"Quand on est devant d’immenses questions historiques, on les partage avec les peuples !"

Image n°251

Dans un grand entretien accordé au journal Marianne, le président du MoDem fustige la "haute trahison" de Barroso recruté par Goldman Sachs. Il constate la coupure entre Bruxelles et les peuples mais cette dernière ne lui semble pas inéluctable si les chefs d'État et de gouvernement font preuve de courage et non de démagogie.

Marianne - En Hongrie, le quorum n’a pas été atteint mais 98,3 % des votants au référendum de dimanche dernier ont voté contre les quotas de migrants décidés par Bruxelles. Ne sommes nous pas désormais dans une Europe de co-propriétaires qui ne peuvent plus s’entendre ?

François Bayrou - Je ne veux pas partager ce pessimisme. L’idéal européen est à la fois l’œuvre la plus importante du siècle et la clé même de notre avenir. Mais la pratique est déterminante. La question des migrants en est une illustration. C’est une question insoluble s’il n’y a pas une démarche européenne. Mais chaque fois que l’Union européenne donne le sentiment d’imposer aux peuples autoritairement depuis Bruxelles, un certain nombre de contraintes, chaque fois, on obtient des réactions de rejet. Notons cependant qu’en Hongrie, la majorité des électeurs a refusé de se rendre aux urnes pour voter contre l’Europe….Il y a là l’expression d’une sensibilité importante et positive au sein du peuple hongrois. Tout cela prouve à quel point il est important pour l’avenir que l’Union européenne organise les efforts de ses membres et n’apparaisse pas comme une autorité extérieure aux peuples qui la forment. 

Lorsque les ex-pays de l’Est on été intégrés à l’UE, on pensait qu’ils étaient « comme nous », qu’ils digéreraient l’acquis communautaire. Or, au vu de l’intransigeance de ces pays vis à vis des migrants, et de la tentation de passer par dessus l’Etat de droit en matière constitutionnelle en Pologne et en Hongrie, ne pensez vous pas qu’il aurait mieux valu ne pas les admettre si vite ?

Nous sommes quelques-uns à nous être battus à l’époque pour défendre « l’approfondissement avant l’élargissement ». On voit aujourd’hui à quel point cette conviction était justifiée. Mais une autre direction a été prise et ce qui est fait est fait. Pour moi, je ne dirai jamais que ces peuples ne sont pas « comme nous » ! Ils sont des peuples européens, pris comme d’autres dans les crispations des temps, dans l’obsession de l’identité, dans la tentation du nationalisme. L’enjeu est qu’ils comprennent que l’Europe, ce n’est pas contre eux, c’est avec eux et c’est pour eux. Cela exige une force sans précédent, un élan nouveau, politique et même historique, la faculté de s’adresser aux peuples avec la certitude et la foi qui étaient celles des fondateurs.

Angela Merkel a voulu obtenir une solidarité obligatoire des tous les pays de l’UE dans la crise migratoire. Mais comment imaginer une réaction commune lorsque les situations historiques, culturelles, démographiques, économiques sont si diverses ?

La question des migrants, ce n’est pas d’abord principalement la question de la répartition des migrants. D’ailleurs les chiffres avancés sont marginaux, 30 000 pour la France, 160 000 pour l’ensemble de l’UE. Y compris pour la France, ces chiffres sont loin d’être atteints et ce n’est donc pas la question principale. La première question : est-ce qu’on parvient tout seul à protéger ses propres frontières et réguler les arrivées ? Ma réponse est non. Nous n’avons même pas été capables de fermer la frontière avec la Belgique. Donc il faut réguler ensemble. Pour l’instant on en est loin. Mais surtout, il faut intervenir avant que les migrants n’arrivent. D’abord au niveau juridique pour faire la différence entre ceux auxquels nous devons protection car ils fuient le risque mortel de la guerre, les réfugiés, et ceux qui sont essentiellement en détresse économique. Et surtout, la question qui devrait écraser toutes les autres : « Qu’est ce qu’on fait pour que ces migrants trouvent chez eux ou au plus près de chez eux la réponse à leurs questions ? » Par exemple du point de vue de la sécurisation d’un certain nombre de zones, pour que leur refuge soit le plus proche possible de chez eux. Et surtout, qu’est-ce qu’on fait pour imaginer la paix et servir le développement ? Ces deux questions-là, j’affirme, et en tout cas je me battrai sans le moindre instant de répit pour dire qu’elles sont impossibles à résoudre à l’échelle de la France seule, ou de n’importe quel autre pays européen solitaire. 

Tout cela peut être saisi par l’opinion à la condition qu’on ouvre ce débat public. Or la faute des dirigeants actuels, des chefs d’Etat et de gouvernement, est de ne pas avoir porté ces questions devant les peuples. 

En 2012, François  Hollande a renoncé à renégocier le traité budgétaire européen. C’est devenu le pêché originel de son quinquennat. Faut-il un nouveau traité ?

Quiconque vous annonce un nouveau traité à court terme vous raconte des histoires. Une seule voie est possible : il faut partir du traité actuel et transformer par une pratique nouvelle les institutions en institutions démocratiques. Ce que les peuples rejettent, ce n’est pas l’Euro, ni l’UE, c’est l’UE qui ne leur dit rien, qui décide à leur place sans qu’il y ait le moindre partage des décisions. Les dirigeants nationaux qui ont de fait la responsabilité politique principale dans les institutions de l’Union sont fautifs. Quand on est devant d’immenses questions historiques, on les partage avec les peuples ! Souvenez vous du général de Gaulle quand il a sort du commandement intégré de l’Otan en 1966, (avant que Nicolas Sarkozy ne nous y ramène), il tient une puissante conférence de presse et il explique aux Français les raisons de son choix. Les dirigeants européens doivent désormais assumer publiquement leurs réflexions et leurs débats sur les questions essentielles : la croissance, la protection contre les comportements de dumping, les migrations, la défense et la sécurité. Ces grandes questions politiques doivent être traitées comme telles. Ce sera probablement impossible dans le cadre des 27, il faut donc qu’elles le soient dans un cercle plus restreint, celui des pays qui ont l’euro en commun. Ainsi l’Union ne sera plus impuissante et enlisée : elle pourra avancer, même si c’est à des vitesses différentes.

Vous soutenez Juppé qui veut faire renaitre le désir d’Europe. Mais comment réenchanter l’UE alors que le Royaume-Uni vient de décider de la quitter ?

Je n’aime pas trop les mots de contes de fées. Mais au lendemain du 23 juin, les deux tiers des Français disaient qu’eux étaient attachés à l’Union européenne car le choc du départ de la Grande-Bretagne était très violent pour eux. Les débats entre ministres du gouvernement britannique montrent qu’ils savent que la sortie de l’UE sera dommageable et risquée pour eux. Boris Johnson et Theresa May sont en train de vendre à leur opinion le mythe du retour à l’Empire britannique, comme dit Johnson « le temps où l’Empire britannique était sept fois plus grand que l’Empire romain ». Croit-on qu’ils vont peser au nom du passé sur la politique de l’Inde, du Pakistan, du Moyen-Orient, du Canada et de l’Australie ? C’est une illusion qui est une tromperie. En vérité, le plan est définitivement commercial : que la Grande-Bretagne devienne au sein du continent européen le cap avancé d’une immense zone de libre-échange mondiale et serve ainsi de cheval de Troie. C’est pourquoi l’idée que le Royaume-Uni pourrait bénéficier de la pleine liberté commerciale avec l’Union tout en n’en étant plus membre, présente un danger majeur. Il revient aux dirigeants de l’Union, présents et futurs, de forger une volonté européenne pour conjurer ce risque.

Alain Juppé que vous soutenez, est le seul candidat à la primaire de droite à vouloir vraiment respecter les contraintes budgétaires européennes, notamment la limite des 3% du PIB pour le déficit. N’est-ce pas indiquer d’avance que la France se pliera à l’autorité et à l’austérité décidée au niveau européen ? 

C’est au contraire l’unique moyen de prendre en compte l’intérêt national. Nous ne devons pas abaisser notre déficit, réduire notre endettement pour je ne sais quels engagements auprès de Bruxelles, mais dans l’intérêt des Français et spécialement des plus jeunes. Si nous ne le faisons pas, les taux d’intérêts auxquels nous empruntons exploseront tôt ou tard. On sacrifie notre indépendance si on continue à se situer dans une totale situation d’irresponsabilité.

On ne touche pas aux 3%. Donc on continue comme avant ? 

Non. La question, c’est notre niveau d’activité, la capacité de notre appareil productif et commercial. Et cela ne dépend que marginalement de la dépense publique. L’immense majorité de nos handicaps  est d’origine purement nationale : éducation, formation professionnelle, fiscalité, prolifération administrative, obsession des contrôles. Tout cela ne dépend que de nous. Mais les banques centrales sont des acteurs majeurs du grand jeu économique mondial. C’est pourquoi je plaide pour un élargissement des missions de la Banque centrale européenne.  A sa tête, Mario Draghi fait du très bon travail et assume de manière volontaire ses responsabilités. Mais les citoyens européens ont le sentiment que la BCE ne s’occupe que des  problèmes monétaires et financiers. Cela renforce l’idée que l’Europe ne se soucie pas de leurs difficultés de vie les plus importantes. La BCE, en effet, n’a qu’une seule mission : la stabilité des prix, alors que son homologue américaine, la Réserve fédérale a deux missions : la monnaie et le plein emploi. Il faut élargir la mission de la BCE en suivant cet exemple. Ce serait un signe positif à l’égard des peuples. 

D’anciens commissaires européens ont montré un mélange des genres entre leurs fonctions  et les affaires privées. Nelly Kroes n’est pas la seule à avoir cédé aux sirènes des grandes multinationales, sept anciens de la commission Barroso dont dans une situation similaire. S’agit-t-il de cas individuels ou d’une dérive qui menace une institution gardienne de l’intérêt général européen ?

C’est de la haute trahison que de porter atteinte à un idéal collectif pour un intérêt personnel, pour des raisons d’argent. Pour moi, il y a une obligation déontologique d’interdire à ceux qui ont exercé les plus hautes fonctions de se vendre à des grands intérêts privés qui concernent le domaine dont ils ont eu la charge.  Il y a Barroso chez Goldman Sachs, et il y a aussi cette commissaire en charge de la lutte contre les émissions qui vient de se faire embaucher par Volkswagen. Cette idée de vendre des carnets d’adresse et la connaissance des mécanismes de décision acquis lors des responsabilités exercées est insupportable. C’est une trahison a posteriori qui dévalorise et délégitime l’action passée et l’institution. Ce mélange des genres est mortel ! La Commission et les Institutions peuvent ne pas s’en remettre ! Il est urgent d’adopter un règlement drastique et des sanctions à l’égard de tout manquement. Concernant le cas de  Barroso, il suffit que la Commission et les États membres annoncent qu’ils refuseront toute relation avec Goldman Sachs tant que cette banque d’affaires continuera à s’adjoindre les services de l’ancien président de la commission.

Je reçois la lettre d'information du Mouvement Démocrate

Engagez-vous, soyez volontaires

A nos côtés, vous serez un acteur de nos combats pour les Français, pour la France et pour l'Europe.

Chaque engagement compte !

Votre adhésion / votre don

Valeur :

Coût réel :

20 €

6,80 €

50 €

17 €

100 €

34 €

Autres montants

Qu'est ce que la déclaration fiscale sur les dons ?
Filtrer par