"Le monopole des deux partis principaux a stérilisé la vie politique française"

François Bayrou a déploré ce matin sur BFM TV et RMC l'incapacité de la classe politique française à s'entendre sur certains sujets primordiaux.

Notre invité est François Bayrou. Bonjour ! 

Bonjour !

Avez-vous de l’argent dans des paradis fiscaux ?

Hélas non ! Hélas ! Peut-être que cela résoudrait un certain nombre de problèmes... (Rires)

C’est-à-dire ?

L’avantage quand on n’a pas trempé dans ces affaires est la liberté ! 

Cela fait des années que j’entends dire qu’il y a de l’argent dans ces paradis fiscaux, des banques françaises et autres. Enfin, je ne veux accuser personne mais j’ai l’impression que l’on n’avance pas beaucoup au niveau international dans les sanctions, franchement ?

On peut avancer ! Les États-Unis ont lancé une opération il y a plusieurs années extrêmement efficace. Ils ont dit : « toute banque qui refuse de collaborer en nous donnant les informations sur nos résidents ne peut plus travailler aux États-Unis ». Et cela a réglé la question. Des pays qui n’en avaient pas très envie - comme nos voisins suisses - se sont alignés sur cet impératif de transparence américaine. Donc on peut agir mais sans doute ne le veut-on pas ? Sans doute qu'il y a des intérêts extrêmement puissants, peut-être allons-nous en découvrir dans les jours qui viennent…

Il y a peut-être un parti politique français impliqué ?

J’ai entendu cela ce matin à la radio…

Ce n’est pas le MoDem ?

Ce n’est pas le MoDem ! (Rires). Je suis très surpris par cette annonce, nous verrons bien ce que c’est !

Dans quel état se trouve notre pays en ce moment ?

Comme tout le monde le sait, c’est un pays qui est dans un état désespérant ! Depuis des années, on a identifié un certain nombre de problèmes solubles. Seulement, il est impossible d’avancer vers les solutions. Il y a des réponses, on les connait, on peut en discuter mais ce qui est frappant c’est qu’on ne peut pas avancer. Donc oui, c’est un pays dans un état désespérant qui a pourtant tous les atouts pour être un pays phare ! En tout cas en Europe…

Il y a  de quoi désespérer. Quand je lis la presse ce matin, on nous dit qu’on manque de professeurs dans de nombreuses classes alors que l’on a recruté un certain nombre d’enseignants. Je me mets à la place des Français, on nous dit que la justice est sinistrée, c’est le garde des sceaux Jean-Jacques Urvoas qui le dit. Il y a cette affaire de la loi El Khomri avec ces hommes et ces femmes qui restent debout des nuits entières avec en plus des manifestations prévues et le retrait du texte qui est demandé. Est-ce un échec ? Qu’est-ce que cela signifie ?

C’est vingt ans d’incapacité à prendre les décisions nécessaires et plus encore à entrainer le pays pour le convaincre d’accepter et de soutenir les décisions qui s’imposent. On a un système politique qui est à bout de souffle avec un monopole du pouvoir par les deux partis principaux en alternance. Je ne veux pas dire "grands partis" car on ne peut pas dire qu’ils soient grands au point où ils en sont ! Le monopole que les deux partis principaux exercent a stérilisé la vie politique française, surtout sur un point essentiel qu’il faut comprendre : on est dans un pays dans lequel il est impossible de faire des ententes pour prendre des décisions sur lesquelles tout le monde est d’accord, ou du moins sur lesquelles s’accordent un très grand nombre de citoyens. Cette stérilisation, le fait que tout le débat politique soit dans une impasse généralisée, est une des causes principales de la situation du pays.

On voit des mouvements citoyens pousser çà et là, comment fait-on éclater tout cela ?

Il y a une partie du pays qui est en sécession par rapport aux institutions, à la vie démocratique classique. Ces personnes parties ou sont dans une révolte sourde. Cela repose sur deux piliers : le premier est "rien n’avance, rien ne bouge, on a aucun espoir" et le deuxième est qu’il y a un besoin d’idéal profond qui n’est pas pris en charge par la vie politique. L’idéal ce n’est pas fait pour faire joli. Pour vivre, les hommes et les femmes, les familles, les associations, les entreprises ont besoin de quelque chose à croire en commun. Or, ce q"uelque chose à croire" s’est effacé et les échecs successifs de ceux qui promettaient trop et réalisent trop peu sont en partie la cause.

Vous êtes dans le jeu politique vous aussi François Bayrou. Alain Juppé fait-il rêver franchement ? Représente-t-il un idéal qui va nous enflammer et nous permettre de penser à l’avenir d’une manière exceptionnelle ?

Nous allons le voir dans les semaines à venir. Alain Juppé a à mes yeux un avantage : il est plus éloigné des appareils de partis que les autres, notamment de l’appareil de son parti. Il a dit, et pour moi c’est important, que ce qu’il a envisagé est un rassemblement qui dépasse les frontières de son parti et même de son camp et je le soutiens de ce point de vue. Il est inimaginable que l’on prenne les décisions qu’il faut si on reste dans l’affrontement stérile dans lequel nous sommes depuis des années. L’avantage de Alain Juppé est qu’il a une réelle expérience et en même temps cette distance. Après vous savez ce que je pense du système de la primaire, c’est un mécanisme inquiétant qui ne garantit pas le résultat.

Si Alain Juppé est élu président, vous pourriez être son premier ministre ?

Je ne le crois pas car le premier ministre est quelqu’un qui est forcément dans le parti le plus important de la majorité et donc je ne crois pas que cette hypothèse soit la bonne.

Jean-Pierre Raffarin ne le veut pas.

Jean-Pierre Raffarin est un ami et je partage depuis longtemps l’idée qu’il faille changer cet équilibre.

Vous serez candidat si Alain Juppé est battu ?

Je viendrai vous le dire, c’est promis ! 

Si vous étiez mis en examen comme Nicolas Sarkozy, vous présenteriez-vous ?

Heureusement je ne me suis jamais posé ce genre de question et j‘espère n’avoir jamais à le faire ! Cela dépend si on se sent soi-même mis en cause profondément ou si on considère qu’il n’y a là que billevesée.

Le gouvernement doit-il retirer la loi El Khomri ou la maintenir ?

Il va y avoir un débat à l’Assemblée Nationale et au Sénat. La loi El Khomri est un labyrinthe, la loi avec l’exposé des motifs fait plus de 150 pages, alors si vous croyez que l’on peut avoir des débats fructueux avec des lois qui sont aussi labyrinthiques, moi je ne le crois pas !

Il y a une chose à destination des parlementaires qui vont la discuter sur laquelle je voudrais attirer l’attention : les heures supplémentaires. La loi ouvre la possibilité à ce que la prime, l’augmentation des rémunérations pour l’heure supplémentaire au lieu d’être de 25%, ne soit plus que de 10%. Je pense que c’est une très mauvaise idée par ce qu’on a besoin de payer le travail.

La question n'est pas de moins payer le travail. Il y a une question qui est : qu'est-ce que le travail coûte à l'entreprise ? C'est autre chose ! Je plaide pour que l'on ait des primes pour les heures supplémentaires qui soient des primes sérieuses - 25 % est une prime sérieuse - et que l'on puisse diminuer les charges sur ces heures de manière que cela ne coûte pas plus cher à l'entreprise. On prend en charge la question du coût du travail pour l'entreprise et en même temps on assume ce devoir qui est de payer le travail au prix qui est convenable.

Donc il faut faire évoluer le texte lors des débats à l'Assemblée nationale et au Sénat.

Oui, sur les heures supplémentaires. C'est une question générale que je résume en une phrase. Je pense que tous ceux qui nous dirigent vers la récession, vers l'idée que demain on va être payé moins qu'aujourd'hui pour le travail, qu'on aura moins de capacités pour faire vivre sa famille, est très mauvaise. Les démarches récessives, si on peut les éviter, c'est mieux. Sur les heures supplémentaires, je plaide pour que l'on garde cette augmentation de rémunération qui permet de mieux payer le travail.

Sur RMC mercredi dernier, le débat sur la mode islamique a été lancé par Laurence Rossignol. Est-ce que vous demandez comme Élisabeth Badinter le boycottage des enseignes qui proposent cette mode islamique ?

Non. Il y a des moments où j'ai l'impression que l'occident, ou bien nous l'Europe, ne regardons que nous-mêmes. Il y a des centaines de millions de femmes dans le monde qui vivent selon les coutumes que l'on appelle d'islam et qui sont des coutumes dans lesquelles on couvre le corps. Elles vivent comme cela dans leur société à elles. Que la mode s'y intéresse, comment voulez-vous que ce ne soit pas le cas ! Même, on pourrait soutenir l'idée que, du fait que la mode s'y intéresse, peut-être y a-t-il une ouverture, une autre manière de voir les choses, quelque chose qui n'est plus seulement dans l'enfermement ! C'est une polémique que je ne comprends pas bien.

Est-ce que l'on peut interdire à une femme de s'habiller comme elle le souhaite ?

C'est cela la question ! Est-ce que l'on peut depuis chez nous faire la loi pour d'autres sociétés que les nôtres ? On peut intervenir sur le droit des femmes, on ne le fait pas. On peut intervenir sur l'égalité, la considération, le respect d'un certain nombre de choses, on ne le fait pas. Et on s'attache uniquement aux vêtements dans d'autres sociétés que les nôtres ! Moi, en tout cas, je ne comprends pas cette polémique.

Quand la ministre parle d'irresponsabilité de la part de ces grandes marques, vous ne comprenez pas ?

Non, je ne comprends pas.

Élisabeth Badinter va encore plus loin, elle dit "il ne faut pas avoir peur d'être islamophobe", d'avoir peur de l'islam.

Je ne sais pas si on se rend compte de ce que ce genre de phrase a comme signification pour des croyants sincères. Mélanger le rejet d'une foi avec le refus de pratiques, de déviations, de dérives serait pour moi une faute à nulle autre pareille. Sur quoi cela débouche-t-il de dire "je suis islamophobe ?". C'est très simple : sur les guerres de religions ! C'est ce que veulent les extrémistes ! C'est ce que veulent les plus odieux criminels ! Jean-Jacques Bourdin, est-ce que vous mesurez que toute la propagande des terroristes est fondée sur cette ligne de communication qui est de dire "ils vous haïssent", "ils haïssent l'islam". Or, il y a des gens, des centaines de millions dans le monde, pour qui leur foi est la chose la plus importante de leur vie ! Vraiment, je demande que l'on fasse attention à ces mots.

L'islam fait partie de notre société.

Je respecte les croyants. J'en suis un. Bien que totalement attaché à la laïcité - ou parce que je suis croyant, je suis attaché à la laïcité -, je sais ce que font comme dégâts les guerres de religions, j'ai passé une partie de ma vie à les étudier : c'est le pire du pire ! Je demande et j'insiste pour que l'on fasse la différence entre le respect dû à une foi et le refus des dérives que l'on doit condamner.

Est-ce que vous discuteriez avec Tarik Ramadan ? Je dis cela parce qu'il a été interdit à l'institut du monde arabe, à la cité universitaire, à Béziers, à Argenteuil, à Orléans et à Bordeaux à l'initiative d'Alain Juppé.

Je ne suis pas certain qu'il ait été interdit.

Il n'a pas été le bienvenu.

Oui. Je discute, y compris avec mes adversaires. C'est ma ligne de conduite. Tant que l'on peut discuter, il y a un petit espoir. Le jour où l'on ne peut plus discuter, alors cela devient grave. Simplement pour discuter il faut avoir quelque chose que beaucoup de gens n'ont peut-être pas assez, qui est la structure solide de ce qu'on pense. La certitude que ce qu'on pense, les idées que l'on défend, les valeurs sur lesquelles on se fixe, on en est certain et donc on peut discuter avec l'autre, l'affronter et lui dire qu'il y a un certain nombre de choses que l'on n'accepte pas.

Certaines des hôtesses de l'air d'Air France ne veulent pas en escale à Téhéran - future escale puisque les vols vont reprendre le 16 avril - descendre avec un foulard sur la tête et habillées d'un pantalon. Même si c'est la loi iranienne. Est-ce que vous les comprenez ?

C'est très simple. La loi s'impose à tous ceux qui vivent sur le sol. Quand ce ne sont pas des lois attentatoires aux droits humains, tout le monde les respecte. Après, que l'on dise "celles qui ne veulent pas y aller n'y vont pas", c'est autre chose ! Je suis absolument certain que sur la base du volontariat on trouvera sans difficulté des hôtesses pour aller à Téhéran.

Vous êtes croyant, vous êtes catholique. Quand on regarde ce qui se passe dans l'Église avec toutes ces affaires de pédophilie, est-ce que vous pensez franchement que le clergé catholique fait tout ce qu'il faut pour agir clairement ?

La pédophilie est l'atteinte la plus grave, la plus destructrice que l'on puisse faire à la vie d'un enfant et à son futur. On connait tous des femmes, des hommes, qui sont à vie salis par cela. Je ne suis pour aucune indulgence, aucune protection d'aucune sorte et pour que chacun assume ses responsabilités à la place où il est contre cette horreur. Le clergé doit faire son devoir. Le ministère de l'éducation vient d'annoncer que 27 professeurs avaient été radiés en 2015. Et c'est l'éducation nationale, c'est-à-dire des gens qui normalement ont été sélectionnés par un concours ! Vous voyez qu'il y en a partout de ces dérives ! Le ministère doit faire ce qu'il doit faire, le clergé doit faire ce qu'il doit faire, les associations également, les collectivités locales aussi. Ce doit être une union sans faille contre ce genre de dérives.

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