"L'Europe meurt d'être dirigée dans les coulisses !"

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Dans une grande interview accordée au JDD, François Bayrou livre son analyse sur le dossier grec, la lutte contre le terrorisme et les enjeux de la prochaine élection présidentielle.

Crédits photo : ©Soazig de la Moissonnière pour le JDD

Dans des confidences à Valeurs actuelles, vous redites votre soutien à Juppé mais vous laissez entendre que, s'il est devancé par Nicolas Sarkozy, vous serez vous-même candidat. Vous pariez sur son échec ?

C'est simple : je soutiens Alain Juppé, mais je redoute la mécanique des primaires. Je soutiens Alain Juppé, et ce n'est pas d'aujourd'hui! Pas seulement parce que j'ai pour lui de l'amitié et de l'estime, mais parce qu'il est le mieux placé dans le grand courant modéré et réformiste dont la France a besoin. Il est attendu par une majorité de Français qui voient en lui une capacité de rassemblement et une volonté d'action dans un pays bloqué. Je le soutiens et, s'il est candidat, je travaillerai avec lui pour que la France aille mieux et un jour aille bien. 

Mais vous n'aimez pas les primaires, dites-vous…

Je redoute le mécanisme des primaires. C'est le contraire de nos institutions! Surtout, les primaires risquent d'être un piège parce qu'elles remettent le choix du candidat non pas dans les mains du peuple directement, mais dans celles d'un public engagé, militant, partisan, forcément plus virulent que la France réelle, peu en phase avec un candidat modéré et nuancé. Alain Juppé croit qu'il peut surmonter cet obstacle. Tant mieux! Beaucoup de femmes et d'hommes du centre l'aideront. Simplement, si le résultat n'était pas celui que j'espère, je ne serais pas lié par ce choix. Si, au premier tour, il n'y avait sur la table de vote que les bulletins Hollande, Sarkozy, Le Pen, des millions de citoyens français ne trouveraient pas le bulletin qui correspond à leur idée de la France. Cela est pour moi inenvisageable.

Sarkozy et vous, c'est impossible, à jamais ?

Ce n'est pas une guerre de personnes, en tout cas pour moi… Mais ses attitudes et ses choix fondamentaux ne cessent de m'inquiéter : jouer perpétuellement l'agressivité et la menace, chercher la division du pays, allumer le feu avec les sujets les plus brûlants – la religion, les interdits alimentaires – tout cela est dangereux. Alors, je le dis sans détour.

Mais il peut changer ?

Les hommes peuvent changer, et les poules avoir des dents…

Où vous classez-vous aujourd'hui sur l'échiquier politique, dans une France où tant de repères volent en éclats?

Je suis un homme du centre, dans l'opposition. Les choix du Parti socialiste au pouvoir vont à l'encontre de ce que je crois, et de ce qui était promis. La réforme des collèges saccage l'idée de l'école de l'exigence. Le découpage des régions sape leur identité et leur unité, au moins dans l'Est, dans le Midi, dans le Sud-Ouest. Les déficits et la dette continuent à courir. Et le chômage à gagner du terrain.

La loi Macron n'offre-t-elle pas des avancées ?

Quelques-unes, sans doute. C'est pour cela que je l'aurais votée. Mais la vision d'ensemble d'un pays qui se réforme et se r­econstruit courageusement n'apparaît pas.

François Hollande n'a donc pas raison d'estimer qu'il est un président "audacieux" ?

J'avoue qu'une telle définition, depuis trois ans, ne m'était jamais venue à l'esprit…

Vous êtes d'une grande sévérité avec lui, s'agissant notamment de sa gestion du dossier grec. N'avez-vous pas parlé trop vite ?

Dans une crise aussi grave, le devoir du président de la République était de porter, auprès des Français et de tous les Européens, une analyse, une vision de l'avenir. Or, pendant tous ces jours, qu'a-t-il dit? Rien. Il agissait, nous a-t-on dit à la fin, dans les coulisses. Mais l'Europe meurt d'être dirigée dans les coulisses! L'Europe a besoin de dirigeants qui dirigent, qui s'expriment, qui tracent des directions, qui assument auprès des peuples! L'Europe, notre destin, ce n'est pas cette diplomatie secrète qui "se fait des nœuds", on en meurt! L'Europe, ce devrait être de la démocratie, des débats à visage découvert où les peuples et les citoyens se reconnaîtraient.

Idéologiquement, vous sentez-vous proche d'Angela Merkel ?

Angela Merkel, c'est quelqu'un. On voit qu'elle existe, on voit ses convictions, on voit même ses doutes parfois. Et Wolfgang Schäuble, c'est quelqu'un. On voit sa ligne, son caractère. Mais quand l'Allemagne apparaît dure et insensible aux difficultés des autres, elle ne fait pas avancer l'ensemble européen : elle risque de s'isoler. 

Qu'auriez-vous fait et dit ?

J'aurais dit aux Français que la Grèce, c'est un peu nous. Que la crise grecque n'était pas seulement une crise grecque, que cette crise menaçait le peuple grec et aussi, par contagion, les autres peuples européens. J'aurais convoqué le Congrès, le lieu où le Président peut parler au Parlement. J'aurais dit clairement, pour que la voix de la France soit entendue de tous, que l'Europe ne pouvait pas laisser la Grèce faire faillite parce que si le feu prend dans une pièce de la maison, c'est toute la maison qui est en danger. J'aurais défendu un allongement du remboursement des dettes grecques et j'aurais proposé un plan, avec une aide européenne concrète, pour rebâtir en Grèce un État et une économie. 

Peut-on faire confiance à Tsipras ?

Quand il a été élu, j'ai dit qu'il n'avait que deux choix : ne pas tenir ses promesses ou sortir de l'euro. Mercredi, il est monté à la tribune de la Vouli et il a dit : "Je ne tiendrai pas mes promesses." C'est un grand choc pour tous ceux, en Grèce et hors de Grèce, qui croyaient qu'il existait une politique anti-austérité, et que c'était seulement une question de volonté. Mais c'est peut-être la naissance forcée d'un réformateur. Peut-être…

Faut-il réaménager la dette grecque ?

Il faut allonger la durée de remboursement. Il faut d'abord affirmer que le FMI n'a rien à faire dans l'Union. Il faut donc que l'Union ­européenne rachète au FMI la créance de la Grèce. Les Européens doivent être assez grands pour ­régler leurs affaires eux-mêmes, entre eux. 

François Hollande a-t-il parlé trop vite dans la dernière affaire de terrorisme? Comment la France doit-elle combattre ceux de ses citoyens, de plus en plus nombreux et jeunes, qui veulent partir faire le djihad ?

L’opposition accuse François Hollande d’avoir parlé pour les sondages. Je ne reprends pas cette critique. J’ose espérer qu’il avait des raisons plus profondes pour mettre en garde ou pour montrer que l’alerte donnée par les proches est décisive. Lutter contre le fondamentalisme qui va vers le terrorisme, c’est affaire de vigilance de tous, d’alerte, de signalement par les familles, les proches, les coreligionnaires, et de travail des services de renseignement. Notre société doit, sur ce point, se réorganiser, et pour une longue période. 

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