"On fait avec cette réforme du collège une ségrégation sociale"

En duplex depuis Pau ce soir, François Bayrou a exprimé sur BFM TV son profond désaccord avec la réforme actuelle du collège, estimant que cette dernière devait être "reprise de fond en comble et rebâtie avec des termes compréhensibles par tous".

François Bayrou, président du MoDem, maire de Pau, ancien ministre de l’éducation est notre invité. Merci beaucoup d’être avec nous en direct depuis Pau. Beaucoup de sujets autour de l’éducation et un peu d’actualité générale, mais d’abord vous l’avez entendu : cette affaire dans ce collège parisien très chic dans lequel des élèves de 12 ans ont été sanctionnés, après avoir été soupçonnés d'attouchements sur des fillettes de leur classe et accusés de visionnage de vidéos pornos. Najat Vallaud-Belkacem réaffirme du coup l’utilité de son abécédaire de l’égalité. Elle dit « si on l’utilisait plus et mieux, on serait plus à l’aise sur les relations entre filles et garçons ». Êtes-vous d’accord ?

Je ne suis pas absolument certain que ce soit l’abécédaire de l’égalité qui puisse changer quelque chose à tout cela. Je sais qu’il y a une chose assez simple à faire, c’est d’interdire les portables dans l’enceinte des collèges, en tout cas de s’assurer qu’ils sont éteints et dans les cartables pour ne pas être pris en effet dans cette spirale. On sait très bien que les vidéos pour adultes sont en réalité très répandues parmi les plus jeunes enfants. Il suffit de prendre des mesures de bon sens, qui sont des mesures de pères et de mères de famille pour au moins réduire le risque de ce genre d’attitude ou de ce genre de dérive.

Vous avez qualifié d’attentat la suppression des options latin / grec et des classes bilangues prévues dans la réforme du collège mais Najat Vallaud-Belkacem a demandé hier le réexamen du statut des langues anciennes. Elle a cédé à la pression selon vous ?

C’est en tout cas un premier pas qui a été fait, dans le sens d’une prise de conscience qui a été entièrement commandé par une mobilisation exceptionnelle, d’esprits très différents, de tous bords politiques, de tous statuts et de toutes fonctions dans la société. Des femmes et des hommes ont dit « Vous n’avez pas le droit de nous enlever ce qui a été transmis par des siècles d’humanisme en France, par des siècles de réflexion sur la langue et la pensée. Il ne vous appartient pas, vous n’avez pas le droit, ce n’est pas votre affaire. Vous êtes en dehors des responsabilités qui sont les vôtres en prenant la décision d’une suppression pure et simple de ces langues anciennes ». Car c’est bien de cela qu’il s’agissait ! On nous a dit que non, mais c’est bien de cela qu’il s’agissait puisque les langues anciennes disparaissaient comme disciplines et il en restait au mieux un saupoudrage dans certains cours de français sans que l’horaire de ces cours ne soit naturellement augmenté pour faire cela. On disait « on va faire un enseignement pratique interdisciplinaire »… Déjà, quand on est obligé d’utiliser des sigles comme « EPI » pour parler de quelque chose, c’est très mauvais signe !

Autre chose qui concerne toujours cette réforme : François Hollande a assuré aujourd’hui qu’il y aurait beaucoup plus de professeurs d’allemand dans les prochaines années puisque la langue allemande sera enseignée très rapidement depuis la cinquième et qu’il nommerait même un délégué ministériel sur cette question pour développer l’apprentissage de l’allemand. Cela aussi montre que le gouvernement tient à sauver sa réforme ?

C’est la réponse classique des gouvernements quand ils sont pris en faute. Ils ont été surpris. En tout cas la révélation a été faite que leur décision portait profondément atteinte à ces classes bilangues. Ils sont pris en faute alors ils disent « mais non, on va recruter plus d’enseignants ». Mais en réalité la question qui se posait, c’était que l’on avait des classes bilangues qui marchaient très bien mais le gouvernement, la ministre de l’éducation, ont dit « c’est élitiste et donc on va les supprimer ». Mais moi mon avis est exactement le contraire ! C’est élitiste, en tout cas ce sont des filières d’excellence et parce que ce sont des filières d’excellence, il faut au contraire les ouvrir davantage parce que la promesse que l’éducation nationale porte, sa réalité profonde, est d’offrir le meilleur au plus grand nombre. Or ce qu’on est en train de faire, c’est de prendre une orientation qui offre moins à tous. Mais cela n’est pas la promesse de l’éducation nationale ! Ruth Elkrief, pardonnez-moi. Cela va avoir une conséquence qui est qu'évidemment, les familles qui ne trouveront pas dans l'enseignement public ce qu'elles attendent, vont aller le chercher ailleurs, notamment dans les leçons particulières ou l'enseignement privé. On fait, avec cette réforme, une ségrégation sociale.

Ce mardi, les syndicats d'enseignants font grève contre cette même réforme. Vous sentez-vous du coup dans le même camp qu'eux ?

Je suis persuadé que la plupart des enseignants et des syndicats qui les représentent, sont pris de la même indignation en face de cette double manœuvre. Je dis double manœuvre, la première étant l'atteinte portée à leur métier, leur idéal, et la deuxième est qu'en plus de porter atteinte à cet idéal, on leur livre les explications les plus alambiquées pour leur expliquer que « pas du tout, ils ne comprennent pas ce qu'il se passe et qu'au contraire on va faire beaucoup mieux ». Je crois qu'ils sont à la fois indignés par les décisions prises, mais aussi par la manipulation et la mystification de la communication gouvernementale autour de cette réforme.

Cela peut-il mal finir selon vous ?

Cela devrait finir. On devrait exiger que tout cela finisse par le fait que cette réforme soit reprise de fond en comble et rebâtie avec des termes démocratiquement compréhensibles par tous. Tous les citoyens, tous les pères et mères de famille ont le droit de savoir ce qui se prépare pour leurs enfants. Or, aujourd'hui, on le dissimule sous des mots tellement compliqués que plus personne n'y comprend rien et, par des décisions techniques qui font qu'on ne sait pas vraiment ce qu'il en est. Au fond, plus les gens ont étudié la réforme, plus ils ont compris – y compris d'anciens ministres de tous bords et singulièrement de gauche – plus ils ont conclu, qu'elle n'allait pas du tout dans le sens de ce que la France et la grande famille de l'éducation nationale attendaient. Il faut donc que cette réforme soit retirée et réécrite pour que l'on ait du progrès.

Jean-Christophe Cambadélis a dénoncé les attaques personnelles à l'encontre de Najat Vallaud-Balkacem, venant notamment de l'UMP et plus précisément de Nicolas Sarkozy. Considérez-vous comme lui que ces attaques de l’ancien Président de la République étaient xénophobes ou qu'au contraire elles sont d'abord portées sur le fond ?

Je crois qu'il ne faut absolument pas confondre les sujets. Il y a un problème qui est le projet, les orientations prises, les annonces qui sont faites et la manière dont elles sont faites. C'est cela le problème qui se pose à nous. Il n'y a pas à transformer cette question en ciblage personnel du ministre ou des ministres. Il ne s'agit pas de cela. Il ne s'agit pas d'attaques personnelles. Quant au mot « xénophobe », pour moi il n'a pas de sens dans le débat. Je rappelle, puisqu'on parle du latin et du grec, que « xéno-phobie », Xenos en grec, veut dire étranger. Que je sache, ni Najat Vallaud-Belkacem, ni Madame Taubira ne sont étrangères.

Oui, le mot n'est pas tout à fait utilisé à bon escient, je vous l'accorde.

C'est bien, vous voyez que l'avantage de cette réflexion sur la langue, c'est qu'on peut aussi réfléchir sur la manière dont on exprime les choses. C'est un très grand acquis et un très grand atout de pouvoir, lorsque l'on débat, d’utiliser les mots à bon escient et avec la retenue qui s'impose, parce que les mots sont parfois très violents. Ils sont parfois de la nitroglycérine.

Autre sujet d’actualité qui va durer dans les semaines qui viennent, François Bayrou, c’est cette histoire des migrants, puisque la commission européenne hier a proposé une solidarité de la répartition dans l’accueil des migrants entre la plupart des pays de l’Union européenne. Est-ce que sur le principe c’est la bonne solution ?

Sur le principe, oui. Parce qu’on ne peut pas laisser l’Italie, la pauvre Italie, et la Grèce, la pauvre Grèce, exposées toutes seules, en première ligne à ces vagues de migrants, qui viennent de pays où nous, la France en particulier, avons semé un tel chaos et n’avons rien fait pour que ce chaos, ensuite, retrouve un ordre minimal. Donc il y a deux questions. La première question est : est-ce qu’on doit essayer de partager, avec l’Italie et la Grèce, une partie de la charge, pas seulement de l’accueil, mais de la surveillance des frontières, et pour moi la réponse est absolument oui. On ne peut pas laisser ces pays seuls.

Est-ce que vous seriez d’accord pour une coopération militaire sur les bateaux des trafiquants ?

Mais il va falloir la faire sans aucun doute. C’est évident qu’il va falloir faire une opération de cet ordre, en mettant en commun nos satellites, nos moyens de renseignements, les réseaux de renseignements qui sont les nôtres et les interventions. Et les interventions doivent  faire en sorte que ces trafics ignobles disparaissent, et qu’ils soient classés comme « crimes contre l’humanité », mais elles doivent être militaires aussi, pour ramener et détruire les bateaux une fois qu’ils sont vides, pour que ces trafics ne puissent pas perdurer. Vous voyez il y a deux choses : un, on partage une part de la charge, et deux on monte une opération qui rende un peu plus sûres ces côtes, et en tout cas, qui n’expose plus ces milliers de femmes et d’hommes à une mort, hélas si souvent rencontrée.

Est-ce que vous croyez que l’opinion publique, française en l’occurrence, est prête à accepter cette charge ?

En tout cas l’opinion publique française voit très bien sur ses écrans de télévision qu’on ne peut pas laisser mourir sans rien faire des milliers de personnes quasiment chaque mois. Il y a des choses qu’une société comme la nôtre ne peut pas accepter. Et le fait qu’on aide les autres, signifiera peut-être qu’un jour on nous aidera nous, notamment à mener les opérations militaires que nous menons, en particulier sur le continent africain, et que nous faisons, nous aussi, au nom de l’ensemble européen. L’Europe, c’est une coopérative de pays, qui ont décidé de faire ensemble ce qu’ils ne pouvaient pas faire seuls. Ces nations, ces Etats ont constaté que seuls ils n’y arrivaient plus, et ils ont donc décidé de se regrouper pour le faire. Et pour moi c’est évidemment très important que nous puissions faire face à nos responsabilités.

Dernière question : aujourd’hui Marielle de Sarnez, qui est une de vos très proches, a expliqué qu’elle avait envie de voter pour Alain Juppé à l’élection présidentielle de 2017. « Même s’il n’est pas centriste, il a une grande qualité c’est qu’il peut permettre des rassemblements larges ». C’est peut être un petit peu étonnant d’avoir déjà une opinion sur 2017 de la part d’une centriste. On sait que vous-même, vous n’excluez pas d’y aller en 2017, il y aura peut-être des candidatures centristes ?

Non, j’ai dit quelque chose de très précis, et c’est ce que Marielle de Sarnez a rappelé aujourd’hui : notre préférence va pour l’élection de 2017 à des rassemblements, à condition que les candidats présentés soient des fédérateurs, qu’ils aient en eux cette disposition d’esprit qui fait qu’ils ont une démarche qui est une démarche modérée, de rassemblement, de volonté de réforme, mais en même temps, une démarche qui permet de rassembler des courants différents et c’est cela la démarche la plus fructueuse. Après, comme vous le savez, Alain Juppé a choisi - ce n’est pas tout à fait mon avis, j’ai essayé de lui montrer quels pouvaient être les risques de cette opération - d’en passer par les primaires internes, que l’UMP ou son successeur va organiser. Pour moi, ça ne garantit pas le résultat. Ce qui est absolument juste, c’est que nous sommes décidés à aider à des rassemblements autour de personnalités fédératrices.

 

Merci beaucoup François Bayrou.

 

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