"La République corruptible", avec Jean Garrigues et François Bayrou

Mardi 14 mai, vous avez débattu avec Jean Garrigues, historien contemporanéiste, et François Bayrou du thème de la République corruptible. Revivez cet événement en vidéo et grâce à la synthèse rédigée par les étudiants du MoDem Sciences Po.

A la suite d’une brève introduction de François Bayrou, Jean-Pierre Rioux a pris la parole pour présenter plus précisément M. Garrigues et le sujet de son intervention. Jean Garrigues, également président du Comité d’histoire parlementaire et politique (CHPP), est un des meilleurs spécialistes de l’histoire des centres en France et de l’histoire des relations entre mondes politique et économique, sujet qui intéressait particulièrement la nombreuse assistance ce soir, puisque le débat portait sur la République face aux tentatives et tentations de corruption. Le contexte explique en partie la tenue d’un tel débat, alors que, d’un côté, Jérôme Cahuzac vient de réapparaître sur le marché de Villeneuve-sur-Lot, alimentant les spéculations sur son éventuel retour à l’Assemblée, et que, de l’autre, on se dirige vers un non-lieu dans l’affaire Woerth-Bettencourt. Sans parler des affaires Guéant et Tapie-Lagarde… Avant de laisser la parole à l’invité, Jean-Pierre Rioux indique que celui-ci est l’auteur, entre autres œuvres sur ces sujets, d’un récent article sur l’affaire Cahuzac, paru dans la revue Réforme datée du 11 avril 2013, et que son collègue Pierre Lascoumes a commis en 2011 un ouvrage sur « Une démocratie corruptible », dans la collection « La République des Idées ».

La corruption en politique, un phénomène ancien

Pour Jean Garrigues, ces affaires posent plusieurs questions, notamment celles de la culture de l’opacité, du rôle des contre-pouvoirs, des vertus thérapeutiques des scandales et de leur exploitation politique. Avant d’aborder plus précisément ces questions dans la France d’aujourd’hui, l’historien Jean Garrigues rappelle que le phénomène de dénonciation de pratiques de corruption est ancien. M. Garrigues le fait remonter jusqu’à l’antique République romaine, quand le magistrat Verres fut accusé de détournement de fonds et d’abus de pouvoir par l’accusateur public Cicéron, dans la figure duquel l’historien voit les traits mélangés d’Edwy Plenel et d’Eva Joly ! Dans les régimes autoritaires, la corruption est bien réelle mais on parvient à la cacher, il en va différemment des démocraties, où celle-ci est plus difficile à dissimuler. De nombreux scandales ont ainsi émaillé la vie politique française depuis deux siècles. Les conjonctures de crise comme celle que l’on vit actuellement constituent des terreaux fertiles pour qu’éclatent les affaires. On pense notamment aux années 1930 et 1980. A l’inverse, les Trente Glorieuses, cette période de prospérité qu’a connu la France entre 1945 et 1975, ont été relativement épargnées. Jean Garrigues observe que cela nourrit les populismes (la droite nationale au moment du scandale de Panama, le poujadisme, Le Pen…) et suscite une suspicion généralisée vis-à-vis de la classe politique dans son rapport à l’argent, phénomène que l’historien associe, s’agissant de notre époque, au culte de l’argent pratiqué par Nicolas Sarkozy. Désormais, la tolérance de l’opinion est limitée.

De la dénonciation de pratiques individuelles à celle d’un système

Pour Jean Garrigues, il faut distinguer entre la dénonciation de comportements individuels et celle d’un système. Sous la IIIe République, dans le cadre de l’affaire de la vente de légions d’honneur et de l’affaire Panama, on cible des individus. L’historien estime qu’on s’est ensuite progressivement dirigé vers la dénonciation d’un système.

Il y a un double héritage historique qui explique la dénonciation des pratiques de corruption : d’une part la diabolisation de l’argent entretenue pas l’Eglise catholique mais aussi la gauche et, d’autre part, le besoin d’éthique ou d’intégrité de la tradition républicaine. En conséquence, l’affairisme, le clientélisme, les abus de biens sociaux, le favoritisme à l’égard d’intérêts financiers, la confusion des genres, tout cela apparaît scandaleux. Parfois, il est plus question de légèreté que d’une réelle volonté d’être corrompu. On prend ses aises avec la loi car, en France, on a une conception régalienne du pouvoir qui conduit à se sentir propriétaire du pouvoir. Cela conduit à des dérives d’ordre systémique. Dans l’affaire du Panama, même si la classe politique n’a pas été ciblée dans son ensemble, la presse étant alors largement complaisante, 150 députés ont été pris la main dans le pot de miel, l’argent de la Compagnie du Canal. L’affaire Stavisky dans les années 1930 relève d’une dérive systémique également. Jean Garrigues évoque aussi un système colonial de corruption, un système gaulliste, caractérisé notamment par des scandales fonciers, un système giscardien, avec l’affaire De Broglie, un système mitterrandien aussi, avec l’avènement de la politique spectacle, qui conduit les partis à ressentir un besoin croissant de financement, et la promulgation de lois de décentralisation qui multiplient les occasions de corruption en même temps que les féodalités locales. Le développement de la corruption sous Mitterrand poussa même Alain Juppé à parler de « la gauche la plus pourrie du monde ».

Le réveil des contre-pouvoirs

Jean Garrigues observe toutefois le réveil concomitant des contre-pouvoirs avec l’apparition, dans les années 1980, d’une génération de journalistes et de juges prêts à s’attaquer aux scandales, même si on assiste alors à une certaine dérive avec la starification des juges. Le retour de la droite au pouvoir avec Jacques Chirac ne change rien aux problèmes, comme le prouvent les affaires de financement occulte du RPR. Alors que la crise morale couve en France et trouvera une conséquence dans la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle de 2002, l’exécutif s’enferme dans le déni. La gauche n’étant pas épargnée, on observe une forme d’impunité croisée. Les contre-pouvoirs en payent le prix. On pense à Mitterrand critiquant la presse ou aux nombreux juges qui ont du jeter l’éponge ou se reconvertir en politique pour faire entendre leur voix, comme Eva Joly et  Eric Halphen.

Les solutions

Face aux scandales, auxquels s’ajoute la question des paradis fiscaux, la méfiance envers les politiques se développe et la tentation du « tous pourris » prend de l’ampleur. Jean Garrigues estime toutefois que le « tous pourris » d’aujourd’hui n’est pas celui des années 1930, il y a eu une maturation de la démocratie qui limite les risques de dérive totalitaire. M. Garrigues reconnait que la société française est trop familiarisée avec ces dérives et finalement d’une indulgence coupable. Il souhaite qu’elle prenne modèle des sociétés scandinaves et adopte une culture de l’exigence. Il s’agit de passer d’une culture de l’impunité à une culture de la sanction. Aujourd’hui la sanction est trop rare et légère, ce qui conduit finalement à une dangereuse remise en cause du système judiciaire. Il s’agit aussi de passer d’une culture régalienne à une culture démocratique. La transparence est une fausse solution. Le « story-telling » permanent et la publicisation de l’intime ne font qu’entretenir la suspicion. Il faut faire attention à la législation à chaud.

En conclusion, François Bayrou est intervenu pour rappeler un souvenir éclairant de son passage au gouvernement. Alors que le président Mitterrand s’inquiétait de voir la pression des scandales s’accentuer sur lui, son ministre de l’Education (F. Bayrou) lui avait fait remarquer que l’Etat pouvait agir pour rétablir la confiance, ce à quoi le Président avait répondu : « il n’y a plus d’Etat parce qu’il n’y a plus de raison d’Etat ! ». Or la raison d’Etat est un régime d’exception qui implique de prendre des libertés vis-à-vis de la loi s’appliquant aux Français. François Bayrou croit, au contraire, que l’Etat ne peut se soustraire à la loi. A ses yeux, la fin ne justifie pas les moyens.

A la suite de cette conclusion de l’intervention de M. Garrigues, la parole a été donnée à la salle. François Bayrou a répondu positivement à la question d’une personne de l’audience qui se demandait si l’accession de plus de femmes à des postes à responsabilité ne réduirait pas les risques de corruption, même si, selon lui, il y aura toujours des exceptions. Jean Garrigues est plus sceptique. Le président du Modem a, par ailleurs, fait une remarque essayant d’expliquer la tentation de corruption des hommes politiques, ce qui ne vaut aucunement légitimation : François Bayrou part du principe qu’aucun homme politique ne peut s’enrichir, se constituer un patrimoine, dans le cadre d’un mandat, or, ceux, notamment, qui sont sortis de l’ENA ressentent un sentiment de déclassement vis-à-vis de leurs camarades qui ont choisi une carrière beaucoup plus rémunératrice dans le privé. Pourquoi s’engagent-ils en politique alors ?, demande quelqu’un dans le public. Pour le pouvoir, la gloire, la notoriété, répond M. Bayrou, lequel rappelle que la politique est avant tout, à ses yeux, une vocation au service de l’Etat, qui est de l’ordre d’une réalisation personnelle. François Bayrou ajoute que la bipolarisation est également un multiplicateur de corruption puisque les corrupteurs n’ont qu’à mettre des pions sur les deux chevaux, c'est-à-dire les deux partis principaux, pour être sûrs de gagner. Ceci est un phénomène de distorsion démocratique très préjudiciable. Jean Garrigues renchérit en indiquant que cette bipolarisation empêche dans une large mesure l’investissement démocratique nécessaire au contrôle et à la transformation des pratiques politiques, l’engagement des citoyens ne pouvant être pleinement suscité que par le pluralisme politique. François Bayrou et son invité ont également mentionné la nécessité de l’éducation civique et le devoir d’exemplarité des hommes politiques, tandis que Fadila Mehal est intervenue pour rappeler la différence de traitement des délinquants financiers par rapport aux petits délinquants des quartiers particulièrement ciblés, ce qui est très durement ressenti dans les quartiers populaires de notre République corruptible…

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