"Nous sommes dans un climat d'utilisation électoraliste du drame national et cela choque beaucoup les Français"

6 jours après l'attentat de Nice qui a coûté la vie à 84 personnes, le président du MoDem a appelé au micro de BFM TV et RMC à "éviter deux écueils […] : le fatalisme et la récupération".

Bonjour François Bayrou.

Bonjour.

Cette nuit, les députés ont voté à une très large majorité la prolongation de l’état d’urgence pour six mois. Est-ce que vous l’auriez votée ?

Oui.

Sans réserve ?

Je l’aurais votée en sachant que cela ne répond pas à toutes les questions mais personne n’a en main la clef pour résoudre toutes les difficultés. Je l’aurais votée parce que vous voyez bien que c’est un signal : cela signifie que la nation reste en alerte et même qu’elle renforce la situation d’alerte dans laquelle elle se trouve. Je pense nécessaire que l’on soit dans cet état permanent d’alerte et de surveillance.

Quand vous dites permanent, est-ce que comme certains, vous imaginez tout à fait possible que cet état d’urgence soit prolongé y compris jusqu’en 2017 ?

C’est le gouvernement qui le dira car il dispose de renseignements que ni vous ni moi n’avons.

Mais ce sera difficile de prendre la responsabilité d’arrêter l’état d’urgence !

Oui ! On a vu hélas horriblement que le 14 juillet, le Président de la République et le gouvernement avaient décidé de lever cet état d’urgence et puis quelques heures plus tard a eu lieu le drame. Donc oui, ce sera difficile d’en sortir. Vous voyez bien la ligne qu’il faut suivre : on donne dans la législation ordinaire les moyens de se défendre contre de pareils dangers et de pareils risques.

En gros, l’état d’urgence doit devenir une sorte d’état de droit permanent ?

Je ne dis pas cela comme ça. Je dis que le droit permanent, la législation, doit permettre à un pays menacé comme nous le sommes d’avoir les moyens de se défendre de manière indiscutablement solide et implacable.

Je voudrais vous faire réagir aux propos de Laurent Wauquiez cette nuit dans l’hémicycle. Il demandait d’aller plus loin, d’aller jusqu’à la rétention préventive des fichés S. [Diffusion des propos tenus par Laurent Wauquiez à l’Assemblée nationale]. Faut-il changer le droit ?

On change le droit quasiment chaque mois depuis en vérité dix ans ! Les difficultés, les risques, les menaces que l’on rencontre, nous les avons déjà vécus gouvernement après gouvernement ! Moi, je pense qu’il faut avoir toutes les armes juridiques dont la nation a besoin pour se défendre et elle devrait chaque fois ajouter le contrôle du juge. Ainsi, notre solidité de principes est maintenue. Ce que l’on vient de voir n’est pas la même chose : il s’git une nouvelle fois d’une tentative d’aller à des surenchères pour des histoires de compétition interne à l’intérieur d’un camp.

Ce que vous voulez dire, c’est que le discours de Laurent Wauquiez n’est pas prononcé pour l’intérêt général, mais pour une bataille politique ?

Je ne veux pas faire des accusations de cet ordre même à propos des gens qui les multiplient. Mais je vois très bien de quoi il s’agit. On est dans un climat d’utilisation politicienne, d’utilisation électoraliste du drame national. Cela choque à mon avis beaucoup les Français. Ils sont dans une espèce d’état de sidération dans la manière dont ils perçoivent le monde des responsables politiques face au drame qu’ils vivent et dont ils se sentent menacés désormais à peu près partout et tout le temps.

Est-ce que la classe politique - droite comme gauche confondues - n’est pas à la hauteur de la situation ?

Je ne veux pas dire les choses comme cela car ça voudrait dire que celui qui porte le jugement estime que lui est à la hauteur. Je vois qu’il faut éviter deux écueils : le premier est le fatalisme - dire que l’on ne peut rien, que l’on n’a pas le moyens de se défendre contre cette hydre - et le deuxième est la récupération - d'un malheur public, on essaie de trouver un avantage électoral -. 

Vous sous-entendez en fait que dans ces deux écueils, beaucoup sont déjà tombés. 

Vous voyez bien le climat, l’ambiance générale ! Il y a l'utilisation d'un drame – qui met en cause notre vie en commun, notre société, l’État, la manière dont on s’organise – à des fins d’intérêt électoral. 

Rentrons dans le concret des mesures. Vous dites qu'il ne faut pas être dans le fatalisme, mais est-ce que vous pensez que ce drame aurait pu être évité ? 

Après coup, c’est très facile. Oui, bien entendu, il y a des mesures simples qui auraient dû être prises et qui auraient permis à ce drame d’être évité. 

Lesquelles ? 

Par exemple, la matérialisation physique ou en tout cas l’interdiction physique à un véhicule automobile, a fortiori un camion, d’entrer dans un lieu où il y a un rassemblement de foules. 

C'était le cas. 

Oui, c’était interdit mais ce n’était pas respecté, matérialisé. Vous savez, la police et la gendarmerie utilisent depuis des décennies des herses : ce sont des piques qui font que l’on ne peut pas rouler dessus. 

Il aurait donc fallu des herses.

Je trouve qu'en effet, une défense physique de cet ordre, une matérialisation qui empêche physiquement ces véhicules d’entrer aurait été utile. Mais évidemment, on apprend ou on découvre ce genre de précautions uniquement au fur et à mesure que les événements se produisent. 

Cela veut-il dire que l'on court toujours derrière les terroristes ? Que le politique est toujours en retard sur le terroriste ? 

Le bouclier court toujours derrière la flèche ou la balle. Nous avons besoin de vivre une adaptation permanente à la menace. Mais cette adaptation permanente, les responsables politiques, les responsables civiques, les responsables associatifs devraient la vivre en se sentant du même côté de la barrière.

Évoquez-vous une cohésion qui n’existe pas aujourd’hui ? 

Oui, une cohésion et une cohérence dans la société française. 

Vous ne dites pas seulement entre responsables politiques, mais entre politiques et citoyens. 

Oui, politiques et citoyens. 

Mais quand vous voyez que les citoyens ont, par exemple, hué au moment de la minute de silence à Nice Manuel Valls...

Il s’agit d’une espèce d’énervement et parfois d’un énervement justifié. 

Comprenez-vous cette colère ? 

Je comprends la colère, parfois justifiée, parfois orchestrée. Mais cela n’est pas l’important. L’important est que nous mesurions, nous, les responsables politiques, médiatiques et l’ensemble des responsables de la société ce qui se passe. Je suis persuadé que l’alerte ou l’urgence doit concerner aussi la voisinage, les parents, les proches, les cousins. 

Il faut alerter. 

Quand on voit une dérive, il faut alerter. Ce n’est pas facile à faire, mais il y a pour ça tous les moyens de pouvoir faire passer un message. Cela n’est pas forcément compromettre, c’est dire : "je m’inquiète d'un certain nombre de choses qui sont en train de se passer". Et il faut aussi naturellement une réorganisation constante, progressive, de nos services de renseignement. Nous avions les renseignements généraux - c’est-à-dire des services de police administrative surveillant un certain nombre de dérives en train de se produire - qui étaient faits pur cela. On a supprimé les renseignements généraux en 2008, probablement était-ce une erreur.  

Vous nous dites qu'il faut réorganiser le système de police et de renseignement.

Lorsque vous avez un fonctionnaire de police qui est familier du quartier, qui parle avec les commerçants, qui connaît et surveille le terrain, qui voit que tel jeune ou tel plus âgé est en train de changer d’habitude ou d’attitude, il fait attention. 

François Bayrou, vous parlez de herse éventuellement à l’entrée du centre-ville de Nice, mais cela on y pense a posteriori évidemment. 

On y pensera maintenant a priori. On doit tirer l’enseignement des malheurs, des drames ou des menaces que nous avons. 

La radicalisation était visiblement une radicalisation expresse, c’est ce que l’enquête montre. 

Cela s'est fait en quelques jours. 

Même si l’on avait réformé les services de renseignement, ces derniers n’auraient pas décelé ce qui n’était pas décelable. 

En tout cas, je refuse de baisser les bras. Je vais prendre un exemple très simple : on a appris que ce criminel était sur les réseaux internet djihadistes depuis longtemps et qu’il visionnait les vidéos terrifiantes de décapitations. Quelqu’un qui visionne les vidéos de décapitations est quelqu’un qui est sur une mauvaise pente. C’est repérable ! Nous aurons de plus en plus d'instruments pour vérifier ce genre de choses. Et vous voyez bien que l’on ne peut pas rester inactif, passif en face de cela. Donc moi, je pense en effet, que l'on doit adapter nos armes de défense à la réalité de la menace telle que nous la découvrons hélas de drames en drames. Mais cela ne peut se faire que dans une ambiance où les responsables exercent dans un esprit de cohésion et de cohérence la responsabilité qui leur est confiée. 

Est-ce que vous avez le sentiment que le gouvernement et le Président sont démunis ? 

Non, je refuse d’accepter la fatalité des choses. Je sais bien que c’est la mode et que dans les couloirs un très grand nombre de responsables disent « qu’est-ce que vous voulez qu’on y fasse ? ». Je pense qu'au contraire, notre responsabilité est d’être prêt. 

N'est-ce pas un optimisme un peu béat ? 

Ce n’est pas un optimisme, c’est une volonté. Ce n’est pas la même chose. C’est une détermination, c’est une absolue volonté de ne pas laisser les choses en l’état. Ce sont nos enfants, les vôtres, les miens, les enfants de tous ceux qui nous écoutent qui sont menacés par cette horreur. Je refuse que l’on baisse les bras. 

François Bayrou, vous parlez de la classe politique, vous parlez également de la cohérence nécessaire de tout le pays qui devrait « faire bloc » pour reprendre les mots du Premier ministre. Concrètement, quand on voit la colère qui s’exprime, qui bouillonne, est-ce que vous ressentez une menace sur la cohérence de la société française ? 

Sur la cohésion de la société, oui sûrement. 

Y a-t-il une menace de guerre civile, pour reprendre ce terme ? 

Non, je refuse d’employer des mots qui sont inadaptés. Mais vous voyez qu’il y a des tensions qui montent, des affrontements souterrains qui s’expriment, des mots qui sont utilisés presque comme des armes. Et naturellement la responsabilité de ceux qui sont délégués pour être aux commandes de l’État est pleinement engagée. Nous sommes tous en situation de responsabilité. Les médias aussi ont une responsabilité. Un certain nombre de scènes qui sont passées sur les écrans – vous savez bien, il y a même eu des excuses pendant cette nuit tragique - ...

Oui, les excuses de France Télévisions. 

Ces scènes sont purement et simplement aussi irresponsables de la part de ceux qui les passent et il est juste de considérer que chacun à notre place – médias, responsables politiques, responsables associatifs, administratifs, élus locaux –, nous avons entre les mains une partie de la responsabilité de la situation. Si l’on ne comprend pas cela, alors la nation se dissout, alors les divisions l’emportent et elles ne demandent que ça. L’esprit de division, de colère et d'affrontement est présent à chaque centimètre dans ces affaires et c’est cela qu’il faut écarter comme un des dangers principaux. 

Avez-vous été déçu par Alain Juppé ?

Non. Alain Juppé, je crois qu’il l’a expliqué à votre micro hier, a fait une réponse monosyllabique à une question à laquelle on ne pouvait pas répondre par oui ou par non.

Malgré tout, à la question « si tous les moyens avaient été pris, le drame n’aurait pas eu lieu », il a répondu « oui ».

Vous voulez répondre non ? Je ne veux pas entrer dans ce type de sentiment là. Je veux dire simplement que la tentation est grande, dans les périodes d’effervescence électorale, de se servir de tous les événements pour la compétition et particulièrement pour la compétition interne. Je suis pour écarter cela.

Donc, quand le gouvernement parle à l’endroit d’Alain Juppé d’une faute, vous estimez qu’en fait c’est le gouvernement qui se trompe et pas Alain Juppé ?

C’est aussi une utilisation partisane. C’est parce que Alain Juppé apparaît comme un rival, un candidat particulièrement redoutable pour le gouvernement, que, naturellement, il ne résiste pas non plus à la tentation de se servir des événements pour créer un état d’opinion.

On finit par un tweet de quelqu’un qui suit RMC, M. Moreau, qui dit : « Soutenez-vous toujours Alain Juppé ? ».

Oui, je soutiens Alain Juppé. S’il est choisi, je le soutiendrai. J’essaierai de lui apporter ce que j’ai comme idées, comme volonté, comme écho dans l’opinion. S’il n’est pas choisi, alors je prendrai les responsabilités que je dois prendre. Je disais tout à l’heure qu’il était nécessaire d’écarter fatalité et récupération. Si cette élection ne donne le choix qu’entre fatalité et récupération, alors les citoyens, ceux qui ont une certaine idée civique, ceux qui croient que cette démocratie à laquelle nous appartenons permet de changer les choses et de changer les mentalités – parce qu’il y a les textes, les lois, les mesures, mais plus encore, il y a une certaine attitude civique, responsable, que l’on doit avoir, une manière de vivre ensemble qui ne soit pas de perpétuels affrontements et de perpétuelles divisions – ceux-là doivent avoir au moment de l’élection présidentielle un choix qui réponde à leurs attentes.

Espérons qu’il ne s’agisse pas d’optimisme béat mais de volonté.

De volonté et de détermination.

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