"La disparition de Jacques Barrot nous rappelle les valeurs qui étaient les siennes"

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Invité hier de Patrick Poivre d'Arvor sur Radio Classique, François Bayrou s'est naturellement exprimé sur l'actualité du jour : la disparition brutale de Jacques Barrot, "une figure de repère de la vie politique française" selon les propres mots du président du MoDem.

Nous avons appris le décès de Jacques Barrot, vous étiez tous les deux proches?

Plus que cela, c'est une partie de ma vie, de notre vie, de ceux qui ont été engagés toute leur vie dans les courants du Centre. Jacques Barrot c'était un démocrate-chrétien. Il était le premier secrétaire général du CDS avec Lecanuet à sa présidence. J'étais un très jeune secrétaire général, j'avais 25 ans et évidemment c'est pour moi tout un pan de cette histoire qui tombe. C'est pour nous aujourd'hui un sujet de chagrin. C'est une disparition brutale. C'est une disparition qui nous rappelle les valeurs qui étaient les siennes. Ce ne sont des mots que l'on n'utilise souvent. C'était à la fois des valeurs politiques et un idéal. Idéal européen, social et de justice. Il a occupé deux responsabilités au sein de la Commission européenne, l'une a été celle des transports - comment on fait au sein de l'Union européenne un grand réseau de transport ?- et l'autre à laquelle je crois il était très attachée, c'est la responsabilité de la justice et des Droits de l'Homme. Et cela fait une figure de repère de la vie politique française. 

Pour en revenir à Alain Juppé, dont vous avez été le ministre comme Jacques Barrot en même temps - vous affichez votre soutien au maire de Bordeaux - on dit même que c'est a cause de ce soutien que les militants UMP l'ont conspué à Bordeaux sous les yeux apparemment ravis de Nicolas Sarkozy ? 

Il buvait du petit lait, on peut dire cela. Mais, ils l'ont simplement sifflé parce qu'il était le rival déclaré de Nicolas Sarkozy pour l'élection présidentielle. Il n'y a pas de mystère dans cette affaire.

Vous continuerez à avoir cette alliance morale ?

Cette entente oui. Alain Juppé, c'est quelqu'un de respectable, c'est quelqu'un qui a une grande expérience de ministre des Affaires étrangères, de Premier Ministre, de quelqu'un qui a dû affronter les difficultés de réformer la société française - il sait exactement de quoi il s'agissait - et c'est quelqu'un qui a, lui aussi, des principes. Je trouve que c'est un ensemble de qualités qui mérite d'être soutenu.

Et Nicolas Sarkozy n'a pas ses principes-là ?

Je ne veux pas dire cela comme ça mais vous savez bien que j'ai eu avec Nicolas Sarkozy des affrontements extrêmement forts sur la question des principes. J'ai écrit autrefois un livre qui s'appelait "Abus de pouvoir" dont je crois aucune page n'a été démentie par la réalité.  

C'est un pamphlet très anti-sarkozyste.  

Non ce n'était pas un pamphlet, c'était une analyse extrêmement précise des choix que Nicolas Sarkozy avait fait notamment dans un certain nombre d'affaires -l'affaire Tapie en est une à laquelle je consacrait un chapitre- et donc en effet ces choix-là n'étaient pas les miens et je l'ai dit sans aucune ambiguïté. 

Tout cela vous a conduit François Bayrou à dire que vous alliez voter François Hollande. Est-ce que un jour vous pourriez nous dire que finalement vous regrettez?

Il n'y avait que deux choix. L'alternance était nécessaire pour la situation morale du pays. Nicolas Sarkozy avait choisi un chemin qui est un chemin de division du pays. Et nous voyons que c'est une voie qu'il continue d'emprunter aujourd'hui, y compris ces dernières semaines dans sa propre famille. Je considère que c'était dans l'attitude de Nicolas Sarkozy que se trouvaient les raisons qui ont fait que plusieurs millions de français, 3 ou 4 millions de français, ne l’ont pas choisi.

Qui avaient voté pour vous.

Pas seulement, qui n'étaient pas de Gauche. Pas seulement des français plus à Droite, des français plus au Centre - qui n'étaient pas de Gauche, qui se sentaient en désaccord avec les promesses de la gauche. 3 ou 4 millions de citoyens qui ont décidé qu'il fallait que cette page se tourne. Et au fond, quand vous avez un bulletin  de vote, quand vous êtes un citoyen,  et que vous observez des choses.

Des choses que l'on ne sait pas nous-même qui n'ont pas été rendues publiques? 

Vous même je ne sais pas quel est votre degré de connaissance, je ne connais même pas votre vote mais bon il se trouve que vous exercez votre responsabilité de citoyen.

Pour autant, est-ce que François Hollande était le bon choix maintenant avec le recul, deux ans plus tard ?

Si vous me dîtes « Est-ce que François Hollande a rempli les espoirs qui avaient été mis en lui par un grand nombre de français », non.

Vous dites non ?

Bien sur que non. François Hollande avait devant lui une responsabilité très importante et très urgente qui était de dire qu'étant donnée la situation, les promesses qui avaient été faites seraient des promesses qui ne seraient pas couronnées ou ne seraient pas remplies par sa majorité. Il fallait qu'il change son fusil d'épaule et aller vers quelque chose de plus juste pour l'avenir. Il ne l'a pas fait.

Et si dès les premiers mois, il vous avait tendu la main, s’il s'était intéressé un peu au Centre ou aux orientations centristes ? 

Je vous assure - et je suis comme des millions de personnes- je n'ai pas fait ce choix par intérêt. Au contraire, je savais dans quelle difficulté j'allais être.

Vous ne seriez pas "payé en retour" ?

Non seulement pas payé mais je n'avais rien négocié. Et je savais que très probablement j'allais perdre ma circonscription, que cela allait être un moment de solitude, que cela allait être quelque chose de difficile pour mes proches politiques aussi. Mais il y a des moments, lorsque vous pensez que des choses très importantes sont en jeu, vous prenez votre responsabilité d'homme -Je ne dis même pas d'homme politique- de père de famille. Et bien elle vous met devant votre propre vision de la vie. A mon sens, il faut aller au bout de ce que l'on croit être essentiel.

Puisque l'on parle de forte responsabilité, de gros enjeu, il y a 2017. Pour la plupart des sondeurs, il est presque acquis que Marine le Pen sera au deuxième tour. Reste une seule place à gauche ou à droite. Pour que la Droite passe, il ne faut pas qu'elle présente 25 candidats ?

Je crois qu'il ne faut pas du tout présenter les choses comme cela. D’abord, vous dîtes c'est acquis pour Marine le Pen.

J'ai dit pour la plupart des sondeurs à l'heure actuelle si l'élection avait lieu dimanche prochain.

Tout cela est acquis si on ne se bat pas. Et en particulier si on ne présente pas aux Français une proposition politique et une personnalité qui permettent de sortir des clivages complètement impuissants dans lesquelles nous nous trouvons. C'est la première chose. Deuxièmement, non il n'y a aucune possibilité à mes yeux pour qu'un candidat de gauche socialiste, quel qu'il soit, se qualifie aujourd'hui pour le deuxième tour.

Que ce soit François Hollande, Manuel Valls, Martine Aubry ?

Qui que ce soit, dans la situation dans laquelle la Gauche se trouve, c'est une élimination qui attend la Gauche. 

Donc ce sera la Droite contre la droite de la Droite ?

Ce sera ceux qui seront en tête, ceux qui auront su regrouper autour d'eux pas seulement des voix mais des espoirs. Quelque chose qui ressemble à un chemin que l'on ait envie de suivre pour que l'avenir ne ressemble pas exactement au passé. Parce que, sans vouloir faire de la polémique à ce sujet, mais franchement si vous dîtes aux français que l'on va recommencer pour cinq ans comme il y a cinq ans.

Mais si on dit que l'on va recommencer pour cinq ans comme il y a vingt ans avec Alain Juppé ?

Oui, je ne vois pas les choses comme cela. On verra.

Pour vous, il peut incarner cet espoir-là de changement ?

Je pense qu'il peut fédérer. Il y a chez lui quelque chose de très estimé chez les français. 

Et vous êtes prêt vous à ne pas vous présenter vous-même ?

Je l'ai déjà dit à ce micro alors je vais le répéter. Si Alain Juppé est candidat alors je n'aurais aucune difficulté à trouver un accord avec lui pour le soutenir. 

Et si Jean-Christophe Lagarde le tout nouveau président de l'UDI est candidat ? 

Dans la situation grave où nous sommes, ceux qui peuvent se présenter à l'élection présidentielle ne sont pas si nombreux. Pour pouvoir le faire il faut avoir acquis une expérience et donc je pense que tout le monde va réfléchir sous cette forme-là.

Qu'est ce que l'on peut faire justement pour sortir ce pays de l'ornière ? Plusieurs fois depuis 2002 vous avez combattu les déficits qui n'étaient pas combattus, aujourd'hui il semble que tout le monde soit d'accord pour le dire ?

Sauf que personne ne le fait. Alors un, merci de rappeler ce combat qui est le mien. Ce n'est pas le seul de mes combats. Mais ce combat contre la dette que personne ne voulait voir et qui pour moi représentait un danger réel, nous y sommes. La privatisation des autoroutes est un de ces sujets. Les affaires que nous évoquions en est un autre - je crois que c'était lucide. Sans vouloir faire de l'autopromotion, c'était juste. Et c'est peut-être une garantie aussi pour le futur que ceux qui ne se sont pas trompés sur les questions essentielles du pays au moins se reconnaissent, premièrement. Deuxièmement, qu'est-ce que l'on peut faire pour sortir le pays de ses difficultés qui sont les siennes ? Je ne crois pas -ceci est une différence avec la plupart des responsables politiques, donc j'affirme cette différence- pour moi, que les difficultés que nous rencontrons en France viennent de Bruxelles, de l'Europe, de l'euro, de la mondialisation. On cherche toujours des responsabilités ailleurs alors que les responsabilités sont chez nous. Je les énumère pour que cela soit clair. Les problèmes immenses que rencontre notre éducation nationale encore par exemple. Le fait que tant d'enfants restent au bord de la route parce que l'on n'arrive pas à leurs transmettre le plus élémentaire des bagages - la lecture, l'écriture et le calcul pour ne citer que les trois principaux. Et ils restent sur le bord de la route. Cela ne vient pas de l'Allemagne, cela ne vient pas de l'Europe ni de l'euro, cela vient de chez nous. Un autre point encore, la situation que dénonçait encore un certain nombre d'entreprises ces jours-ci qui fait que nous avons un labyrinthe de règles, de lois, de règlements, de paperasses, d'administration.

Qui pour certaines viennent de Bruxelles ?

Écoutez-moi bien, aucune ne vient de Bruxelles. J'ai dans une émission il n'y a pas longtemps apporté les deux codes du travail. Le code de travail Suisse qui fait 150 pages et les deux kilos que pèse le code du travail français. Cela ne vient pas de Bruxelles, cela vient de chez nous. Le fait qu'il n'y ait plus un artisan qui puisse embaucher un apprenti, le fait que les gens n'osent plus embaucher quelqu'un dont pourtant il aurait besoin. Le fait que notre formation professionnelle ne s'adresse jamais à ceux qui en auraient besoin c'est à dire aux chômeurs -vous savez qu’un chômeur quand il reçoit une formation, il a 80% de chance de trouver un emploi et bien il se trouve que simplement la formation ne s'adresse pas aux chômeurs. Où se perdent les dizaines de milliards de la formation professionnelle, on ne le sait pas exactement. Et tout cela, c'est notre responsabilité. Et c'est pourquoi il faut reconstruire en se disant que la question n'est pas simplement celle des coupes mais de reconfigurer, de repenser l'organisation de l'Etat, de la sécurité sociale, des collectivités locales.

Vaste chantier ?

Vaste chantier atteignable. Vous me permettez de dire une dernière phrase. Beaucoup de gens croient que l'on n'y peut plus rien, que c'est perdu. Je plaide devant vous avec vous le contraire. On peut changer les choses. Il faut avoir un peu d'imagination, un peu de constance et un peu de volonté.

Merci François Bayrou.

 

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