"La démocratie ce n'est pas de passer en force et de tromper les gens"

Invité de Europe 1 ce midi, François Bayrou a exposé les raisons pour lesquelles, face au "passage en force" du gouvernement concernant la réforme du collège, il appelait à la mobilisation.

Bonjour François Bayrou.

Bonjour.

Pourquoi cet appel à la manifestation ? Pensez-vous, compte tenu de la faiblesse de la manifestation des professeurs d’hier, que la vôtre à laquelle vous appelez, pourra marcher ?

Ce n’est pas la mienne, c’est une manifestation que j’espère extrêmement large et qui rassemblera, parce que je ne vois pas d’autre solution, à la fois des parents d’élèves, des élèves, des enseignants, des intellectuels, des responsables politiques, des associatifs, des syndicats, enfin tous ceux qui trouvent qu’on les maltraite. Je veux simplement vous rappeler que le gouvernement a dit à plusieurs reprises ces derniers jours « on va écouter, on va consulter, on va demander au conseil des programmes de reprendre cette réforme », puis, dans la nuit, brutalement, sans aucun égard pour ses engagements, le gouvernement a signé le texte et l’a fait paraître au Journal Officiel. Point final.

Et ce point final, vous le qualifiez comment ?

C’est une brutalité, c’est un passage en force, c’est quelque chose qui est extraordinairement choquant, parce que l’éducation n’est pas une question politique ordinaire, l’éducation c’est l’avenir d’un pays, l’avenir de tous les enfants, de toutes les familles,  c’est à la fois individuellement et collectivement quelque chose qui est évidemment tout à fait essentiel, et précieux, et que l’on devrait diriger en tenant compte de ce que l’on entend et en réfléchissant sur le long terme. Là, c’est du « ultra court-terme », d’ailleurs au bout du compte, je crois que cela ne réussira, parce qu’il y a une si large émotion que le gouvernement vient à mon avis de faire une faute de plus.

Et si l’on reprend les points principaux de cette réforme, de cette indignation, on va voir là quelque chose qui est purement et simplement inacceptable, et quand les choses sont inacceptables, il ne reste qu’une seule solution, c’est se faire entendre pour qu’elles changent.

Nathalie va vous poser une première question : Bonjour, je suis sur le fond tout à fait d’accord avec vous, Monsieur Bayrou. C’est une honte manifeste, on est tous indigné. Malheureusement on en a vraiment marre, nous, le corps enseignant, et évidemment en tant que parent d’élève – j’ai cinq garçons qui sont scolarisés du lycée à la maternelle – que l’on nous prenne pour des idiots parce que on nous demande notre avis, on nous demande plein de choses pour au final …

Ne même pas attendre la réponse.

Oui. On sait de toutes façons, on connaît leurs réponses : on nous demande soi-disant notre avis qui ne sert de toutes façons à rien, comme ce que l’on a fait pour les rythmes scolaires, j’en passe et des meilleurs. Mais est-ce que votre annonce va servir à grand-chose finalement ? Que l’on aille dans la rue pour dire notre mécontentement ? Parce qu’ils font ce qu’il veulent.

Il fallait le faire avant, vous nous dites, Nathalie.

Je vous assure, je vous garantis que s’il y a une manifestation assez large qui fasse entendre le mécontentement de tous ceux qui ont la passion de l’éducation, pour qui c’est le plus important de tous, le gouvernement sera obligé de revenir sur la décision qu’il annonce comme définitive et comme devant être prise ; parce qu’il y au cœur de tout cela – vous le savez bien, vous l’avez dit les enseignants savent lire et savent très bien ce que l’on est en train de faire – une incroyable injustice que, si vous me permettez, je vais résumer – vous pourriez le faire aussi bien que moi – en votre nom.

Un : c’est une réforme dont on nous dit qu’elle est faite pour l’égalité et qui, en réalité, se borne à supprimer des options langues anciennes ou langues vivantes enseignées en classes bilingues ou en classes européennes qui sont rayées d’un trait de plume.

Mais quel rapport avec l’égalité ? François Bayrou.

C’est que la promesse la plus profonde de l’éducation c’est d’offrir le meilleur à tous, pas d’imposer le meilleur à tous – on sait bien que cela n’est pas possible – ni de garantir le meilleur parce que l’on sait bien qu’il y a des facilités et qu’il y a des aptitudes, qu’il y a des choses qui favorisent…

Mais il n’était pas question de rayer cela justement selon Najat Vallaud-Belkacem.

Mais Najat Vallaud-Belkacem, excusez moi de vous dire, il suffit que vous alliez lire l’arrêté qui a été publié au Journal Officiel ce matin pour voir que ce sont des blagues. Les mots « option latin-grec » ou langues anciennes ont disparu des horaires. Disparu. Il ne reste rien, comme les classes européennes, comme les classes bilingues. Ceci est une atteinte à cette promesse d’égalité des chances parce que, qu’est-ce qui va se passer ? Ne croyait pas que la transmission du latin ou du grec - pour des familles qui savent que c’est essentiel ou qui le pensent ou le croient – ou des langues vivantes, que cela va disparaître. Simplement, cela sera réservé aux familles qui ont les moyens et qui, par des leçons particulières ou par l’enseignement privé, transmettront à leurs enfants ce que l’Education nationale ne transmet plus.

Il était question des trois points soulevés par François Bayrou et soulevés par les l’enseignant. Le premier était l’égalité. Les deux autres rapidement ? François Bayrou.

Ce que les enseignants savent très bien, c’est qu’une partie des annonces que le gouvernement a faites vont engendrer en réalité un bazar énorme parce que l’on dit que l’on va faire de l’interdisciplinarité – c’est à dire trois enseignants par exemple mis devant la même classe pour faire en sorte, c’est l’exemple du Ministre, que l’on fasse un journal de classe autour de la machine à vapeur avec le professeur de physique, le professeur de français et le professeur de dessin.

20% du calendrier.

C’est plus compliqué que cela. Mais est-ce que vous vous rendez compte de ce que va être le travail d’un principal de collège lorsqu’il va être obligé – je parle pratico-pratique – de faire des emplois du temps pour essayer de regrouper des enseignants différents dans la même classe autour de matières ou de disciplines qui sont différentes les unes des autres ? En réalité, tout cela est tellement compliqué à organiser que cela va être – je le crois – un désordre très grand. J’en ai parlé avec des principaux de collèges qui s’arrachent les cheveux, qui disent « Mais attendez, on nous dit des trucs théoriques, intellectuels, abstraits, mais dans la réalité cela va être impossible à faire parce qu’il faut que les enseignants soient libres tous les trois à la même heure pour être devant la classe.

Permettez-moi d’ajouter une chose, vous voyez combien c’est important.

D’abord, cela va être impossible à faire. Deuxièmement : ce ne seront pas des enseignements qui structureront l’esprit parce qu’ils dureront au maximum quatre mois.

C’est insuffisant, selon vous.

Vous savez bien que le savoir se construit au travers du temps. Quatre mois sur 5; 4e, et 3e, c’est infiniment trop court pour bâtir une connaissance ou un savoir.

Mais on ne va quand même pas étudier une machine à vapeur pendant trois ans François Bayrou. Dans les grandes lignes.

Pourquoi alors le Ministère dit cela ? Il a pris un seul exemple. Mais vous voyez bien, le savoir se construit au travers du temps, il faut de la durée pour pouvoir apprendre les choses. Ces enseignements, ces horaires sont pris sur les horaires obligatoires.

Oui, 20%.

C’est retrancher, défalquer, amputer sur les horaires d’enseignements obligatoires. Je ne crois pas que cela fera du progrès, je crois que cela fera de la régression et que cela mettra un peu plus de confusion dans un domaine où, hélas, il y en a déjà beaucoup.

Une autre question pour vous monsieur Bayrou : Pour les langues vivantes, moi j’ai beaucoup vécu à l’étranger, en Europe et en Asie, les élèves en primaire ont deux heures de langues du pays d’accueil, ont de l’anglais tous les jours, ils reviennent bi langues, c’est formidable. Pourquoi ne se base-t-on pas sur ce qui se fait au lycée français à l’étranger où il y a quand même un résultat au bac à 100 % ?

Madame vous avez intégralement raison, si je le pouvais, j’applaudirais pour qu’on entende, parce que qu’on est en train de supprimer c’est précisément ce que vous avez dans les établissements étrangers. L’enseignement bilingue, l’enseignement dans les sections européennes, c’est précisément ce que on est en train de supprimer. Jack Lang a dit quelque chose qui me paraît très juste, quand il critique cette réforme, il dit « pourquoi change-t-on les seules choses qui marchent ? ». A l’instant, un ami me racontait le très grand désarroi qui est celui des zones frontalières, il me parlait de l’Alsace en particulier où on a évidemment besoin de maîtriser ce bilinguisme pour pouvoir travailler simplement. Ce ne sont pas seulement des cadres et des ingénieurs, mais tous ceux qui ont travaillé dans les entreprises, dans l’industrie ils ont besoin de tous ça, et on supprime ce qui marche, on supprime ce qui était offert à tous les élèves en prétendant que c’est un progrès, que c’est au nom de l’égalité. Et vous voyez qu’il y a ce double sentiment d’avoir été trompé, abusé, d’être pris en traître par le gouvernement, et il y a un deuxième sentiment, c’est que l’on nous prend pour des idiots. On emploie des mots, on prononce des phrases qui en réalité sont faites pour dissimuler le mauvais coup que l’on est en train de faire.

François Bayrou, Antonin André, du service politique d’Europe 1 expliquait tout à l’heure que ce n’était pas un passage en force puisque la loi a été examinée en 2013. Est-ce que vous considérez tout de même que c’est un passage en force parce qu’il n’y a pas à nouveau une consultation au Parlement ?

Excusez –moi, je ne veux pas contredire Antonin André, mais est-ce que aucun d’entre vous a l’impression que le gouvernement a un mandat pour faire ça ? Est-ce que ça a été annoncé, proposé au moment d’une campagne électorale ? Est-ce que au moment d’une échéance on a annoncé : voilà on va supprimer les classes européennes, les enseignements bilingues et l’enseignement du latin et du grec ? Est-ce que quelqu’un a annoncé cela aux français ? On nous dit : il y a eu un débat. Oui il y a eu un débat à l’Assemblée Nationale qui a fait adopter un texte vague dont d’ailleurs aucun d’entre nous se souvient, et ces derniers jours le gouvernement a dit mais pas du tout, c’est pas fait, nous allons discuter, nous allons tenir compte des avis.

Mais c’est comme cela que ça fonctionne toujours François Bayrou.

Et bien si cela fonctionne comme ça c’est une tromperie généralisée contre laquelle je me bats. Je trouve anormal que l’on ne respecte pas les citoyens au point de leur refuser un débat auquel ils ont droit sur quelque chose qui est essentiel pour eux. Donc je vais vous dire quelque chose qui va peut-être apparaître brutal, mais pour moi ce débat c’est plus important que les impôts, que les décisions politiques habituelles. On touche aux enfants, et les enfants c’est sur des générations que cela se répercute, en tout cas des décennies que ça se répercute et transmettre ce qu’on a de meilleur, ce qu’une culture a réussi à élaborer de meilleur à ceux qui le veulent, ou à ceux qui le peuvent, c’était ça la promesse de l’éducation. Alors si le gouvernement avait dit : bon il n’y a de classe bilingue que pour 18 ou 20 % des enfants et du latin pour 25%, on va l’élargir, alors j’aurais dit bravo, là on ferait quelque chose de positif pour l’éducation en France.

On a bien précisé que ce n’était pas un système d’ordonnances. Mais cette façon de procéder, c’est tout comme pour vous ?

Il suffit que vous écoutiez ce matin, pas seulement les réactions officielles mais les réactions de tout le monde dans la rue, le gouvernement a choisi de passer en force et de prendre par surprise pour mettre un terme à un débat qui était un peu déstabilisant pour lui.

Une autre question pour vous : bonjour Monsieur, on est tous d’accord pour dire que cette réforme a été présentée d’une façon où on a tous été un petit peu perdu, elle était assez incompréhensible, mais maintenant que le décret est paru, est-ce que vous pensez vraiment qu’une manifestation nationale va déboucher sur quelque chose de positif ?

Madame, vous savez, d’abord, disons ensemble que autrement on a plus rien à dire, c’est fini, c’est ça que le gouvernement cherche d’ailleurs. En passant en force, il cherche à faire qu’il n’y ait plus aucune réaction d’aucune sorte et que le débat s’enlise, disparaisse. Moi je ne suis pas de cet avis. Je pense que quand quelque chose n’est pas bien, il faut se battre, et quand on se bat, je vous assure  que si il y a des mouvements d’opinions, les gouvernements changent. Le nombre de décrets qui ont été repris après avoir été pris, annulés après avoir été signés, et on en a refait d’autres. Souvenez-vous il y avait même eu une loi qui avait été votée, et après qui a été abrogée avant d’avoir été appliquée.

Vous parlez de quoi ?

Vous vous souvenez du temps de Dominique de Villepin il y avait eu le Contrat Première Embauche, et le Président de la République était venu à la télévision pour dire que, finalement, on appliquerait pas la loi qui venait d’être votée, parce qu’il y avait une émotion, et que les gouvernements sont obligés de tenir compte des citoyens lorsque les citoyens se font entendre. Et les citoyens se font entendre quand il y a une légitime indignation. C’est cette indignation-là que ressentent beaucoup de gens. Alors vous avez raison, madame, sur un point, c’est que beaucoup de gens se disent : on ne peut rien faire, et comme ils subissent, comme ils ont le sentiment d’être assommés par des décisions qui se prennent ailleurs, avec des explications dont ils sentent bien que ce sont des rideaux de fumée et du brouillard.

Et vous vous proposez de la mener vous-même cette manifestation ?

Non, non.

Il faut quand même un leader et c’est vous qui avez l’idée.

Non, j’ai avancé cette idée, j’espère que d’autres…

A cheval, mettez votre armure et allez-y !

J’espère que d’autres auront le même sentiment, et j’espère que des collectifs, auxquels je participerai naturellement, auxquels je suis prêt à participer, décideront de la forme de cette manifestation.

« François Bayrou semble méconnaître les règles de la démocratie », Najat Vallaud-Belkacem dit à l’instant. Vous lui répondez quoi ?

J’ai un assez bon souvenir de temps où des lois avaient été votées qui ont suscité des manifestation qui ont entraîné le retrait de ces lois, je pourrais en citer quelques unes à madame Najat Vallaud-Belkacem. Les règles de la démocratie ce n’est pas de passer en force et de tromper les gens. Madame Vallaud-Belkacem a dit « on va discuter, je vous assure il va y avoir concertation et consultation », et au bout du compte, le gouvernement a décidé de passer en force. Les règles de la démocratie elles ne sont pas formelles, elles sont réelles. Les règles de la démocratie c’est d’écouter les gens quand ils parlent et quand ils défendent quelque chose de précieux. Les règles de la démocratie c’est que ce gouvernement n’a aucune légitimité pour supprimer des disciplines enseignées à l’école.

Merci beaucoup François Bayrou.

 

 

 

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