"Le projet de François Fillon n'est pas au point d'équilibre des attentes de la France"

Rappelant le "respect et l'estime réciproques" qui le lient à François Fillon, François Bayrou a cependant critiqué ce matin sur France Inter tout un pan du programme économique et social du candidat de la droite.

Bonjour François Bayrou.

Bonjour.

Si on classe les sujets par importance décroissante, vous serez sûrement d’accord pour placer en haut de la pile la situation à Alep et le massacre des civils syriens. Y a-t-il encore quelque chose à faire ? 

Il y a toujours quelque chose à faire. L’idée que l’Europe est ainsi paralysée, bloquée dans son action est pour beaucoup d’entre nous insupportable. Le sentiment d’abandonner des gens dans une situation absolument tragique devrait nous faire bouger. C’est une des raisons pour lesquelles on ne peut pas s’habituer à l’idée que la France en Europe accepte un abandon.

Et donc ?

La décision d’action, d’intervention et d’expression en commun de la France et de l’Allemagne est aujourd’hui fondamentale. Vous avez vu qu’hier, nous avons eu un veto de la Russie et de la Chine au Conseil de Sécurité. Tout cela dit l’extrême dégradation de la situation que nous vivons.

La Syrie, la relation avec la Russie de Poutine… C'était aussi l’un des points de clivage les plus saillants entre François Fillon et Alain Juppé, que vous souteniez. Est-ce que cela reste un sujet d’interrogation ou d’inquiétude pour vous ? 

C’est un sujet d’interrogation pour lui. Le Président de la République française ne peut pas être en situation d’allégeance à l’égard d’un dirigeant étranger. Il ne peut pas être en situation de relation privilégiée avec une de ces puissances. Je dirais la même chose des États-Unis, si l’on avait un Président de la République française qui couvrait de louanges un Président comme Donald Trump va l’être. La ligne de la France est très simple et est fixée depuis longtemps : elle ne peut être qu’une ligne d’indépendance qui résiste à toutes les puissances. La France est un pays qui refuse la loi du plus fort. Ce pays ne peut donc pas accepter de se plier à des situations inquiétantes pour les unes, intolérables pour les autres. L’indépendance de la France, c’est la force de sa voix.

Est-ce que ce désaccord que vous venez d’afficher avec François Fillon pourrait vous décider de faire entendre votre voix dans la campagne présidentielle et de vous porter candidat ? 

Il faut voir la situation où nous sommes. Je suis pour l’alternance, je pense qu’il faut une alternance à la France. Après les cinq années que nous venons de vivre, il faut une alternance, comme je pensais qu’il en fallait une à la France en 2012. Deuxièmement, j’ai avec François Fillon depuis longtemps des relations qui sont amicales, excellentes, de respect et d’estime réciproques. Il l’a dit et je le dis. Mais nous sommes devant un projet qui pose pour moi des questions qui ne sont pas des questions d’étiquette politique mais des questions pour les Français. Peut-être ce projet lui a-t-il permis de gagner la primaire, mais ce que je sens et vois aujourd’hui, c’est que ce projet n’est pas au point d’équilibre des attentes de la France. Celle-là, cette raison, en est une. Mais il y a aussi des raisons internes, sociales, économiques, qui sont des raisons fortes à mes yeux. Décider en même temps que l'on va autoritairement faire passer les fonctionnaires de 35 à 39 heures sans les payer, supprimer la barre des 35 heures qui déclenche les heures supplémentaires et l’ISF tout en introduisant deux points de TVA… Sans compter la sécurité sociale : on va se retrouver avec des mutuelles qui vont prendre en charge le petit risque – celui qui par définition ne déséquilibre pas et permet de faire des profits – en laissant à la sécurité sociale le très grand risque... Ces questions ne sont pas des questions pour François Bayrou, ni pour le centre en France : ce sont des questions que vont poser les Français ! L'alternance elle-même peut se trouver menacée par un projet qui est – me semble-t-il - décentré. Et voilà ce que je vais dire à François Fillon quand je le rencontrerai… 

Du coup, cela serait alternance forte et radicale, puisque cela a été revendiqué par François Fillon.

Je ne crois absolument pas que la France ait besoin d’un choc de cet ordre. La France a besoin d’être rassurée. La France a besoin de voir se dégager un certain nombre de chemins qui sont fermés parce que, par exemple, l’ordre de l’administration bloque un très grand nombre de choses, parce que les chefs d’entreprise ne sont pas en situation d’investir… 

Oui, mais un grand nombre de Français rêve d’une rupture radicale et de recettes qui n’ont jamais été mises en œuvre dans ce pays…

Franchement, si l’on pense qu’il faut aujourd’hui à la France, dans la situation où elle se trouve, un choc thatchérien, alors on ne voit pas le même pays. Je vous rappelle que Madame Thatcher, quand elle est arrivée au pouvoir, a doublé le nombre de chômeurs ou presque en deux ans : de moins de 2 millions nous sommes arrivés à 3,2 millions. 

Avant que la courbe ne redescende…

Ce n’était pas la même situation du tout à cette époque. La Grande-Bretagne était en hyper inflation. Vous n’allez pas dire que la France est aujourd’hui en surchauffe ! La France, c’est exactement le contraire. J’ai dit, dans une formule que je pensais, que la France avait plus besoin d’un Roosevelt que d’une Thatcher : je pense que c’est la vérité profonde du pays et que cela peut le déstabiliser et entraîner un choc récessif. Récessif, au sens où l’on baisse l’activité au lieu de la faire monter.

On entend vos réserves à l’égard du projet de François Fillon. Est-ce que la candidature de Manuel Valls change le paysage ? Peut-on dire que c’est quelqu’un que vous voyez, avec qui vous parlez, avec qui vous pourriez vous entendre ? On a entendu par le passé les regrets de Manuel Valls du fait que les socialistes ne vous aient pas tendu la main lors de l’élection de François Hollande en 2012.

Il est tout à fait vrai que je parle avec Manuel Valls depuis longtemps. Il était Premier ministre de la France. Je parlerai avec Bernard Cazeneuve de la même manière : c’est quelqu’un pour qui j’ai beaucoup d’estime et je le dis comme c’est. Ce n’est peut-être pas l’habitude quand on n’est pas du même côté de la barrière de la majorité ou de l’opposition, mais moi je trouve que c’est un homme estimable. Je parlerai avec lui comme je parle avec Manuel Valls, mais je pense qu’il faut une alternance à la France. Je suis du côté de l’alternance et je pense que l’alternance est saine, parce qu’elle amènerait à remettre en cause un certain nombre de visions. Manuel Valls est dans un paradoxe que tout le monde voit bien : il se présente comme le rassembleur du Parti Socialiste alors qu’il a expliqué pendant des mois – à juste titre - que le Parti Socialiste comme il l’était était un frein au changement. Vous voyez que cela crée un paradoxe, une difficulté d’être, qu’il va peut-être résoudre. Nous verrons ce que la primaire va être.

Soutenir Manuel Valls, c’est forcément endosser le bilan du quinquennat.

Oui. Absolument.

Question d'un auditeur : Quel est le grand point de clivage entre Emmanuel Macron et vous ?

Il y a des forces qui, idéologiquement, ont choisi d’être dans le sens de ce mouvement général sur la planète qui est l’aggravation des inégalités. C’est une vague qui touche le monde entier et nous avons en France des mouvements qui vont dans ce sens, expliquant qu’il faut que ceux qui ont le plus d’atouts et de chances dans la vie trouvent encore plus de facilités et que ceux au contraire qui sont en bas de l’échelle doivent faire des efforts toujours supplémentaires. Il y a des forces qui expliquent que pour que cela aille mieux, il faut payer moins le travail et cela s’est focalisé par exemple sur les heures supplémentaires. Les heures supplémentaires sont un moyen, pour ceux qui sont aux 35 heures, d’améliorer leur fin de mois. Or, Emmanuel Macron, quand il était au gouvernement, tout son combat a été de faire baisser et même supprimer la rémunération supplémentaire de ces heures supplémentaires ! Il y a même eu un clash gouvernemental et c’est Manuel Valls qui l’en a empêché. Encore aujourd’hui, la première mesure qu’il propose, c’est que les jeunes travaillent plus pour gagner moins ! Je ne pense pas que ce soit la bonne voie ! Je suis pour que l’on paie le travail ! Je ne sais pas dans quelle langue ou avec quel accent je dois le dire : je suis pour que le travail en France soit mieux rémunéré ! Je suis pour que les gens qui travaillent reçoivent davantage si possible ! La question des heures supplémentaires est une question centrale. Je ne dis pas qu’il faut aggraver la charge des entreprises. J’ai proposé un système qui fait que pour l’entreprise ces heures supplémentaires soient libérées de charges à due concurrence de la prime : s’il y a une prime de 30 %, on baisse les charges de 30 %, de manière que cela ne soit pas une charge pour l’entreprise mais que pour le salarié, le travail soit reconnu ! La reconnaissance du travail est une chose pour moi absolument essentielle. Je suis du côté des gens qui travaillent et qui ne gagnent pas assez.

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