"La quatrième campagne porte bonheur"

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Le président du MoDem publie un livre-projet et entame un marathon médiatique avant de livrer sa décision sur une éventuelle candidature, d’ici à deux semaines. Il a reçu Paris Match dans son fief de Pau.

Paris Match. Dans votre livre, vous professez l’optimisme. Un registre inhabituel par rapport aux diagnostics alarmistes de vos précédents livres de campagne…

François Bayrou. C’est vrai, c’est une tonalité différente. L’intuition que j’ai de l’état de la société a évolué. Bien sûr, aucun des problèmes de la France n’est réglé ni en voie de règlement, et on a même l’impression que tout s’aggrave, en raison des impasses politiques. Mais je ressens dans le pays une forte envie de vivre. Une volonté de bousculer les obstacles et de relever les défis qui s’imposent à nous. C’est le sens de mon livre « Résolution française ». 

Emmanuel Macron, lui, a écrit «Révolution». N’est-ce pas plus ambitieux qu’une résolution?

Le mot "révolution" est aujourd’hui employé à toutes les sauces. En réalité, on utilise le mot pour ne pas faire la chose, pour que rien ne change dans la société. « Révolution », normalement cela veut dire  « renversement de l’ordre établi ».  Mais si ce qu’on nous propose, en réalité, c’est l’alignement de la France sur le modèle mondial de l’hyper-capitalisme, je le dis : ce n’est pas la vocation de la France. La vocation de la France, de par son histoire, de par son identité, c’est de proposer un autre modèle de société que celui du chacun-pour-soi et des inégalités toujours plus impitoyables.

Si ce n’est pas un livre-programme, ça y ressemble quand même très fort…

Les livres-programme, les catalogues de mesures, c’est à mourir d’ennui. C’est de la technocratie. Ce que j’ai voulu écrire, c’est de l’histoire et de l’avenir, une vision d’ensemble, simple, qui va droit à l’essentiel. Aujourd’hui, les gens ont l’impression qu’il n’y a pas d’issue, que tout est devenu trop complexe, qu’il est impossible d’y comprendre quelque chose. J’affirme au contraire qu’on peut apporter des réponses pratiques et efficaces à ces questions qui paraissent inextricables.

Lesquelles, par exemple ?

Je définis trois priorités : premièrement, l’unité du pays. Qu’on stoppe la dissolution et le chacun-pour-soi. Instaurons par exemple un service civique universel où les jeunes de tous milieux pourront se rencontrer et ensemble servir les autres. C’est aussi la question sociale. Des candidats expliquent qu’il faut payer moins cher le travail et repousser l’âge de la retraite de manière autoritaire. Moi je plaide pour un travail payé à son juste prix, le retour à des heures supplémentaires qui vaillent la peine, et une retraite par points, à la carte. Parce que ce n’est pas la même chose de partir à la retraite à 65 ans pour quelqu’un qui a eu une vie professionnelle calme et pour quelqu’un qui est couvreur, maçon ou aide-soignante avec des patients à soulever et porter plusieurs fois par jour. Et puis il y a la question démocratique : il est pour moi un scandale permanent que les deux tiers des Français ne soient pas représentés au Parlement qui est censé parler en leur nom. La deuxième priorité que je définis, c’est l’énergie du pays. L’Etat est devenu une forêt administrative bloquant tout esprit d’entreprise et toute innovation. Les papiers, les exigences administratives, la fiscalité. Tous proposent qu’on augmente les impôts, TVA ou CSG. Je pense au contraire qu’ils sont déjà trop élevés : qu’on se fixe comme règle le « ça suffit comme ça ! » : aucune augmentation ! La troisième priorité, c’est avoir une vision de ce qu’est la souveraineté de la France aujourd’hui. Pour moi, dans un monde aussi dangereux, l’Europe doit être reconstruite.

Ce projet, le porterez-vous devant les électeurs ?

Les primaires, dont je pense le plus grand mal, ont désigné un candidat très à droite et un candidat très à gauche. Et entre les deux, il n’y avait pas de projet pour l’instant. Si vous ajoutez à cela le fait que le paysage politique actuel, avec ses accélérations et ses coups de théâtre, est un bazar sans précédent… Je prendrai ma décision en tenant compte de la situation à la mi-février. 

Si un candidat reprend vos propositions à son compte, vous lui apporterez donc votre concours ?

Ce n’est pas affaire de promesses, c’est affaire de personnalité. Et de positionnement politique. Le mien est clair : je suis pour l’alternance, après cinq années qui ont été frustrantes à bien des égards, et je veux un projet pour la France qui donne du sens à la vie des Français. 

Mais avez-vous aujourd’hui les moyens et le temps de vous organiser pour faire campagne ?

Bien sûr. Nous avons préservé cette liberté.

Une quatrième campagne, est-ce bien raisonnable ?

Le chiffre 4, à la présidentielle, porte bonheur ! Mitterrand, Chirac, Le Pen, ont tous fait leur meilleur score à leur quatrième candidature (rires). Mais plus sérieusement ce n’est pas mon souci : la situation morale du pays est terrible. Je n’ai jamais vu une situation aussi grave. Il faut tourner la page, résolument et en évitant les excès.

Les Français viennent de sortir Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, François Hollande et Manuel Valls. Ils aspirent plus que jamais au renouvellement. Est-ce que vous pouvez l’incarner, après trente ans de vie politique ?

Il n’y a que les benêts qui croient que le renouvellement est une affaire d’âge. Ce qui compte, c’est la force et l’enthousiasme. Regardez les trois plus grands du XXe siècle : Clémenceau, Churchill, de Gaulle. Quant à ceux qui ont subi les revers que vous évoquez, il y a une chose qui nous sépare, c’est qu’eux ont exercé le pouvoir. Ils ont été écartés "après usage", si j’ose dire. Il se trouve que le projet, les idées politiques qui sont les miennes n’ont pas accédé au pouvoir, pour des raisons qui tiennent uniquement à des institutions dévoyées.

En 2016, vous souteniez Alain Juppé de manière très claire. Mais vous vous prépariez aussi à la victoire de Sarkozy. Et les électeurs des primaires ont choisi Fillon…

C’est le piège des primaires ! On choisit le candidat d’un camp, sur un discours partisan. Les « primaires » sont un mécanisme pernicieux, c’est le contraire de la Ve République, régime dans lequel le président, pour réunir, doit se tenir à l’écart de la logique des partis et des camps. 

Quand vous vous retournez sur les vingt dernières années de votre vie politique, que retenez-vous ?

Sur tous les points essentiels, mon jugement a été juste. J’ai très tôt annoncé les difficultés qu’entrainerait le choix de l’endettement perpétuel. J’ai dénoncé les affaires, comme l’affaire Tapie, souvent tout seul. Je me suis opposé à la privatisation des autoroutes. Je me suis opposé au parti unique de la droite et on perçoit aujourd’hui quels ont été les résultats catastrophiques de cette organisation politique pour le pays. J’ai défendu sans cesse la moralisation de la vie politique. J’ai fait une campagne sur le produire en France. Tout cela était juste, même s’il n’est pas facile d’être en avance.

En 2012, vous menez une campagne très anti-sarkozyste et vous appelez à voter François Hollande. Est-ce que vous regrettez votre tonalité de l’époque ?

Un jour, on ne me posera plus la question : comment avez-vous pu voter contre le renouvellement de Nicolas Sarkozy ? On me demandera : comment avez-vous pu être le seul à avoir le courage de ce choix ? Tout le monde était au courant des dérives que je dénonçais. Les débats de la primaire de la droite les ont abondamment confirmées.

Avez-vous été convaincu par les explications de François Fillon sur l’emploi de son épouse ?

Il a répondu sur le registre émotionnel. Mais il y a aussi le choc pour l’opinion de découvrir ces pratiques. C’est un énorme trouble et une énorme déstabilisation. 

Avez-vous été surpris qu’il ait cette supposée pratique politique ?

Complètement. 

La droite républicaine peut-t-elle le soutenir durablement ?

C’est une question pour la droite, pas pour le centre que je conduis. Ma conviction est qu’au point où en est arrivée la décomposition, c’est du vrai centre, le centre libre et indépendant, que peuvent venir des pratiques nouvelles et assainies, et de lui seulement. 

Y-a-t-il toujours une possibilité pour vous de le soutenir ou est-ce que cela compromet une éventuelle alliance ?

Même si je mets cette affaire à part, sur le plan politique, François Fillon a manifesté qu’il ne voulait pas bouger de son projet. C’est un programme très rude sur le plan social, sur la sécu comme sur la question de la durée du travail, avec la suppression des heures supplémentaires, très rude pour la fonction publique. Sur ces points, nous sommes en désaccord. Et j’ai l’impression que je ne suis pas le seul, y compris parmi ses plus proches.

Est-ce que vous pensez toujours qu’Emmanuel Macron est un « hologramme » ?

Je reprends mes trois conditions à une candidature présidentielle : personnalité, projet, positionnement. Sur ces trois points, je n’ai pas de réponses. Mes questions sont entières : est-il armé pour la fonction ? Et quels sont réellement son projet et son positionnement ?

Est-il un homme de gauche ou un centriste ?

Le centre, ce n’est pas un lieu indéterminé ! C’est un courant politique et une vision du monde. 

Pour vous, il reste le candidat des « forces de l’argent » ?

La place de l’argent dans ces campagnes est excessive. C’est un danger. Chez lui comme chez d’autres, d’ailleurs… 

On fait un parallèle entre sa trajectoire et la vôtre en 2007... De bons sondages, des salles bondées… Comment expliquez-vous son succès ?

Bien sûr, il y a des ressemblances. Dans les deux cas, un grand succès d’audience. Mais ce qui me frappe, en tout cas pour l’instant, c’est que les gens que je connais qui assistent à ses réunions en sortent sans avoir retenu beaucoup d’idées marquantes. Et pourtant c’est sur le fond que les questions se posent. Mon point de vue n’est pas que la France doit s’aligner sur le modèle économique qui domine le monde, c’est qu’elle doit défendre un autre projet, plus juste et plus efficace. Un autre projet pour elle, et au nom de bien d’autres. 

La primaire socialiste se termine avec la victoire de Benoît Hamon. Est-ce la fin du PS ?

En tout cas, du PS actuel, oui je le crois. J’ai depuis longtemps analysé la guerre des deux gauches. Cette fois-ci, on arrive au point final de cette guerre. Et c’est la logique de la primaire qui a triomphé : un électorat qui choisit non pas ce qui est à l’équilibre du pays mais ce qui est la préférence de son camp. C’est l’exact contraire de ce que la situation du pays exigerait. 

 

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