"La campagne dans laquelle nous sommes détruit l’image de la France hors de nos frontières et la confiance des citoyens à l’intérieur"

François Bayrou a jugé dimanche sur France 3 que le maintien de François Fillon comme candidat de la droite à l'élection présidentielle "menaçait l'alternance" et qu'il était inacceptable d’imaginer qu’on allait "demander des sacrifices aux gens, toujours plus nombreux, qui sont en bas de l’échelle et qui gagnent le moins", tout en continuant" à défendre ou à accepter l’accumulation de privilèges pour ceux qui au contraire sont au cœur du pouvoir".

Bonjour François Bayrou.

Bonjour.

On dit « jamais deux sans trois ». Vous, c’est « jamais trois sans quatre » ?

Parmi les innombrables éléments que me soumettent mes amis sur l’élection présidentielle, il y a celui-ci : ils ont observé que toujours, à la quatrième élection, les candidats ont fait leur meilleur score : cela a été vrai pour François Mitterrand, pour Jacques Chirac. Je leur réponds que ce n’est pas sur des éléments comme cela que je me déciderai. Je n’ai jamais vécu une situation politique aussi grave, aussi intolérable que celle dans laquelle nous sommes plongés aujourd’hui. C’est le cadre de la réflexion qui est la mienne.

Nous allons y revenir. Des affrontements ont eu lieu hier devant le tribunal de Bobigny après l’affaire Théo, malgré les appels au calme. Faut-il comme certains le disent couvrir la police quoi qu’il en soit ?

Non. Il ne faut pas « couvrir » : cela supposerait qu’on accepte des actes qui ne sont pas acceptables. Mais il faut dire que le métier de policier, dans la société où nous sommes et dans des banlieues structurées et décomposées parfois, avec des actes graves et un tissu qui se délite, qui se défait, ce n’est pas un métier facile. En tout cas, sur Théo, c’est très simple. Si c’est intentionnel, c’est criminel. Si c’est accidentel, c’est cependant très grave et dangereux. 

Cela mérite sanction.

C’est ce qui a été fait.

Comprenez-vous ces manifestations de jeunes ? Quand vous êtes en banlieue, que vous êtes noir ou arabe, vous avez 20 fois plus de chance d’être contrôlé…

Ce que je comprends, c’est que nous avons depuis des années rompu le lien qui devrait exister entre une police de proximité, attentive, vigilante - qui peut être sévère quand il faut - et des jeunes qui sont là pour être protégés autant que pour être contrôlés. On a rompu ce lien. Tant qu’on ne reconstruira pas une police enracinée, de proximité, dont les membres vivent sur place, comme les gendarmes vivent dans des communes rurales ; on aura automatiquement ce contexte d’affrontement. J’ai été apostrophé hier par un groupe de jeunes issus de banlieue, qui disait : « Nous, on essaie d’expliquer à nos frères et sœurs qu’il ne faut pas en arriver là  ». Je pense qu’il existe en banlieue des forces qui veulent en sortir. 

Êtes-vous favorable à des récépissés de contrôles d’identité ou au port de caméras portatives déclenchées lors de contrôles d’identité, pour éviter qu’il y ait des dérapages ?

Tout ce qui va dans le sens d’une accumulation de gestes qui peuvent être inquiétants, mal interprétés, exaspérants, va dans le bon sens. Mais il faut le faire avec les forces de police.

Ceux qui ne sont pas d’accord, ne faut-il pas leur imposer ?

Ils seront d’accord. Le problème du récépissé, c’est qu’il peut tout-à-fait être utilisé par d’autres. Il peut y avoir des utilisations mal inspirées des récépissés. Tout ce qui va dans le sens d’éviter les contrôles multipliés et abusifs et en même temps faire en sorte que l’action de la police soit comprise et acceptée doit être fait. On n’y arrivera pas s’il y a uniquement des brigades d’intervention.

À Aulnay-sous-Bois, c’était une brigade spécialisée créée par N. Sakorzy. Or, on voit qu’il y a des problèmes.

La suppression des forces de police de proximité a été une mauvaise chose pour la société.

Pour terminer là-dessus, les députés viennent de voter l’extension de la légitime défense pour les policiers. L’auriez-vous votée si vous étiez député ?

Oui, je l’aurais votée. 

Sans état d’âme ?

C’est un métier difficile. Ils se sentent menacés et agressés. Le moins que l'on puisse faire, tout en les poussant à des attitudes mieux comprises, c’est de les défendre.

Parlons de la campagne présidentielle. François Fillon est reparti en campagne, Emmanuel Macron a repris sa deuxième place dans les sondages. S’il y a des poursuites contre François Fillon, est-ce le début de la fin pour lui ?

C’est lui qui a dit qu’il renoncerait s’il était mis en examen, ou pire encore, renvoyé devant un juge d’instruction ou en citation directe. C’est lui qui l’a dit. Il faut que nous mesurions que la campagne présidentielle dans laquelle nous sommes détruit l’image de la France hors de nos frontières et détruit la confiance des citoyens à l’intérieur. Cela ne peut pas durer. Il est inacceptable d’imaginer qu’on va demander des sacrifices aux gens, toujours plus nombreux, à ceux qui sont en bas de l’échelle et qui gagnent le moins, et qu’on va continuer à défendre ou à accepter l’accumulation de privilèges pour ceux qui au contraire sont au cœur du pouvoir.

François Fillon a-t-il déjà trop fait durer l’affaire ?

Je pense qu’il a des décisions à prendre et il aurait dû les prendre avant, parce qu’il est en train de menacer l’alternance, de menacer y compris son camp et sa famille politique. Vous avez vu l’ouvrière que nous avons entendue dans le reportage. On ne peut pas gagner 1.100 euros, 1.150 euros, 590 euros si vous travaillez à mi-temps, et puis voir en même temps que le monde du pouvoir s’organise pour avoir, lui, le maximum de privilèges. Je comprends le drame que cela représente pour une famille, ce qui est en train d’arriver. 

La famille de François Fillon, en l’occurence ?

Je ne dis pas cela à la légère. Tout à coup, il y a des tremblements de terre qui touchent des personnes. Mais sur le fond des attitudes, des pratiques de ce qui est accepté, défendu, revendiqué, alors je considère que cela menace notre démocratie.

François Filllon a présenté des excuses. Cela ne suffit-il pas ?

Il ne s’agit pas d’excuses dans cette affaire. François Fillon a choisi, contre mon avis, d’avoir un programme extrêmement dur.

Le lui avez-vous dit ?

Je lui ai dit depuis la première minute, depuis même l’entre-deux tours des primaires, que son programme, par son caractère très dur, était une menace y compris pour son élection, en tout cas pour l’idée de l’avenir que je me fais du pays. J’avais dit qu’il allait tirer les Français vers le pessimisme et donc être récessif, menacer la progression de l’économie et de la société française. Vous ne pouvez pas défendre un programme comme cela. A chaque phrase, vous allez avoir le choc en retour des pratiques qui sont révélées.

Pour François Fillon, est-ce déjà mort ?

Je veux ajouter une chose. Le fait que de grandes sociétés multinationales aient choisi d’appointer un homme politique, candidat à la présidentielle, ayant et voulant exercer les plus hautes fonctions, autrement dit de payer son train de vie ou en tout cas de participer à ce financement, ce fait est insupportable ! D’autant qu’ils disent que c’est pour mieux écrire les lois, c’est-à-dire pour leurs avantages.

Visez-vous AXA ? 

Exactement. Et d’autres ! Quand vous êtes un responsable public, si vous acceptez les libéralités de cet ordre, cela veut dire que vous devrez renvoyer l’ascenseur. C’est ce qui est attendu.

De ce point de vue, vous renvoyez dos-à-dos François Fillon et Emmanuel Macron… Mais Emmanuel Macron sur ce point joue la transparence. Il déclare dans le JDD aujourd’hui : « Voici où j’en suis dans la collecte des fonds : plus de 5 millions. Voici combien il me manque : 17 millions ». Tout est étalé. Qu’est-ce que vous entendez de plus ?

La dépendance de la politique à l’argent est une faiblesse.

Il ne peut pas être plus transparent que cela.

Je ne sais pas qui sont les donateurs.

Est-ce qu’il faudrait qu’il publie la liste des donateurs ?

Aux États-Unis, c’est fait : la liste des donateurs est publiée.

Faudrait-il qu’il le fasse ?

En France, il faudrait qu’il y ait les mêmes règles. Premièrement, qui sont les gens qui sont suffisamment fortunés pour apporter de l’argent en nombre à une campagne ? Deuxièmement, qui paie ? Ce ne sont pas les donateurs qui paient. Ceux qui paient, ce sont les contribuables. Les donateurs versent une somme et le contribuable rembourse la plus grande partie de cette somme, 60 ou 65 % selon les cas. Ceci est extrêmement offensant parce que cela veut dire que ce sont les plus riches qui décident de l’issue d’une campagne électorale et de l’attribution des fonds publics.

Tout le monde a besoin d’argent dans une campagne.

Et bien, nous avons trop accepté que les campagnes électorales se déploient ainsi, un luxe et un faste. Moi, je voudrais des campagnes électorales sobres. On dit autant de choses sur votre plateau qu’on en dit meeting, simplement les meetings, ce sont des mises-en-scène. Je trouve que la sobriété d’une campagne électorale, le fait que les candidats s’obligent à ne pas gaspiller l’argent, à ne pas le jeter par les fenêtres, est pour moi quelque chose qui ferait du bien dans la société dans laquelle nous sommes.

Emmanuel Macron dit que son rapport à la politique est celui du mysticisme.

J’ai lu cette interview et ses propos. Je suis resté… Comment dire… Je vais essayer de le dire de façon "soft". Je suis resté dubitatif ! Se présenter ou accepter de présenter sa candidature comme messianique, « christique » dit-il, dans l’interview... Moi, je pense qu’une des principales vertus d’un Président de la République serait d’être équilibré. Autrefois, François Hollande avait dit « Président « normal », mais je n’ai jamais cru à cet adjectif.

Dites-vous qu’Emmanuel Macron n’est pas équilibré ?

Non, je dis que la France a besoin d’équilibre. Plus que jamais, dans le monde où nous sommes, la France a besoin d’équilibre. Elle n’a pas besoin de sauveurs. Les sauveurs sont rares dans l’histoire, il y en a quelques-uns, et cela mérite d’avoir fait ses preuves, d’avoir eu l’expérience de la sagesse.

Qu’est-ce qui pourrait encore vous empêcher d’être candidat à la présidentielle ?

Je n’ai qu’une question à l’esprit : comment faire pour que la France s’en sorte ? Une seule question. Je suis sûr que vous partagez mon sentiment. Vous faites de la politique depuis longtemps, moi aussi. Je n’ai jamais vécu une période comme celle-là, parce que les citoyens ont l’impression que les politiques vivent dans un autre monde, un monde dans lequel l’argent coule à flot et où ils acceptent les privilèges. Ceci est inacceptable, impossible. Deuxièmement, l’image de la France à l’étranger est détruite. On apparaît comme un pays de corruption, comme un pays dans lequel n’importe quelle pratique est acceptée. C’est une perte inestimable. Troisièmement, la menace de l’extrême-droite est extrêmement forte. Or, cette menace porte évidemment sur la France - cela nous conduirait à des accidents énormes - mais également sur l’Europe. Cela conduirait, après le Brexit, à la destruction de l’Union européenne. Mesurez-vous la menace qui est sur notre tête ?

Vous avez dit que vous annonceriez votre décision entre le 15 et le 20 février. Nous sommes le 12. Que pourrait-il se passer dans la semaine qui vient qui pourrait vous conduire à être candidat ? Votre décision est-elle liée au sort de François Fillon ?

L’équilibre de la droite comme l’équilibre de la gauche sont nécessaires au paysage français. Le centre, c’est dire qu’on peut travailler avec d’autres, même si on n’est pas du même avis sur tout. Donc ce qui va se passer à droite est très important. 

Si François Fillon n’était pas candidat, cela vous laisserait-il une place ?

Non, je ne veux pas dire les choses comme cela. Si François Fillon n’était pas candidat pour les raisons judiciaires que les journaux annoncent, alors cela voudrait dire qu’il en faut un autre. Alors peut-être que des rassemblements sont imaginables. Dans la situation où nous sommes, je préfèrerais qu’il y ait des rassemblements pour que le pays trouve un nouvel équilibre et au fond, un espoir que l’horizon s’éclaircisse un peu, qu’on se remette à y croire, et pas à avoir honte.

Pourriez-vous devenir ce candidat de substitution ?

Non, je ne me pose pas cette question pour mon intérêt.

Si vous y allez, êtes-vous le candidat de substitution ?

Aujourd’hui, des millions de Français se disent : « Avec ces propositions, je n’ai pas de bulletin de vote ». Des millions de Français pensent qu’ils n’ont pas un candidat acceptable pour eux. Je suis de ceux-là ! Je suis de ceux qui pensent que ce n’est pas possible qu’on en reste avec des propositions politiques qui pour l’instant sont pour le moins bancales, pour le moins inachevées, pour le moins troublantes.

Est-ce que vous auriez les cinq cent parrainages et le financement ?

Avec la campagne sobre que j’imagine, ni l’un ni l’autre ne sont des obstacles. 

Donc, vous êtes prêt ?

Oui, je suis prêt. Il faut être prêt. C’est la règle de la vie. Vous n’allez pas traiter des sujets comme une élection présidentielle sans avoir pris les nécessaires dispositions.

Vous n’avez jamais été aussi prêt ?

Je n’ai jamais été aussi mûr que pour cette élection. Jamais. J’ai vécu les élections précédentes, certaines très juvéniles, d’autres très enthousiastes. En effet, avec le temps, j’ai acquis de l’expérience, mais ce n’est pas au travers de moi que je pose la question. Je pose la question au travers des menaces immenses qui pèsent sur le pays et de la nécessité de s’en sortir.

Vous l’avez dit.

Ce n’est pas parce que je l’ai dit que cela ne doit pas être répété.

Quand on regarde ce qui s’est passé à droite, à gauche, chez les écologises, le casting semble renouvelé… Tout ce qui ressemble à un sortant semble poussé dehors. Une quatrième candidature Bayrou, ce n’est pas très neuf…

Il y a des gens qui sont éliminables, et d’autres qui ne le sont pas. Dans la sélection naturelle des espèces que Monsieur Darwin a définie, il y a des espèces qui disparaissent et d’autres qui sont des espèces résistantes. Je suggère que vous réfléchissiez si par hasard, je ne fais pas partie de ces espèces résistantes. 

Aujourd’hui, Emmanuel Macron a séduit certains de vos anciens. Qu’est-ce qui pourrait les conduire à revenir vers vous ?

Ce n‘est pas de cette manière que je pose la question. Emmanuel Macron, pour moi, a choisi sur la plupart des sujets d’être flou. Vous l’écrivez à longueur de colonnes et c’est la vérité. Or, on ne peut pas faire une campagne présidentielle en étant flou. J’ai lu la fabrique de programme que décrivent ce matin les journaux. Ce n’est pas avec 400 groupes de travail ou 400 experts réunis en groupes de travail que vous faites un programme. Un projet présidentiel, c’est simple : c’est une articulation globale pour le pays.

Pour vous, pas question de soutenir Emmanuel Macron.

Je n’ai pas dit cela. J’ai dit que je pensais qu’il valait mieux avoir des rassemblements. S’il y a des évolutions à droite ou des précisions chez E. Macron, je suis prêt à les examiner. Pour l’instant, je ne vois ni l’un ni l’autre. Ceci entraîne un drame pour beaucoup de Français.

N’excluez-vous pas de soutenir Emmanuel Macron ?

Je pense que ce qu’il faut, c’est des ententes équilibrées. Je l’avais dit avec Alain Juppé avec beaucoup d’engagement. Je pensais que c’était possible. Je suis intéressé par voir ce que E. Macron dit. Pour l’instant, je ne vois pas de possibilité. Je vais ajouter une chose. Monsieur Macron a dit : « je veux faire un parti qui sera mon parti, qui aura des candidats dans toutes les circonscriptions avec des gens recrutés par internet ». Je vous assure qu’on ne peut pas gouverner la France de cette manière-là. Il y a quelque chose qui va absolument à l’encontre de tout ce que j’ai toujours pensé. Par exemple, j’ai refusé le parti unique à Jacques Chirac et à Nicolas Sarkozy, ce n’est pas pour l’accepter avec M. Macron. Je ne crois pas au recrutement de candidats sur internet. La politique demande de l’expérience et de l’enracinement.

Nous allons terminer par l’instantané. Vous nous avez envoyé la photo de la vue de votre bureau à la mairie de Pau. Pourquoi ?

Vous voyez la splendeur des Pyrénées, même si le temps là était un peu gris et nuageux. Vous remarquez même au premier plan le château du Père Noël qui n’a pas encore été enlevé et qui est devant la statue de mon ami Henri IV. Le château du Père Noël n’y sera plus demain ! 

Est-ce que cela vaut le coup de quitter tout cela pour une campagne présidentielle ?

Dans la vie, les questions les plus graves sont celles que l’on ne tranche pas uniquement par son désir ou son désir personnel. Il arrive que vous soyez le seul à pouvoir faire ce qui doit être fait.

Il reste quelques jours avant votre réponse. Si Emmanuel Macron veut vous appeler, c’est maintenant ou jamais ?

J’imagine qu’il a mon numéro de téléphone, que j’ai le sien. Tout cela n’est pas si impossible.

Quels sont les pourcentages que vous soyez candidat ou pas ?

Je ne sais pas. Je n’ai pas pris ma décision. J’ai l’habitude de respecter précisément les délais que je me donne. J’explique dans ce livre, qui s’appelle Résolution française, que les solutions qui permettent au pays de s’en sortir sont plus faciles à atteindre que ce que l’on croit. Nous avons besoin d’un cadre, de retrouver l’estime des responsables politiques et qu’ils aient une idée précise de l’avenir. Si je peux aider à cela, je le ferai avec grand engagement.

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