"La vérité est la clé de l’adhésion du peuple aux changements nécessaires"

François Bayrou était ce matin l'invité de Jean-Jacques Bourdin dans l'émission Bourdin Direct, diffusée sur BFMTV et RMC. L'échange a permis d'aborder réforme de l'État et des institutions, en ce contexte d'effervescence politique post-sénatoriales.

Jean-Jacques Bourdin - François Bayrou est notre invité ce matin. Bonjour ! Vous quittez Pau pour venir à Paris parler politique nationale. Pourriez-vous être président du Sénat ou sénateur ?

Non. J’ai pris une orientation, un engagement : c’est que je ne cumulerai pas. Le mandat de maire d’une grande ville et président d’agglomération est un mandat qui se suffit à soi-même.
Bien entendu, je n’abandonne pas mes responsabilités d’homme politique national, la situation de notre pays étant si mauvaise en dépit des analyses précises et des avertissements multipliés dont j’ai essayé de persuader le monde politique français depuis des années. Maintenant, nous sommes devant un risque majeur. 

La France est-elle en danger ? 

La France, depuis des années, va tout droit à l’accident.

Accident ou catastrophe ?

La France risque de plus en plus chaque jour un accident grave, systémique ou sismique, parce que nous nous sommes assis sur une montagne de dette dont pour l’instant nous n’arrivons pas à sortir, à cause d’une politique qui n’est pas clairement définie et qui à mon sens mérite d’être changée.

Gérard Larcher sera élu président du Sénat. Il l’a déjà été de 2008 à 2011. Est-ce à vos yeux une défaite pour Nicolas Sarkozy ? 

Je ne suis pas dans les arcanes et je n’ai pas l’intention de faire des commentaires de cet ordre. Mais vous voyez bien qu’il y avait un mouvement d’interrogation au Sénat : est-ce que l’on est plus près des attitudes partisanes et du soutien à une personnalité ou est-ce qu’au contraire on prend de l’indépendance ? Sur ce point, je crois qu’une indépendance a été affirmée par rapport aux intérêts partisans et je pense que c’est sur cela que s’est jouée cette élection.

La dette : 2023 milliards d’euros, c’est un chiffre record. Mais l’Allemagne et l’Italie sont plus endettées que nous !

Non, l’Allemagne n’est pas plus endettée que nous. 

Si, elle est à 2065 milliards.

Oui, mais entre un pays de 65 millions d’habitants et un pays qui en a 30 % de plus, ce n’est pas la même chose !

Oui, c’est vrai. Sauf qu’aujourd’hui, nous sommes devenus le premier pays emprunteur au monde. Le pays qui emprunte le plus au monde, c’est la France !

Il faut que vous ayez un chiffre en tête : la France a besoin d’emprunter, chaque jour ouvrable, un milliard d’euros. Je vais le dire autrement : la France chaque jour doit emprunter 1 000 millions d’euros ! 1 000 millions d’euros tous les matins pour faire fonctionner notre système ! Attention, pas pour construire des chemins de fer, des canaux, des routes performantes, pas pour améliorer la vie des gens... Uniquement pour faire fonctionner notre machine d’État, de sécurité sociale, pour payer les feuilles de sécurité sociale, pour payer les fonctionnaires ! Nous nous endettons pour le train de vie courant ! Si on n’a pas cela en tête, alors on ne voit pas la dimension de ce risque qui nous rattrape aujourd’hui et je le répète – je ne dis pas cela par volonté de parler à la première personne – j’ai mené ce combat depuis bien longtemps !

Thierry Breton me disait la même chose tout à l’heure.

Et bien ça fait deux !

Mais cela veut dire que tous les responsables politiques nous ont trompés ? Ils nous ont trahis sur ce terrain-là ? 

Tous les gouvernements successifs de droite et de gauche, depuis des années, ont puisé dans cette facilité qui consistait à aller tous les jours à la banque pour acheter de quoi vivre au-dessus de ses moyens. C’est comme cela que ça s’est passé. Mais ce n’est qu’un aspect des choses. Je voudrais simplement ouvrir une porte sur la discussion que nous allons avoir après. Il ne suffit pas de déplorer la situation : il faut aussi que nous pensions à la politique différente qu’il faut mener pour sortir de cette affaire.

Je regardais les chiffres annoncés par le gouvernement : la croissance est de 0,4 % cette année nous dit-il. 1 % en 2015 ce sont ses prévisions ; 1,7 % en 2016 ; 1,9 % en 2017. Est-ce raisonnable ? 

Non, est-ce crédible ? Non, ce n’est pas crédible ! La barre des 3 % est déjà extrêmement élevée. Tout le monde choisit ce pourcentage qui est le rapport du déficit à la totalité de la production du pays. Mais ce n’est pas comme cela qu’il faudrait que l’on réfléchisse ! La vraie mesure c’est ce que l’État ou la collectivité publique dépense par rapport à ce qui rentre dans les caisses. C’est comme une famille dans laquelle il rentrerait tous les mois 90 et qui dépenserait 100. C’est exactement la situation dans laquelle nous sommes. Et donc cette mesure de 3 %, 4 %, 4,5 %, 5 % est une mesure un peu trompeuse.

On a fait le constat. Il y a des solutions ?

Oui.

Je vois François Fillon qui annonce ce matin qu’il faut faire 110 milliards d’économies en cinq ans, il faut supprimer 600 000 postes de fonctionnaires, il faut passer le temps de travail de 35 à 39 heures dans la fonction publique… et il a d’autres propositions. Nicolas Sarkozy dit, lui, qu’il faut revenir sur le statut des fonctionnaires. Qu’avancez-vous comme idée ? 

L’idée qu’il suffirait de faire des coupes à perpétuité et constamment aggravées, dans une organisation des collectivités locales que l’on ne change pas, dans une situation de la sécurité sociale à laquelle on ne réfléchit pas ou en tout cas que l’on ne change pas de manière substantielle finira par échouer. Ce n’est pas seulement avec la serpe ou le sécateur que l’on peut reconstruire un pays. 

Alors comment fait-on ? 

Premièrement, il n’y aura pas d’économie substantielle sans changement de l’organisation de l’État, des collectivités locales, de la sécurité sociale. Je prends un exemple très simple : on a dit il y a quelques mois « quelque soit l’attachement que l’on a pour les cadres séculaires du pays, on va remplacer les conseils généraux par une autre organisation ». On ne peut pas avoir à la fois les villes et les communautés d’agglomération, puis au-dessus les départements, puis ensuite les régions, puis ensuite l’État puis ensuite l’Europe. Cette organisation à cinq étages mérite d’être revue. Beaucoup de gens, dont moi, disent « C’est bien, c’est un changement qu’il est nécessaire de mener ». Qu’est-ce qui se passe ? Il se passe qu’au bout du compte, après trois ou quatre mois de réflexion, Manuel Valls a annoncé lors du débat à l’Assemblée nationale que non seulement on ne supprimerait pas les conseillers généraux, mais qu’on en aurait désormais de trois sortes : des conseils généraux fusionnés à la métropole, des conseils généraux organisés avec des communautés d’agglomération et des conseils généraux que l’on maintiendrait en l’État. Qui peut s’y retrouver ?

Cela veut dire que les pouvoirs sont faibles ?

Je vais vous dire : pour moi, le plus frappant, c’est que les pouvoirs manquent de vision. Exemple : les régions. On vient d’annoncer une réforme des régions qui est délirante ! Elle ne fera pas une seule économie et elle changera ou bouleversera ce qu’est l’idée même de région. Songez que l’on va mettre Pau, Bordeaux, Limoges et Bressuire dans la même région. Vous croyez que c’est la même région, vous ? Il y a 500 kilomètres entre Pau et Limoges, il y a 500 kilomètres entre Pau et Bressuire. Vous croyez qu’il y a une identité culturelle ? Qu’est-ce que c’est une région ? Une région, ce sont des communautés humaines qui ont la même histoire et la même identité et qui donc choisissent avec la même volonté leur propre destin. Donc tout ceci est en train d’échouer. Il n’y aura pas d’économie, il n’y aura pas de meilleure organisation de la dépense sans une organisation différente et revue ! 

Cela veut dire qu’il faut tout bouleverser ? Les institutions, l’aménagement du territoire, il faut tout bouleverser si j’ai bien compris. Le fonctionnement de l’Etat.

Je vais vous donner 2 exemples. Dans la Sécu, vous savez bien que l’organisation des urgences ne va pas. Vous savez bien que 3 cas sur 4, même 4 cas sur 5 de ceux qui viennent aux urgences y viennent parce qu’ils ne trouvent pas un accueil auprès d’un médecin généraliste, d’un pharmacien qui simplement dira « Là vous avez une angine, voilà ce qu’il faut prendre » et donner un antibiotique, pour que l’angine passe si elle est bactérienne.
Il y a là un enjeu de 4 ou 5 milliards, en tout cas 3-4-5 milliards. C’est très simple à faire, pour l’instant c’est fait expérimentalement mais ce n’est pas répandu.
Deuxièmement, vous croyez que c’est raisonnable d’avoir l’organisation au sommet de l’Etat que nous avons, d’avoir l’Assemblée nationale à 577 ? J’ai proposé que l’on mette 400 à l’Assemblée nationale et 200 au Sénat. 

Vous seriez favorable à la suppression du Sénat ?

Non, je ne pense pas qu’il faille le faire de cette manière là.

Pourquoi pensez-vous que ce n’est pas raisonnable ? Pourquoi doit-on être raisonnable aujourd’hui ? 

Tous les pays qui marchent ont 2 chambres.

Mais il y a des pays qui ont supprimé, la Suède par exemple.

Regardez l’Allemagne, elle marche bien et a 2 instances pour examiner la loi : l’une qui représente les citoyens et l’autre qui représente les organisations régionales ou les grandes villes. Et on peut le faire à beaucoup moins d’argent.
Est-il d’ailleurs raisonnable d’avoir un Conseil économique et social ? Qui sait ce que délibère, vote, dit le Conseil économique et social ?

Que peut-on faire ? On peut diminuer de 30% de l’Etat, globalement ?

30% c’est trop. Mais on peut, sans le moindre doute pour moi, arriver à une organisation qui dépense moins et serve mieux. Rendre plus de services, faire mieux son travail. Le 2e chapitre que je veux ouvrir devant vous, sur la question principale, peut-être même plus encore que les économies, c’est « Est-ce que cet Etat - son école, ses services de santé, de sécurité - fait son travail ? » Ma réponse est qu’il ne suffit pas de faire des économies par une réorganisation – ce qui est nécessaire – mais il faut, deuxièmement, repenser pour que les choses marchent mieux. Exemple typique l’école. Vous ne pouvez pas dire que l’école fait son travail quand elle se trouve à laisser 30% des élèves sans la lecture, l’écriture, le calcul, les instruments élémentaires de l’économie.

Vous êtes favorable à la fin du redoublement ? Vous avez été Ministre de l’Education nationale. Vous me direz c’est une parenthèse.

C’est une petite chose, peut-être cela permet de faire des économies. Mais ce qui m’intéresse c’est est-ce que cela sauve les élèves ou pas. Vous savez, très souvent lorsque l’on redouble dans l’enseignement secondaire, il arrive que cela soit utile. C’est marginal. Mais c’est surtout parce que ce sont les acquis, les outils pour que les élèves se débrouillent dans le monde, les connaissances élémentaires dans la compréhension de ce que l’on vit, n’existent pas. Est-ce que redoubler leur rend ces outils ? Je ne le crois pas.
Après le bac, quand on rentre à l’Université, les 30 ou 40% d’étudiants qui se trouvent perdus complètement, n’y a-t-il pas une organisation différente à penser, par rapport au lycée, à la fin des études secondaires ? Vous voyez bien que si l’on veut que la France s’en sorte, il ne faut pas seulement qu’elle dépense moins dans son action publique – ce qui est indispensable – mais il faut surtout qu’elle produise mieux, qu’elle soutienne mieux ceux qui pensent l’avenir, ceux qui cherchent, entreprennent, découvrent, prennent des initiatives. 

Mais chaque fois qu’un gouvernement, quel qu’il soit, propose des réformes, il se heurte. Regardez les pilotes de ligne, toutes les professions règlementées, c’est ce qu’on va vous répondre. Dès que l’on met en cause, en France, un privilège, un avantage acquis, il y a protestation.

Je ne crois pas du tout à cette impasse, à cet enlisement. Le jour où vous aurez un pouvoir qui aura une vision claire, l’assentiment du peuple – c’est très important – qui aura non pas menti – ce qui est le cas de tous les pouvoirs depuis des années.

Ce sont des menteurs, tous les responsables politiques depuis des années, François Bayrou ?

Ils se sont tous fait élire avec des promesses intenables, ce qui est une forme avérée et nuisible de mensonges. Vous savez que mon dernier livre s’appelle De la vérité en politique, parce que je pense que la vérité est la clé de l’adhésion du peuple aux changements nécessaires. Le jour où vous aurez ce pouvoir, ce leadership, vous aurez des institutions compréhensibles par tout le monde, des débats que l’on pourra suivre, une manière de prendre des décisions dans lesquelles les citoyens sentiront qu’ils sont pris au sérieux, là vous aurez adhésion aux changements nécessaires. Et le jour où vous avez de grandes difficultés sur un grand sujet, que fait-on ? On fait un référendum.

C’est ce que propose Nicolas Sarkozy. 

Oui, enfin Nicolas Sarkozy a fait peu près exactement le contraire par exemple sur le référendum sur l’Europe. Parce qu’il avait été mal expliqué, le peuple a dit non, alors il a détourné le référendum. 

François Bayrou, j’ai encore quelques questions politiques à vous poser. Bruno Le Maire a proposé une Charte pour l’organisation d’une primaire ouverte à la droite, au centre, et même aux déçus de François Hollande, vous faites la même proposition ?

Non, je suis moins enthousiaste que beaucoup de gens pour les primaires. Je pense que les primaires c’est assez souvent une organisation de gens qui se reconnaissent dans un camp, hors la France aujourd’hui n’a pas besoin de camp. 

Mais si vous ouvrez les primaires aux centristes, à l’UDI, au MoDem, aux déçus de François Hollande, pour désigner le candidat de la droite et du centre.

Je ne crois pas que droite et centre doivent être systématiquement la même chose. Vous comprenez cela.

Donc vous pensez qu’à l’UMP ou au futur parti crée par le nouveau président de l’UMP, qui sera probablement Nicolas Sarkozy, doit organiser ses propres primaires ? Pas avec le MoDem ou l’UDI ? 

Non je ne dis pas les choses comme cela, je ne sais pas ce que l’avenir sera ni quelle sera la situation du pays et ce que l’on sera obligé de faire. Je ne ferme pas les portes, je dis une seule chose : c’est que la droite comme on dit, l’UMP, la gauche comme on dit, le PS, ont montré leurs échecs conjoints et successifs depuis des années. On a besoin d’une vision nouvelle. Si l’on dit « Mesdames et Messieurs, ne vous inquiétez pas, désormais votre voix va être prise dans un ensemble où vous ne pourrez pas vous exprimer », au fond vous vous ralliez à ce que sera la décision de vos voisins. Et bien vous ne faites pas progresser la réflexion et la démocratie.

Cela veut dire quoi ? Vous souhaitez l’élargissement et la construction d’un grand centre, c’est un vieux rêve, François Bayrou.

Ce n’est pas un rêve, c’est une nécessité. Je souhaite que le centre français prenne conscience de sa force, qu’il s’unisse et qu’il ose proposer aux Français le projet dont le pays a besoin.

Avec peut-être Alain Juppé comme compagnon de route.

En tout cas, Alain Juppé est quelqu’un d’estimable avec qui je crois nous pouvons travailler.

J’imagine, oui je peux l’imaginer que vous soyez capable de travailler avec Alain Juppé. Vous l’avez dit. Et même former un ticket présidentiel.

Non, Jean-Jacques Bourdin. Il n’y a pas de ticket à l’élection présidentielle.

Mais aux Etats-Unis, cela existe.

Oui,  aux Etats-Unis il y a un Président et un Vice-Président, ce ne sont pas les mêmes institutions.
La vertu et la force de l’institution présidentielle c’est un homme qui se présente devant le peuple seul et pas avec le poids des attaches et des dépendances partisanes avec les uns ou les autres, il a des amis, des équipes. C’est très bien mais chaque fois que l’on envisage un ticket on se trompe sur l’institution et la démocratie française.

J’ai une dernière question : est-ce que vous soutenez Hervé Morin à la présidence de l’UDI ? 

Je ne prends pas partie sur la présidence de l’UDI.

C’est pourtant votre candidat préféré.

Je connais très bien Hervé Morin mais j’en connais d’autres, Jean-Christophe Lagarde, ce sont des hommes qui ont été dans mes équipes.

Qui a votre préférence ? Pourquoi ne pas le dire ? 

Je ne veux pas prendre parti parce que ce n’est pas mon parti. Je ne suis pas adhérent à l’UDI, si je l’étais, je le dirai. Mais il se trouve qu’il y a 2 courants politiques, l’UDI avec plusieurs petites composantes, et le MoDem qui est plus unitaire, qui forment ensemble le centre français. Ce que je demande, ce que je veux, et à quoi je jugerai celui qui sera élu c’est de savoir s’ils veulent l’unification du centre français ou pas. Je suis pour l’unification du centre pour qu’il soit enfin une voix écoutée  qu’on puisse écouter, qui ne soit pas tout le temps en train de se disputer et qu’il puisse parler au pays et être un apport pour tous les citoyens qui se disent « On ne va tout de même pas être obligé de choisir entre 3 impasses – j’avais appelé ça le triangle des Bermudes – entre l’extrême-droite, l’UMP et le PS. Il y a d’autres choix nécessaires pour le pays.

Merci François Bayrou.

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