"Les problèmes de la France ne viennent pas d'ailleurs"

Éducation en capilotade, fiscalité excessive, prolifération administrative, perpétuelle ambiance de défiance à l’intérieur du pays... De la situation dans laquelle nous nous trouvons, et des erreurs qui nous ont conduits à cette situation, "il n’est aucun autre responsable que nous-mêmes" a prévenu François Bayrou au micro de l'émission "Zemmour et Naulleau".

Paris Première - Il sera Premier ministre en 2022 ! C’est en tout cas ce qu’a imaginé Michel Houellebecq dans son dernier roman et en attendant, sa voix compte. Il pourrait bien faire la différence à la présidentielle, encore cette année. Voici François Bayrou !

François Bayrou - Bonjour.

Avant de vous laisser dans les griffes de nos deux Eric, j’ai pour vous un petit QCM. À la primaire de la gauche, est-ce que vous voterez pour : 1. François Hollande, 2. Emmanuel Macron, 3. Arnaud Montebourg, 4. Benoît Hamon ?

Ni les uns ni les autres.

Donc vous ne voterez pas à la primaire de gauche ?

Sûrement pas, non. Il faut que vous compreniez une chose, qui aujourd’hui s’est un peu enfuie des esprits. Il y a deux sortes de responsables politiques. Ceux qui acceptent que le pays soit coupé en deux entre ces deux fictions qui s’appellent l’une gauche et l’autre droite ; et ceux qui ne l’acceptent pas. J’appartiens à la catégorie de ceux qui ne l’acceptent pas. Et donc la primarisation de la vie politique, le fait qu’on veuille organiser des primaires sous toutes ses formes pour découper la France en deux camps dans lesquels on serait obligé, mis aux ordres de se trouver, est pour moi quelque chose qui ne correspond pas à ce que je crois.

Enfin si j’ai bonne mémoire vous avez appelé à voter Hollande en 2012, quand même.

Ça n’a rien à voir.

Vous avez choisi un camp, quand même. 

Non, pas du tout. Peut-être qu’il faut que vous fassiez ce travail pour y réfléchir. Il ne s’agit pas de choisir un camp. L’élection présidentielle, c’est l’élection d’un Président de la République. Et on est au deuxième tour – vous savez que j’étais candidat au premier tour – dans une situation où, ou bien on accepte, ou bien on refuse que le sortant soit reconduit. Et je pensais, avec des arguments qui apparaissent tous les jours plus éclatants, que la reconduction de Nicolas Sarkozy aurait été pour le pays quelque chose qui vraiment n’allait pas dans le bon sens, et je choisis les mots les plus doux pour vous dire ce genre de choses. J’ai voté pour François Hollande, mais pour autant j’ai refusé d’adhérer à un camp, je me suis même fait battre aux législatives pour avoir refusé d’adhérer à un camp.

Oui mais vous auriez bien aimé qu’il soit gentil avec vous ?

Non, pas du tout. J’ai, à chaque instant de ma vie, refusé précisément ce que vous appelez les gentillesses.

Et c’est pour ça que vous avez été battu.

Oui, et alors ? Qu’est-ce que ça veut dire ! 

Mais vous avez gagné Pau parce que vous êtes revenu dans le camp de la droite.

Pas du tout. J’ai gagné Pau parce que je me suis imposé avec une liste qui était totalement centrale, avec des gens de gauche et de droite, et que l’opposition - l’UMP de l’époque - étant très bas dans les sondages, a choisi à se rallier à moi. Ce n’est pas moi qui me suis rallié à eux, mais eux qui se sont ralliés à moi. Et vous devriez savoir que précisément ceci est ma philosophie. Je ne me rallie pas, et je peux tout à fait accepter que les autres, au contraire, viennent travailler avec moi. 

Deuxième question : François Hollande réélu pour un second mandat, ce serait : 1. Une bonne nouvelle, 2. Une catastrophe, 3. Ni pire ni mieux qu’un autre, 4. Vous ne croyez pas au miracle, à part à Lourdes ?

Je ne crois pas du tout à la réélection de François Hollande, et je ne pense pas que ce serait une bonne nouvelle. 

Donc ce sera une bonne nouvelle, puisqu’il ne sera pas réélu.

Oui. Vous savez que je le lui ai dit depuis très longtemps déjà. 

Et face à Nicolas Sarkozy ? Si on rejouait la même élection ?

Vous avez beaucoup de talent, vous avez un sourire tout à fait convaincant, mais vous ne me tirerez pas dans la valse des « si… ».

On va y aller tranquillement, alors. De quelle déclaration vous sentez-vous le plus proche : 1. « Sarkozy, c’est Barbapapa » (citation de Marine le Pen), 2. « Bayrou, c’est le clapotis de la décadence » (citation de Macron), 3. « Ce n’est pas moi qui me sarkozyse, c’est Sarkozy qui se jean-marise » (JM Le Pen), 4. « Si j’y vais, c’est pour gagner » (citation de Hollande)

Moi, si j’y vais, c’est pour gagner. 

Bon, alors comme François Hollande, mais ceci dit comme Nicolas Sarkozy aussi… Si j’y vais pour gagner, ça aurait tout à fait pu être Sarkozy ! Mais vous vous êtes présenté trois fois, et vous n’avez pas gagné.

Oui, et alors ?

Oui, moi je trouve que l’essentiel c’est de participer. 

Mitterrand s’est présenté trois fois, il a gagné à la troisième. Jacques Chirac aussi s’est présenté trois fois, il a gagné à la troisième. 

Donc vous avez raté le coche !

Pas du tout, non. Je ne pense pas qu’on puisse rire de tout, dans ce genre de choses. Et même, je trouve que ce n’est pas le lieu. Je pense que quand un homme politique croit à quelque chose, il doit être capable de se faire battre pour ce qu’il croit. Il doit refuser, en toutes circonstances, de s’humilier, de se rallier à des gens dont il considère qu’ils n’ont pas les mêmes opinions que les siennes.

Je suis d’accord. Cela nous amène à Macron…

Rien n’est plus honorable à mes yeux que d’aller au combat, de refuser de se rendre, de défendre ce qu’on croit essentiel, et qu’importe le risque de la défaite électorale !

Mais je n’ai jamais dit que c’était déshonorant.

Si, vous avez dit que j’avais raté le coche. Excusez-moi, écoutez vos propres propos.

Un peu de sarcasme n’est pas méchant. Vous savez, la taquinerie, c’est la gentillesse des méchants, disait Victor Hugo. Je vous ai seulement taquiné.

Mais le sarcasme n’est pas de l’humour.

Ce n’est pas de la taquinerie non plus, soyons précis. Vous avez subtilement omis la phrase « Bayrou, c’est le clapotis de la décadence », parce que c’est Emmanuel Macron qui a dit cela. Qu’est-ce que vous pensez de lui, justement ?

Il a été vexé de ce que j’avais dit, je comprends, je l’aurais aussi été à sa place. 

Qu’est-ce que vous aviez dit ?

J’avais dit qu’il avait été le principal inspirateur et organisateur de la politique économique qu’avait subie François Hollande. Qu’il avait fait voter une loi qui s’appelle « croissance » ; et qu’on est aujourd’hui en croissance négative. On est à moins de zéro. Et une loi pour l’emploi ; et on est au mois d’août 75 000 chômeurs de plus. Ce n’était pas, évidemment, extrêmement gentil, je suis en désaccord avec la politique qu’il a suivie. Et je suis en désaccord avec son approche de la politique.

Pourtant, il vous ressemblait, au départ. On disait souvent ni gauche ni droite…

Mais vous voyez : un, je ne suis pas sûr qu’il n'ait jamais dit « ni gauche ni droite », mais moi je suis sûr de ne l’avoir jamais dit.

Vous, c’est plutôt gauche ET droite. Le meilleur de la gauche et le meilleur de la droite dans un seul parti politique.

Non, ceci était autre chose. Moi je crois et j’espère prouver à chaque instant qu’il y a une politique différente, qui s’appelle centre, qui a des caractéristiques absolument différentes des droites – parce qu’aujourd’hui il n’y a pas qu’une seule droite, il y a multiplication des droites – et explosion de la gauche. Cependant il y a une politique du centre pour laquelle je me suis battu, et que je me suis attaché à définir au travers du temps. Et c’est cette politique-là que je suis. Je ne suis pas dans le « ni, ni », dans la double-négation, des choses tout à fait à côté de la plaque à mes yeux.

Le problème avec Alain Juppé, et c’est ma dernière question, c’est : 1. Qu’il n’est plus tout jeune, 2. Qu’il sera battu par Sarkozy aux primaires, 3. Qu’il ne fait rêver personne à part vous, 4. Qu’il a quand même quelques casseroles ? Mais comme il l’a dit lui-même, en matière judiciaire il vaut mieux avoir un passé qu’un avenir.

Je ne vois pas de problème avec Alain Juppé. Je n’ai pas tout à fait les mêmes idées que lui sur tous les sujets, on a des nuances, des différences, mais c’est quelqu’un que j’estime. C’est bizarre, ça n’arrive pas souvent en politique, que quelqu’un qui a un socle de voix vienne dire « écoutez, moi je suis prêt à travailler avec un autre ». Et je suis prêt à travailler avec Alain Juppé. C’est quelqu’un qui, je trouve, je vais employer un mot qu’on n’utilise pas souvent en politique, est honorable. Vous comprenez ? Cela fait des années que nous nous connaissons…

Oui, ça fait trente ans.

Oui… C’est quelqu’un dont j’ai toujours pensé qu’il ne mettait pas son intérêt en premier. D’autre part, son choix et le mien aussi, est que pour réformer un pays il faut le rassembler. Ce choix-là est le bon. C’est à dire qu’il refuse de passer son temps à mettre le feu aux affrontements entre Français, qui ne demandent qu’à flamber ; la savane est sèche. Il refuse de mettre une allumette, je trouve ça plutôt bien.

Moi, je ne poserais pas la question comme ça. Il y a un roman de Rudyard Kipling, L’Homme qui voulut être roi, c’était vous à un moment.

Vous savez que j’aime beaucoup Kipling.

Trois fois candidat à la présidentielle, maintenant vous êtes l’homme qui veut faire les rois.

Autrefois, trois fois candidat à la présidentielle, c’était sur une distance de sept ans. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.

Je suis d’accord. L’homme qui voulut être roi, maintenant c’est l’homme qui veut faire les rois, F. Hollande hier, A. Juppé demain. Et dans le même temps, vous nous expliquez que vous êtes le promoteur d’un centre autonome que vous voulez incarner, et c’est bien votre droit. Je n’arrive pas à comprendre comment vous résolvez cette contradiction. Si – à moins que ce ne soit N. Sarkozy qui gagne les primaires – vous ne voulez pas y aller, ça veut dire que vous reconnaissez que Juppé incarne l’intégralité des valeurs centristes ?

Je pense qu’Alain Juppé est aujourd’hui le mieux placé de ceux qui peuvent faire en sorte qu’un rassemblement ait lieu, que la vie politique française sorte de cette ornière dans laquelle elle se trouve, que la vie politique française quitte les excitations du sectarisme, parce que c’est là-dedans qu’on vit. Des types qui font semblant d’être du même parti alors qu’ils pensent le contraire sur à peu près tous les sujets... Il y a dans l’option d’Alain Juppé quelque chose qui nous permet de faire autrement, de nous en sortir, de reconstruire le centre en France, et de faire que les faux-semblants disparaissent, qu’on ait une autre approche de la politique. Il est moins partisan que les autres. Je ne dis pas qu’il n’a jamais été partisan.

Quand même ! Il a été secrétaire général du RPR. 

Oui, et alors ?

Ce n’est pas une infamie, mais il a été partisan.

Je me suis confronté avec lui à cette époque, par moments assez sévèrement, mais amicalement. Je crois qu’il dirait la même chose. Il est moins partisan. On a besoin de gens moins partisans aujourd’hui. À condition qu’ils pensent quelque chose, et à condition qu’ils soient en phase avec ce que vous croyez, ce que je crois, ce qu'aujourd’hui croit la majorité du pays. 

Mais la question n’était pas si mal posée. S’il ne passe pas la primaire...?

Je reviendrai vous voir. 

Vous serez candidat !

J’aurai quelque chose à vous dire.

Mais vous n’avez pas répondu à la question. Je ne comprends pas comment vous voulez reconstruire un centre en faisant allégeance à quelqu’un d’autre.

Je ne fais aucune allégeance. Ma nature n’est pas de faire allégeance. Je crois qu’on a pu même assez souvent me reprocher le contraire.

Mais ça y ressemble beaucoup. Vous dites "j’y vais", que s’il ne gagne pas.

Je suis prêt à la soutenir. Soutien et allégeance, ce n’est pas la même chose.

Si, parce que vous renoncez à votre propre candidature.

Oui parce que sans ça, ça n’aurait pas de sens que je me présente contre quelqu’un avec qui je partage un très grand nombre d’idées et de valeurs. 

Il y a un deuxième tour pour ça, pour le rassemblement.

Mais le premier tour risquerait d’être détestable pour tout le monde.

C’est la même discussion que l'on a eue tout à l’heure avec A. Corbière.

Lorsque quelqu’un est bien placé, je trouve qu’il est digne de dire "je vais lui apporter mon soutien, je l’aiderai".

Et vous dites que vous travaillerez avec lui, mais dans quel cadre ? Vous avez dit que vous ne pouviez pas être son Premier ministre, qu’un Premier ministre doit tirer sa légitimité d’un parti.

Sa légitimité, ce n’est pas le bon mot. 

Si, parce qu’il est désigné par le Président de la République. Il est légitime.

Oui, d’accord, il est légitime. Mais la question c’est que du point de vue de l’équilibre des forces, il vaut mieux que le Premier ministre, l’élection immédiatement passée, appartienne au parti de la majorité. Dans l’équation actuelle, je vous rappelle que c’est le parti de Nicolas Sarkozy ; je ne suis pas certain qu’il m’accueillerait avec un enthousiasme délirant. Il se tromperait, parce que je suis quelqu’un d’extrêmement aimable, mais bon…

Cela tout le monde le sait. Moi j’aimerais vous dire que les dispositions partisanes pourraient changer : au cas où nous aurions Alain Juppé face à Marine Le Pen, et qu’une partie importante de la gauche ralliait Alain Juppé – c’est ce qui est arrivé aux régionales pour C. Estrosi et X. Bertrand –, dans ce cas-là vous seriez le point d’équilibre entre toute cette majorité juppéiste.

Et bien voyez-vous Éric Zemmour, je n’y avais jamais pensé… (sourire)

C’est incroyable, trop fort !

C’est la première fois de ma vie que cette perspective m’apparaît, vous m’avez ouvert des horizons !

Vous voyez, vous me taquinez, je le prends bien, c’est ça la différence !

Je dis du bien de vous, je ne dis pas que "vous avez raté le coche, que vous vous êtes planté". Vous êtes très intelligent, et ma foi je n’avais jamais pensé à ça... Mais je ne dis pas que c’est absurde ce que vous dites.

Autre chose qui n’est pas absurde selon moi, mais qui va vous agacer. Quand vous dites tout à l’heure : « Macron est l’homme de la banque », « c’est l’homme de l’argent »… J’ai moi-même écrit que c’était les habits neufs de la classe dominante, donc on est d’accord sur le diagnostic. En revanche il y a quelque chose que je ne comprends pas. Et même que je n’admets pas, c’est quand vous lui faites le reproche d’être à l’origine de la politique économique de F. Hollande, et que vous lui reprochez d’avoir augmenté considérablement les impôts. Et vous faites semblant de ne pas voir qu’ils ont fait ça pour se mettre dans les clous des 3% de Maastricht, or vous le savez très bien. Qu’ils ont fait ça pour être le bons élèves de l’Europe, contrairement à N. Sarkozy, vous vous en souvenez, qui était venu en 2007, qui avait insulté tout le monde, qui avait dit « Qui c’est ce con ? Allez tais-toi… ». Et plus profondément, vous avez un problème, selon moi, qui est majeur depuis 20 ans. Vous nous expliquez qu’il y a la droite, il y a la gauche, et que vous en avez assez de la droite et de la gauche, et que vous voulez faire la politique du centre. Sauf que depuis 25 ans, depuis Maastricht, la droite et la gauche font la même politique, qui est celle du centre. C’est-à-dire celle de Bruxelles. Donc vous ne pouvez pas venir nous dire "ces abrutis de droite et ces méchants de gauche font une politique idiote", alors que cette politique idiote, c’est la vôtre. Ou plutôt, c’est celle de Bruxelles et c’est celle que vous soutenez depuis 25 ans. 

Bon, tout est à peu près faux dans ce que vous dites.

Ah non, tout est à peu près vrai. Vous ne pouvez pas dire que c’est faux, il faut argumenter.

Je vais argumenter, je suis là pour ça. Un, l’erreur fondamentale qui est la vôtre depuis longtemps, c’est de faire croire que nous en sommes où nous en sommes à cause de l’Europe, de la mondialisation, de Bruxelles, à cause de tout cela… Qu’est-ce qui est marquant dans la situation de la France ? Éducation en capilotade, catastrophe éducative. Fiscalité excessive. Incapacité à trouver une place respectable et simplifiée pour l’entreprise. Prolifération administrative. Perpétuelle ambiance de défiance à l’intérieur du pays. Débats simplistes. Tout cela, il n’y a pas un seul de ces chapitres dans lesquels la mondialisation, ni l’Europe, ni Bruxelles, n’ait la moindre responsabilité. 

C’est faux.

Vous pouvez dire c’est faux, mais moi je maintiens que c’est vrai.

Je peux même vous le démontrer

Non, vous n’allez pas me le démontrer, parce que c’est vrai. L’éducation, Bruxelles n’y est pour rien, et l’Europe n’y est pour rien. 

C’est faux. L’éducation, depuis 30 ans, c’est les directives de l’OCDE, de l’Union européenne,  qui sont toutes les mêmes partout M. Bayrou, je vous le démontre quand vous voulez. 

Vous pouvez me démontrer ce que vous voulez, j'ai été enseignant, parent d’élève…

Mais ça fait 30 ans que vous n’avez pas fait une salle de classe, arrêtez.

Mais pourquoi dire des choses pareilles ? J’ai été ministre de l’Éducation nationale pendant quatre années, je connais un tout petit peu mieux le système éducatif que vous, excusez-moi de le dire. Donc écoutez-moi. Pas une seule des décisions qui ont été prises en France dans le domaine de l’éducation, de la formation professionnelle, de la situation de l’entreprise… Pas une seule de ces décisions ne vient d’ailleurs. Ni de Bruxelles, ni de Berlin, ni de la mondialisation. Cela vient de chez nous.

Ce n’est pas vrai. L’abolition des frontières, ça ne vient pas de chez nous. Plutôt, ce sont les politiques qui se sont soumis à ces règles. Les négociations commerciales, ça ne vient pas de chez nous. Ou plutôt, c’est la France qui s’est soumise à l’Europe qui a négocié. La monnaie unique, ça ne vient pas de chez nous. 

Comment pouvez-vous dire ça ? On a même eu un référendum en France pour adopter la monnaie unique ! Le peuple français a choisi, et les élus français ont choisi.

Alors dites que c’est une politique que l'on a acceptée, je suis d’accord, je ne dis pas le contraire.

Comment pouvez-vous prononcer des insanités pareilles sans faire attention ? Réfléchissez une seconde. L’orientation du projet européen de la France a été choisie par des dirigeants français, adoptée par le peuple français, y compris le Général de Gaulle. Ce sont des décisions françaises, qui sur tous ces sujets, et sur le sujet du projet européen, ont créé la situation dans laquelle nous sommes. On peut être en désaccord sur le projet européen. Vous savez, lorsque le Général de Gaulle est revenu au pouvoir en 58, on avait voté ou adopté le Traité de Rome en 57, quelques mois auparavant. Et on va d’ailleurs bientôt en fêter l’anniversaire, dans des circonstances qui ne sont pas très gaies… Et vous savez que le Général de Gaulle s’était opposé au projet européen sur la défense européenne, on peut discuter éternellement pour savoir s’il avait tort ou raison, mais la question est là. Et quand il arrive au pouvoir en 58, ses conseillers lui apportent une décision à signer, indiquant qu’on sort du Traité de Rome, c’est-à-dire du marché commun. Le marché des six pays qui allaient désormais avoir un marché commun. Ce que vous appelez l’abolition des frontières ! Et le Général de Gaulle a pris son stylo, a écrit en marge cette phrase formidable : « Non. Ils sont forts, mais ils ne le savent pas. » Tout ça parce que des hommes politiques majeurs, comme Mendès-France, était un des sept qui avaient voté contre. Il était monté à la tribune pour dire que la France ne pourrait pas résister à l’Allemagne. Et je regrette de dire qu’en 2001, il y a à peine 14 ans, la France est très au-dessus de l’Allemagne. 

Elle vient de se réunifier, M. Bayrou.

Au-dessus et de très loin ! À l’époque, tout le monde dit "l’Allemagne est l’homme malade de l’Europe". Et la France est dans la croissance, avec un chômage au-dessous de 7%. Simplement un certain nombre de décisions catastrophiques sont prises, sur les 35 heures en particulier. C’est extraordinaire, il faut regarder les courbes ; ça s’améliore jusqu’en 2001, puis ça se casse. Toutes les courbes, chômage, commerce extérieur… toutes ces courbes déclinent.

Pour moi M. Bayrou, c’est une autre date. C’est le début de la monnaie unique. Et ce n’est pas un hasard, pour moi. Il n’y a pas que les 35 heures. La conjonction des 35 heures et de la monnaie unique, c’est de la nitroglycérine pour l’industrie française.

Je crois que vous vous trompez sur ce point. Excusez-moi de vous dire que depuis des mois, grâce à la politique que fait la banque centrale européenne, et grâce à M. Draghi, ce que vous appeliez de vos vœux, c’est-à-dire la baisse de l’euro par rapport au dollar, se réalise. On a baissé de 15%. 

Vous avez raison, et d’ailleurs ça va mieux pour l’industrie française. Il y a moins de destructions d’emplois.

Oui, enfin il suffit de voir les statistiques…  Le problème est que la France n’a pas résolu SES problèmes.

Vous dites qu’elle n’a pas, comme l’Allemagne, engagé les réformes courageuses qu’elle aurait dû engager ?

Moi je n’ai pas le fanatisme de ces mots. Permettez-moi de reprendre la liste très vite : éducation, formation professionnelle, situation de l’entreprise, prolifération administrative qui fait qu’on passe son temps à accabler les gens d’exigences administratives, de formulaires auxquels personne ne comprend rien… Ce sont les sujets français qui sont la question du pays. Pas du tout, à mon avis, la question de l’Europe, ou beaucoup moins qu’on ne croit, parce que je pense que l’Europe peut faire mieux. Eric Zemmour, chaque fois que vous écrivez, vous faites croire que la question est européenne.

Mais elle est aussi européenne. Parce que la périphérisation de la France est européenne. 

La Grande-Bretagne vient de sortir. La périphérisation, elle se trouve annulée. La France devient l’un des deux pivots, avec l’Allemagne, de l’avenir de l’Europe.

Mais au final, ce n’est pas l’Europe qui négocie pour tout le monde ? C’est pas l’Europe qui a accepté que la Chine rentre dans l’OMC ? Ce n’est pas l’Europe, ça ?

Oui, et s’il y a des choses à changer, je suis pour les changer. Je ne dis pas que l’Europe a tout accepté, mais en effet certains en Europe voudraient que l’on accepte tout.

On a déjà accepté tout puisqu’on les a laissés rentrer dans l’OMC. Ils nous ont détruit des millions d’emplois. A côté, le Code du travail, c’est de la rigolade.

Moi, je ne parle pas comme ça. Nous nous sommes laissés détruire des emplois, et la République Populaire de Chine se trouve dans une très grande difficulté – sociale, environnementale… et elle va rencontrer de très grandes difficultés. L’Europe n’a qu’à se battre avec ses propres armes. Comme les USA se battent avec leurs propres armes. Mais la grande différence entre ma thèse et la vôtre, c’est que l’Europe peut se défendre avec ses propres armes, alors que la France est désarmée.

Mais M. Bayrou, l’Europe a été inventée pour se soumettre aux États-Unis. C’est le projet initial de J. Monnet. C’est le B.a.-Ba, aujourd’hui, on le sait tous ! Et c’est pour ça que les États-Unis ne sont pas contre l’Europe, ils sont pour l’Europe !

Vous avez écrit, dans une interview récente au Figaro, quelque chose qui est franchement impossible à soutenir. Vous avez écrit que ce que les USA ont fait pour libérer l’Europe du nazisme, c’était pour leur intérêt de marché. Et bien je dis que devant ceux qui sont morts chez nous, vous devriez retirer ces propos. Je trouve impensable que quelqu’un qui a de l’écho dans la société française, de la culture aussi, qui est marquant, puisse aller dans le sens de la thèse la plus complotiste qui existe, qui prétend que les USA, qui ont fait tant de sacrifices pour nous sauver, parce que c’est eux qui sont venus débarquer, ce n’est pas vous, ni les Russes…

S’il n’y avait pas eu les 20 millions de morts, ils n’auraient jamais cassé la machine de guerre allemande. M. Bayrou, si les Américains ne nous avaient pas empêchés, avec les Anglais, de détruire l’Allemagne après la Première Guerre Mondiale, il n’y aurait pas eu la seconde Guerre Mondiale. 

Franchement, la dérive obsessionnelle dans laquelle vous êtes…

Je ne suis pas d’accord historiquement avec vous, j’ai quand même le droit, ce n’est pas une dérive obsessionnelle ! Je ne dis pas que votre Europe est obsessionnelle, alors arrêtez !

Excusez-moi, vous n’avez pas le droit de salir…

M. Bayrou, il y a aussi des Français qui sont morts pour aider les États-Unis ! Revenons à 2016, notamment au débat de demain, qui a lieu avec les différents prétendants à l’investiture. Qu’attendez-vous de ce débat, que va-t-il en sortir ?

Je n’en sais rien, je trouve cette primaire à bien des égards ridicule. Je suis contre le principe des primaires. La manière dont on va faire dialoguer des gens qui vont avoir la parole une minute chacun… Je crains qu’il n’y ait pas grand chose qui en sorte, je pense que le débat important sera entre les deux tours, si débat il y a. Entre A. Juppé et N. Sarkozy. Là, il y aura un débat important. Le débat du premier tour, je ne vois pas très bien ce qui peut en sortir. Cela dit, je souhaite qu’il en sorte le meilleur. J’aimerais bien qu’à un moment donné, on ait l’impression d’un peu d’oxygène dans la vie politique française. 

Cela va devenir de plus en plus délétère. Comment une réconciliation, après, est -elle possible ? Entre des gens qui vont se castagner…

C’est plus profond que cela. 

Mais on se souvient de Copé/Fillon quand même en 2012. 

C’est plus profond que cela. Tout montre qu’il y a au sein de la droite française un affrontement radical entre deux visions, peut-être plus …

Mais c’est toujours les bonapartistes et les orléanistes en même temps. 

Oui, enfin je ne sais pas bien. Je ne me suis jamais reconnu dans cette différence.

Ce sont les deux droites fondamentales, c’est intéressant. 

En tout cas, s’il pouvait se faire le miracle – je vous avais dit qu’il m’arrivait de croire aux miracles – que cela prenne un peu de hauteur, de spontanéité, de rire, d’intelligence, d’authenticité…

Ce n’est plus de l’ordre du miracle, c’est carrément de la résurrection. Je voudrais évoquer avec vous quelque chose qui me semble, quand même, plus fondamental et qui engage les valeurs de la France et celles de l’Europe : ce qui se passe actuellement en Syrie via la Russie. On a appris hier que Monsieur Poutine ne se sentait pas le bienvenu, il a annulé sa visite. Je vous demande en tant que Français et en tant qu’Européen, quelle attitude il faut avoir avec Monsieur Poutine, avec la Russie, qui est coupable et actrice de crimes massifs contre l’humanité et de crimes de guerre.

C’est une question que je trouve très lourde, alors on va prendre quelques phrases. Qu’il y ait aujourd’hui en Syrie des choses épouvantables, je n’ai aucun doute que c’est vrai. Que Poutine ait décidé d’entrer dans le conflit contre Daech and co, c’est vrai.  

Enfin, ce n’est pas que Daech qui a bombardé. Il n’y a pas de combattants de l’Etat islamique à Alep. 

Est-ce que nous pouvons entrer dans un conflit avec la Russie de long terme ? Je pense qu’il faut être très prudent en face de cette perspective. Je pense que la perspective historique de l’Europe c’est d’avoir avec la Russie des relations qui soient authentiques, dures, franches quand il faut mais qui ne soient pas des relations systématiquement conflictuelles, parce que nous allons – dans cette affaire-là – faire courir de très grands risques à l’équilibre du continent européen et à l’équilibre du monde. De même que je n’ai pas du tout approuvé que François Hollande annule sa visite en Pologne parce que l’on ne peut pas être contre la Pologne, contre la Russie. Où est-ce que l’on va ? 

Mais là ce sont des populations civiles qui sont écrasées sous les bombes, qu’est-ce qu’on fait ? Vous me dites la franchise, d’accord mais en quoi consisterait la franchise envers les Russes ? Évidemment que l’on ne va pas aller envahir la Russie ni bombarder Moscou mais qu’est-ce que l’on peut faire, selon vous ? 

Je pense que l’Europe devrait avoir une présence plus concertée entre elle et une présence qui vise, en effet, à des corridors humanitaires, pour que l’on puisse sauver les populations civiles. Mais moi je n’ai jamais approuvé l’idée qui était celle concomitamment de Nicolas Sarkozy, le premier, de François Hollande, le second, et d’Alain Juppé, le troisième, où les 3 étaient d’avis de bombarder la Syrie. Je considérais, moi, que c’était une folie. Et donc, il y a là quelque chose où nous nous sommes mis, nous avons mis le monde dans une situation effroyable à la suite d’un certain nombre d’interventions dont certaines étaient françaises en Libye. 

Et l’intervention américaine en Irak. 

Je vous rappelle que je suis monté à la tribune pour soutenir J. Chirac alors que j’étais dans une situation assez conflictuelle avec lui et contre mes propres amis qui, tous, étaient pour que l’on aille avec les Américains. 

Monsieur Bayrou, vous me ravissez. Ce n’est pas ironique du tout, c’est très sérieux. Vous me ravissez pour deux raisons : d’abord sur le fond parce que – comme vous le savez, j’ai pu l’écrire – j’ai dit la même chose mais en moins bien que vous, mais surtout sur les conséquences qu’il faudrait en tirer. Parce que, quand vous nous dites que l’Europe doit avoir une position de rapprochement avec la Russie, vous parlez d’or, sauf que l’Europe, comme vous dites, c’est-à-dire Bruxelles, fait exactement le contraire, parce que l’Europe, comme vous dites est assujettie à Washington. Deuxièmement, quand vous nous dites l’Europe, quelle Europe ? La Pologne, vous comme moi, on connaît l’histoire de la Pologne, c’est une histoire tragique, ils ont été découpés en morceaux par les Russes et les Allemands et c’est normal qu’ils aient peur de la Russie, c’est tout à fait normal. Vous êtes d’accord avec moi donc nous n’avons pas la même histoire, cela a été notre allié de revers, ils nous ont sauvés en 14 et en 40. Donc il y a un vrai problème qui est un,  l’assujettissement de l’appareil bruxellois à Washington et deux, la différence tout à fait naturelle d’intérêts des États-nations européens : les Allemands font du commerce avec les Russes, donc vous avez compris. 

Je ne suis d’accord avec rien de cette dernière affirmation. Un : il n’y a pas d’assujettissement bruxellois parce qu’il n’y a pas de Bruxelles, il n’y a pas de politique européenne, il n’y a pas de politique bruxelloise, il y a une absence de politique bruxelloise. 

Mais c’est normal c’est leur philosophie. 

Alors ne dites pas le contraire. 

C’est leur philosophie, le droit et le commerce, c’est tout, alors on se couche devant Washington qui dirige. 

Excusez-moi, non. Il n’y a pas d’assujetissement, il y a une absence. Et deuxièmement, cette absence vient de quoi ? Elle vient de ce qu’il n’y a pas de voix de la France !

Vous avez mille fois raison. 

Sur les dernières années, la France a été absente. Il ne peut pas y avoir de politique européenne s’il n’y a pas une proposition française forte, c’est-à-dire s’il n’y a pas un Président de la République français - car c’est de lui que dépend la politique internationale – qui sache où il va et qui ait la force ou la puissance de le dire.

Mais vous croyez encore à l’Europe des 6 du temps du Général de Gaulle où l’Allemagne était coupée en deux et c’était la France qui dirigeait. 

Mais non. 

Mais c’est fini ce temps là. 

N’en déplaise à Monsieur Zemmour, les deux problèmes sont les crimes de guerre russes en ce moment et l’annexion de la Crimée c’est-à-dire d’une partie d’un État souverain. 

Mais la Crimée appartient à la Russie. 

Ce n’est pas Bruxelles, ce n’est pas un complot bruxellois. 

Il est temps de conclure ce débat, merci Monsieur Bayrou.  

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