"On n’entraîne pas un pays en allant dans le sens de sa pente et de ses dérives"

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Dans un grand entretien accordé aujourd'hui à Atlantico, François Bayrou affirme que "la vocation d'un responsable politique ne peut pas d’être élu en flattant l’instinct du peuple". Bien au contraire, "l'homme d'État doit aller dans le sens de la vérité qui obligera le peuple à l'effort", soutient le leader centriste.

Atlantico - La victoire de Nicolas Sarkozy à la tête de l’UMP est désormais actée. N’est-ce pas pour vous une opportunité pour clarifier les lignes entre la droite et le centre, notamment en vue des présidentielles de 2017 ?

François Bayrou - Bien sûr, la victoire de Nicolas Sarkozy est actée. Sa stratégie est de regrouper le noyau dur de son camp pour avoir, dans les années qui viennent, une force de frappe pour les primaires. C’est une stratégie robuste. Mais en même temps, tous les Français voient autre chose, c’est que Nicolas Sarkozy qui affirmait qu’il avait changé, montre tous les signes du contraire. On y voit donc plus clair.

A partir de ce moment-là va s’ouvrir une autre séquence qui est celle des primaires de son camp, si du moins Nicolas Sarkozy ne les vide pas de leur sens.

Ce n’est pas un secret de dire que j’ai pour ma part des interrogations sur la démarche des primaires. Parce que dans la primaire d’un camp, d’une France contre l’autre, c’est le noyau dur du camp qui pèse le plus lourd.

Mais si Alain Juppé est choisi, pour moi un accord sera facile et évident. C’est quelqu’un dont les qualités me paraissent adaptées aux besoins de la France d’aujourd’hui.

Selon le sondage publié jeudi par Marianne « UMP - FN, le sondage qui fait mal », les électeurs de l’UMP sont de plus en plus en proximité avec ceux du Front national. La droitisation n’est-elle pas une stratégie plus efficace que celle de la centrisation ?
 
Cela est pour moi la mauvaise manière de poser le problème. Si vous me demandez si ce que fait Sarkozy est électoralement efficace, ma réponse est oui. Mais si vous me demandez si c’est bon pour la France alors je dis non. A coup sûr.

Cette ligne qui, comme il dit, « ne coûte pas cher », et peut même rapporter électoralement parlant, n’est pas celle qu’on doit défendre dans un pays et une société en détresse comme la nôtre…

Mais c’est l’affaire de Sarkozy et le sujet du grand débat qui aura lieu un jour ou l’autre devant le pays. À mes yeux, et pour la France à reconstruire, il faut une ligne claire, simple, robuste, explicable aux français et qui entraîne l’adhésion populaire. Et il faut unir le pays autour de cette ligne.

Les politiques sont obsédés par l’observation des sondages. Ils sont prêts, sans état d’âme, à suivre le vent. Mais si vous êtes un citoyen de plein exercice, ou un homme d’État, ce qui est la même chose, vous ne vous intéressez pas à l’aspect opportuniste des choses. On n’entraîne pas un pays en allant dans le sens de sa pente et de ses dérives. Bien sûr que beaucoup de gens ont envie de violence, d’une guerre civile, les peuples sont souvent comme ça. Spécialement en période de crise. Mais les politiques qui les suivent sont coupables.

Dès lors, si l’UMP bascule plus à droite, un espace politique se libère. Un espace qui est le vôtre ? Quel est son potentiel ?

Il y a un vrai potentiel électoral, autour de 13 à 15 % sans doute comme socle électoral. Du moins, si l’on en croit ce que disent les enquêtes, ce qui est assez haut en dehors de toute campagne. Mais ce n’est pas l’essentiel. Les Français découvriront que l’on peut avoir une approche politique qui ne se résume pas à un combat des égos. Il existe une attitude politique qui, dans la situation de crise ou nous sommes, est désintéressée. La plupart des Français pensent que les hommes politiques font passer leur intérêt personnel, leur intérêt de parti, avant l’intérêt national. Il est pour moi très important de leur montrer que cela n’est pas vrai.

Ce qui m’importe, c’est que le pouvoir en France change de nature. D’un pouvoir d’affrontement et de division, je veux que cela soit un pouvoir qui, avec une ligne claire, soit capable de réunir. D’élargir. Et il n’y a qu’une démarche politique nouvelle, centrale qui pourra y parvenir.

L’hypothèse d’une double candidature, dont la vôtre, aux présidentielles de 2017 ferait-elle planer le risque d’une absence de la droite au second tour ?

Cet épouvantail n’existe pas. C’est le parti socialiste au contraire qui apparaît comme disqualifié.  Pour au moins le temps d’une génération politique. On pourrait dire aussi d’une régénération. Le parti socialiste aujourd’hui n’est pas qualifiable pour un deuxième tour. Le premier tour va peu à peu apparaître comme le tour décisif.

C’est pourquoi je souhaite que dans l’opposition s’impose une personnalité qui soit compatible avec ce que je considère être l’intérêt national. Ce serait une satisfaction et ensuite une possibilité de reconstruire un courant politique avec une génération nouvelle. Plus facilement, sans conflits. C’est mon espoir. Mais je ne sous-estime en rien les difficultés et les embûches qui essaieront d’empêcher ce scénario. Et je n’élude aucune de mes responsabilités.

Seriez-vous capable de vous accorder, de vous entendre avec Nicolas Sarkozy ?

Le moins qu’on puisse dire, c’est que sa manière d’être et ses obsessions ne ressemblent pas à ce qui me paraît bon pour le pays. Pour autant, je n’en fais pas une querelle épidermique. Je n’aurai qu’une ligne : l’intérêt national. Je sais le danger que représente l’extrême droite.

Non pas parce que « fasciste » mais parce que c’est une proposition politique mortelle pour la France. Dire que l’on va cibler les gens en fonction de leurs origines, qu’on va sortir de l’Europe, sortir de l’euro, promettre que l’État pourra à nouveau distribuer ce qu’il n’a pas, se faire à nouveau dispensateur de toutes les subventions, de toutes les allocations, tout cela est mortelle illusion, mortel poison…

Jean Marie Le Pen, en dehors de ses outrances, était reaganien en économie, c’était plus cohérent. Aujourd’hui Marine Le Pen se situe en économie un peu à la gauche du parti communiste.

Mais sans écouter les sondages ou le Front national, est-il possible d’entendre ses électeurs ?

Suivre les électeurs ou les conduire, voilà toute la question quand l’essentiel est en jeu. J’ai raconté dans mon dernier livre (de la vérité en politique, Plon 2013) un débat formidable au sens terrifiant de ce mot le 12 novembre 1936 à la chambre des communes britannique. Winston Churchill est alors sans doute le plus impopulaire et le plus décrié des hommes politiques anglais.

Accusé par les uns d’avoir changé de camp, d’être passé de la droite à la gauche, et accusé au contraire par la gauche d’être resté ce qu’il était. Mais il se bat. Tout son combat depuis des années, envers et contre tout, est le combat pour que l’Angleterre ouvre les yeux sur le danger nazi et construise les armes qui pourront sauver le Royaume-Uni lorsque le prédateur attaquera. En cet automne 36, des indices multiples, et d’abord l’alliance Hitler-Mussolini, montrent qu’on va au conflit. Et l’Angleterre n’est pas prête.

Ce jour-là à la Chambre des Communes, Churchill interpelle le premier ministre Baldwin, lui reprochant d’avoir manqué à son devoir en menant une politique pacifiste. Et Baldwin se lève, et annonce qu’il va lui répondre, ce sont ses propres mots, avec une « effroyable sincérité ». Et il explique que pour gagner les élections, il a consciemment choisi d’aller dans le sens des électeurs ! « J’étais le chef d’un grand parti. Vous vous rappellerez qu’à cette époque, entre 1933 et 1934, il y avait un sentiment pacifiste dans le pays plus fort qu’à aucun moment depuis la grande guerre, si j’étais allé aux élections en disant au peuple britannique que l’Allemagne réarmait et que nous devions réarmer aussi, qui peut croire que j’aurais eu la moindre chance de rallier le pays à cette idée. Je ne peux rien imaginer qui ait pu rendre, de mon point de vue, la défaite dans cette élection plus certaine. ».

C’est le choix de vie du politique. Aller dans le sens de ce que le peuple veut entendre, ou dans le sens de la vérité qui l’obligera à l’effort.

Je sais très bien ce que, dans leur tréfonds, veulent les êtres humains. Ils veulent toujours que l’on aille dans le sens de la guerre civile dont, depuis l’aube de l’humanité, ils ont envie. Et spécialement en période de crise. Parce que le musulman, l’étranger, l’immigré, sont des figures de focalisation de ses propres craintes. Et je ne nie pas qu’il y ait des cohabitations difficiles, je ne vais pas dire le contraire. Je suis l’élu d’une ville qui compte des quartiers avec plusieurs dizaines de nationalités, et des incidents, avec lesquels il serait quotidiennement facile d’allumer les conflits entre les gens.

Cependant, je n’oublie pas avoir écrit trois livres sur les guerres de religion. Je sais ce que c’est. Je sais où tout cela conduit. Et donc, ce n’est pas parce que les gens ont envie, au fond d’eux-mêmes, d’être poussés à toutes les sortes de guerres civiles qu’il faut aller dans ce sens. La vocation d’un responsable digne de ce nom ne peut pas être d’être élu en flattant l’instinct du peuple.

Pensez-vous que le seul horizon du peuple soit de vouloir la guerre civile, ou plus simplement, la volonté de reprendre son destin en mains dans une époque où on lui explique que ce n’est pas possible… ?

Mais parce que nous n’avons, depuis un bail, que des dirigeants d’une lâcheté brevetée ! Ils n’ont pas eu le courage de dire qu’aucun des problèmes de la France ne vient d’ailleurs. Nos difficultés ne viennent pas de l’Europe, pas de l’euro, pas de la mondialisation. Le premier problème de la France est que nous avons une éducation nationale en capilotade. Ce qui fait qu’il n’y a plus d’intégration et d’ascenseurs sociaux, et de reprise pour avancer.

Et que notre force intellectuelle et de travail en est affaibli.

Le deuxième problème de la France est que nous avons des codes, des normes qui sont une forêt, un labyrinthe. Le code du travail fait 1917 pages ! Et depuis avril, 10% des articles ont déjà changé. Une constante insécurité, une constante illisibilité.

Et les 35 heures ! L’absurdité économique et ce qu’on voit moins, l’incroyable condescendance introduite dans l’inconscient collectif. Car ce n’est pas un temps de travail pour les cadres ! La plupart d’entre eux n’y sont pas soumis. En réalité, les 35 heures sont pour le prolétariat à qui on a dit « vous, votre travail, comme il est inintéressant, vous ne travaillerez que 35 heures ». Ce qui fait qu’on fait œuvre anti-économique et qu’on augmente le stress au travail dans des conditions jamais atteintes. Aucun de ces problèmes ne nous a été imposé de l’extérieur !

Ne croyez-vous pas que les Français le comprennent… ?

Ils ont failli le comprendre en 2007. Je n’oublie pas qu’ils ont été presque 20% à voter pour moi. Ils l’ont moins compris en 2012, parce que l’obsession de certains était de faire barrage à la gauche et pour les autres de faire barrage à Sarkozy et que donc, dans cette obsession du vote contre, la ligne positive dont le pays avait besoin a été perdue de vue.

Et ils votent Front national parce que rien n’est fait sur ces questions ?

C’est tout à fait vrai. Le vote Marine Le Pen, est un vote pour renverser la table et je comprends tout à fait la logique de ceux qui veulent la renverser. Simplement, en renversant la table, ils font tomber la maison sur leur propre tête. Parce que ces propositions sont, à mes yeux, des voies mortelles.

Et en effet, le monde politique classique ne répond pas du tout aux attentes du temps.

Si vous demandez si le monde politique classique est usé, la réponse est oui. Mais ce n’est pas tout à fait nouveau. Depuis la fin des années 90, le spectacle que l’on nous présente est un faux semblant, un théâtre d’ombres. Plus de vie politique, plus de débat parlementaire, plus de partis politiques capables…  Si nous voulons chercher une comparaison historique, nous sommes en 1957, un pays sans espoir, un système politique usé, et des problèmes qui paraissent insolubles. Il faut donc qu’advienne un nouveau mai 58, prise de conscience et énergie politique nouvelle.

Cette prise de conscience et de nouvelle énergie va intervenir. Simplement, Je ne sais pas si cet épisode va intervenir avant ou après un épisode extrémiste. Peut-être y a-t-il eu trop de lâchetés et trop de complaisances. Je crois cependant que le ressaisissement est possible. Parce que je suis absolument sûr qu’il y a une attente profonde du peuple.

Il y a, dans la profondeur des attentes d’une personne ou d’une communauté humaine, deux attentes. L’instinct de vie, et l’instinct de mort, Thanatos et Eros. L’envie de bonheur et d’aimer coexiste avec l’envie de tuer son voisin. Quand on est un responsable public, la seule question qui est posée est de savoir si l’on se sert de la puissance de l’instinct de mort et de haine. Ou est-ce que l’on sert l’instinct de vie. Pour moi, ce qui justifie la vie d’un homme public c’est de décider de servir l’un et non de se servir de l’autre.

Mais alors, comment convaincre les Français qu'ils ne sont pas seulement face à un choix de la mort violente avec Marine Le Pen ou de la mort lente avec les élites actuelles ?

Je ne m’inscris pas dans le parti de la mort lente. Et le fait que tant de gens aient démissionné me pousse plus que jamais à construire. Le parti socialiste a défendu des thèses indéfendables devant quiconque ayant un grain de bon sens. Ce parti a été emporté par la vague du réel et il n’y résistera pas. Et l’UMP est prisonnier de ses défauts internes, tant de gens qui n’ont plus rien en commun, qui ne défendent plus rien de commun. Ils n’aiment plus être ensemble.

Alors il reste à beaucoup à bâtir mais c’est cela qui vaut la peine. Parce qu’il y a une possibilité d’entrainer le peuple sur une autre thèse que celle de la détestation.

Lors de cette rentrée, comment expliquez-vous le succès d’Eric Zemmour ?

Je connais Eric Zemmour. Je n’aurais jamais cru qu’il puisse en arriver à écrire ce qu’il a écrit dans son passage sur Pétain. Sa thèse est de dire qu’il ne faut pas être trop sévère avec Pétain parce qu’il a livré des juifs étrangers pour sauver des juifs français. D’un point de vue philosophique, doctrinal, profond, c’est quelque chose de terrible. Dans la phrase « Il a livré des juifs étrangers ou français », la question ne se pose pas sur le complément d’objet direct, juifs étrangers ou français, la question est dans le verbe. Livrer.

Dès l’instant que votre dérive, votre cheminement, vous conduit à cette phrase, il y a un problème profond. Alors, qu’un peuple puisse avoir des difficultés avec des entrées de population ou des situations de population, mais dont l’intégration est ratée, cela heurte bien sûr. Il y a beaucoup d’irritations. Mais cette irritation, il faut la comprendre et non pas l’attiser.

La faute d’Eric Zemmour, pour moi, n’est pas de de comprendre ce qui se passe, c’est de le légitimer. Je vois la dérive, elle est impressionnante et lourde de conséquences. Car naturellement, les gens sont contents qu’on leur donne ce dont ils ont envie. Ce n’est pas tolérable pour autant. Quand vous êtes dans la situation de responsabilité publique, votre  devoir d’état, c’est de porter les gens vers le haut, et non de les plonger dans le bouillonnement de leurs faiblesses.

Vous parlez de défoulement, mais n’est-ce pas simplement lié à une crainte des personnes de ne pas pouvoir continuer à être eux-mêmes ?

On prétend que la France ne serait plus la France. Pour certains, c’est une peur profonde. On se trompe. Rien ne peut empêcher les Français de continuer à être eux-mêmes. Prenons le mariage pour tous. J’étais contre l’utilisation du mot mariage en raison du bouleversement affectif que cela provoquait dans la partie plus traditionnelle de l’opinion. Mais nous sommes un an après. La loi a été votée. Au fond, les peurs étaient-elles justifiées ? Est-ce que cela a changé quoi que ce soit dans la société, ou la civilisation ? Rien.

Notre pays est beaucoup plus résilient, beaucoup plus résistant que cela. La France est une force. Le jour où on lui rendra son éducation, son envie, sa capacité d’expression, de création, de confiance, ce jour-là, nous verrons ce que c’est que la France. Et c’est pareil pour l’immigration. Si l’école et le travail sont au rendez-vous, on verra que ce n’est pas affaire, comme certains le disent, de cultures inconciliables. Ce n’est pas parce qu’il y a des enfants dont les parents sont nés de l’autre côté de la Méditerranée que la France va cesser d’être la France. Pour moi, il n’est pas vrai que cela va changer l’identité française.

Les Français font sans doute le même constat que vous, sur l’éducation, les 35 heures, les normes, le lien social, mais ils observent que rien ne se passe avec leurs élites ou leur personnel politique actuel. C’est cette demande là qui s’exprime…

Je ne me compte pas au nombre de ce personnel politique passif. Je revendique une seule chose qui est cette liberté de penser. Et j’ai tout à fait l’intention de me battre pour qu’on découvre qu’une action efficace et rapide est possible. C’est un des enjeux de ma mission de maire d’une ville à grand potentiel, comme Pau.

Pour le centre, que signifie la victoire de Jean-Christophe Lagarde à la présidence de l’UDI ?

Nous sommes face à l’urgente nécessité d’un lieu de renouvellement de la politique française. Le centre, au sens large du terme, peut ou pourrait être celui-là. A une condition, c’est qu’il accepte la nécessité ou le devoir de son unité.

Et le devoir d‘avoir un présidentiable ?

Cela n’est pas un devoir, c’est une chance.

 

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