"On ne cède pas"

François Bayrou a fait part de sa "très grande tristesse" sur Radio Classique après avoir avoir entendu la déclaration des représentants du consistoire de Marseille. "Ils ont eu le sentiment qu'il y avait des risques, l'émotion a emporté, mais la France c'est le fait que vivent ensemble des communautés d'origines différentes qui réunies dans le même amour d'un idéal" a-t-il déclaré.

Bonjour François Bayrou. Les questions ne manquent pas ce matin. Est-ce que vous trouvez normal que Madame Taubira soit remplacée par Manuel Valls le 3 février, quand il va falloir défendre ce principe de modification de la Constitution concernant la déchéance de nationalité ?

Il n’y avait pas d’autres possibilités parce qu’il était inimaginable que Madame Taubira vienne à la tribune défendre un texte dont elle avait indiqué elle-même qu’elle y était opposée pour des questions de principe. Mais il est inimaginable que cette situation dure.

Jean-Luc Mélenchon a employé le mot « surréaliste » - qui est totalement galvaudé, parce qu’on l’emploie à propos de tout et n’importe quoi -  mais avouez que cette situation est quand même incroyable : pourquoi la gardent-ils ?

Nous sommes dans une situation inimaginable : il y a au sein du gouvernement une opposition frontale entre la garde des Sceaux - qui normalement défend les principes du droit, l’ensemble des sujets et dossiers qui dépendent de la loi et de la Constitution - et le Président de la République et le Premier Ministre.  

Vous qui avez une expérience politique, est-ce que vous considérez que cette juxtaposition de gens qui ne sont pas d’accord sur des choses fondamentales est une première dans l’histoire politique depuis la fin de François Mitterrand ?

C’est inédit depuis longtemps, oui, et encore, sous François Mitterrand, je vous rappelle que Jean-Pierre Chevènement avait quitté le gouvernement quand il avait été en désaccord sur la première guerre en Irak. Donc c’est une situation sans précédent et qui ne peut pas durer. J’entendais à l’instant Guillaume Tabard annoncer cela. C’est impossible à maintenir dans la durée donc il va y avoir un remaniement ministériel. Il ne peut pas en être autrement. Vous voyez bien que la seule raison pour laquelle Madame Taubira reste c’est parce qu’elle est la représentante d’une sensibilité au sein du gouvernement de la majorité qui est très à gauche, que François Hollande voudrait arrimer avec lui et c’est impossible. Il y a une fracture et il y a un affrontement, une guerre de deux gauches au sein du gouvernement et cela va évidemment produire des effets délétères. C’est une incohérence qui est incompatible avec la conduite des affaires normales. Quand un gouvernement n’a pas de cap, pas de boussole, ou plus exactement quand à l’intérieur de la majorité il y a des gens qui s’opposent au cap fixé en principe officiellement par le Président de la République et le Premier Ministre, évidemment cela fait une fracture et un affrontement.

Tous les gens qui nous écoutent doivent me souffler à l’oreille cette question : « Mais demande-lui pourquoi il a appelé à voter François Hollande pour découvrir deux ans et demi plus tard que c’est tout et n’importe quoi. »

Absolument pas. François Hollande avait fait des promesses qu’il n’a pas respectées, c’est la raison pour laquelle je suis dans l’opposition.

N’était-ce pas prévisible ?

Excusez-moi, il y a plus de 50 % des Français qui ont porté le même jugement que le mien et le problème du second tour de cette élection, c’est que l’on avait à faire à une autre proposition politique dont tous les Français voient aujourd’hui qu’elle ne correspondait pas à leurs attentes.

Je vais employer un mot vulgaire : est-ce que vous avez le sentiment – puisque vous évoquez tous ces Français qui ont fait le même choix que vous – d’être « cocu » ?

Je n’emploie pas d’expression de cet ordre. Et je ne les pense pas. La politique c’est très simple, vous avez des idées, vous allez au bout de vos idées.

Regrettez-vous quand même un peu ?

Non, la proposition politique que faisait Nicolas Sarkozy conduisait la France à une catastrophe que je ne voulais pas voir. Et tous les Français se rendent compte aujourd’hui – il suffit que vous regardiez les enquêtes – qu’il y a en effet quelque chose dans la manière dont Nicolas Sarkozy abordait et aborde la politique qui ne correspond pas à ce que doit en attendre un pays en crise. Alors que François Hollande ne soit pas à la hauteur de ce qu’il avait promis, c’est une évidence et qui, selon moi, va marquer les années qui viennent.

Question de fond et de prospective : est-ce que vous considérez comme François Fillon que l’on ne revivra pas le même match qu’en 2012 ? C’est le pronostic de quelqu’un qui est évidemment loin dans les sondages.

Les Français ne veulent pas voir le même match parce que les deux ont été porteurs de déceptions immenses pour eux dans l’exercice du pouvoir et après l’exercice du pouvoir et ils voient que cela ne correspond pas à leurs attentes. Est-ce que les choses vont se mettre en place autrement ? Je le souhaite.

C’est-à-dire ?

C’est-à-dire, par exemple, que la percée qu’Alain Juppé fait est un motif d’espérer – en tout cas pour moi – dans les mois qui viennent.

Encore une fois, parmi les hypothèses, on vous a souvent posé la question qui serait celle justement d’une non-désignation d’Alain Juppé. Est-ce que vous iriez ?

On regardera la situation, je serai libre à cet instant. Je pense que retrouver le match entre François Hollande et Nicolas Sarkozy ne serait pas une bonne chose pour la France. Et quand ce n’est pas une bonne chose pour la France, il faut assumer.

C’est quand même pratiquement une première en France que la communauté juive se demande de savoir si, oui ou non, il faut porter publiquement la kippa, à Marseille, à un match de foot ce soir. Tous les Français qui sont juifs doivent-ils y aller avec kippa ou pas ? Alors du côté du consistoire marseillais on dit « Soyez prudents, ne la portez pas », et le grand rabbin de France Haïm Korsia dit : « Pas question, on la garde, on se couvre justement, on garde nos traditions, nous sommes Français d’abord et avant tout ». C’est quand même une question hyper importante cette affaire.

C’est une question incroyable et que, pour moi, je n’aurais jamais cru pouvoir être posée en France. J’ai ressenti – je ne sais pas vous – une très grande tristesse quand j’ai entendu cette déclaration. Je comprends très bien ceux qui la font : ils ont eu le sentiment qu’il y avait des risques, que l’émotion l’a emporté. Mais la France, c’est le fait que vivent ensemble des communautés d’origines différentes, qui sont réunies dans un même amour d’un idéal.

Sauf qu’un gosse de 15 ans qui sort de nul part, repéré par personne, qui fait des études normales, sort avec une machette et déclare que, non seulement il voulait tuer l’enseignant mais qu’il voulait être tué par la police ! Tout cela parce qu’il a prêté alliance à Daech sur internet.

Les temps de folie retentissent sur les plus fragiles, ce sont les maillons faibles de la chaine qui sont les premiers atteints par la folie générale, par la folie qui emporte les temps. Ce n’est pas la première fois dans l’Histoire, il y en a eu beaucoup. Mais ce que nous vivons là porte directement atteinte, menace directement ce que nous avons construit au travers du temps : un idéal national que je rappelais à l’instant. Il ne faut pas céder, donc j’approuve et je me sens en phase avec ce que le grand rabbin a dit – Haïm Korsia – : « On ne cède pas ». Marseille est la ville par excellence dans laquelle s’est affirmée la fierté que vivent ensemble tant de gens différents venus d’horizons différents et qui simplement assument d’être ensemble avec leur histoire, avec leur patrimoine d’identité. Donc je trouve très important que nous manifestions cette solidarité avec tous : toutes les origines, identités, religions différentes et la communauté juive spécialement à Marseille.

Est-ce que vous considérez qu’après l’affaire de Cologne, il serait peut-être bon que l’on mette en place – je parle de ces femmes violées – des statistiques ethniques pour savoir ce qu’il se passe en terme de délinquance ?

J’ai toujours été favorable à ce type de lucidité. Pour autant, ce qu’il s’est passé à Cologne est très révélateur, très important, mais simplement prenons-le avec ce qu’il faut de maturité. Qu’en France, nous mettions en place des instruments pour savoir ce qu’il se passe avec les différentes intégrations ou absences d’intégrations, cela me paraît normal et légitime. Il y a d’ailleurs des enquêtes : j’ai vu récemment une enquête de l’INED très intéressante sur ce sujet, sur la manière dont l’intégration se faisait ou ne se faisait pas. Bien sûr, cette lucidité est possible, je ne la relie pas à ce qu’il s’est passé à Cologne.

Merci François Bayrou d’être venu ce matin sur l’antenne de Radio Classique. 

Je reçois la lettre d'information du Mouvement Démocrate

Engagez-vous, soyez volontaires

A nos côtés, vous serez un acteur de nos combats pour les Français, pour la France et pour l'Europe.

Chaque engagement compte !

Votre adhésion / votre don

Valeur :

Coût réel :

20 €

6,80 €

50 €

17 €

100 €

34 €

Autres montants

Qu'est ce que la déclaration fiscale sur les dons ?
Filtrer par