Premier forum du renouveau européen : "Les Français et le sentiment européen"

Redécouvrez la première table ronde du Premier forum du renouveau européen durant laquelle Alberto Toscano, Clémentine Forissier, Krzysztof Pomian et Iñaki Goikoetxeta sont revenus sur "le sentiment européen en Europe et en France".

Alberto Toscano – J’ai été frappé par le sondage qui a été proposé par l’IFOP, dans le sens où j’ai l’impression que cette Europe dont nous parlons et qui provoque parfois toute une série de perplexités, est une Europe qui se passe de l’essentiel. L’idée d’Europe telle qu’elle est perçue se passe de l’essentiel. L’essentiel c’est de partir des problèmes, la dimension réelle des problèmes. Nous avons vis-à-vis de l’Europe, parfois en tant qu’opinions publiques au pluriel, l’impression de refaire une guerre de religion, voire de refaire une guerre idéologique. On oublie que la force de l’Europe est d’avoir résolu certains problèmes, le premier de tous c’est évidemment la paix en Europe, les relations entre pays qui s’étaient combattus, le développement de l’Europe.  
Mais pourquoi nous oublions toujours le fait que cette Europe, aujourd’hui en difficulté financière, économique, est un ensemble de pays qui pendant soixante ans a garanti un cadre de croissance extraordinaire ? Cela, on l’oublie toujours. Autre élément pour moi essentiel, c’est celui de l’État-providence, l’État social, c’est notre force. Évidemment Michel Barnier a mille fois raison quand il dit que l’Europe doit retrouver sa force vis-à-vis du reste du monde et les chiffres qu’il cite sont, de ce point de vue, troublants. J’ai pris note immédiatement, 7% de la population du monde, 25% du PIB du monde et 50%, je ne le savais pas, merci monsieur Barnier, des dépenses sociales du monde. C’est-à-dire que la force de l’Europe est d’être un modèle social. Aujourd’hui ce modèle social est en difficulté à cause de la crise, les énergies des pays européens doivent être employées dans une réflexion sur la sauvegarde et la relance de ce modèle social, parce que c’est ça notre drapeau            .
Bien sûr nous avons 24 langues, 28 peuples, mais nous avons aussi un drapeau au-delà du drapeau bleu étoilé, c’est le drapeau de la guerre antisociale. Ici, les valeurs sociales sont protégées et c’est ça notre force. Alors, l’évolution économique par rapport au reste du monde doit aussi nous permettre de faire les réformes qui à leur tour permettront de sauvegarder cette valeur essentielle qui est notre État social, la santé gratuite, la retraite, toute une série de choses qui dans d’autres continents ne sont que des illusions et qui chez nous sont une réalité. Jusqu’à quand, je ne sais pas, mais notre engagement doit être celui de le garantir.          
Et je termine en disant, ne laissons pas aux anti-européens, aux fanatiques, aux populistes de tous bords, le drapeau de l’engagement. L’engagement de l‘européiste, de celui qui croit en l’Europe, est un engagement qui vaut bien plus que l’engagement de tous les populistes anti-européens. N’ayons pas de complexes, notre engagement, notre militantisme vaut bien plus que le leur ! Merci.

Robert Rochefort (modérateur) – Clémentine Forissier, vous êtes, avec EurActiv, en permanence à scruter l’actualité, à faire des dépêches. Peut-être pouvez-vous réagir à ce sondage en nous disant si vous avez le sentiment que les autres peuples européens partagent les mêmes visions que les Français, les mêmes critiques, les mêmes inquiétudes. Et, puisque vous suivez l’actualité au jour le jour en faisant parfois des dépêches, d’interprétation et parfois d’opinion, comment vous réagissez à tout cela ?

Clémentine Forissier – Comment les autres pays européens réagissent ? Je pense  qu’on a vu ces dernières années, notamment en Grèce, des drapeaux, des manifestations anti-allemandes extrêmement violentes, on a vu aussi des mouvements en Espagne, en Italie etc. Donc je pense que globalement le sentiment de défiance vis-à-vis de l’UE n’est pas du tout une spécificité française. Il est vraiment présent en Europe du Sud parce que les populations sont dans des situations extrêmement difficiles et il est présent en Europe du Nord parce qu’on a l’impression – pas seulement en Allemagne – que les Européens du Sud ont peut-être laissé trop filer leurs finances publiques et que la situation dans laquelle on se trouve est en partie de leur responsabilité. Je dis ça parce que souvent on pense à l’Allemagne mais si on va aux Pays-Bas, en Finlande, il y a aussi ce type de réaction. Donc, je pense que, globalement, la défiance vis-à-vis de l’Union européenne existe et pas seulement en France.      
Moi, ce qui m’a frappé en écoutant les  résultats de ce sondage c’est que je me suis dis que, finalement, c’est l’heure de vérité. Les Français qui sont d’habitude pro-européens, disent à leurs politiques "si vous nous parlez d’Europe, parlez nous d’abord de la France". Il y a un espèce de paradoxe incroyable puisque en même temps ça veut dire : "parlez-moi d’abord de mon quotidien et de mes problèmes à moi mais pour me parler d’Europe parlez moi de la France". Ça veut dire qu’on ne dissocie pas les deux éléments. Il y a une ambiguïté assez intéressante, là-dedans, je trouve. Ça veut dire aussi qu’il va falloir arrêter de dire aux Français que l’Europe les protège avec cette idée qu’il y aurait un peu, comme on a cette image en France, un homme politique providentiel qui va venir nous sauver des affres de la mondialisation.
L’Europe qui protège c’est un slogan qui avait été brocardé par François Mitterrand en 1992 au moment du référendum sur Maastricht. Ca a été un slogan pour la présidence française de l’Union européenne en 2008, ça a été le slogan de l’UMP pour les élections européennes de 2009, ça a été aussi évoqué par Martine Aubry quand elle s’est lancée dans la primaire socialiste pour la présidentielle. En fait, quels que soient les bords politiques, il y a cette idée qu’on peut protéger les Français contre le monde. Il y a quand même derrière ça un repli sur soi que je trouve d’abord faux – parce qu’on sait très bien que on ne peut pas réfléchir comme ça aujourd’hui – et en plus qui va susciter, quand la crise arrive comme on le voit aujourd’hui, des déceptions absolument immenses. Donc, moi, il me semble que la déception vis-à-vis de l’Europe même des pro-européens est à la hauteur  de la déception des français vis-à-vis de leurs responsables politiques,  quand on voit les sondages et les côtes de popularité, notamment de François Hollande aujourd’hui. Voilà une première réaction que je peux avoir.      
Après, tu parlais du rêve européen. C’est intéressant parce que, finalement aujourd’hui, on commence à reparler d’union politique, on ne voit pas ça arriver tout de suite mais enfin on sent que François Hollande et Angela Merkel – qui se sont retrouvés après un an de séparation franco-allemande – pourraient peut être, après les élections allemandes, envisager éventuellement de réfléchir d’ici deux à trois ans à une esquisse d’union politique. Alors, est-ce que l’union politique c’est le rêve européen ? Je ne sais pas mais en tout cas tout à coup frémit à nouveau cette idée que peut être on peut essayer de réfléchir ensemble à ce qui nous anime et à la raison pour laquelle nous avons raison, si nous avons raison, de vouloir avancer tous ensemble.
Je trouve que le tableau que Michel Barnier brandit très souvent est extrêmement intéressant. D’un côté, il est très parlant avec effectivement le fait que, en 2050, il n’y aura plus de pays européens au G8, ça fait réfléchir et on se dit que c’est terrifiant. Mais d’un autre côté, est-ce que ça parle vraiment aux gens qui n’ont plus d’emploi, des problèmes pour payer leur essence etc. ? C’est toujours cette grosse difficulté quand on parle d’Europe, en même temps elle est très proche et en même temps elle est très lointaine, il y a cette espèce d’ambiguïté à résoudre. Je dirais une dernière chose sur le couple franco-allemand, moi il me semble que à chaque fois qu’il y a un Président de la République qui est élu en France, il y a un divorce franco-allemand qui s’opère et chacun a envie d’essayer de trouver des alliés ailleurs en Europe. Ca s’est produit il me semble, si on prend les élections les unes après les autres, à chaque fois. Et à plus ou moins brève échéance tout le monde se rend compte qu’en fait on ne peut pas faire sans le couple franco-allemand et qu’il faut se rabibocher. Ca s’est produit notamment avec Nicolas Sarkozy, il a été plus rapide à réagir, ça se produit avec François Hollande, enfin on peut se demander si les dernières évolutions entre les deux dirigeants augurent d’un rapprochement. Peut être qu’il y a un frémissement donc là-dessus peut être que les électeurs européens peuvent se rassurer, peut-être que le couple franco-allemand est en train de se reformer et que l’on peut attendre de lui qu’il soit le moteur de l’Europe.

Robert Rochefort (modérateur) – Merci beaucoup Clémentine je vais maintenant  donner la parole à Krzysztof Pomian, et j’ai le sentiment qu’on va faire un très grand saut de nature disciplinaire. Autant là nous sommes dans l’actualité, autant pour moi avec Krzysztof Pomian on est plus dans l’intemporalité, quelque chose qui correspond à la recherche des fondamentaux de ce que nous sommes et des valeurs européennes. Je disais tout à l’heure à table, "Krzysztof Pomian c’est quelqu’un qui m’intimide un peu" parce que j’ai connu ses travaux il y a trente ans. C’est bien plus qu’un historien, c’est un philosophe et je lui disais que pour ceux d’entre vous qui ont été proches ou qui reste proches de la revue Esprit, Krzysztof Pomian en a été un compagnon de route important. Il a la double expérience dans sa vie d’être Polonais, d’avoir été enseignant en Pologne et en même temps de vivre en France depuis extrêmement longtemps et d’être chercheur dans plusieurs institutions françaises, qu’il s’agisse de l’HESS, du CNRS… Je crois que ses écrits sont autant des écrits scientifiques que des écrits humanistes, porteurs d’un message très fort. Évidemment, la question qu’on a envie de lui poser c’est, quand on voit l’Histoire, quand on voit l’Europe, la Pologne, la France, quel bilan provisoire fait-il ? Comment finalement, réconcilie t-il ce qui a été l’ensemble de ces courants extrêmement forts et puis cette actualité au jour le jour comme on vient d’en parler et qui donne le sentiment d’une Europe qui ne sait plus du tout d’où elle vient, où elle est et où elle va ?

Krzysztof Pomian – À vrai dire je vais commencer par une remarque non pas intemporelle mais tout à fait historique. Je pense que nous n’avons pas assez conscience du fait que la présente unification européenne, celle qu’on peut dater de la  déclaration Schuman ou du traité de Rome, comme on veut, n’est pas la première. Elle est la troisième, l’Europe avait déjà été fortement intégrée deux fois dans son histoire, la première intégration européenne médiévale, religieuse, de chrétienté latine, s’est effondrée suite aux guerres de religion qui ont été en fait les premières manifestations du nationalisme européen. La seconde, celle qui commence avec les Lumières pour aller vite, mettons à partir du traité d’Utrecht en 1713, et qui va s’effondrer définitivement en 1914, c’est une intégration idéologique qui va s’effondrer sous le coup de guerres idéologiques. Enfin, la troisième est celle que nous vivons maintenant et qui est en train de traverser une crise.     
On devrait quand même faire le diagnostic de cette crise, et être dans la recherche des moyens pour s’en sortir. Pas pour s’en sortir comme on s’en est sorti déjà deux fois, parce que les deux sorties de l’intégration européenne ont été des périodes de guerre et qui ont duré longtemps. La période de guerre de religion a durée grosso modo deux siècles, la période de guerre idéologique a commencé en 1914 pour se terminer en 1990, disons. C’est évidemment un progrès par rapport à deux siècles mais ce n’est pas très réjouissant en tout état de cause. Il a été dit ici – et à très juste titre – que la présente crise de l’Union européenne était sans précédent dans sa profondeur. Il y a eu différentes crises que l’intégration européenne a traversées, on les a dramatisées parfois fortement, mais ce n’était rien de comparable. La situation d‘aujourd’hui – c’est là que ça rappelle à l’historien de très mauvais souvenirs – c’est une situation de clivages, de divergences, de perte de langage commun entre les élites pro-européennes et les peuples d’Europe. Cela commence à prendre une tournure qui rappelle les pires souvenirs à l’historien de l’Europe et qui ne présage rien de bon. On a l’impression que le langage européen qui est spontanément le nôtre commence à être perçu comme composé d’incantations et d’anathèmes et ni les unes ni les autres ne fonctionnent plus. À force de répéter les incantations, on ne fait pas avancer le schmilblick, et à force de proférer des anathèmes, on n’obtient plus aucun résultat parce qu’ils ne marchent plus. Nous sommes dans une situation de crise très profonde du langage, je pense que tout ce qu’a dit Jérôme Fourquet ici relève peu ou prou de cette situation.     
À vrai dire, ni mon métier d’historien ni mes expériences ne me préparent à répondre à "comment faire avec cette crise ?". La seule chose que je sais c’est qu’il faut chercher des solutions radicalement nouvelles et ne pas s’obstiner à répéter ce qui a déjà été fait, qui est incontestable mais qui désormais ne suffit plus. J’appartiens à la génération de la seconde guerre mondiale, je suis probablement une des personnes les plus âgées dans cette salle, donc je suis particulièrement bien placé pour apprécier la paix en Europe qui n’a aucun précédent historique, qui est d’une longueur qui ne s’est jamais produite dans l’histoire européenne depuis le néolithique pour ne pas chercher plus loin. Mais ça ne suffit plus aujourd’hui de répéter cela, ça devient un discours incantatoire, que faut-il dire ? Cela, je le sais beaucoup moins, à vrai dire je ne le sais pas du tout donc je vais terminer là-dessus.

Marielle de Sarnez – Merci vraiment beaucoup, peut être qu’on fera un deuxième tour de table pour réfléchir aux solutions nouvelles que vous appelez, je pense tout à fait à juste titre. Alors Iñaki c’est à toi que je vais donner le micro, en te remerciant mille fois d’être là, en vous disant qu’Iñaki travaille sur les questions européennes et qu’il travaille auprès de Iñigo Urkullu, notre ami qui préside le gouvernement autonome basque et qui a donc une relation autonome mais en même temps extrêmement forte vis-à-vis de l’Union européenne et très ancrée dans cette Europe qui est pour eux très importante. Donc, j’aimerais que tu nous donnes ton sentiment.

Iñaki Goikoetxeta – Merci Marielle. En premier lieu je pense que je suis le seul  d’outre-Pyrénées qui est dans cette salle, donc je vais faire quelques remarques sur la situation de l’Union européenne en Espagne. C’est une opportunité extraordinaire que de partager avec vous votre pensée sur l’Europe, vos idées sur l’Europe, vos réflexions, et ce n’est pas la première fois que nous partageons absolument le même langage, les mêmes idées, les mêmes inquiétudes que nous partageons en Espagne, particulièrement dans le Pays Basque.            
C’est certain que l’Europe traverse des moments très complexes, liés à des questions structurelles, de système, mais nous devons rappeler que ce n’est pas la première fois dans la courte histoire du processus d’intégration continentale. Nous pouvons citer le débat de la constitution européenne, le referendum de 2005. C’est certain que depuis 2007 et la crise économique, des dettes, en Espagne particulièrement et dans d’autres pays de l’Union européenne, du Sud particulièrement, la crise de compétitivité, qui va continuer dans notre monde globalisé, de l’économie européenne, a déterminé une crise profonde et prolongé qui a touché tout le ciment de l’édifice du bâtiment européen. Ses effets sont terribles. C’est certain ici qu’il y a différentes visions sur l’origine, les causes et les responsabilités de chacun, de chaque État et de l’Union. Je vais citer un philosophe espagnol, Ortega y Gasset. Je me rappelle que quand j’étais jeune à l’époque franquiste, Ortega disait que l’Europe était la solution, l’Espagne le problème. Car nous associons l’Europe avec la démocratie, la liberté, la modernisation. C’étaient quelques lignes qui ont déterminé que pour les espagnols et particulièrement pour les basques et les catalans, l’Europe a été associée avec ces principes, ces vecteurs. L’Europe était un rêve pour nous. C’est clair qu’aujourd’hui la vision a changé, les citoyens pensent à la bureaucratie, à l’imposition, à la triade BCE, FMI, UE tous les jours à la télévisons… Les citoyens pensent à la séparation entre ceux qui prennent les  décisions et qui sont loin, avec aucun contrôle démocratique.    
L’Europe commence à être un espace de cauchemar et de sacrifices pour la patrie, donc c’est un moment où non seulement c’est une question d’Europe mais c’est une question de gouvernement espagnol aussi car il ne contribue pas à éclaircir les ombres. Seulement, je voudrais citer Jean-Paul Sartre quand il disait "l’enfer c’est les autres". Les gouvernements espagnols sont responsables à cause d’un manque de responsabilité, à cause de la corruption et de tous les problèmes qui ont été associés à la gouvernance espagnole depuis la transition démocratique. Donc je vous dis l’Europe est la solution, oui, mais l’Espagne doit se reformer, se responsabiliser, mettre en œuvre les réformes donc pour être compétitive, pour être un bon partenaire pour l’Union européenne.
Dans tous les pays il y a un euroscepticisme croissant. François Bayrou disait l’autre jour qu’il faut refonder l’Europe, et nous sommes tout à fait d’accord. Il y a des solutions, il y a quelques jours le New York Times parlait de ces questions, il disait que l’Union européenne affrontait un défi similaire à celui qu’affrontait le Saint-Empire romain germanique à l’époque et il conseillait quelques mesures. Je veux finir avec un autre support d’un philosophe et historien espagnol, je vais le traduire. Il disait : "Je reviens à la question principale, qu’est-ce que nous faisons ici ? Mon opinion c’est que nous nous trouvons dans une étape si curieuse dans l’histoire de l’humanité et en particulier de l’histoire européenne, une étape à laquelle s’est produite une fracture entre la solidarité de fait et la solidarité de sentiment. En réalité  les peuples-nation sont aujourd’hui liés par une solidarité de fait absolue, mais les sentiments ne sont pas là". Ces paroles, ont été dites dans le congrès international de La Haye en 1948 à l’occasion du mouvement fédéral européen, nous avons une Europe avec des solidarités de fait, avec des intérêts communs et nous devons faire que le sentiment de solidarité soit un facteur fondamental entre nous. C’est pour cette raison que nous tous, comme disait Michel Barnier, nous devons nous engager particulièrement dans ces moments qui sont terribles, importants et au croisement des chemins. Merci.

Robert Rochefort (modérateur) – Merci beaucoup Iñaki, on a un petit peu de temps pour faire un deuxième tour rapide mais je voudrais faire le pont entre ce que vient de dire Iñaki, le point par lequel il a terminé et finalement le point par lequel Alberto a terminé également. Le point commun entre vous c’est que l’un "Pourquoi nous n’arrivons pas à nous soutenir les uns les autres ?" et l’autre dit "Pourquoi ne voyons-nous pas tout ce qui nous rassemble, tout ce que nous avons en commun ?". Finalement, quand nous nous voyons depuis l’Europe nous avons l’impression que nous sommes tous des peuples avec des différences, des oppositions, on vante les mérites de l’un, les non mérites de l’autre. Quand on regarde l’Europe de l’autre bout du monde on se dit que finalement il y a beaucoup de choses qui les rassemblent. La protection sociale, la solidarité, effectivement. Est-ce qu’il n’y aurait pas une solution à considérer, et d’ailleurs c’est ce qu’on essaye de faire en Europe, mais on y arrive pas forcément, que la bonne façon de faire c’est de prendre ce qui est bien chez les uns et les autres, de se rendre compte que c’est pas si différent que ça ce qui se produit chez les voisins et d’arriver à en faire quelque chose qui soit un point commun ? Mais peut être que vous avez vous des solutions autres qui sont d’autre nature, rapidement, sur ce qu’il faudrait faire maintenant ?

Alberto Toscano –Partir de la réalité, de la dimension concrète des problèmes. Par exemple : ma mémoire va à cette conférence de presse du Président François Mitterrand dans la nuit de Maastricht, il faisait un froid de canard, cette nuit  de décembre 1991 en Hollande. Le Président Mitterrand, après avoir trouvé cet accord entre chefs d’États et de gouvernement européens, a parlé aux journalistes qui venaient de Paris et a dit "on aura une monnaie unique, et on aura à terme une politique commune de la défense et de la politique étrangère". On a vu la monnaie unique, on n’a pas vu le cadre à l’intérieur duquel ce choix de l’intégration de la monnaie unique aurait dû se situer, un cadre profondément politique.
Aujourd’hui dans le sondage on a parlé du Mali. Les Français ont la perception qu’ils ont été isolés au moment du Mali, sincèrement on pourrait discuter de ça, les Français sont partis d’Afghanistan tout seul, il y avait quand même une coalition internationale. Sur le Mali, comme sur la Libye il y a un an ou deux ans de la part de Sarkozy, le choix de Paris a été un choix unilatéral. Cet effort d’intégration sur le terrain de la politique étrangère et de la défense a vu probablement tous les pays, France comprise, en position d ‘insuffisance par rapport à l’importance du défi de l’intégration européenne.
Si on veut vraiment partir de la dimension concrète des problèmes, aujourd’hui en Europe on a un problème de dette publique et de taux d’intérêt, de solidarité européenne et aussi d’incapacité à savoir développer une politique commune pour faire en sorte que certains pays ne soient pas pénalisés au-delà d’une mesure concevable et logique par rapport aux autres. L’Italie a vécu depuis la guerre une période de grand développement, le miracle économique italien. L’Italie a alimenté ce miracle économique et son développement suivant par des dévaluations de sa monnaie. Chose qui a habitué les entreprises italiennes à un développement qui impliquait de récupérer de la compétitivité internationale à travers des dévaluations compétitives. Aujourd’hui avec la monnaie unique ce n’est plus possible. C’est une bonne chose que ça ne soit plus possible parce qu’on doit récupérer de la compétitivité à travers des réformes, à travers la qualité de nos produits, à travers leur niveau, leur design, leur qualité de tout point de vue. Mais ça implique un effort de réforme, de convergence européenne, un rôle de plaque tournante des institutions européennes capables d’exercer une coordination de ce point de vue. C’est toute une série de défis et je pourrais continuer longtemps et je ne le fais pas. Mais le vrai défi européen doit être conjugué dans sa dimension concrète de la vie quotidienne de 500 millions de consommateurs européens, de citoyens européens. C’est seulement comme cela que nous serons capables d’alimenter le rêve européen par quelque chose d’extrêmement concret.

Robert Rochefort (modérateur) – Très bien merci beaucoup. Donc tu nous dis que c’est le quotidien, le concret, comme la liste des 50 travaux de Michel Barnier sur le marché intérieur dont il nous a parlé également tout à l’heure. Est-ce que, Clémentine, vous partagez ce point de vue ? Finalement, pour redonner l’envie d’Europe il y a ceux qui disent qu’il faut redonner un rêve, identifier quelque chose dans lequel on croit profondément, et il y en a d’autres qui disent comme Alberto qu’il faut être très concret montrer les choses très concrètement, peut être certains disent qu’il faut les deux à la fois d’ailleurs, qu’est ce que vous en pensez ?

Clémentine Forissier – C’est toujours très difficile pour un journaliste de donner son avis sur les réformes qu’on devrait faire. Je pense que les deux ne peuvent pas être dissociés, c’est-à-dire qu’on ne peut pas parler d’Europe concrète si on ne propose pas, à un moment ou à un autre, un rêve, si on ne dit pas : "si on fait ces choses concrètes, c’est parce que notre objectif ultime c’est celui-là". Je ne pense pas que les deux puissent être vraiment dissociés. Après, la vraie difficulté pour moi, c’est la le fait qu’il y ait une solidarité de fait comme vous le disiez mais qu’il n’y a pas de solidarité de sentiment. Et comment fait-on pour recréer du sentiment ? Parce que c’est ça en fait le problème. Finalement, le discours politique existe. Si vous interrogez des personnalités politiques, il y en a plein qui ont des idées sur ce qu’on devrait faire mais c’est un discours qui ne porte pas. Aujourd’hui par exemple on est dans une situation où l’Europe a à accomplir le pas le plus énorme qu’elle ait eu à franchir, même si elle a fait des choses ces dernières années depuis qu’elle a décidé de se mettre ensemble, depuis 1957 en gros.           
On a fait l’euro par exemple, tout le monde sait ça parfaitement bien dans cette salle, on a fait l’euro sur un pied et il faut le deuxième pied. Mais ce deuxième pied c’est le plus difficile puisque c’est "Quels sont les sujets sur lesquels on a envie de travailler en commun parce qu’on pense que c’est ce qui permettra d’éviter que on se fasse la guerre entre nous ?". C’est-à-dire que, en gros, on paye un ouvrier allemand qui ramasse des pêches l’été dix fois moins cher qu’un ouvrier agricole français, je schématise mais l’idée est la. Comment faire pour qu’on ne soit pas en train, au sein même d’un marché  qu’on essaye de construire, à se tirer dans les pattes les uns et les autres ?
Très honnêtement je n’ai pas de solution toute faite, moi je crois beaucoup à l’idée qu’il faut arrêter de mentir. Le mensonge et la politique c’est un sujet de thèse mais il faut arrêter de faire croire aux gens que l’on peut leur apporter des solutions toutes faites. Je pense qu’il faut avoir le courage de leur dire que non seulement l’Europe est à un moment de sa construction qui est incroyablement important mais incroyablement difficile, que le plus dur reste à faire. Mais aussi que c’est lié à la situation dans laquelle l’Europe se trouve par rapport à ses autres partenaires dans le monde, c’est-à-dire qu’en fait tout ça est complétement imbriqué. Moi je dirais que ce serait peut être ce discours, faire rêver mais sans mentir et sans attiser les peurs, c’est-à-dire sans avoir le recours du repli sur soi.           
Je pense que la naïveté européenne dans ses relations commerciales est une réalité et peut-être qu’il faut être capable d’être plus offensif et avoir le glaive comme dirait François Hollande, ça me semble judicieux mais d’un autre coté il ne faut pas avoir le discours du repli sur soi. Après, pour ce qui est du sentiment, mettre en avant la culture qu’on a en commun, est-ce que ce n’est pas ça aussi une manière de redonner du sentiment ? Je pense qu’on aime parce qu’on sent qu’on a des points communs. Et comment on sent que l’on a des points communs ? Parce qu’on parle de ce qui nous anime, de ce qui nous passionne, de notre histoire etc. Alors, sous quelle forme, je ne sais pas, mais il me semble que ce sont des pistes.

Robert Rochefort (modérateur) – Merci beaucoup. Krzysztof Pomian, on dit beaucoup aujourd’hui que la Pologne s’en tire dans l’Europe, ça marche bien, que la croissance est là. Est-ce que il y du coup, d’après vous matière à s’inspirer pour les autres pays ? Peut-être avec l’histoire, avec l’actualité de la Pologne, est ce qu’il y a un rêve européen, est-ce qu’il y a une projection, est ce qu’il y a quelque chose qui est bien différent de ce que l’on peut observer dans les pays d’Europe du Sud ou bien même en France avec ces difficultés sociales, avec cette déprime collective ?

Krzysztof Pomian –  Je suis désolé de le dire mais je crois que dans la mesure où l’on peut donner une réponse à une telle question, non il n’y a pas de rêve européen aujourd’hui en Pologne. Il y a encore, selon les sondages, une majorité pro-européenne en Pologne, en train de  s’effriter. Et il y a un parti qui totalise quand même quelque 30 % de l’électorat qui est un parti fondamentalement anti européen. Disons que c’est un parti dont les positions politiques, le parti s’appelle Droit et Justice, le placeraient en France bien à droite du Front national. Donc ne nous faisons pas d’illusions, dans la nouvelle Europe, dans les pays qui sont entrés dans l’Union en 2004, la situation est loin d’être enthousiasmante.       
Pour résumer la situation, nous sommes aujourd’hui dans une situation paradoxale, c’est à dire, pour toutes les raisons qui ont été exposées ici par presque toutes les personnes qui prennent la parole, nous avons besoin de plus d’Europe et en même temps nous avons un état des opinions publiques, non seulement en France, on vient de le voir, mais partout où on touche à la question, qui sont opposées à plus d’Europe et pour lesquelles le plus d’Europe est devenu presque un repoussoir. On n’est plus dans le rêve européen, hélas nulle part. La question qui se pose c’est : comment sortir de cette situation ? De nouveau je n’en sais rien, mais il y a une chose qui me frappe. Pendant très longtemps, en fait depuis le traité de Rome jusqu’au traité de Maastricht, 35 ans, l’intégration européenne et sa direction étaient dictées, disons pour aller vite en besogne, par les élites économiques et politiques et n’était pas un problème du débat public ni de l’opinion publique. Et aussi longtemps que nous étions dans la construction de marché commun, ça pouvait aller. Depuis Maastricht, la donne a complétement changé et une des raisons de la situation présente me semble être que les classes politiques des pays européens se comportent comme si on construisait toujours le marché unique tandis que nous sommes en train de faire toute autre chose, qui engage sur tous les plans la symbolique politique, mentale, le commun des citoyens européens.
A partir de là, la question qui se pose en termes de démocratie est la suivante : qui doit dicter le tempo de l’intégration européenne ? Parce que jusqu’à maintenant, ce ne sont pas les populations européennes qui dictent ce tempo, bien au contraire. On peut répondre que si l’on écoutait l’opinion publique on ne serait aujourd’hui peut être pas très loin. Mais on peut aussi répondre que si on écoutait l’opinion publique on ferait peut être moins mais on aurait assuré nos arrières, et ce qu’on aurait fait serait beaucoup plus durable. Je pense donc qu’un de nos problèmes c’est celui de comprendre qu’hélas il nous faudra maintenant, malgré cette situation paradoxale et à cause de cette situation paradoxale précisément, aligner le tempo de la construction européenne sur ce que veulent les peuples d’Europe, même si elle doit être ralentie pour cette raison. Cela va créer beaucoup de difficultés et obliger à des choix assez dramatiques. La France, pour ne parler que d’elle, a été un promoteur de l’intégration européenne et, en même temps, tous les discours européens français étaient "nous sommes pour l’Europe, mais intergouvernementale". Ca obligeait déjà pendant très longtemps à des numéros d’équilibriste assez sophistiqués, ce n’est plus tenable. Donc il faudra faire les choix et en même temps il faudra faire ces choix en se disant clairement que l’opinion publique ne nous pousse pas à aller plus vite mais à aller plus lentement, et c’est probablement la seule condition pour sauver les meubles, ce qui serait déjà beaucoup, parce que d’une certaine manière, la maison brûle.

Robert Rochefort (modérateur) – Merci beaucoup. Ce que vous venez de nous dire est très important même si on pourrait discuter ensemble,  y compris par exemple par rapport à la Pologne,  sur l’intégration des modes de vie, le marché intérieur. Jacques Delors était parfaitement convaincu que par le marché intérieur les peuples allaient demander de l’intégration politique, c’était son idée. Je voudrais simplement passer la parole à Iñaki en lui demandant ce qu’il pense de la particularité basque, qui d’ailleurs aussi est souvent présentée comme quelque chose qui, du point de vue économique, ne marche pas si mal avec l’idée de produire par le local pour ensuite remonter sur des niveaux supérieurs. Et pour l’Europe, ce qu’il pense des atouts de cette organisation et peut-être aussi les limites d’une organisation extrêmement régionalisée avec beaucoup d’autonomie.

Iñaki Goikoetxeta –  L’état espagnol c’est un état presque fédéral, en ce moment avec trois nationalités, la Catalogne, le Pays Basque et la Galice qui sont reconnues dans la constitution espagnole. Mais là, le problème, c’est l’Espagne. La politique économique des dernières 25 années vous la connaissez tous, la bulle immobilière terrible et le manque de sérieux budgétaire, la dette horrible qui a déterminé des problèmes absolument graves pour l’économie espagnole mais il y a une question particulière à l’Espagne c’est le cas du Pays Basque. Nous avons un système économique, un système financier, un contrôle de nos dépenses publiques, de nos budgets publiques, en accord avec une formule constitutionnelle qui a déterminé aujourd’hui la situation du Pays Basque, avec un taux de chômage deux fois plus faible que dans le reste du pays, une  économie régionalisée. Cette régionalisation a déterminé des différences entre les différentes régions d’Espagne.          
Les Canaries ou l’Andalousie par exemple ont des taux de chômage de 30 à 35% ! Avec des taux de chômage des jeunes de 60% ! Donc nous espérons que le gouvernement comme l’opposition soient courageux, ce sera mardi en Espagne le premier jour où les partis politiques, ensemble, toutes les régions, vont soutenir une proposition de la représentation espagnole auprès du Conseil européen du 25, 26juin. Mais c’est la mauvaise situation qui a provoqué cette union. Je pense qu’en ce moment l’union c’est nécessaire pour faire que la dette et les déficits deviennent soutenables car c’est une chose dont nous avons besoin et à laquelle il faut contribuer pour nous mais aussi pour l’Europe. Mais il y a une autre question, celle du modèle social européen. Car c’est difficile d’expliquer en Espagne, en Grèce, à Chypre, en Italie aussi, la question de la soutenabilité du système social en ce moment. Les gouvernements disent que la responsabilité est à Bruxelles, ce n’est pas vrai, la responsabilité c’est chez nous. En Espagne c’est la question de la solidarité entre régions. En Espagne nous avons aussi le Nord et le Sud, nous pouvons aider avec nos problèmes et nos solutions pour la réflexion européenne sur les différences économiques afin d‘obtenir la convergence à moyen terme avec un modèle économique qui est notre atout principal.

Marielle de Sarnez – Voilà, le temps de notre table ronde est maintenant fini, je veux remercier chacune et chacun d’entre vous, de votre éclairage et de vos suggestions, de vos idées, que vous nous ayez dit ce que vous ressentiez sur ces questions européennes et je remercie Robert aussi qui a très bien animé cette table ronde comme d’habitude. Je dois vous dire que c’était très intéressant de voir les expériences européennes sont là parce que c’est ça la nécessité d’ouverture qui est la nôtre, c’est de ne pas aborder la question européenne comme un débat franco-français, ce qui est trop souvent le cas. La vérité c’est que les questions qui se posent pour l’Europe se posent dans l’ensemble du peuple européen parce qu’il y a bien un peuple européen. Voilà merci à chacune et chacun d’entre vous.

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