"Le phénomène des travailleurs pauvres est terriblement blessant pour la société française"

Défendant une "une vision sociale de l’avenir", le président du Mouvement Démocrate a dénoncé ce matin au micro de France Info ceux qui "baissent constamment le revenu du travail" tout en proposant des solutions simples pour remédier au phénomène des travailleurs pauvres.

Jean-Michel Aphatie - Bonjour François Bayrou.

François Bayrou - Bonjour.

Les éditions Stock publient un livre qui sera en vente à partir de demain, mais dont des extraits sont déjà dans la presse et largement diffusés sur les ondes dès ce matin. Ce livre est titré Un président ne devrait pas dire ça, c’est le résultat d’un dialogue entre François Hollande et deux journalistes du Monde, Fabrice Lhomme et Gérard Davet. Le Président de la République se livre avec beaucoup de franchise sur beaucoup de sujets ; peut-être avec trop de franchise, diront certains. Sur l’objet, la méthode, la manière dont le Président de la République peut confier beaucoup de choses à des journalistes ; avez-vous une opinion, François Bayrou ?

Je vais vous dire, il y a une chose qui m’étonne : c’est qu’il ait le temps de passer des centaines d’heures avec des équipes de journalistes diverses et variées. Quand je dis des centaines d’heures, je parle au sens propre du mot.

Vous n’exagérez pas. Il y a eu plusieurs livres effectivement, déjà.

Oui, c’est déjà le quatrième ou cinquième. Tout ça pour, entre nous, dans ce que j’ai lu ou vu, ne pas dire grand chose. Mais cette obsession de faire lui-même la chronique de son quinquennat, à l’avance, dans le but d’être publié à la fin, avec des fausses confidences… Bon, c’est quelque chose qui me surprend pour l’exercice de la fonction présidentielle. 

Donc il a le temps, vous trouvez ?

Franchement, j’ai vu vivre des Présidents de la République, mon sentiment était qu’ils n’avaient pas le temps, et que s’ils avaient le temps de se reposer un tout petit peu, ce ne serait pas mal qu’ils réfléchissent un tout petit peu ! Qu’ils lisent un tout petit peu ! Bon, qu’on choisisse un journaliste ou une équipe, un, une... Cela se discute, on peut être pour ou contre. Mais qu’il y ait ainsi une profusion d’entretiens, d’historiographies personnelles, franchement ça me surprend beaucoup, et c’est quelque chose de bizarre pour la fonction personnelle.

Sur le fond, François Hollande aborde beaucoup de sujets, notamment celui dont tout le monde parle et qui provoque des succès importants en librairie : l’Islam. Le Président a dit à Gérard Davet, à Fabrice Lhomme : « Qu'il y ait un problème avec l'islam, c'est vrai. Nul n'en doute ». Est-ce que vous en doutez vous, François Bayrou ?

La présence dans la société française de l’Islam en tant que religion qui, philosophiquement, ne fait pas de différence entre le pouvoir politique et le pouvoir religieux, spirituel, oui c’est une question pour la République.

Vous êtes totalement d’accord avec lui parce que la phrase exacte est « Il y a un problème avec l’Islam parce qu’elle veut s’affirmer comme une religion de la République ».

Oui enfin, ce n’est pas la même chose, ce que nous avons dit là. Alors peut-être puis-je rappeler que j’ai écrit sur ce sujet un livre il y a vingt ans, qui s’appelait Le Droit aux sens, juste après avoir fait la circulaire sur le voile islamique. 

Donc l’Islam peut-il être un problème ?

Sur ce point-là, c’est une question pour la République, et une question sur laquelle tout le monde en conviendra y compris l’immense majorité des musulmans de France. Nous devons être intransigeants. Notre modèle de société, notre idée de l’homme, notre modèle anthropologique – si l’on veut prendre des mots compliqués –, notre idée de l’homme c’est que précisément il y a une séparation entre l’ordre du religieux et l’ordre de la loi. L’ordre de la foi et l’ordre de la loi. Si on ne fait pas cette séparation-là, alors c’est la guerre de religions. Et la guerre de religions, on croyait que c’était fini pour des siècles.

Ce qui apparaît comme une évidence pour tout le monde aujourd’hui a été développé sous des aspects divers par le Front National pendant des années, on a dit que le Front National disait quelque chose qui n’existait pas. Donc vous vous êtes trompés, vous et d’autres, pendant des années ?

Moi je ne me suis pas trompé, je rappelle cette décision. Et je ne donne pas au Front National le privilège d’avoir dit la vérité sur ce sujet. Ce n’est pas la vérité. C’est une exploitation d’une tension dans la société française. Et moi je ne suis pas pour exploiter les tensions, je suis pour qu’à ces tensions-là, on oppose une vision qui permette aux gens de vivre ensemble, même s’ils ont des religions différentes ou des fois différentes, tout en respectant la loi commune. 

Quand même on a l’impression qu’il y a une digue qui saute, puisque vous dites que c’est l’Islam qui pose problème et pas l’islamisme l’intégrisme, etc. On a l’impression quand même que de plus en plus, une digue est en train de sauter. Vous, intégriste de la modération, vous nous dites ça ; on est surpris. 

Les musulmans de France, pour leur plus grande majorité, vivent comme nous exactement. Ils le vivent comme les républicains, exactement. La conception philosophique de l’Islam, c’est de ne pas faire de différence entre la loi civile et la loi religieuse. Et je dis que nous, dans notre modèle de société à nous, la République, et même la France depuis longtemps – depuis l’Edit de Nantes, je veux rappeler ça de mon ami Henri IV – ; depuis cette époque-là, nous avons établi une différence entre la loi civile et la loi religieuse. Cela a sauté à un moment, qui a d’ailleurs été tragique pour le pays, c’est la révocation de l’Edit de Nantes, quand Louis XIV a mis un terme a cette idée extrêmement moderne et généreuse de son grand-père, qui était de dire on va être citoyens du même pays, enfin des sujets, même si on a des religions différentes. Nous, nous avons une chose à affirmer qui est simple, nous avons un modèle de société, nous avons un modèle qu’on appelle républicain, dans lequel la foi et la loi n’appartiennent pas à la même autorité. Il y a une autorité pour la loi, c’est l’autorité civile, et il y a des autorités pour la foi dans les différentes religions et ceci est autre chose.

Alain Juppé, que vous soutenez François Bayrou, est-il en train de gagner son pari dans la primaire des Républicains ?

En tout cas les signes sont bons. Cela va dans ce sens-là. Vous savez que je n’ai jamais été très fan de la primaire.

Vous découragiez même Alain Juppé d’y aller ! Vous vous êtes trompé, en fait.

On va voir, c’est possible. Et si je me suis trompé, je saluerai sa vista. 

Il est en train, à votre avis, de remporter ce duel avec Nicolas Sarkozy ?

Oui, j’ai l’impression que tous les signes vont dans ce sens-là. Ce que les gens ressentent, ce qu’ils disent c’est qu’il y a dans les affirmations de Nicolas Sarkozy quelque chose d’outré, d’excessif. 

Il perd les pédales ?

Non je ne pense pas qu’il faille employer des mots comme ça. Nicolas Sarkzoy n’est pas un candidat anodin, il ne faut pas se tromper. Cette affaire n’est pas finie, il reste six semaines et six semaines dans une campagne électorale c’est une éternité, surtout qu’on n'a pas eu les premiers débats…

Six semaines, un débat important demain entre les sept prétendants, et un Nicolas Sarkozy qui continue à se battre et qui essaie d’attraper Alain Juppé par là où il est un peu faible, sa fameuse identité heureuse et cela ravit Nicolas Sarkozy. On va l’entendre en meeting hier en Haute-Savoie. [Extrait] Soyons ravis, il y en a toujours un dans la crèche : c’est Alain Juppé le ravi de la crèche ? Un peu naïf, un peu décalé par rapport à la réalité ?

Je pense que si Nicolas Sarkozy était en tête dans les enquêtes d’opinion et dans les sondages, ce n’est pas ce qu’il dirait. Et même s’il était rassuré, ce n’est pas ce qu’il dirait. Donc il est inquiet, il est face à un problème qui lui paraît pour l’instant insoluble. Je ne dis pas que ça va être comme ça jusqu’au bout, mais les petites amabilités, insultantes sont habituelles dans les campagnes électorales, ou du moins dans certaines campagnes électorales...

Le programme d’Alain Juppé sur le fond est très libéral : baisse d’impôt pour les riches, baisse de la TVA pour tout le monde, est-ce que ça ne vous paraît pas un peu « thatchérien » comme il est accusé parfois de l’être ? 

Non, je pense que parmi les programmes de la primaire, c’est le plus réaliste de tous…

Cela ne manque-t-il pas d’un peu de social ?

Mon avis, ma mission, en tout cas le rôle que je jouerai dans les mois qui viennent d’ici à l’élection présidentielle, c’est, lorsque la sélection aura été faite et si le candidat est Alain Juppé, d'essayer en effet de persuader tout le monde que l'on a besoin d’une vision sociale de l’avenir. Et singulièrement, on a besoin d’une vision du travail dans l’avenir, et de la rémunération du travail. J’ai été très choqué et je l’ai dit à vos micros dix fois, des décisions qui ont été prises par les lois Macron puis El Khomri sur la baisse de la rémunération de l’indemnité du travail pour le dimanche et pour les heures supplémentaires. Comme si on ne pouvait être réformateur et moderne en France uniquement en abaissant constamment le revenu du travail et la rémunération du travail. Je pense que de ce point de vue on se trompe gravement, je pense que le phénomène des travailleurs pauvres est un phénomène terriblement blessant pour la société française et je martèlerai cette idée. Et il y a des solutions simples, elles existent et j’en ai proposé quelques-unes sur les heures supplémentaires en particulier, qui consistaient à retrancher des charges sociales la prime des heures supplémentaires.

Et vous le proposerez à Alain Juppé s’il est désigné. La suppression de l’impôt sur la fortune, êtes-vous pour ?

J’ai proposé une autre approche, et on en discutera dans les mois qui viennent. Le problème de l’ISF est qu’il empêche l’investissement en France, cela sanctionne l’investissement de France, et j’ai proposé qu’on traite l’investissement dans l’appareil productif comme les œuvres d’art. C’est-à-dire que l’on garde l’ISF, on le réforme…

On change l’assiette ?

Oui, quelqu’un qui achèterait des œuvres d’art, on supprimerait cela de la base de son ISF. Pour l’investissement, ça serait pareil. 

Donc c’est une différence que vous avez avec Monsieur Juppé. Monsieur Bayrou, vous vous êtes placé vous-mêmes dans la situation où Alain Juppé l’emporte : d’où allez-vous l’influencer ? De quelle fonction, de quel poste ?

Il n’y a pas de poste dans une campagne présidentielle…

Si, si, il y a directeur de campagne, il y a plein de postes !

Alors je ne suis pas à la recherche d’un poste, je sais bien que c’est difficile à comprendre, mais je vais vous le dire tout à fait simplement. Je n’ai pas abordé cette échéance, cette élection, et encore moins cette alternance avec l’idée que ce serait un avantage pour moi, même pour ma famille politique. Ni un avantage, ni un privilège. Je ne traite pas ces questions à la première personne. Certains le font, pas moi. J’essaie, modestement et prudemment, j’espère sagement, passionnément aussi, j’essaie de choisir ce qui me paraît le mieux pour l’avenir. Toutes les conversations de tout le monde, des vôtres entre vous avant de prendre le micro, ces conversations sont d’inquiétudes graves sur la situation du pays. Si franchement, on n’est pas capable en 2017 de trouver un nouvel équilibre, un pays dans lequel les différentes opinions se sentiront mieux, dans lequel les différentes situations se sentiront mieux, on ira vers des accidents graves dont vous connaissez tous la forme. Donc je ne veux pas traiter cette question sur les avantages que je pourrais trouver.

Je vais vous parler de Vladimir Poutine qui ne viendra pas à Paris, est-ce que le président Hollande a eu raison d’adopter une attitude ferme vis-à-vis de lui, certainement la plus ferme dans le monde occidental aujourd’hui ?

J’ai trouvé la présentation que François Hollande a faite dans une émission de divertissement sur ce sujet… 

Quotidien sur TMC. 

J’ai trouvé que c’était léger. On a besoin d’avoir de l’attachement aux principes et au rappel de ces principes. Cependant, la Russie – et le président de la Russie – doivent être pour nous, France, et pour nous, Europe,  des interlocuteurs, des interlocuteurs de premier plan parce qu’il n’y a pas d’avenir pour l’Europe dans un affrontement avec la Russie. Et il n’y a pas d’avenir pour le monde dans un affrontement entre la Russie, les Etats-Unis, et l’Europe. Cette espèce de focalisation là est, pour moi, dangereuse. 

Allez-vous accepter qu’il vienne à Paris ? 

Oui, bien sûr. Et je lui aurais dit clairement – et les yeux dans les yeux et en face – les réserves et les interrogations et les réticences que m’inspiraient les choix de la Russie. 

Monsieur Bayrou, les avocats de Salah Abdeslam ont annoncé ce matin qu’ils ne défendraient plus leur client. Ce qu’ils pointent est le fait qu’il ne parle pas donc ils ne peuvent rien en faire. Il y a aussi la question des conditions de détention de Salah Abdeslam. On va écouter Maître Berton, c’était ce matin. 

Maître Berton : « Lorsque chacun scrute, même un surveillant, 24 heures sur 24, à la caméra infrarouge, même la nuit vos faits et gestes, vous devenez dingue. Et ça, c’est une conséquence d’une décision politique »

Voilà c’état Maître Berton sur BFMTV ce matin. Votre réaction ? Est-ce que lorsque l’on parle des conditions de détentions de Salah Abdeslam cela vous choque ou vous dites « oui, il faut en parler » ? 

J’ai entendu sur votre antenne l’avocate des familles qui ont perdu un enfant, et j’ai trouvé que ce qu’elle disait était très fort. Elle disait « nous on veut une seule chose c’est qu’il soit à son procès », c’est-à-dire qu’il n’attente pas à ses jours et pour qu’il n’attente pas à ses jours, il faut qu’il y ait une surveillance. 

Mais globalement les avocats parlent de conditions dégradantes en fait. C’est toujours compliqué de parler de conditions dégradantes pour un détenu de ce type mais cela a du sens quand même. 

En tout cas, moi, je pense que l’exigence des familles des victimes que cet homme ne puisse pas se soustraire à la justice est une exigence justifiée. Et mon chagrin ou ma sollicitude va à ceux-là, qui ont tout perdu et qui se trouvent aujourd’hui sans même l’assurance ou la certitude qu’il pourrait y avoir un procès si l’on ne faisait pas attention. 

Cela vous paraît primer sur le reste. 

Non, le droit est le droit, et je suis pour le respect du droit. Le respect du droit passe par la décision d’un juge. Dans cette affaire, il y a eu la décision d’un juge, et donc, moi en tout cas, je ne veux pas entrer dans ce type de réflexion qui crée un malaise. 

Vous avez participé, François Bayrou, à l’émission de Karine Lemarchand, « Une ambition intime », qui est diffusée sur M6. Le dialogue que vous avez eu avec elle sera diffusé, normalement, autour de la fin novembre. Cette émission suscite beaucoup de critiques, pourquoi y avez-vous participé ? 

Écoutez, je lis les polémiques et, franchement, je suis extrêmement surpris par ces dernières. Je n’ai pas vu l’émission. 

Vous ne l’avez pas vue dimanche dernier ? 

Non. 

Et on ne vous a pas montré le résultat du dialogue que vous avez eu avec elle ? 

Mon équipe si, mais pas moi, parce que je n’ai pas eu le temps. Mais ce que j’ai ressenti de ce dialogue était quelque chose de très respectueux, à la fois grave quand il fallait et primesautier quand il fallait aussi, ou quand c’était possible. Au fond, quel est l’argument de cette l’émission ? C’est de montrer les femmes et les hommes derrière les responsables politiques. 

 

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