste est en tête dans les sondages. En Finlande elle est à 19%. En Hongrie, comme vous le savez, elle est quasiment au gouvernement. Au Royaume-Uni, UKIP est en tête ou très haut dans les sondages, et en Grèce les néo-nazis sont au Parlement.

Permettez-moi une remarque sur cette réalité. Je vous rappelle que dans le livre je dis que c'est possible que l'on ait une poussée extrémiste et c'est la première fois de ma vie que je le dis. Mais prenons les affirmations qui sont les vôtres, est-ce que vous en concluez que ceux que j'appelle réformistes doivent rester divisés face à ces montées, ou au contraire doivent-ils courageusement et de manière transparente porter la politique dont ils considèrent que le pays a besoin ? 

J'en conclus surtout que votre programme sur ce point est un renforcement de la présidentialisation de la Ve République. En clair, vous êtes un homme politique sans troupes et sans parti donc vous dites « Faisons rentrer plein de partis au Parlement et le Président sera seul à décider. Vous dites même : « Les pouvoirs du Président sont tels que nul risque de désordre ne peut être encouru ». En clair, vous demandez à ce que le Président de la République devienne la clef de voûte de la Ve République.

Je suis un Homme de la Ve République, et je pense que cela a été un progrès d'avoir un Président de la République qui ait la possibilité d'empêcher le jeu des partis dont nous ne sortons jamais. Donc, je signe cette affirmation. Deuxièmement, vous dites « sans parti et sans troupes ». J'ai presque fait 10% à l'élection présidentielle, ce n'est pas tout à fait rien, j'ai fait 20% en 2007. Les plus forts font 25%. Et encore, hier, le Parti Socialiste fait 20. Donc, sans parti et sans troupes, c'est vite dit. Je vais vous dire quelque chose. Je ne suis pas seul, nous sommes des millions à trouver que la situation est insatisfaisante. La différence que j'ai, c'est que je propose une issue à tout ça. Peut-être n'est-ce pas le coup de baguette magique, c'est le contraire. C'est le choix conscient d'un peuple qui ouvre les yeux et qui dit « Pour nous en sortir, nous allons faire ce qu'il faut », et c'est moins difficile, moins douloureux et moins austère de faire ce qu'il faut que de se retrouver dans la situation où Chypre est aujourd'hui. Et encore à Chypre, la responsabilité n'était pas du monde politique mais du monde bancaire. Chez nous c'est le monde politique qui est responsable.

Vous êtes l'homme de la règle d'or, de l'équilibre budgétaire, du désendettement. Dans votre livre, vous rappelez que Margaret Thatchet avait trouvé un sigle, le fameux « TINA », « There is no alternative ». Il n'y a pas d'autre chemin, il n'y a pas d'autre voie. Vous dites, dans le même paragraphe : « Je suis certain, autant qu'un homme peut l'être, que c'est vrai pour nous, Français, en cette deuxième décennie du XXIème siècle ».

Dans la première partie de la phrase, je dis que je ne suis pas certain que c'était vrai du temps de Margaret Thatcher, mais que pour nous c'est vrai.

Donc vous professez le fameux « TINA ». Quelle est la différence entre le TINA de la Troïka, qui vous choque, vous l'avez dit tout à l'heure par rapport à Chypre, et votre TINA à vous ? 

La Troïka, ce ne sont pas des représentants politiques légitimes. Ils ne sont pas là à débattre devant vos micros. Jamais ils n'ont débattu devant vos micros, devant les micros de qui que ce soit en Europe et dans le monde, du fait qu'ils allaient imposer un prélèvement autoritaire sur les comptes bancaires de tous les Chypriotes. Cette idée n'avait jamais été évoquée par personne. C'est une très grande différence, la légitimité démocratique pour laquelle je plaide. C'est pour cela que je dis que la question c'est la vérité partagée avec les citoyens.

Est-ce que vous feriez la même chose avec une légitimité démocratique ?

Sûrement pas. La thèse que je soutiens, c'est que ce n'est pas tant un problèmes de coupes. J'ai été le premier à avertir sur la dette et les déficits mais ce n'est plus un problème de coupes, ou plus exactement, les coupes quelles qu'elles soient seront impuissantes si nous continuons à nous effondrer dans le domaine de la production. La question qui se pose à nous aujourd'hui, ce n'est pas de prendre un grand couteau pour couper le gateau, pour l'émonder de tout ce qui dépasse et même pour le toucher au coeur. La question est de savoir comment est-ce que l'on fait grandir le gâteau, en richesses créées et en emplois. Le déficit du commerce extérieur de la France, c'est-à-dire notre incapacité à être auto-suffisants, est de 70 milliards. Vous savez que je suis un défenseur du calcul mental, 70 milliards c'est 70 mille millions d'euros. Nous prenons cela aux Français, à la collectivité nationale, aux familles, tous les ans, pour le transmettre à nos producteurs venus de l'extérieur qui nous vendent les produits que nous n'arrivons pas à produire chez nous. Est-ce que c'est le cas de tous les autres ? Non, ce n'est pas vrai. Ce n'est pas le cas de l'Allemagne évidemment. 70 milliards de déficit chez nous, 200 milliards d'excédent en Allemagne. Ce n'est pas le cas de la Belgique, des Pays-Bas, de l'Italie qui sont excédentaires. Nous, nous sommes déficitaires. Un des pays grands pays, qui avait l'économie, l'industrie, l'agriculture, le numérique, le culturel le plus puissant au monde qui se retrouve déficitaire à 70 milliards. Alors regardez les yeux de vos enfants. Ils ne peuvent pas trouver de boulot dans ce pays. Il y en a des milliers qui s'en vont. Alors nous allons continuer comme cela en disant : « C'est le système M. Bayrou, excusez-nous, c'est la Vème République, c'est comme cela, c'est gauche contre droite. Ils se trompent tous les deux mais ce n'est pas grave parce que nous changerons la prochaine fois ». Il y a un moment où vous devez arrêter de choisir la voie qui vous enfonce. C'est la seule chose que je plaide, je dis : si vous êtes contents du système comme il est, ne m'écoutez pas, mais si vous n'êtes pas contents du système, alors il faut examiner les voies pour s'en sortir. La proposition qui repousse les énormes risques extrémistes est la seule qui je crois existe.

Vous faites référence et rendez hommage à Pierre Mendès-France et à Raymond Barre qui selon vous étaient déjà des hommes politiques qui disaient la vérité. 

Il y a une grande différence entre la situation en 1976 et la situation aujourd'hui. En 1976, la France n'est pas endettée du tout. Cela explique une partie de la sérénité affichée de Raymond Barre. Ce sont les premiers mois de son mandat. Il ira ensuite beaucoup plus loin dans mise en cause de nos faiblesses. Il existe de grandes ressources dans un pays qui n'est pas endetté du tout. Au son de Pierre Mendès-France que vous avez passé, c'est exactement, avec la hauteur de vue qui était la sienne, la thèse que je défends devant vous. C'est qu'il n'existe pas de politique de réforme qui puisse réussir si elle n'est pas soutenue par le peuple citoyen. C'était vrai dans les années 1950, à combien plus forte raison est-ce vrai en 2013 ? Vous avez les télévisions d'information en continu, Internet et cette abondance d'informations qui font que les gens d'une certaine manière sont capables de vérifier la réalité de ce que les gens disent. C'est-à-dire de faire flamber leurs désillusions et, au contraire, je le crois, le jour venu de soutenir quelque chose qui sera solide et sérieux.

Est-ce qu'une des difficultés des politiques de dire la vérité et d'assumer leurs responsabilités ne vient pas justement du fait que l'Europe, longtemps, et nos dirigeants, ont entretenu l'illusion que l'Europe était la France en grand sur laquelle on pouvait s'y responsabiliser et que maintenant les peuples s'aperçoivent que l'Europe ouverte aux grands vents, les politiques bruxelloises, ne permettent plus à la France d'avoir un destin ? Donc, nous avons une génération d'hommes politiques qui est finalement prise à contre-pied avec une grande difficulté à reconstruire une cohérence.

C'est une génération à laquelle je n'appartiens pas. Il se trouve que je crois que la France a un destin. Il y a un chapitre dans le livre qui est pour défendre l'idée qu'il n'y a pas d'antagonisme entre Europe et nations. Car je crois à l'importance de l'idée nationale, pour la France en tout cas. Ce n'est pas la même idée nationale dans les autres pays européens. Pour la France en tout cas, nous avons une idée nationale qui nous soude et fait de nous un peuple et vous savez combien je crois que l'unité du peuple est nécessaire pour faire face à ce genre d'événements. Donc, je n'appartient pas à cette idée. Deuxièmement, quel est le problème de l'Europe ? Ce n'est pas qu'elle n'a pas les moyens d'agir. Les problèmes de l'Europe sont deux. Premièrement, elle n'a pas de stratégie. Deuxièmement, les décisions qui sont prises le sont complètement de manière opaque, à l'abri de la conscience des citoyens et des peuples. Or il se trouve que les deux sujets sont liés. Imaginons qu'il y ait, en Europe, sur les sujets qui sont les siens, un débat, un processus démocratisé. Par exemple, si les chefs d'Etat et de gouvernement débattaient au vu et au su des citoyens, vous verriez deux choses apparaître. D'abord, les gens sauraient ce que l'on prépare et pèseraient sur les décisions à prendre. L'affaire chypriote ne se serait pas passée si nous avions su, même moi je l'ignorais, qu'il y avait dans les tuyaux depuis des semaines l'idée qu'on allait créer cette ponction de manière autoritaire. Et vous verriez qu'une stratégie naîtrait, dont nous avons besoin, car la question n'est plus tellement l'Europe aujourd'hui mais la zone Euro. Nous avons une monnaie commune donc un devoir de stratégie commune que pour l'instant nous n'avons pas. La réponse est dans le changement politique, civique, des institutions européennes et en tout cas de celles de la zone Euro.

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