"L’Elysée s’est enfermé dans une espèce de silence, d’isolement, d’insularité"

Invité au micro de Public Sénat et Sud Radio ce jeudi matin, François Bayrou a déploré l'abandon dont fait part, une fois de plus, le pouvoir en place tant sur la loi El Khomri que sur la déchéance de nationalité et l'état d'urgence.

 Notre invité aujourd’hui est François Bayrou, Maire de Pau et le président du MoDem. Bonjour!

Bonjour !

Grèves, manifestations, aujourd’hui contre la loi travail, les manifestants réclament le retrait du texte, le gouvernement a-t-il encore les capacités de tenir face à la rue? C’est la question que tout le monde se pose.

Ce que nous avons sous les yeux, c’est un blocage généralisé et universel. C’est une impasse qui est désormais dressée et dans laquelle on est engagé dans tous les secteurs - ou à peu près - de la vie politique, en tout cas du pays.

La France n’est plus réformable ?

Si! La France est tout à fait réformable à condition de faire ce qu’il faut, or on ne fait pas ce qu’il faut. La condition est de mesurer exactement quel est le problème. Alors, on peut prendre le problème sur la révision constitutionnelle, le problème est que la préparation n’avait pas été faite et la pédagogie non plus. Du coup, on s’est retrouvé avec un pouvoir exécutif qui avance en direction de l’opposition et qui oublie que sa majorité est contre. On se retrouve dans une impasse sur un sujet qui était pourtant un sujet faible. Pour ma part, je regrette que l’état d’urgence n’ait pas été constitutionnalisé. Je pense que le sujet le méritait, mais nous n’allons pas nous étendre dessus, c’est derrière nous.

Pour l’instant dans la Constitution, il y a des dispositions comme les pleins pouvoirs ou l’état de siège qui ne correspondent pas du tout aux situations extrêmement lourdes, graves et difficiles que nous rencontrons actuellement.

Donc premièrement sur la loi travail, le travail de préparation n’a pas été fait, celui de la pédagogie non plus. C’est cela qui est attristant. Au final, contre quoi se bat-on ? Contre la tentative ou contre l’idée de changer un système qui fait que 6 millions de personnes sont au chômage, qui est la cause du drame des jeunes -y compris diplômés- ne trouvent pas un travail à la hauteur de ce qu’ils pouvaient espérer, des responsabilités qu’ils pourraient assumer? Des centaines de milliers d’entre eux partent dans des pays à l’étranger, qui sont des pays sans protection.

Donc au départ ce projet de loi travail était une bonne loi pour vous ?

Cela peut être discuté, je suis en désaccord avec un certain nombre de points mais vous voyez bien que l’idée selon laquelle la seule réponse possible est le « non », est une idée qui ruine l’avenir du pays et la possibilité de le changer. Cela boque toute réflexion. Tout cela pourquoi ? Car nous avons un système politique totalement inadapté et les français s’en rendent compte. Seulement ce système se défend lui-même, c’est-à-dire le parti socialiste d’un côté et le principal parti de l’opposition de l’autre sont très contents de la situation.

N’y a-t-il pas un problème de la façon de faire de la politique tout court ? Quand on regarde ces 4 derniers mois, explosion de la gauche, François Hollande a réussi à faire exploser sa gauche, aussi bien sur le projet de loi El Khomri que sur la déchéance de nationalité. Du coup, départ de Christiane Taubira, on enterre une révision constitutionnelle qui n’avait pas forcément lieu d’être puisqu’on pouvait déjà déchoir de la nationalité grâce au code civil. Donc ces 4 mois de fiasco ce n’est pas que le blocage d’un pays.

C’est le blocage du système politique du pays. Vous m’avez déjà entendu sur ce plateau à plusieurs reprises dire une chose simple : il n’y a plus de gauche, à gauche il y a la guerre entre deux courants, entre deux visions, d’ailleurs c’est la même chose symétriquement à droite, c’est une guerre entre deux courants. Les « deux camps » ont explosé et ces « deux camps » ont continué à faire comme si c’était cela la clé de lecture de la réalité.

Vous y voyez un échec personnel de François Hollande ?

Il n’y a aucun doute, l’échec personnel de François Hollande est qu’il n’a pas assumé la réalité et qu’il n’a pas défendu devant les français les choix du gouvernement, ni les siens. Par exemple, la loi travail, François Hollande ne l’a pas défendue devant les français une seule fois. Il ne s’est pas exprimé sur ce sujet, or le travail d’un président de la République est d’être constamment en lien et en phase avec le peuple de citoyens qui l’a élu et de lui parler, de lui faire partager ses raisons, ses orientations, ses choix. L’Elysée s’est enfermé dans une espèce de silence, d’isolement, d’insularité, comme dans une île et qui n’est pas au contact des citoyens. Comment voulez vous que cela passe? 

Vous dites que François Hollande est presque hors sol aujourd’hui?

Je ne veux pas employer des expressions péjoratives.

Quand vous dites insularité…

En tout cas, vous voyez bien que la responsabilité qui est celle d’un Président de la République, dans une République où cette fonction a un rôle aussi important, c’est de conduire le pays, de saisir ses émotions, de montrer le cap, le chemin que l’on va suivre. Prenez Barack Obama, il parle tous les deux jours, même de manière brève, mais il est constamment en train d’exprimer, d’incarner les problèmes qui sont ceux des États-Unis et les choix qu’il prend. 

Il n’est pas rééligible, c’est une différence majeure.

Non, ce n’est pas parce qu’il n’est pas rééligible. Je considère que c’est une erreur de faire de la présidence de la République une institution lointaine. Il faut que ce soit une institution au dessus des partis, ce n’est pas le cas aujourd’hui…

Concrètement, on assiste à la déchéance d’un quinquennat, comment voyez vous la fin de ce quinquennat? 

Très difficile, mais ce n’est pas depuis aujourd’hui que ce diagnostic me parait aveuglant. C’est que depuis des mois et peut être des années, les choix qui ont été faits ou les non choix qu’a fait François Hollande conduisent à une impasse. Tant qu’on ne changera pas de système politique, quels que soient ceux qui sont au pouvoir, cette impasse se perpétuera. Si l’on ne comprend pas que c’est la manière de gouverner le pays, d’incarner ses attentes, d’organiser le débat qu’il faut profondément changer. L’élection présidentielle devrait servir à cela, et là elle ne part pas pour cela. Elle part pour recommencer à l’envers ce que l’on a fait en 2012. 

N’importe qui face à François Hollande aujourd’hui peut gagner?

Oui, je ne dis même pas cela. Vous avez vu les sondages hier, ils sont extrêmement sévères pour François Hollande…

16% pour François Hollande, 20 000 personnes consultées

… pas si bon pour Nicolas Sarkozy…

 Bon pour Alain Juppé que vous soutenez …

Oui et intéressant pour nous, c’est un socle d’opinion très important. Qu’est ce que dit ce sondage? Ce sondage dit que le système qu’on propose aux français ne leur convient pas. Vous l’avez vu, il n’y a pas de candidat de gauche qui fasse mieux que François Hollande. 

J’ai été très frappé par un autre sondage. On a demandé aux français, il y a une quinzaine de jours, est ce que l’opposition incarnée par les Républicains ferait mieux que le pouvoir actuel. La réponse est 19% oui, donc 81% pensent que cela ne ferait pas mieux ou bien la même chose. Cette absence d’espoir qui est fondée sur une incapacité, c’est l’incapacité à montrer que l’on peut gouverner différemment et exprimer les choix démocratiques différemment. On peut avoir une conduite totalement différente. Cette incapacité est extrêmement cruelle pour les français et ils le vivent de manière très sévère.

François Bayrou, je reviens un moment sur le projet de réforme constitutionnelle, qui a été enterré par François Hollande. Jean Jacques Urvoas, vient de dire qu’on pourrait faire cette réforme constitutionnelle sur le Conseil Supérieur de la Magistrature. Est ce que vous seriez d’accord pour réformer ce Conseil Supérieur?

Oui, encore que le respect du Conseil Supérieur de la Magistrature, c’est très largement une question de pratique. Il y a eu des gouvernements qui ont toujours largement respecté le Conseil Supérieur de la Magistrature. Sans doute on pourrait le faire là dessus. 

On pourrait le faire sur l’Etat d’Urgence. Je maintiens qu’il y avait un accord et un accord majoritaire sur l’Etat d’Urgence. Mais François Hollande a renoncé. Je vois très mal que maintenant on fasse à nouveau machine arrière.

La primaire de la droite et du centre mais sans le centre. Jean-Christophe Lagarde a dit qu’il n’y aurait pas de représentant de l’UDI.

Où est le Centre? Est ce que cela fait partie des problématiques que vous décriviez il y a quelques minutes?

Une vie politique française avec un Centre dispersé. C’est une vie politique qui est incapable de porter des réformes. Parce que la seule majorité réformiste du pays, c’est une majorité centrale. C’est une majorité qui va du Centre Gauche au Centre Droit en passant par le Centre indépendant. Ces trois grands courants là, sont les seuls qui en s’alliant peuvent porter des réformes favorables, qu’on a vu triompher dans tous les autres pays, en Italie avec Matteo Renzi par exemple. Pas nos institutions mais nos règles électorales empêchent que cette majorité centrale s’exprime.

Les candidats du centre aux dernières élections régionales n'ont pas fait un score fabuleux.

D'abord, ce n'était pas vraiment des candidats du centre et ensuite la vie politique actuelle est une vie politique de simplification. Le centre est un courant politique très important. Vous le disiez, le sondage paru hier dans Le Monde mesure ce courant sous mon nom à 13% des voix quand François Hollande est à 16. Vous voyez que c'est un courant extrêmement puissant. Il suffirait qu'il comprenne qu'on l'attend, qu'il faut qu'il se réunisse...

Récupéreriez-vous le centre, Monsieur Bayrou ?

Je ne cherche pas à récupérer, je cherche à faire se réunir. J'ai fait, vous l'avouerez, beaucoup de sacrifices pour cela. Il y a en France un centre digne de ce nom. Ce centre pèserait, s'il existait, entre 15 et 20 % des voix. On en a profondément besoin puisque l'on a besoin de changer la majorité. On a besoin de faire que puissent se parler, réfléchir et agir ensemble des courants qui pour l'instant sont dans des camps opposés et qui pourtant sur l'essentiel pensent la même chose.

Est-ce Alain Juppé qui va représenter la tendance centriste ?

Oui, je pense qu'Alain Juppé a fait un choix stratégique important qui consiste à dépasser les frontières politiques habituelles. Il a été un homme de l'appareil, il a réfléchi à cela et aujourd'hui il dépasse les frontières de la vie politique habituelle. C'est la raison pour laquelle je le soutiens et c'est la raison pour laquelle beaucoup de Français le soutiennent. Ils pressentent qu'il exercerait différemment cette fonction et c'est pourquoi les voix du grand courant central se portent massivement vers lui.

S'il échoue à la primaire, confirmez-vous que vous y allez ?

Je vous promets que si jamais cette hypothèse que je ne souhaite pas se réalisait, on en parlerait ensemble. Mais je ne veux pas du tout être dans l'hypothétique.

On me dit que vous écrivez un livre. Confirmez-vous ?

J'ai toujours, toute ma vie, écrit tous les jours. Si un jour je trouve que ce que j'ai écrit répond à la question du pays, je le publierai. Permettez-moi de nourrir cette réflexion : tout part - si on laisse faire les choses - pour que rien ne change. Ceci est catastrophique ! Si on ne change pas la pratique politique, si on ne change pas le rapport avec les citoyens, on va rencontrer exactement les mêmes problèmes !

Pour vous, le changement c'est Alain Juppé ?

Le changement passe par des rassemblements et le seul qui aujourd'hui puisse permettre des rassemblements larges est Alain Juppé.

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