"Les idées justes ne sont ni de droite, ni de gauche, ni du centre : elles sont des idées fédératrices"

En plein coeur du débat houleux sur la déchéance de nationalité, François Bayrou a plaidé ce soir sur i>Télé pour la pratique d'une politique ambitieuse et de bon sens.

Bonsoir François Bayrou.

Bonsoir.

Merci d’être sur i>Télé. Vous êtes le président du MoDem et maire de Pau. Nous sommes en pleine semaine de commémoration des attentats de janvier à Paris contre Charlie Hebdo, contre une policière à Montrouge et contre l’Hypercasher de la Porte de Vincennes à Paris. Un numéro spécial de Charlie Hebdo est mis en ventre depuis ce matin dans les kiosques, est-ce qu’il vous choque ? Il a créé une certaine forme de polémique.

Franchement, non. Je ne suis pas choqué par le dessin. J’ai déjà été choqué par des dessins anti-religieux - ce n’est pas un secret que je suis croyant – et par des mots qui pouvaient être blessants. Celui-là, non.

Faut-il oser rire du religieux comme le dit Riss dans ce numéro ?

Vous savez, notre société - et notre civilisation – s’est construite sur cela. Si vous prenez la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, il y a la liberté de défendre ses opinions, même religieuses. Et ce « même » dit beaucoup de choses : cela dit que, à l’époque où la déclaration est écrite, en 1789, la religion est quelque chose de très importante, de fondamentale pour la société française. La Déclaration des Droits dit que même en matière religieuse, on a le droit de défendre ses opinions, pourvu qu'elles ne portent pas atteinte à la loi. Cette une en tout cas ne me choque pas.

Le gouvernement continue à muscler la réponse, notamment législative, pour contrer le terrorisme. Est-ce que la prolongation de l’état d’urgence est une réalité incontournable pour vous ?

Peut-être que je me trompe mais je vois difficilement le gouvernement lever l’état d’urgence alors que les menaces sont réelles et que l’on n’a pas mis en place tous les éléments de réponse. Il me semble que la prolongation est dans l’ordre des choses.

Un certain nombre de dispositions sont dans le projet de loi qui vise à rendre permanentes certaines dispositions temporaires de l’état d’urgence, notamment les pouvoirs renforcés pour les policiers, les parquets et les préfets. Est-ce que cela vous va ?

Alors, deux choses. La première : je suis pour la fermeté. Je pense que tous les atermoiements, les manières de glauser à l’infini ne sont pas adaptés à la situation. Cela dit, il y a un principe qui doit être respecté de manière intangible pour moi, c’est que chaque fois que l’on doit porter atteinte aux libertés individuelles et faire en sorte que l’on puisse par exemple perquisitionner, il doit y avoir l’intervention d’un juge.

Ce n’est pas ce qui est contenu dans ce projet là.

Justement. Et je souhaiterais, moi, qu’il y ait intervention d’un magistrat du siège – donc indépendant – même si ce doit être un juge d’instruction anti-terroriste mis en place pour cela. Il me semble que si l’on a cet équilibre, rien n’est discutable. On doit pouvoir faire des perquisitions, on doit pouvoir mettre sur écoute, mais il faut que le juge veille à ce qu’il n’y ait pas de détournements de ces mesures. Ce principe, cet équilibre là, me paraît – si on l’établit – être sans discussion possible.

Ce n’est pas ce que contient, a priori, ce projet de loi : on en a eu des extraits dans le journal Le Monde d’hier. Ce déséquilibre du ministère de la Justice en faveur du ministère de l’Intérieur ne vous convient pas donc ?

Je pense qu’il faut donner aux policiers toute la possibilité d’intervention qu’ils demandent et qui est justifiée et donner au Procureur de la République toute la possibilité d’intervention. Mais il faut un juge pour veiller à ce qu’il n’y ait pas détournement des choses. Et je suis sûr que les magistrats anti-terroristes que nous connaissons seront sans faiblesses, sans laxisme, mais au moins il y aura l’intervention d’un juge indépendant pour dire « c’est dans le cadre de l’action publique que nous conduisons et dans le cadre de la loi ».

On ne vous a pas entendu encore sur la question de la déchéance de nationalité qui agite beaucoup la classe politique.

Pourtant, je me suis exprimé mais c’était avant le débat.

Absolument. Vous aviez dit que vous la voteriez, si vous étiez parlementaire. Aujourd’hui, la question est plus pour la déchéance pour tous, c’est-à-dire qu'on l’étendrait à tous les terroristes. Est-ce une disposition qui vous conviendrait ?

Je vais vous dire, j’ai l’impression, sur ce sujet, que la vie politique française marche sur la tête. Il y a des jours et des jours que l'on a bâti une polémique sur un sujet qui, à mon avis, est un sujet de bon sens : qu'un ressortissant français binational qui attaque son pays se voit privé de sa carte d’identité, franchement, je ne vois pas quelle polémique on peut nourrir sur ce sujet. Ou alors c’est que l’on veut défendre les droits, les privilèges ou les acquis, de ceux qui tuent nos concitoyens. Moi, en tout cas, je n’ai pas l’intention d’avoir ce genre de faiblesse.

Mais peut-on étendre cette déchéance à ceux qui ont la nationalité française ?

Mais vous voyez bien que là aussi on marche sur la tête ! Pour que le gouvernement échappe au piège de la gauche, qu’il s’est tendu à lui-même en mettant la déchéance de la nationalité sur la table, alors on envisage maintenant la déchéance de la nationalité pour tous les Français. C'est une absurdité complète parce qu’il y a une règle juridique internationale absolue  - et juridique française - : on ne peut pas expulser quelqu’un qui n’a plus de nationalité s’il n’y a pas un pays pour l’accueillir. Donc, on envisage de fabriquer des sans-papiers.

Des apatrides.

Des personnes sans nationalité, que l’on ne pourra pas expulser et qui seront chez nous en situation évidemment complètement baroque, à la charge du pays au passage. Et tout cela pourquoi ? Pour échapper au débat que la gauche a, en son sein, sur la déchéance de nationalité des binationaux condamnés pour terrorisme. Franchement, il me semble qu’il faudrait revenir à un minimum de bon sens, l’équilibre élémentaire qu’une société doit avoir. Il est juste de dire que la France n’est pas une auberge espagnole. Ce n’est pas parce que vous avez eu un jour la nationalité française que vous avez le droit de faire tout contre votre pays. Alors, évidemment, je m’empresse de le dire, cela ne porte en rien atteinte à la situation de ceux qui ont deux nationalités. J’ai des petits-enfants qui auront probablement la double nationalité parce qu’ils ne sont pas nés en France, et ont des parents appartenant à deux pays différents. Je n’ai aucune envie de leur enlever la binationalité. Mais tout cela est une affaire de bon sens élémentaire.

Donc vous balayez de la main l’argument de certains socialistes qui disent que cela crée une discrimination entre les Français ?

Oui, cela ne crée – à mes yeux – aucune discrimination, sauf entre les terroristes et les autres. Qu’il y ait une discrimination à l’égard des terroristes et que l’on se préoccupe de se défendre contre eux et pas de défendre leurs acquis ne me dérange absolument pas ! Tous ceux qui ont tué des Français dans la période que nous venons de vivre, de cette manière aussi cruelle, aussi dépourvue de sens et de signification ne méritent pour moi aucune indulgence et aucune défense.

Vous tenez à peu près le même discours sur cette question que Nicolas Sarkozy.

Il nous arrive d’être d’accord sur certains sujets. J’imagine que nous ne sommes pas les seuls. Et j’imagine que tous ceux qui sont derrière leur écran se disent « après tout, on a là le bon sens élémentaire dont la vie politique paraît si souvent dépourvue ».

Certains chez les Républicains demandent que l’on aille un peu plus loin sur les modalités de l’acquisition de la nationalité. Est-ce qu’il faut revoir la façon dont certains peuvent acquérir notre nationalité ?

J’ai défendu autrefois l’idée que c’était mieux quand l’acquisition de la nationalité était volontaire. Je sais très bien que le droit du sol – le fait d’obtenir la nationalité par la naissance – est très ancien, il date de l’Ancien Régime et j’ai même écrit un livre sur ce sujet il y a longtemps. Je sais très bien l’importance du droit du sol mais grosso modo c’est mieux quand la nationalité est acquise volontairement. Après, le droit du sol joue son rôle et il faut évidemment le respecter. Il faut aussi regarder que cette acquisition de nationalité ne soit pas d’un automatisme mécanique. Alain Juppé a fait une proposition qui n’est pas du tout absurde. Il dit « ce serait mieux que l’acquisition de la nationalité se fasse lorsque l’un des deux parents au moins est en situation régulière ». C’est une idée que l’on peut explorer, sur laquelle on peut avancer.

Est-ce que vous avez lu le livre d’Alain Juppé ?

Pas encore. Il m’a dit hier qu’il n’avait pas pu me l’envoyer, mais je vais le lire attentivement.

Certaines de ses propositions en matière de sécurité sont très à droite. Est-ce que vous êtes surpris par le fait que l’on peut redécouvrir qu’Alain Juppé est bien de droite ?

Je ne sais pas ce que vous appelez de droite. Je vous ai dit que j’étais pour la fermeté. Pour moi, la sécurité est la première des libertés. Si on se met dans la tête que l’on a besoin de sécurité pour que la liberté s’exerce, alors on ne voit aucune difficulté à un positionnement de fermeté. Deuxièmement, il y a des propositions – celles que j’ai lues dans la presse - qui sont tout à fait intéressantes et tout à fait justes : par exemple l’idée que l’on puisse mettre en place une police à l’intérieur des prisons pour savoir quels sont les réseaux qui agissent. Une autre question se pose : pourquoi y a-t-il autant de téléphones portables dans les prisons ? C’est une question que l’on a le droit de se poser et de regarder. De ce point de vue, j’approuve ce que dit Alain Juppé et je le soutiens. Et l’idée que nous avons défendue depuis longtemps qu’il fallait décharger les policiers et les gendarmes de tâches administratives est très bonne. Pour moi les idées justes ne sont ni de droite, ni de gauche, ni du centre. Elles sont des idées fédératrices. C’est autour d’elles que l’on peut bâtir l’unité nationale dont on a si profondément besoin. J’ai vu cette affirmation de droitisation. Moi en tout cas, je ne vois pas cela comme un esprit partisan, je vois cela comme un esprit de sécurité et de justice.

Dans vos vœux pour cette année 2016, vous dites rêver que le peuple retrouve enfin son unité. Vous vous adressez aux hommes politiques en disant « pensez en terme de réalité avec des solutions pratiques et concrètes ». Est-ce que vous avez le sentiment que la classe politique aujourd’hui a bien compris le message envoyé notamment lors des élections régionales ?

Je ne crois pas, non. Je pense que la classe politique pour les Français – et je suis de ces Français quand je la regarde – se dispute à propos de choses secondaires et n’affronte pas les défis qui appellent des réponses concrètes. Si elle changeait, en écartant les choses secondaires et en apportant des réponses concrètes, pratiques et bien orientées, alors on aurait une vie politique plus intéressante. Cela serait une réponse, en effet, au choc que l’on a rencontré aux élections régionales.

Est-ce que quelqu’un aujourd’hui est capable d’incarner cette coalition que vous appelez de vos vœux ? Est-ce le Premier ministre ? Le Président de la République ? Alain Juppé ?

Le travail que nous avons à faire devrait permettre de réunir des personnalités et des sensibilités qui peuvent construire ensemble au lieu d’être obsédées par l’idée de se détruire réciproquement. Ce qui m’accable est l’esprit de sectarisme. Ce que j’aimerais voir naître est un esprit civique, positif, qui construit des choses.

Oui, mais avec qui ?

Vous avez cité des noms, il y en a plusieurs. En effet, ce qu’Alain Juppé est en train de faire est utile. Il y a des gens qui au gouvernement montrent qu’ils sont sur cette ligne. Le centre doit être là pour leur répondre et moi en tout cas je serai là chaque fois que nécessaire. On voit bien qu’il y a un socle politique pour une politique qui serait de bon sens, ambitieuse, avec ce qu’il faut d’idéal. Le socle existe. Est-ce que l’on veut le faire exister ou est-ce que l’on veut qu’il se réalise, là est la question. Pour l’instant, les choix de François Hollande en particulier, en refusant de changer la règle du jeu politique néfaste qui fait que la France ne peut résoudre aucun des problèmes et que l’on est en perpétuelle guerre civile artificielle et absurde, portent atteinte à la perspective nécessaire d’une vie politique différente et plus civique.

Merci beaucoup François Bayrou d’être venu ce soir sur i>Télé.

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