"La République ne peut pas vivre si elle ne respecte pas un minimum de principes !"

Face à l'effondrement du pouvoir et aux difficultés politico-judiciaires touchant l'opposition, François Bayrou a appelé tous les hommes de responsabilité à reconstruire ensemble le pays.

Guillaume Durand - Considérez-vous comme le pensent un certain nombre des amis de Nicolas Sarkozy qu’il est victime d’un acharnement ?

François Bayrou - Je vais vous dire quelque chose qui ne vous surprendra pas : je n’ai aucun élément sur cette affaire. J’ai affronté Nicolas Sarkozy sur beaucoup d’affaires, je me suis battu contre un certain nombre de pratiques...

Vous avez même écrit un livre sur le sujet, vous l’avez qualifié "d’enfant barbare" dans un ouvrage qui s’appelait Abus de pouvoir.

Oui, et je maintiens qu’il y a des pratiques qui sont incompatibles avec l’idée que nous nous faisons d’une République qui est juste et équilibrée. Mais sur cette affaire je n’ai absolument aucune information.

Mais est-il normal qu’un ancien Président soit écouté ? Est-il normal qu’un ancien Président soit d’abord auditionné par la police pendant des heures avant d’affronter les juges d’instruction en pleine nuit ?

Un ancien Président, c’est un citoyen comme les autres. La question est la suivante : est-ce que les écoutes sont normales dans un certain nombre de situations juridiques ? J’imagine que les tribunaux auront à le dire. Mais l’affirmation selon laquelle un ancien Président de la République n’est pas un citoyen comme les autres est évidemment une affirmation hors de propos. D’ailleurs j’observe que les amis de Nicolas Sarkozy ne l’ont pas non plus affirmé. Moi je suis du côté de la défense de ces citoyens.

Je comprends cette argumentation. Je remarque que ce matin vous êtes prudent, mais il y a quand même derrière tout ça une volonté d’humiliation politique. Quand on laisse un personnage politique quel qu’il soit face à la police pendant des heures…

Je n’ai jamais pensé de ma vie que nous devions accréditer l’idée que la justice était aux ordres de qui que ce soit, ni de la majorité, ni de l’opposition. Comme vous le savez il y a eu des procès dans tous les sens.

Personne ne le croit.

Vous ne le croyez pas, mais moi qui ai été responsable de l’éducation civique des jeunes Français pendant longtemps, je tiens à l’idée que nous devons avoir une justice qui a ses propres règles, ses propres raisons, ses propres lois et les respectent.

Sur le plan de la séparation des pouvoirs, personne ne le nie. Ce qui s’est passé de particulier, c’est que lui-même s’en est pris à la justice. Il y a eu ce fameux mur des cons, il y a d’une certaine manière un aller-retour entre deux institutions : la présidence de l’époque et l’institution judiciaire qui n’ont pas été normales.

Chaque fois que vous trouverez une action des juges ou des magistrats qui sera influencée d’une manière ou d’une autre par une opinion, favorable au pouvoir comme cela s’est produit un certain nombre de fois, ou défavorable au pouvoir, vous me trouverez sur leur chemin. Je sais bien que tout le monde considère que les principes sont à jeter à la poubelle, moi pas.

Donc vous ne vous acharnez pas sur Nicolas Sarkozy ce matin et vous ne voulez pas prononcer un acte de décès politique ?

Absolument.

Est-ce que vous considérez que cette affaire judiciaire plus le fait que cela va trainer est une sorte d’acte de décès politique qui ne porte pas son nom ?

Je ne crois absolument pas à ce genre de choses. Nicolas Sarkozy est quelqu’un qui a du ressort et parfois même de l’acrimonie dans le ressort, donc je ne crois absolument que ce soit tracer une croix sur lui. Il y a une chose que je veux répéter car c’est quand même le cœur des affaires : la raison pour laquelle je me suis opposé à Nicolas Sarkozy, c’était pour défendre un principe qui est que la loi est la même pour tous. Elle est la même pour les puissants et pour ceux qui ne le sont pas. Ce principe et le refus de l’idée que la fin justifie les moyens sont pour moi l’axe de mon engagement politique. On va en avoir un immense besoin. Vous vous rendez compte à la place où vous êtes que pour l’opinion publique, les Français, les citoyens, les familles, leur idée de la politique est considérablement atteinte, blessée, bouleversée par tout ce qui est en train de se passer, du côté du pouvoir comme du côté de l’opposition. Il y a donc une responsabilité de ceux qui se ressentent, qui veulent être ou qui doivent être des reconstructeurs de la politique du pays.

Est-ce que vous considérez a contrario que c’est un rebond pour lui ? Une source de motivation ?

Non, je pense que s’il avait pu éviter cela, il l’aurait éviter.

Est-ce que vous pouvez imaginer ce matin qu’il puisse vouloir prendre la présidence de l’UMP en septembre ?

C’est l’affaire de l’UMP et la sienne. Je pense que Nicolas Sarkozy, qui a des qualités d’énergie et de combat très grandes, peut tout à fait faire un choix et ce n’est pas mon affaire. La question ce n’est pas Nicolas Sarkozy, ce n’est pas les partis. La question est la suivante : le pays dans l’état où il est, de quelle manière va-t-on agir pour entrer dans une reconstruction crédible ?

En lisant les journaux, les « sarkozistes » disent qu’il y a un accord entre Juppé et Bayrou et que les deux hommes se délectent tranquillement de ce qu’il se passe en prenant un air vertueux mais qu’au fond d’eux-mêmes, derrière le masque, il y a une jubilation.

Vous vous trompez, et je vais vous dire pourquoi.

Il n’y a pas d’accord entre Alain Juppé et vous ?

J’ai avec Alain Juppé une rencontre de valeurs, une manière d’aborder la vie politique depuis longtemps, un respect mutuel je crois, en tout cas une entente sur le fond. Et j’espère que tout cela, qui est de bon aloi, peut être un jour utile. Mais il est faux qu’il y ait dans cette vision de la politique la moindre satisfaction de voir les choses qui se passent.

Permettez-moi une phrase sur les années écoulées : j’ai pris beaucoup de risques personnels pour que la politique et le pouvoir cessent d’être ce que nous découvrons tous les jours. J’ai fait des choix extrêmement difficiles pour moi et extrêmement lourds en terme de conséquences politiques. Beaucoup disaient « sa vie politique est finie ». On a vu que ce n’était pas vrai et d’une certaine manière, il est heureux que les choix citoyens puissent être consacrés par le suffrage universel. Mais j’ai pris beaucoup de risques parce que la République faisait honte depuis des années. L’expression n’est pas de moi, mais d’un écrivain.

Je me mets à la place des gens qui défendent Nicolas Sarkozy dans cette affaire, ils se disent d’une certaine manière il fait le gentil et puis maintenant il dit au fond la République a été gérée d’une manière honteuse pendant des années, il y a une sorte de double discours.

Il n’y a pas de double discours ! Il y a un seul discours : la République ne peut pas vivre si elle ne respecte pas un minimum de principes et on ne pourra la reconstruire que si on a en tête que ces principes doivent être mis au premier plan. La vie politique française vit avec l'idée selon laquelle la fin justifie les moyens. Cette idée est pour moi un ennemi personnel.

Est-ce que vous considérez avec le recul que le fait que vous ayez pu donner la possibilité à la gauche d’accéder au pouvoir n’est pas, contrairement à ce que vous avez dit tout à l’heure, une sorte de risque historique que vous avez fait jouer à la France ? Regardez l’état du pays, les 2000 milliards de dette…

Non. Ce que nous sommes en train de vivre est précisément historique, parce que c’est la vérification que l’idéologie qui était celle de la gauche française est totalement inadaptée à la situation du pays.

Vous avez des regrets ?

Je n’ai aucun regret parce que quand je fais les choses, c’est en sachant ce que je fais. La gauche dans son programme et dans sa vision de son avenir se trompait. Elle va être obligée d’en prendre acte, elle en train de vivre un échec historique. On a le double effondrement du pouvoir et des difficultés de l’opposition. Ce double effondrement est un appel. Les gens qui croient que la France a un avenir doivent pouvoir se se retrouver car il n’est pas vrai que l’avenir de la France se jouera camp contre camp ou parti contre parti.

Est-ce que ça veut dire que ça s’organise autour d’une reconstruction MoDem – UMP version Juppé ?

Non, je ne veux pas faire une affaire partisane, le moment n’est pas là. Mais oui, je pense que tous les hommes de bonne volonté, d’expérience, de capacité, d’enthousiasme, un jour ou l’autre devront s’asseoir autour de la même table pour reconstruire l’avenir du pays.

Est-ce que vous croyez que François Hollande est tellement coincé qu’à terme, même si les frondeurs se sont calmés, il va y avoir dissolution ? Deuxième question : Manuel Valls ce matin dans Les Échos a dit « ca suffit le compte pénibilité ». Il y a beaucoup de choses qui sont remises en cause. Est-ce que vous avez l’impression que la gauche est en train de manger son chapeau un peu sous l’égide de Manuel Valls pour essayer de sauver la situation ? Dissolution et sauvetage ?

Je pense, pour commencer par la seconde question, que le principe de réalité est en train de faire faire aux gauches françaises une révolution intellectuelle à partir de laquelle elle aura beaucoup de mal à rebâtir, et cela va durer pendant longtemps. Je pense que Manuel Valls a cela à l’esprit.

On est dans une crise politique si profonde qu’il n’y a que trois manières d’en sortir : la première c’est le référendum. J’ai pensé qu’il fallait le faire, je l’ai recommandé à François Hollande, il n’a pas voulu le faire. Aujourd’hui cela me paraît impossible, trop tard. Deuxièmes solution : la démission du Président de la République. Ce serait l’effondrement. Troisième solution : la dissolution, ce qui voudrait transmission du pouvoir à l’opposition et entrer dans une phase de cohabitation préilleuse. Voilà la situation dans laquelle nous sommes et voilà pourquoi ceux qui ont un minimum de conscience et de responsabilité doivent me semble-t-il réfléchir attentivement et décider de travailler ensemble. Ce n’est pas les uns contre les autrres que nous construirons !

Merci beaucoup François Bayrou d’être venu ce matin. Je vous rappelle que cet entretien était programmé depuis un certain nombre de temps, avant les affaires politico-judiciaires de ces derniers jours.

 

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