"Il faut choisir d'être du côté du grand plutôt que du côté du petit."

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Découvrez le grand portrait de François Bayrou paru aujourd'hui dans le Journal du Dimanche.


François Bayrou, le perdant magnifique


DES HAUTS ET DES BAS - Le président du MoDem et maire de Pau, François Bayrou, a connu des ascensions fulgurantes et des traversées du désert. Au-delà de la politique, il a toujours voulu que la vie continue.

Deux mains sur une tombe. Il s'attarde longuement, dans les cimetières juifs, sur les tombes des Cohen, où figurent deux mains bénisseuses, signes de protection. Il parle, souvent, de chance. La grande bibliothèque de son bureau parisien de la rue de l'Université est en désordre mais, quand il voudra faire référence à un ouvrage sur Péguy, il réussira à l'extraire d'une longue pile. François Bayrou n'a pas varié, au cours des années, dans ses passions littéraires. "Si j'ai tant aimé Péguy parlant de l'argent, c'est que sa colère résonnait en moi, comme en résonance à une vérité intérieure. On aime assez souvent ce que l'on est. Les choses aimées préexistent dans les plis profonds de notre personnalité. On ne change pas, on ne change que dans le sens de ces plis profonds." Il a cru, durant la première partie de sa vie, que la lutte était loyale et que l'on pouvait accéder au cœur du pouvoir sur ses seuls mérites. Il ne le croit plus. Les réseaux sont trop nombreux. La chance forge, simplement, des exceptions. François Bayrou a connu en politique des défaites cinglantes et des retours victorieux. "La réussite est nécessaire car elle ouvre la possibilité de faire, d'agir, de créer. Mais l'insensibilité à l'échec est une liberté. L'indifférence à l'échec vous délivre de l'obligation de plaire." Ceux qui le soutiennent disent : il ne change pas. Ceux qui s'en détournent disent : il ne change pas. François Bayrou est resté attaché au village où il est né, Bordères (Pyrénées- Atlantiques), et il possède un fort sentiment de classe sociale.

Il est fils d'exploitants agricoles. La maison de son enfance est envahie de livres. François Bayrou lit durant la journée et une partie de la nuit, durant l'année et en vacances. Il commence à souffrir de bégaiement, à partir de l'âge de 8 ans. "Le bégaiement, c'est un échec intime, jour après jour recommencé." Il surmonte son handicap en faisant la paix avec ses secrets d'enfant, en se tournant vers les autres au lieu de rester bloqué sur lui, en choisissant d'aller de l'avant. Le biographe d'Henri IV évoque un Radioscopie (1973) de Jacques Chancel où Jacques Brel s'exprimait sur son physique. L'interprète de Ces gens-là avouait : "On s'aperçoit très vite, quand on n'est pas beau, que l'intérêt qu'on peut avoir n'est pas en soi mais dans le mouvement que l'on peut éventuellement avoir." Le bégaiement a poussé François Bayrou à sortir de lui-même. Il choisira face à une douleur, un échec électoral, une faille, le mouvement.


"Il y a un grondement et les canines sortent"


Le père meurt accidentellement, en 1974, alors que le fils est âgé de 22 ans. "Quand mon père s'est tué, j'ai repris l'exploitation agricole, et c'était par haine de la mort. Je voulais que la vie continue, au-delà de la mort." Le fils de paysans réussit l'agrégation de lettres classiques, un mois après le drame familial. "Je viens d'un milieu social qui n'était pas considéré, qui n'avait pas la considération qu'il méritait. L'agrégation a apaisé ce sentiment de ségrégation sociale. J'étais jeune et je me disais, à tort ou à raison, que dans mon métier, grâce à cet "agrégé de l'université" qui me sert encore de viatique, plus personne ne pourrait me regarder de haut. L'agrégation a sonné la fin de cette crainte de la condescendance.

Même si je n'ai jamais été enclin à baisser la tête devant qui que ce soit." François Bayrou avance qu'il a bénéficié de trop de chance pour endosser le manteau de la pure méritocratie. Il va accéder aux plus hautes responsabilités pour devenir l'incarnation politique du centre en France. Échec lors des trois dernières élections présidentielles, échec deux fois aux élections municipales paloises, échec en 2012 lors des élections législatives. Il est élu maire de Pau lors des élections municipales de 2014. La défaite à l'élection présidentielle de 2012 a été impitoyable. Il arrive seulement cinquième et a appelé à voter François Hollande. L'électorat du centre droit fuit.

François Bayrou dit qu'il vaut mieux perdre en restant fidèle à ses combats que gagner en trahissant ses idéaux. "J'avais fait un choix sur des repères moraux et civiques qui ont quelque chose d'absolu. J'avais mené le combat à visage découvert contre les dérives du quinquennat précédent, en les analysant dans Abus de pouvoir. Si je n'avais pas été jusqu'au bout de mon combat, j'aurais été infidèle à mes convictions, à ceux qui me faisaient confiance, par exemple, mes enfants." Les médias ont prédit sa mort politique à de nombreuses reprises. "Les sondages montent, alors la meute est séduite, elle se roule devant vous pour que vous lui grattiez le ventre mais, à la première goutte de sang, c'est l'instinct, il y a un grondement et les canines sortent. C'est éprouvant mais cela ne ruine pas ma vie. Le véritable échec serait quelque chose qui porterait atteinte au sens de ma vie." François Bayrou pourrait écrire aux commentateurs politiques, comme Mark Twain au journal qui avait annoncé sa mort, "Nouvelle de mon décès fortement exagérée".


"Une ivresse qui vous fait perdre l'équilibre"


Les échecs électoraux font partie de la vie politique. Il tente de ne pas les transformer en blessures narcissiques. François Bayrou s'est seulement senti vaciller face à l'anorexie d'une de ses filles, alors qu'elle était enfant ; face à une rupture amicale avec un ami de jeunesse, Claude Goasguen ; face à un accident qui aurait pu le laisser tétraplégique ; face à son bégaiement, qui peut revenir. Il a pleuré à la lecture d'un message de sa fille, lorsque les sondages de 2007 le rendaient qualifiable pour le second tour, lui faisant prendre conscience de la rapidité de l'ascension. On perd ou on gagne avec sa famille, en politique. L'épreuve est, aussi, pour les siens.

Il a pu observer maints hommes se noyer dans les apparats du pouvoir. "Le succès est dangereux. C'est un alcool d'autant plus puissant qu'il n'est pas détectable. Je tiens bien l'alcool, en général. Sauf un, le limoncello : au goût, c'est presque un jus de fruit sucré, un peu corsé et, boum, cela vous cisaille les jambes. Le succès est comme le limoncello : tout va bien, vous êtes content, les meutes ont des yeux de velours, et insensiblement vous basculez du côté de l'ivresse. Les Grecs emploient le mot d'hubris, une perte de contrôle, une démesure, en fait, c'est de cela qu'ils parlent : une ivresse qui vous fait perdre l'équilibre. Et pour eux, c'est par là que se déclenchent les tragédies".

François Bayrou a peu d'humour sur lui-même et ne cherche pas à en avoir. Il déteste le sarcasme, l'ironie, la dérision. Il répète : on en prend plein la gueule et, en plus, il faudrait dire merci. On lui reproche son orgueil de fer, son ego surdimensionné, son ambition présidentielle. "Il faut choisir d'être du côté du grand plutôt que du côté du petit. Grands idéaux, grandes batailles, grandes défaites, s'il le faut. Je n'aime pas les gens qui se vendent, et qui, si souvent, se vendent pour pas cher." Il a refusé deux fois la Légion d'honneur. Il tient à combattre ses adversaires sans bassesse et à respecter les laissés-pour-compte de la vie. Son milieu social modeste lui a appris qu'on n'a pas forcément ce qu'on mérite. "Je ne fais pas partie de ceux qui pensent que les inégalités sont naturelles. Personne n'est à l'abri d'une malchance, d'un mauvais tournant, d'une maladie."

L'homme de la troisième voie a tissé sa légende : l'emblème du tracteur, la gifle à un gamin lui faisant les poches, la fidélité au monde paysan. L'obsession de l'argent et le recours aux conseillers en communication lui sont étrangers. Il partage sa vie entre Bordères et Paris. François Bayrou est père de six enfants. Ils sont tous surdiplômés. Une de ses filles a été reçue à Polytechnique en 1994, alors qu'il était ministre de l'Éducation. "Le plus beau de mes succès, c'est l'amour que mes enfants se portent entre eux." François Bayrou occupe une place à part dans le paysage politique français, souverainiste et européen, intellectuel et pragmatique, catholique et laïc, mais une telle place existe-t-elle? Il se tient éloigné de toute forme d'excès. Sa vision reste inchangée : le président de la République ne doit pas s'abaisser à faire de la politique mais il doit s'inscrire dans l'Histoire vivante.


La fameuse phrase de Jean-Louis Borloo


Ses traversées du désert n'ont pas amoindri son amour de la vie. "Les succès et les échecs sont nécessaires à la construction d'un homme. C'est comme les fils de trame et de chaîne dans le tissu. Il faut des fils verticaux et des fils horizontaux pour fabriquer un tissu. Il faut de l'ombre et de la lumière pour peindre le portrait d'un homme." François Bayrou n'a pas tout donné à la politique et mène plusieurs existences parallèles. Son aventure familiale, son goût pour la nature, son engagement politique, son amour de la littérature. Quand son père est mort, il a voulu que la vie persiste. Le monde politique, tel qu'il l'a tant combattu, est en train de s'écrouler.

Ceux qui connaissent François Bayrou répètent, sur tous les tons, la fameuse phrase de Jean-Louis Borloo à son propos, tant elle est juste : "Il préfère avoir raison que gagner." Le président du MoDem voudrait avoir raison et gagner. L'homme aime se recueillir, dans la solitude, mais la vie l'a forcé à choisir le mouvement. On moque son côté illuminé. Son pragmatisme et son humanisme le constituent à part. C'est justement là où il veut être : à part. François Bayrou continue de s'arrêter sur les tombes des Cohen pour méditer sur les deux mains bénisseuses, signes de protection. Le succès est dans le chemin et non dans le destin.

 

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