"Les problèmes de la France viennent de chez nous"

Invité ce dimanche au premier Grand Jury RTL - Le Figaro - LCI de la saison, François Bayrou a analysé en détail la crise politique à laquelle est confronté le gouvernement.

Jérôme Chapuis - Bonsoir et bienvenue dans le studio d’RTL. Très heureux de vous retrouver pour cette nouvelle saison du Grand Jury qui accueille ce soir François Bayrou.

François Bayrou - Bonsoir.

Vous serez interrogé par Alexis Brézet pour Le Figaro et Eric Revel pour LCI. La situation économique reste très préoccupante en cette rentrée. Croissance nulle, rentrées fiscales en baisse, chômage de masse, on va en parler. Et puis il y a la situation politique qui est, elle, assez singulière puisqu’au sein même du gouvernement, deux ministres critiquent ouvertement le cap fixé et réaffirmé cette semaine par le chef de l’Etat. François Bayrou, qu’est-ce que vous pensez des propos et de l’attitude d’Arnaud Montebourg et de Benoît Hamon, puisque c’est de ces ministres dont il s’agit ?

C’est une situation sans précédent depuis très longtemps, une situation de décomposition et de désorganisation interne du gouvernement qui stupéfie tous ceux qui découvrent la violence de ce choc. Le ministre de l’Economie du gouvernement qui critique la politique économique du gouvernement, publiquement, sans détour et le ministre de l’Education Nationale qui surenchérit.

Est-ce que cela peut durer ?

La première chose qu’il faut observer, c’est que le Président de la République est contraint, j’imagine, de réagir en expliquant que non seulement ce n’est pas grave mais qu’il n'y a absolument aucune différence avec les frondeurs au sein du gouvernement, ceux qui assument ce choc. Je vous rappelle qu’Arnaud Montebourg a dit en sortant du Conseil des ministres : « Dimanche, on passe à l’attaque ». C’était sans ambiguïté.

Est-ce qu’ils doivent démissionner ?

Le Président de la République dit "non" au fond : « on pense tous la même chose » et évidemment c’est un signe de faiblesse de la part du Président de la République. C’est une situation dont on connait exactement les règles. Une opposition à l’intérieur du gouvernement des ministres aussi puissante ne peut se trancher que par une décision du Président de la République qui leur dit : « Messieurs si vous n’êtes pas d’accord avec la politique suivie, vous vous en allez ». Ou bien qui dit : « Messieurs, puisque vous n’êtes pas d’accord avec la politique du gouvernement, vous quittez le gouvernement ». C’est l’autorité même du Président de la République et du Premier Ministre au passage qui sont en jeu. Alors évidemment, le ferment de division et d’affrontement entre les deux gauches est très lourd de conséquences mais ce n’est pas venu par hasard.

Vous l’avez prophétisé longtemps sans que cela se produise.

Eh bien cela se produit parce que ce qui doit arriver ne peut pas manquer comme disait une devise qu’Henri IV aimait beaucoup.

Mais c’est lié à quoi ? C’est la progression d’une idée, en finir avec l’austérité ou la faiblesse d’un homme, François Hollande ?

On reviendra à cette affirmation d’en finir avec l’austérité parce que je trouve moi que c’est une affirmation hors de toute réalité.

On va parler du fond. Mais sur la situation politique, est-ce que c’est la faiblesse de François Hollande qui explique ce qui se passe aujourd’hui ?

Non Monsieur, c’est le caractère complètement disparate, on devrait dire hétérogène : le fait qu’à l’intérieur de la gauche, il y a deux gauches ayant des positions radicalement opposées sur le fond de la politique à suivre, en économie en particulier. Et c’est cela qui explique au travers du temps le fait que peu à peu se sont corrodées les structures du gouvernement. Ceci était écrit depuis le début. Il suffisait de voir la réalité de la situation et la réalité politique pour en être persuadé. Simplement, il a fallu deux ans pour que la décomposition fasse son œuvre. À mon avis, on est aujourd’hui à l’heure de vérité et il est impossible que cela tienne plusieurs années.

Avant d’aborder les sujets économiques tout à l’heure, quel jugement portez-vous aujourd’hui sur la politique économique de François Hollande ? Quand on écoute ce que rappelait Jérôme Chapuis – accroissement des déficits, accroissement du chômage, très peu de croissance - est-ce que cette politique est bonne ? Et si elle n’est pas bonne, est-ce qu’il ne faut pas en changer ?

Quand j’écoute les mots, je me dis qu’après tout, un certain nombre de déclarations vont dans le bon sens. Quand je regarde les réalités alors je me dis que rien ne change. Rien. On a annoncé que l’on allait diminuer les déficits. Les déficits, ils augmentent. Ils retrouvent les niveaux qu’ils avaient sous Nicolas Sarkozy et le gouvernement précédent. Pas tout à fait encore, mais on est sur cette voie.

Et donc on dit que l’on va faire un choc de simplification. On fait zéro choc de simplification. On dit que l'on va favoriser l’entreprenariat, la décision d’entreprendre et le risque d’entreprendre. Il y a les baisses de charges, le CICE qui commence à se mettre en place, il y a une réforme territoriale, tout cela n’est pas rien non plus.

Mais si vous regardez les réalités, elles n’ont pas changé. Et j’ai un regard très interrogatif et même très sévère sur cette question. On multiplie les annonces, on les réitère, il y a des débats autour des annonces. Mais les réalités, elles, ne changent jamais.

L’Assemblée nationale a voté le principe d’une baisse des dépenses de 50 milliards d’euros en trois ans, c’est du jamais vu.

Est-ce que vous en avez vu la couleur ?

On va le voir vraisemblablement lors du prochain vote du budget.

Je suis comme tous les Français et cela n’est pas d’aujourd’hui que je pointe cet extrême décalage qu’il y a entre le virtuel des mots et la sévérité de la réalité. Je ne trouve pour ma part aucun changement notable, majeur dans ce qui fait la réalité du pays.

Si je comprends bien, Arnaud Montebourg et Benoît Hamon dénoncent la réduction à marche forcée des déficits et vous, vous dîtes qu'il n’y a pas de réduction du tout du déficit.

Il suffit de regarder les chiffres. Il y a quelque chose de tragi-comique dans cette affirmation. Arnaud Montebourg et Benoit Hamon disent : « il faut faire du déficit ». Mais excusez-moi, le déficit, on y est en plein depuis 15 ans.

Ils disent : « Il faut relancer la demande car sans demande, il n’y a pas de croissance ».

On va venir à cette affaire après. J’écarte toutes ces affirmations que je considère comme infondées, fallacieuses et des illusions qui sont nuisibles pour le pays mais je reviens à la question du déficit. On dit que l'on fait de la baisse des déficits à marche forcée. Le déficit augmente. Il a eu un petit fléchissement au moment de l’alternance, il retrouve les niveaux qu’il avait sous Nicolas Sarkozy.

On baisse les déficits en Europe. Toutes ces politiques de baisse des dépenses ralentissent la croissance ?

Eh bien en France on ne le fait pas. Que nous disent-ils au fond ? Il faut relancer la dette. Je vous rappelle, on est à plus de 50 ou 60 milliards de dette supplémentaire chaque année. On est dans des chiffres absolument astronomiques.

Ils disent qu’il faut donner la priorité à la sortie de crise et passer au second plan la réduction des déficits. C’est ce que dit Arnaud Montebourg.

L'augmentation de la dette, c'est supérieur au montant de l'impôt des revenus des Français tous les ans.

On pose la question quand la croissance est nulle du rythme des réductions du déficit. Cela vous parait-il aberrant ?

Nous sommes enfermés dans cette affaire depuis des années. Si nous étions à zéro pour cent de déficit et même comme un certain nombre de pays avec un excédent, on pourrait réfléchir à l'idée de faire une relance. Je serais dans cette situation, je dirais devant vous que je n'y crois guère. Pourquoi ? Parce que relancer la consommation dans un pays à économie ouverte, cela signifie que vous allez verser de l'argent des contribuables pour l'industrie chinoise, d’extrême-orient et autre, en tous cas pour des importations. Je ne croirais pas une seule seconde à ce scénario.

Simplement, pour être tout à fait juste, on parle des déficits, vous avez raison. Ils sont revenus au niveau de la précédente majorité mais il y aurait davantage de croissance, si l’Europe n'avait pas versé dans l'austérité. Les déficits mécaniquement auraient été réduits.

Excusez-moi. Je ne partage aucune de vos affirmations. L'Europe ne verse pas dans l'austérité. Quand vous avez un pays comme l'Italie qui est à bien des égards mieux placé que nous - parce que l'Italie n'a pas l'immense déficit du commerce extérieur que nous avons -, alors il ne met pas ses ressources au service de ses importations. Elle a un endettement à 130 pour cent. Vous croyez que c'est l'Europe qui oblige l'Italie à essayer de modérer sa dette ? Et vous croyez que c'est l'Europe qui nous oblige à modérer notre dette ?

Mateo Renzi fait de la réduction des déficits et de la relance en même temps.

Il fait de la réduction des déficits et il dit qu'il fait de la relance. Ou plus exactement, il dit qu'il fait de la réduction des dépenses publiques et il dit qu'il fait de la relance. Sur les deux points, on attend la preuve. Vous savez qu'il y a des débats importants à ce sujet. Je ne vais pas m'égarer sur l'Italie. Prenons le fond de cette affaire. Il y a deux thèses. Il y a la thèse que l'on entend, répétée à longueur de déclarations flamboyantes qui est que c'est l'Europe et l'Allemagne qui nous mettent dans la situation difficile où nous sommes.

Et donc il faut lever le ton face à l'Allemagne dit Arnaud Montebourg.

Voilà, hausser le ton, ré-ouvrir une crise, dire que ce sont de méchants allemands. Ceci est une affirmation destinée à égarer l'opinion, à lui faire croire que nos problèmes viennent de l'extérieur. Et il y a une deuxième vision qui est celle que je défends. C'est la vision à laquelle d'une façon ou d'une autre, tôt ou tard on devra se ranger, qui est que nos problèmes ne viennent pas de l'extérieur. Nos problèmes viennent de chez nous. C'est nous, Français, qui avons laissé peu à peu en 15 ans au moins, se déliter la situation de notre pays, devenir vermoulue la charpente de notre maison. Nous manquons à nos devoirs à l'égard des jeunes Français, à l'égard des entreprises françaises, à l'égard des créateurs français, à l'égard des chercheurs et des inventeurs français. Nous manquons à nos devoirs et c'est parce que nous n'avons pas fait ce que nous avions à faire au cours des gouvernements successifs que nous nous trouvons précisément dans la situation où nous sommes. Tous ceux qui nous dirons c'est de la faute des autres, tous ceux-là tendent à nous amener dans l'impasse et à nous égarer.

Quand Arnaud Montebourg dit qu'il faut hausser le ton face à l'Allemagne, ce n'est pas rien, cela a du sens.

Comment cela a du sens ? Cela n'a aucun sens. L'Allemagne, avec des efforts considérables et aussi des vertus civiques, de la solidarité, avec une volonté de regarder en face ses propres  difficultés, l'Allemagne a fait ce qu'elle devait faire. Résultat, avec cette Europe-là et cet euro-là, l'Allemagne est dans une situation que tout le monde considère comme enviable.

Sauf qu'au dernier trimestre, l'Allemagne a connu un ralentissement.

Monsieur Revel, vous êtes un économiste. Vous ne devriez pas regarder trimestre par trimestre. Regardez sur les cinq dernières années ce qu'ont été la performance et la réussite de l'Allemagne. Regardez sa situation budgétaire, l'Allemagne va être à l'excédent. Regardez la situation de son commerce extérieur, 250 milliards d'excédent et de bénéfices l'an dernier alors que nous nous sommes à 60-70 milliards de déficit.

Quand Arnaud Montebourg dit que la BCE doit changer de braquet, qu’il faut que la BCE arrête de s'obstiner de l'inflation, s'intéresse à la croissance, que l'on devrait assouplir la politique monétaire, après tout est-ce que tout le monde n'aurait pas intérêt à assouplir la politique monétaire ? Cela ferait baisser l'euro.

Je ne sais pas si vous avez observé ces derniers temps, l'euro a perdu 7 ou 8 pour cent face au dollar qui n'est pas lui-même flambant. Est-ce que cela a changé notre situation ? La monnaie, cela doit être en phase avec la réalité des biens et des services de la zone ouverte. Si on fait tourner la planche à billets, on aura une monnaie artificielle et cette monnaie artificielle s'effondrera.

C'est ce qu'a proposé tout à l'heure mot pour mot le ministre de l'économie Arnaud Montebourg.

Je rougis d'être dans un pays où le ministre de l'Economie peut critiquer la politique de son gouvernement avec cette virulence et des arguments aussi primaires.

Le niveau de l'euro n'est pas un problème pour notre industrie?

L'euro a été introduit il y a presque 15 ans à 1,23. Il est aujourd'hui à 1,31. Il y a eu 4 pour cent, 5 pour cent d'évolution en 15 années. Le niveau de l'euro n'est pas le principal problème pour la France. D'ailleurs, si l'euro baissait nous aurions de graves ennuis car nous sommes un pays importateur net et notamment nous devons importer tout notre pétrole et tout notre gaz ce qui nous met en situation d'extrême faiblesse. Or c'est l'énergie qui est la source, en tous les cas l'aliment de notre croissance. Et donc tout cela, ce sont des sornettes. On est en train de raconter des sornettes aux gens.

Il y a quelque chose sur laquelle vous aurez du mal à convaincre les Français, c'est que tout va bien dans cette Europe, tout va bien dans la zone euro. Il n'y a pas un problème aujourd'hui dans la zone euro ?

Je n'ai pas dit que tout allait bien dans l'Europe. J'ai dit et je répète devant vous avec certitude que les problèmes de la France ne viennent pas de l'Europe. Les problèmes de la France viennent de chez nous. Les problèmes de l'éducation française et le fait que l'on n'arrive pas à apprendre à lire à plus d'un élève sur cinq n'est pas un problème qui vient de l'extérieur. Les problèmes de notre incapacité à intégrer des jeunes garçons, des jeunes filles qui viennent d'autres rivages, d'autres cultures et leurs parents avant eux et peut-être leurs grands-parents avant eux, ce ne sont pas les Allemands qui ont créé cette situation ! C'est notre propre difficulté dont il faut faire le constat. Le fait que les chefs d'entreprises se sentent en insécurité juridique et fiscale dans notre pays, le fait qu'il n'y ait pas un artisan français qui puisse comprendre le code du travail avec lequel on l'assomme parce qu'il fait 2000 pages alors que le code du travail d'autres pays fait 50 ou 100 pages en tout... Tout cela, ce n'est pas de la faute des autres. Le fait que nous avons une administration qui est auto-bloquante, le fait que nous avons des procédures à l'intérieur des collectivités locales qui font perdre de l'argent plutôt qu'elles n'en font gagner, cela n'est pas de la faute de l'Allemagne.

La croissance repart aux Etats-Unis, elle repart en Grande-Bretagne, elle stagne dans la zone euro. Il n'y a pas un lien de cause à effet ?

Pour être très précis, Joseph Stiglitz, ancien prix Nobel d'économie, montre que depuis 1980 à cause de la mondialisation, du caractère dépressif des salaires ailleurs en Asie notamment, les salaires dans les pays développés stagnent depuis 1980. On comprend bien que si on manque de pouvoir d’achat, on a un problème pour acheter les produits importés et exportés. C’est un constat assez fort.

Ce qui veut dire que vous vous trouvez dans une situation dans laquelle vous allez plaider pour la fermeture des frontières. Et cet horizon-là, cette illusion-là est mortelle pour un pays comme le nôtre.

Que l’Europe se protège un peu comme les Américains, les chinois, ce n’est pas absurde ?

Toujours, c’est la même idée. Vous voyez, ça tend à laisser croire que nous sommes les victimes.

Les deux peuvent être vrais. Il y a des raisons intérieures et extérieures.

Disons que je propose une ligne de conduite. Corrigeons d’abord les problèmes qui viennent de chez nous. Et nous serons beaucoup plus forts pour nous adresser à nos partenaires en disant qu'il y a peut-être des améliorations à apporter. Mais ce que je sais avec certitude c’est que nous n’avons pas commencé à corriger les difficultés extrêmes qui sont les nôtres et qui nous bloquent dans notre capacité à créer, inventer, rayonner, produire. C’est là que se situe la question. L’antienne mille fois répétée selon laquelle on va ouvrir un bras de fer, ouvrir un conflit, faire changer les règles des autres, au bout du compte on s’aperçoit que c’est faux. François Hollande, si je me souviens bien, avait promis qu’il changerait le Traité européen. J’avais dit : « tu parles ». Eh bien, on a vu la situation. Cela n’a pas été fait et ça ne peut pas être fait. Je me souviens très bien de Nicolas Sarkozy allant à l’eurogroupe –et je vous assure que Jean-Claude Juncker ne l’a pas oublié - pour obliger les Européens à abandonner la règle des 3 pour cent. 3 ans après, c’est lui qui prenait la bannière de la baisse des déficits car il a bien vu que nous étions dans une situation critique pour notre pays.

Tout à l’heure vous avez commencé un développement sur les déficits et vous n’êtes pas allé au bout. Peut-être que vous partagez l’avis de l’ex-ministre du budget Valérie Pécresse ? Cette semaine sur RTL, elle a estimé que la France n’était pas à l’abri de la cessation de paiement en cas de remontée des taux d’intérêt.

La France n’est pas à l’abri d’un très grave accident qui atteindra même les Français les plus modestes et peut-être qui atteindra d’abord les Français les plus modestes, parce que nous sommes un pays qui vit à crédit. Nous empruntons pour payer nos feuilles de sécurité sociale. Nous empruntons pour payer nos retraites, nous empruntons pour payer nos fonctionnaires. Tous les ans, tous les jours, on emprunte un milliard par jour ouvrable. C’est cela l’ordre de grandeur. On est obligé d’aller voir des prêteurs, des banques pour que l’on nous prête un milliard par jour. Alors c’est typiquement la situation à laquelle sont exposés tous ceux qui sont au bord du surendettement. Ils empruntent pour leur train de vie et un jour on leur dit : « on ne vous prête plus ou à des taux importants revolving". Vous savez, tous ceux qui vont au supermarché et à qui on fait des crédits à 17 ou 18 pour cent, qui sont d’ailleurs en eux-mêmes une honte ! La France est menacée de ce genre de difficultés-là.

Aujourd’hui, les taux d’intérêt n’ont jamais été aussi bas.

Oui, les taux d’intérêt n’ont jamais été aussi bas car il y a beaucoup d’argent disponible dans le circuit et ils cherchent à se casser. Ils se disent que les obligations d’État sont finalement plus confortables qu’autre chose et que nous sommes couverts par l’Allemagne. Mais continuons à prendre l’Allemagne comme cible. Cela a deux effets.

Faut-il la prendre comme exemple ?

En tout cas, c’est un grand pays, un grand partenaire qui a réussi à construire une société et une économie solides et ce n’est pas en essayant de ruiner la réputation de l’Allemagne que nous avons des chances de nous en sortir.

Jérôme Chapuis rappelait tout à l’heure la phrase d’Arnaud Montebourg qu’il fallait relancer la planche à billets et faire de l’inflation. Quand on est ministre de l’Économie, imaginer que l’Allemagne n’a pas oublié son inflation historique, c’est quand même particulier non ?

C’est invraisemblable mais encore une fois, si cela avait du sens pour la France – je suis Français, je suis un responsable politique qui a une vision patriotique et qui aime son pays -, je dirais oui. Mais quiconque vient devant un ménage surendetté, une entreprise surendettée en disant : « mes chers amis il y a une solution, il faut à tout prix que vous vous endettiez beaucoup plus », celui-là est à mon sens contre l’intérêt de la famille ou de l’entreprise et aujourd’hui de l’intérêt national.

Est-ce que ces difficultés peuvent durer encore longtemps ? Il y a quelques mois vous aviez prophétisé que François Hollande n’irait pas au bout de son mandat, vous le pensez toujours ?

Dans cette situation politique-là, je pense que cela ne peut pas durer. Le gouvernement et sa majorité sont tellement désorganisés, l’affrontement est tellement affiché sur la place publique et le soutien de l’opinion est si faible - 17% on vient de voir aujourd’hui - qu’à mon sens il n’est pas possible que cela dure deux ans et demi.

Alors qu’est ce qui peut se passer ? Dissolution ? Démission ?

François Hollande a trois options devant lui. La première, c’est un referendum, il ne le fera pas parce qu’il le perdrait, me semble-t-il, dans les grandes largeurs. Je lui avais conseillé de faire un referendum au début de son quinquennat sur la moralisation de la vie publique parce que l’on en avait besoin pour changer les règles de la vie publique et pour qu’il y ait de la transparence à l’égard des citoyens : il ne le fera pas. La démission, j’imagine qu’il ne le fera pas. La seule solution, c’est donc la dissolution.

Démission, vous ne dites pas qu’il doit démissionner ?

Moi, j’aime bien que l’on respecte les institutions parce qu'un pays, cela tient par ses institutions en partie. Je trouve les nôtres inadaptées mais je suis un républicain qui respecte les institutions. Reste la solution de la dissolution qui me semble le recours naturel à la situation de décomposition. Le problème est que cette dissolution se fera avec des règles du jeu, et notamment des règles électorales qui sont tellement dépassées et même déclassées que je crains beaucoup.

Qu’est ce qui peut précipiter cette dissolution ? Une explosion sociale ?

Je ne suis pas là pour faire des scénarios et me livrer à des hypothèses. Ce qui me semble c’est qu'il n’a plus le soutien de l’opinion, il y a une décomposition de la majorité et du gouvernement, il y a un affrontement au sein du gouvernement sur l’essentiel qu'est la politique économique à suivre. Je vous rappelle qu’un de ces deux ministres, le ministre de l’Éducation nationale, a dit qu’il fallait faire une politique de la demande alors que François Hollande a dit qu’il fallait faire de la politique de l’offre. On ne peut pas imaginer affrontement plus ouvert. Ce qui m’a frappé en regardant les images, il y avait dans cette journée de Frangy, un ton d’insolence à l’égard de François Hollande, Président de la République, qui m’a rappelé d’autres époques.

On a déjà vu ça ?

Oui, une fois quand Nicolas Sarkozy défiait Jacques Chirac. Mais ce n’était pas du tout les mêmes circonstances. Je vous rappelle que Nicolas Sarkozy est allé à Washington dire que la France se trompait en refusant de soutenir les Etats-Unis en Irak. Il était ministre du gouvernement et sur la décision la plus importante, il est allé à Washington pour porter la contradiction à Jacques Chirac, Président de la République, qu’à l’époque je soutenais et que j’étais bien content d’avoir soutenu dans cette circonstance rare où la France a défendu une certaine idée des relations internationales.

Puisque vous parlez de Nicolas Sarkozy, est-ce que vous partagez l’avis de Jean-Luc Mélenchon qui a dit ce week-end qu’au fond François Hollande s’est pis que Nicolas Sarkozy ?

Non pas du tout, je ne veux pas utiliser des mots qui soient comme cela blessants ou simplificateurs. Ce qui me frappe, c’est qu’il n’y a pas tant de différences que cela entre la politique des uns et la politique des autres. On retrouve presque chapitre par chapitre des orientations et peut-être même des mots qui ne sont pas loin d’être les mêmes. Et donc moi, je ne veux pas simplifier les choses de cette manière-là. Ce que je sais, c’est que depuis de longues années, pas seulement sous ce quinquennat-ci mais sous les quinquennats précédents, nous n’avons pas pris conscience de la gravité de la situation du pays, des causes de la dégradation continue à laquelle nous avons assistée et nous avons accepté que ces situations durent et s’effilochent et puis se fracturent.

Nicolas Sarkozy - François Hollande, blanc-bonnet, bonnet-blanc ?

Non, je ne veux pas employer ce genre de concept.

Ce que vous décrivez comme phénomène, au-delà de l’économie, au-delà des doutes que les Français peuvent avoir à l’égard de leurs dirigeants politiques, est-ce que cela contribue à aggraver l’état psychologique du pays, cette espèce de déprime collective dans laquelle se trouve le pays depuis de longues années maintenant ?

Oui, exactement oui. Je pense que la dépression française, l’état de l’opinion habitée d’un pessimisme absolu, je pense que cela a beaucoup à voir avec le fait qu’on ne prenne pas à bras le corps les problèmes du pays, qu'on ne les identifie pas, qu’on ne les nomme pas et donc on ne lutte pas contre ces dégradations. Je vais prendre un exemple. Les Français sont aujourd’hui pessimistes au point qu’ils pensent que la situation de leurs enfants sera pis que la leur. Une des causes à laquelle on ne s’est pas attaqué, c’est que l’Éducation nationale est aujourd’hui en situation de crise interne. Si vous saviez le nombre de jeunes enseignants qui s’en vont ! Ils viennent, ils passent le concours, ils essayent et puis disent : « non, je ne peux pas. Ce n’est pas pour moi ». Pourquoi ? Parce qu’on les abandonne à leur sort. Parce qu’ils sont tout seuls devant des classes devenues tellement difficiles qu’ils n’arrivent pas à exercer leur métier. Et tout cela au su et à la vue de tout le monde dans le silence général et le ministre de l’Éducation – ce n’est pas facile d’être ministre de l’Éducation - propose que l’on supprime les notes. Dans quel pays vit-on ?

On reviendra dans quelques minutes sur la situation politique en France, mais il faut que l'on évoque la situation internationale et notamment le sort tragique des minorités en Irak, particulièrement les chrétiens. Vous avez appelé à manifester en solidarité avec eux. Est-ce qu'il n'y a pas plus à faire que de simplement manifester ?

J'ai dit quand j'ai fait cette déclaration qu'il y avait deux choses à faire. La première était de se ranger au nombre de ceux qui luttent contre ces ignominies. À l'époque il s'agissait de soutenir les Américains qui avaient décidé d'un soutien ou d'une intervention par des frappes. Peut-être y a-t-il d'autres choses à faire. La deuxième, c'est faire grandir le sentiment de solidarité au travers du monde et notamment chez nous dans la société française et c’est pour cela que j'ai appelé, et nous sommes en train de travailler et j'espère qu'on y arrivera, à une grande manifestation nationale qui aura lieu dans tous les départements de France en même temps. Disons à la mi-septembre. J'ai été appelé par les associations de chrétiens d'Orient, de chrétiens d'Irak, j'ai été appelé par les associations de Yézidis. J'ai été appelé par nombre de responsables politiques qui m'ont dit que cela les intéressait, y compris dans le monde des médias. Parce que ce n'est pas possible d'abandonner des femmes, des hommes, des familles, des communautés, des populations qui n'ont aucune responsabilité dans la situation créée. Ce n'est pas une guerre, ce n'est pas une guérilla, ce n'est pas un affrontement, ce n'est pas une résistance. Ceux sont des populations désarmées qui ne demandaient qu'une seule chose : continuer à vivre en paix.

L'idée que je souhaite défendre dans cette manifestation, ou en tout cas mobilisation, c'est le droit de croire ou de ne pas croire, qui est un droit de l'Homme. Nul ne peut le laisser amoindrir.

Sur la question des chrétiens d'Orient, est-ce que vous pensez que le pouvoir, le gouvernement, le Président de la République aurait dû, même si la France est un pays laïc, faire davantage sur cette question ?

Je pense que le gouvernement s'en est occupé. Je ne suis pas là pour faire des procès d'intention. Si vous voulez regarder un tout petit peu.

Mais une manifestation nationale comme vous la prévoyez c'est un mouvement d'ampleur.

Qu'importe le nombre, pourvu qu'il ait lieu. Le sentiment des Français doit être mobilisé autour de leur refus absolu que cette barbarie continue à se développer.

Sur le plan diplomatique ou militaire, qu'auriez-vous fait de différent que ce qui a été fait par le gouvernement ?

Si je regarde la situation et les responsabilités, nous avons une part de responsabilité. Les États-Unis ont une part de responsabilité parce que la guerre en Irak, il y a 12 ans maintenant qu'un certain nombre de responsables politiques - autour de Jacques Chirac Président de la République, même s'ils étaient en désaccord avec lui sur la politique nationale - se sont opposés et d'autres pas. Nous avons une responsabilité en Libye. Nous avons en Libye déchainé des forces que nous ne maitrisons pas.

Il n'aurait pas fallu intervenir ? Il n'aurait pas fallu frapper ?

De cette manière-là, il est clair que nous avons alimenté, ne serait-ce qu'en armement, ces mouvements qui sont pour moi totalitaires.

François Hollande a admis pour la première fois cette semaine dans Le Monde que la France avait armé les rebelles en Syrie. On peut supposer que cet armement sert aujourd'hui en Irak.

C'est exactement ce que je voulais dire. Nous avons pris un troisième risque auquel nous avons été très peu à nous opposer. J'ai été en désaccord, là encore, avec un certain nombre de mes amis. C'est quand la France a défendu l'idée qu'il fallait intervenir militairement par des frappes en Syrie, contre le régime, que Dieu sait je n'aime pas, de Bachar el-Assad.

J'ai été, et nous n'étions pas nombreux, un des seuls à dire que cela était d'une absolue incohérence. Nous avons libéré des forces en Libye qui sont aujourd'hui à l'œuvre et dangereuses au travers du monde, notamment dans cette partie du monde et nous nous trouvons aujourd'hui à menacer ou à annoncer que nous allons frapper en Syrie, ce qui aurait évidemment donné absolument toute latitude aux jihadistes d'occuper le pouvoir. Je suis sur ce point en désaccord avec des gens respectables mais qui voulaient qu'on intervienne en Syrie.

On voit aujourd'hui que le régime de Bachar el-Assad en Syrie fait prospérer, nourrit l'Etat Islamique. Si la Syrie de Bachar el-Assad avait été bombardée, est-ce que cela n'aurait pas coupé cette possibilité ?

C'est étrange. Je discute avec beaucoup d'experts. Je connais beaucoup de responsables, notamment spirituels, des chrétiens d'Orient ou d'autres minorités et notamment des minorités musulmanes qui se sentent menacées par la prolifération de cette barbarie. Il n'y en a pas un seul pour défendre la thèse que vous articulez. Tous pensent que Bachar el-Assad, ce n'est pas formidable, ce n'est pas recommandable, ce n'est pas génial mais que démolir les dernières choses qui tiennent, c'est donner toute latitude aux pires dérives dans cette région avec les moyens d'État ou de pseudo-État et d'armements sérieux.

Bachar el-Assad est un moindre mal, c'est ce que vous nous dites ?

Je ne veux pas dire les choses comme cela, ça serait lui donner un blanc-seing. Mais je veux en tout cas dire que nous avons eu des incohérences, au travers des gouvernements successifs qui ne sont pas sans conséquences sur la réalité qui a été créée aujourd'hui.

Un mot pour préciser l'objectif politique diplomatique ou militaire de la manifestation que vous appelez de vos vœux. Une fois qu'on a dit son indignation, l'objectif c'est quoi ? Intervenir militairement ? Il faut que l'ONU fasse quelque chose ?

L'objectif est d'être efficace, nous France et nous Union Européenne, en aide humanitaire et s'il le faut en aide militaire pour arrêter cette barbarie. Il y a des moments dans l'Histoire où l'on n'a pas le choix. Raison pour laquelle je n'ai jamais été partisan de baisser les budgets militaires. Parce que je considère que le monde est tellement dangereux que nous avons le devoir à l'égard de notre peuple et de nos partenaires et alliés de conserver une capacité d'action.

François Bayrou, l'Ukraine célèbre aujourd'hui la fête de son indépendance. Hier Angela Merkel était à Kiev en visite de soutien aux autorités ukrainiennes dans leur conflit face à la Russie. La chancelière allemande s'est dite prête à envisager d'avantage de sanctions à l'égard de Moscou. Est-ce qu'elle a raison ? Est-ce qu'il faut être encore plus ferme face à Vladimir Poutine ?

C'est une question que je considère presque comme inextricable. Il y a ici Marielle de Sarnez qui s'est rendue à plusieurs reprises à Kiev pendant l'occupation, en tout cas pendant les manifestations continues pour être en solidarité en notre nom avec ceux qui à Kiev manifestaient leur volonté de liberté et au fond, de proximité avec l'Europe. Sur le long terme, je ne crois pas que l'Europe doive être systématiquement en confrontation avec la Russie. Je pense que sur le long terme l'Europe et la Russie ont des choses à faire ensemble.

Mais sur le court terme, une question très précise. Si vous étiez aux affaires, est-ce que vous autoriseriez la livraison de la frégate Mistral, fabriquée par la France, pour le compte de la marine russe ?

Je ne sais pas. Je n'ai pas les détails de cette affaire, du contrat. Je sais une chose : un pays qui décide de ne pas respecter un contrat avec un autre pays, c'est un pays qui fait un choix lourd. Je comprends que François Hollande hésite et je comprends que les gouvernements antérieurs aient hésité aussi dans ces circonstances-là. Pour moi, en tout cas, cela ne peut être qu'une décision européenne. Nous ne pouvons pas prendre une décision unilatérale, française.

Il y a des voix en Europe, notamment en Grande-Bretagne, qui nous disent de ne pas livrer ce bateau.

Oui il y a des voix en Europe et je pense qu'il est légitime que ce soit une décision européenne et elle n'est pas si facile à prendre.

François Bayrou, nous allons revenir à la situation politique en France et à la situation de l'opposition, dont on a bien compris que vous faisiez partie, même si en d'autres temps, vous avez appelé à voter François Hollande. Alain Juppé a déclaré sa candidature à l'investiture en vue de 2017. Pourquoi lui avoir apporté aussi vite ce qui est apparu comme un soutien ?

Primo parce que je considère qu'il faut des rassemblements dans la période où nous allons. Secundo parce que ma conviction est que s'il faut des rassemblements, il faut que les principaux responsables politiques soient capables de gestes désintéressés. C'est-à-dire qu'ils ne considèrent pas leur intérêt personnel ni leur intérêt de parti, mais l'idée qu'ils se font de l'avenir du pays. Tertio parce que je considère qu'Alain Juppé le mérite. Ce n'est pas fréquent qu'en politique on dise du bien des autres. Et même, on peut dire que c'est une attitude marquée au coin de la rareté.

Est-ce qu'il y a un accord entre vous et lui ?

Il y a une entente, mais il n'y a aucun accord. Aucune négociation, aucun échange, aucun deal. Rien de tout ça. Il se trouve que je considère que c'est quelqu'un qui a le niveau de cette fonction. Et de surcroit, il me semble qu'il a des traits de caractère qui seraient forts utiles dans la période dans laquelle nous allons entrer. Ce que je vois en lui et que je soutiens, c'est de la fermeté dans la vision et un certain sens de la paix civile et du rassemblement. Ces deux choses-là, si on réussit à les rendre compatibles, on aura fait faire un grand pas au pays.

Il y a quelque chose qui m'étonne, c'est qu'Alain Juppé était le premier ministre de Jacques Chirac dont vous disiez du bien de sa position sur l'Irak, mais vous vous êtes quand même présenté contre lui. C'était un Premier ministre qui était plus du côté de la fermeté que du rassemblement et de la paix civile à l'époque.

Pas du tout.

Deuxièmement Alain Juppé c'est l'inspirateur, l'homme qui est à la base du projet de l'UMP. Vous avez passé votre vie à combattre l'UMP et aujourd'hui vous nous dites que finalement...

J'ai de longs débats avec lui sur ce sujet à chaque fois que nous nous rencontrons. Vous avez tout à fait raison. Je voudrais que vous compreniez et j'espère que vous entendrez l'accent de sincérité qu'il y a dans ma voix. Aujourd'hui la question n'est même plus la forme des partis politiques. Ou plus exactement, je considère que la forme des partis politiques est complètement dépassée. Je vous en dirai un mot dans une minute.

La question n'est même pas l'intérêt du centre. Je pense que le centre a un grand intérêt : c'est un des seuls lieux de renouvellement possible de la vie politique française. Autrement, on est perpétuellement dans la balance PS-UMP qui nous a fait tant de mal. Mais la question aujourd'hui est très simple : qu'est-ce qui peut nous permettre de reconstruire le pays ? Et pour reconstruire le pays, il faut avoir des rassemblements, donc des rassembleurs, donc des ententes.

Deux questions si vous le permettez. La première, au-delà des qualités psychologiques d'Alain Juppé que vous venez de souligner, vous vous engagez derrière lui sans connaître son programme ou ce qu'il pourrait porter pour notamment réformer la France ? Deuxième question, au vu de l'exaspération et du climat de morosité qu'on connait dans ce pays en ce moment, est-ce que vous êtes persuadé que le balancier à droite, dans l'opposition, sera du côté du centre ou d'une droite plus décomplexée ?

Monsieur Revel, il y a en effet beaucoup de gens qui comme vous pensent qu'étant donné l'état du Pays, il faut aller vers les extrêmes.

Pas du tout, ce n'est pas ce que je dis du tout. Est-ce que le centre de gravité de la prochaine élection présidentielle sera plus près du Centre ou plus près d'une droite plus décomplexée ?

Alors je reprends mon affirmation sans vous mêler au nombre de ceux qui disent cela. Il y a beaucoup de gens qui pensent qu'étant donné l'état de l'opinion, il faut aller vers les extrêmes. Et notamment vers l'extrême droite. Et que plus on se rapprochera, plus on transgressera, plus on fera des signes ou on prononcera des mots qui soient des mots choquants, blessants, plus on radicalisera le débat et mieux cela sera. Moi, je vous dis que spécialement en période de crise, les hommes courageux, les hommes responsables doivent dire "attention, il y a la une dérive à laquelle nous ne devons pas nous livrer". C'est précisément dans les périodes de crise qu'il faut avoir la vision la plus ferme et la capacité de rassembler les peuples au lieu de les opposer, d'organiser leur affrontement, de faire monter la haine et la détestation. Je pense que la vertu d'un homme politique est d'avoir à la fois du courage et de la modération dans la manière dont il regarde ses adversaires.

Je voudrais revenir sur ce que vous disiez à l'instant sur la forme des partis politiques. Si je vous ai bien compris, vous nous avez dit qu'il n'est pas essentiel, ou qu'il n'est plus essentiel, que le centre en tant que parti soit présent à l'élection présidentielle ?

Pas du tout. Je répète, je ne parle pas, je ne pense pas à l'élection présidentielle en terme partisan. Peut-être qu'il y a 20 ans, j'aurais pensé différemment. Mais encore qu'il est arrivé que le centre renonce à présenter un candidat en 1995 parce qu'il y avait un autre candidat, supposément Edouard Balladur à l'époque, qui ressemblait d'avantage à ce qu'il croyait. C'est une autre affaire et cela appartient à l'Histoire et on en parlera entre historiens. Ce que je pense précisément c'est ceci : je pense que les partis politiques, leur place dans nos institutions et leur vie interne portent une lourde responsabilité. Les deux partis de gouvernement, portent une lourde responsabilité, dans leurs fonctionnements en particulier, dans la situation que nous connaissons aujourd'hui. Parce que le jeu politique aujourd'hui, le pouvoir se gagne par des intrigues à l'intérieur des partis. Quel courant ? Quelle alliance, y compris contre nature ? Quelle détestation ? Des vieilles haines cuites et qui n'ont jamais fini de recuire à l'intérieur des partis. Puis il faut être à l'intérieur du bon courant, c'est-à-dire qu'il faut être conforme, renoncer à son originalité et à sa volonté à la prise de risque. Le système sélectionne des gens qui sont en réalité incapables de gouverner. C'est le système des partis, des deux partis et du monopole du pouvoir dans ces deux partis qui nous conduit à la situation où nous sommes. Donc oui, je pense que cette "partitocratie", cette "bi-partitocratie", porte une très lourde responsabilité et j'appelle de mes voeux le jour où les règles changeront au point que les mœurs politiques changeront.

Soutenir Alain Juppé, cela ne change pas ce système-là ?

On va voir. C'est vrai qu'il était partisan de l'UMP, mais peut-être son regard peut-il évoluer sur la forme que les partis politiques auront. En tout cas si j'ai bien compris, cela sera un des thèmes du retour de Nicolas Sarkozy.

Comment vous accueillez cette perspective, qui est une quasi-certitude, d'un retour de Nicolas Sarkozy ?

Je l'accueille sans difficulté parce que je n'ai jamais pensé qu'il était parti. Jamais une seule seconde j'ai pensé pour des raisons humaines, c'est des virus dont il est difficile de se débarrasser. Depuis toujours, je pense que Nicolas Sarkozy sera en situation de ramasser la mise dans son camp.

Vous l'avez combattu politiquement, est-ce que votre désaccord est irrémédiable ?

Je ne sais pas quels seront ses thèmes, mais si j'ai bien lu l'interview qu'il a donné à Valeurs Actuelles je n'ai pas l'impression que nous allions nous retrouver sur la même ligne.

On lui prête l'idée de recomposer l'opposition. C'est intéressant car vous disiez que l'ère des partis était révolue.

L’ère de ces partis-là et du monopole de ces partis-là et des mœurs internes.

L'idée d'une recomposition de l'opposition que ce soit autour de Nicolas Sarkozy ou d'Alain Juppé - l'avenir le dira - cela vous semble possible ? En tout cas autour de Nicolas Sarkozy ?

Ce qui me semble légitime, c'est que nous travaillions à des rapprochements à condition que les idées soient claires et que les attitudes humaines soient compatibles.

En terme d'attitudes humaines, est-ce que vous vous sentez compatible avec Nicolas Sarkozy ?

Je n'ai pas eu l'impression que Nicolas Sarkozy avait beaucoup changé dans la dernière période.

Une primaire à laquelle participeraient les centristes et les personnes de l'UMP, cela vous paraît aujourd'hui envisageable, ou un objectif souhaitable ?

On verra parce que l'on ne sait pas si la primaire aura lieu, quelle forme elle aura, ce que cela signifiera. Mais, je suis quelqu'un de loyal. Quand je participe à une compétition, j'accepte à l'avance le résultat de la compétition. Et je ne suis pas prêt à accepter à l'avance n'importe quel résultat de n'importe quelle compétition. Est-ce que c'est assez clair comme réponse ?

Si c'est Alain Juppé, oui et si c'est Nicolas Sarkozy, non?

Je voudrais m'assurer que vous ayez bien compris, Monsieur Brezet.

Je voudrais qu'on revienne sur le débat qui nous occupait dans la première partie de cette émission sur les propos et les critiques d'Arnaud Montebourg et de Benoit Hamon puisque l'AFP nous livre des propos attribués à un proche de Manuel Valls qui dit qu'une ligne jaune a été franchie. Qu'est-ce que le Premier ministre peut faire selon vous ?

Il peut leur demander de sortir du gouvernement. J'ai décrit cette situation dans les premières minutes de cette émission. J'ai dit que cette situation était insupportable pour un Premier ministre, pour un Président de la République. J'ai décrit avec tristesse la position pathétique qui avait été prise par le Président de la République expliquant qu'il ne s'était rien passé et qu'on était profondément d'accord sur tout.

Pour parler concrètement, Manuel Valls doit convoquer Arnaud Montebourg et Benoit Hamon demain matin dans son bureau ?

Je n'imagine pas qu'une telle crise puisse durer sans qu'il n'y ait un arbitrage politique clair et net. Et au demeurant, j'avais l'impression que c'est presque cela qui était cherché dans la situation qui a été créée par les deux ministres du gouvernement.

Vous pensez qu'ils cherchaient le conflit ?

Je pense qu'ils ont choisi de mettre la barre tellement haut que ça passe ou ça casse. Je pense qu'ils avaient ça à l'esprit. En tout cas, ne tombons pas dans le "people" comme on dit, ça on s'en fiche. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'au sein du gouvernement de la République française, le ministre de l'Economie entre en confrontation directe et dans des termes d'une violence absolue sur la politique du gouvernement, avec le Premier ministre et le Président de la République. Si ce n'est pas une crise politique, alors c'est quoi ?

On n'est pas en train de prendre le thé chez une vieille dame là ! On est devant le pays ! Il n'y a pas de napperons sur la table. On est devant le pays et nos partenaires européens et le ministre de l'Economie de la République française vient nier et contredire l'orientation de la politique qu'il mène lui-même. Alors, je ne connais pas de plus grave crise.

Vous connaissez la situation de la chaine info LCI après que le CSA ait refusé son passage sur la TNT gratuite cet été. D'un mot, qu'avez-vous pensé de cette décision ?

J'ai défendu BFM et i>Télé contre le groupe TF1 quand il s'est agi de leur donner leur liberté de participer au paysage audiovisuel. Ma vision dans les principes n'aurait pas changé. J'aurais défendu la liberté de LCI d'aller vivre une concurrence équilibrée, régulée avec ces chaines infos. Le malthusianisme, c'est-à-dire donner aux uns ce que je refuse aux autres, ne correspond pas à ma vision.

Est-ce que finalement, on n'a pas là l'un des symboles du blocage de la société française : laisser une administration publique décider du sort d'une entreprise privée ? Parce que c'est bien de ça dont il s'agit quand le CSA refuse à LCI son passage en TNT gratuite.

Vous avez raison mais je me souviens d'un temps ou la position de votre groupe n'était pas exactement celle-là.

À l'époque où BFM et i>Télé n'existaient pas.

Oui à cette époque-là, vous pensiez que c'était mieux qu'ils n'existassent point. C'est une taquinerie, un sourire. Il y a des gens pour qui les principes changent au fur et à mesure que les situations changent. Pour moi, les principes ne changent pas. J'espère bien qu'une solution va être trouvée et comme je vous l'ai dit, pour moi en tout cas, j'aurais défendu la liberté que vous réclamiez.

François Bayrou cette émission est terminée, merci d'avoir participé à ce premier Grand Jury de la saison.

Je reçois la lettre d'information du Mouvement Démocrate

Engagez-vous, soyez volontaires

A nos côtés, vous serez un acteur de nos combats pour les Français, pour la France et pour l'Europe.

Chaque engagement compte !

Votre adhésion / votre don

Valeur :

Coût réel :

20 €

6,80 €

50 €

17 €

100 €

34 €

Autres montants

Qu'est ce que la déclaration fiscale sur les dons ?
Filtrer par