"Je suis conservateur et même farouchement conservateur de ce qui tire le pays vers le haut."

Invité de Jean-Jacques Bourdin ce matin, François Bayrou a commenté l'actualité politique du jour. Il est notamment revenu sur les raisons de sa mobilisation contre le décret instituant la réforme du collège.

Notre invité est François Bayrou. Bonjour.

Bonjour.

Merci d’être avec nous. Je vais commencer avec cette phrase du pape François prononcée samedi à Sarajevo qui m’a marqué : « un climat de guerre s’installe dans le monde ». Pensez-vous la même chose ?

Cela crève les yeux. C’est une guerre qui a des aspects extrêmement inquiétants parce que par bien des aspects c’est une guerre de religions. Les guerres de religions n’ont jamais vraiment cessé sur la planète mais là elle prend un aspect endémique presque répandu partout, à la fois dans certaines zones du monde – le Moyen-Orient – et à l’intérieur des sociétés qui ne sont pas prises dans cet ensemble. Il y a aussi cet aspect qu’au fond on s’en accommode, on ne cherche pas à bâtir les outils – l’organisation des Nations Unies avait été faite pour cela, n’est-ce pas ? – qui pourraient valablement empêcher la guerre. Tous les problèmes dont nous parlons – le problème des migrants, on en a recueilli 3500 dans la Méditerranée samedi au départ de Lybie – on ne cherche même plus à trouver les instruments qui nous permettraient de sortir de cette horreur. Et c’est cela qui pour moi au fond est le plus important, à la fois guerre et absence d’intervention.

Le pape dénonce ceux qui veulent provoquer un conflit entre les cultures et les civilisations. Qui sont-ils ?

Il y a deux grandes conceptions dans le monde : la première c’est ceux qui pensent qu’une religion doit s’imposer à tous et convertir y compris de force ceux qui ne seraient pas de cette foi. Il y a les autres, qui pensent que le stade le plus enrichissant pour les religions et pour les sociétés humaines c’est que nous puissions vivre ensemble quelles que soient nos convictions religieuses, philosophiques, athées ou agnostiques. Ceux là à mon avis sont d’une certaine manière des bienfaiteurs du monde dans lequel nous vivons. C’est pourquoi pour moi – j’ai consacré beaucoup de temps dans ma vie à réfléchir à Henri IV, parce que c’est le premier souverain en France qui à travers l’édit de Nantes, a fait le pas pour que l’on vive ensemble, que l’on accepte d’avoir des religions différentes et des droits égaux.

François Bayrou, pendant que le pape François réfléchit à la marche du monde, Arnaud Montebourg lui réfléchit à la marche de la France. « Nous marchons vers le désastre dit-il ». Est-ce vrai ou est-ce une posture politicienne ?

Ce sont des mots extrêmement durs, mais on entend cette phrase et cette idée sur tous les bords. Là encore, il y a deux visions : la première vision c’est ceux qui pensent que pour sortir des difficultés que nous avons, il suffirait – « y a qu’à » - revenir à un endettement plus massif et à des déficits plus importants. C’est la thèse d’Arnaud Montebourg mais c’est aussi la thèse émise au sein de la droite, avec comme instrument la baisse massive des impôts. C’est quelque chose que l’on entend sur tous les bancs, comme on dit à l’Assemblée nationale.

Pourquoi est-ce que cela ne marcherait pas ?

Pour une raison très simple : j’ai dénoncé depuis 15 ans. Quand vous êtes engagé dans un endettement qui dépasse vos possibilités – quand vous êtes surendetté – tout centième de mouvement des taux d’intérêt vous coûte. On a 2000 milliards de dette en France, que l’on peut financer tant bien que mal avec beaucoup de sacrifices parce que les taux d’intérêt sont à zéro ou presque ! Mais tout mouvement de 1 % des taux nous coûterait des dizaines de milliards ! Or, si vous repartez vers une politique comme cela, c’est-à-dire de laxisme dissimulé en générosité, à l’instant même les prêteurs vont se dire « attention, risque sur la France -. Et s’il y a risque sur la France, le taux d’intérêt monte et donc explosion de notre dette. C’est aussi simple que cela, c’est du bon sens et donc cette politique n’est pas à suivre. L’immobilisme dans lequel nous sommes actuellement et depuis des années ne peut pas aller non plus donc il faut ouvrir la seule politique qui vaille, c’est-à-dire une politique de reconstruction du pays. Qu’est-ce que c’est ? C’est une politique qui accepte de regarder en face le fait que nos problèmes viennent de chez nous et pas d’ailleurs. Pas de Bruxelles et pas de Berlin comme le dit Arnaud Montebourg ! Par exemple, ce n’est de la faute de personne si notre éducation est dans l’état où elle est ! C’est à la suite d’erreurs que nous multiplions et qui sont en train de se multiplier encore aujourd’hui. Ce n’est de la faute de personne si le climat n’est pas bon pour les entreprises. Ce n’est de la faute de personnes si les entrepreneurs sont bloqués devant les embauches parce qu’ils ont le sentiment d’une très grande insécurité.

La peur de l’embauche, exprimée par une très grande quantité de chefs d’entreprise… Qu’est-ce que vous proposez ?

Je propose un contrat de travail unique à durée indéterminée et à droits progressifs. C’est-à-dire que l’on sache si vous embauchez quelqu’un ce qui se passera précisément si vous êtes obligé d’interrompre le contrat. Pour autant, la durée n’a pas à être fixée et vous vous trouvez dans une situation qui est de plus grande sécurité.

C’est-à-dire que si je suis chef d’entreprise, j’embauche un salarié pour une durée indéterminée…

Oui, il peut rester aussi longtemps qu’il faut mais s’il y a rupture du contrat alors les indemnités sont fixées à l’avance.

C’est-à-dire « rupture du contrat » ?

Si on est obligé de se séparer parce que les affaires vont mal…

Donc le salarié sait à l’embauche combien il touchera s’il est viré.

Combien il touchera si, viré n’est pas le mot …

…Le mot est un peu familier mais c’est ça non ?

Non arrêtons-nous à votre mot. L’idée que c’est virer si le contrat de travail s’arrête, c’est une idée qui ne tient pas compte de la réalité des entreprises. Il peut y avoir 1% d’irritation et de rupture abusive, mais à ce moment-là, on regarde, mais si c’est simplement parce qu’il n’y a pas de travail comme on le souhaiterait, ou parce que un événement extérieur est intervenu alors c’est pas viré, en fonction de la difficulté et des conjonctures que l’on a, et de savoir si ce salarié est ou non adapté à une tâche nouvelle que vous avez à faire.

Alors est-ce que vous êtes d’accord avec le gouvernement qui va nous annoncer demain pour éviter trop de prud’hommes, un plafonnement des indemnités en cas de licenciement ?

Il faut qu’on vérifie le texte, mais je ne crois pas que la question soit celle du plafonnement, moi je défends des droits progressifs, c’est-à-dire que au bout de 12 ans, naturellement vous avez une indemnité qui est beaucoup plus forte que au bout de 12 mois. Et vous voyez que cette progressivité en fait elle prend en compte l’investissement du salarié dans l’entreprise, ce n’est pas la même chose.

Donc liberté pour l’entreprise de se séparer d’un salarié ?

Le contrat de travail, comment serait-il le seul contrat, dans la société française, totalement indissoluble ? Le mariage cela fait des décennies, que même cette institution qui paraissait comme la plus sacrée, elle n’est plus indissoluble. Alors le contrat de travail, d’une certaine manière, ça rassurerait beaucoup les uns et les autres, les salariés et les chefs d’entreprises, si on clarifiait cette question et si on en faisait un contrat à durée indéterminée, un contrat où on embauche, et on espère que ça dure longtemps.

Est-ce que la politique française n’est pas aujourd’hui prisonnière d’un affrontement entre François Hollande et Nicolas Sarkozy ? Je veux dire par là, est-ce qu’il n’y a pas un accord finalement tacite entre ces deux hommes pour se retrouver et jouer le match retour en 2017 ?

Je ne crois pas qu’il y ait un accord, il y a une préférence, chacun souhaiterait être seul en face de l’autre. Il n’y a qu’un hic dans cette affaire : c’est que les français n’en veulent pas. Le choix des français, le sentiment des français très majoritaire, aux trois quarts, c’est que cette approche perpétuelle du blocage entre les deux partis principaux et les deux figures principales des partis principaux, que cette figure-là ne leur convient pas, et ils le montrent de toutes les manières, et c’est la raison pour laquelle je travaille à chercher d’autres issues.

D’autres issues, on va en parler, mais les français ne veulent pas de François Hollande, de Nicolas Sarkozy, je regarde tous les sondages, mais ils ne veulent pas de politique non plus. On ne sait plus. Vous ne sentez pas qu’il y a un désintérêt total pour la politique ? Peut-être pas total, mais en tout cas les partis politiques n’apportent pas les réponses souhaitées, c’est ce que disent les français dans les études.

A mon avis, la première question, c’est qu’ils n’apportent pas de réponses claires. Le découragement des français vient des deux sources qui sont les deux sources de l’adhésion et de la confiance : pour qu’il y ait adhésion et confiance il faut qu’il y ait un projet clair, par exemple je viens de défendre devant vous le fait que il nous appartient, nous français, sans aller chercher des causes à l’extérieur de résoudre les problèmes qui sont les nôtres depuis l’école jusqu’à l’entreprise en passant par les contrats de travail, et que ceci est la voie pour s’en sortir, un projet clair. Et deuxièmement un leadership c’est-à-dire des personnalités qui leur proposent un mouvement, une adhésion, une marche en avant. Et cette marche en avant, elle passe à mon avis par le rassemblement des français au lieu de passer par la division. Le fait que on cherche perpétuellement à dresser politiquement ou ethniquement ou religieusement une partie des français les uns contre les autres, à mon avis, c’est un obstacle formidable devant le redressement d’un pays, on met des chaines au pieds d’un pays qui aurait besoin de toutes ses forces pour se redresser.

Ca veut dire quoi aujourd’hui vous soutenez Alain Juppé, les choses sont claires ?

Il y a beaucoup de responsables politiques qui disent blanc quand ils pensent noir. Je n’appartiens pas à cette catégorie-là. Ce que je dis, je le pense.

Mais c’est un candidat antisystème Alain Juppé ?

Non je ne dirais pas ça. La différence de Alain Juppé avec Nicolas Sarkozy, par exemple, c’est qu’il a choisi une attitude qui est une attitude qui fédère des sensibilités différentes. Il dit : pour s’en sortir, au fond, on est obligés de rassembler, et de ce point de vue-là, je pense qu’il est juste et il est vrai dans ce qu’il dit.

Nicolas Sarkozy qui aurait dit à votre propos  « de toute façon, le bègue je vais le crever ».

Oui c’est une phrase charmante. Vous voyez que on est au cœur de cette affaire, alors je ne parle pas du tout des déclarations à mon endroit qui sont d’une manière répétée chaque jour…

Est-ce que c’est à cause de vous, vous pensez que Alain Juppé a été sifflé au congrès des Républicains ?

Non je pense que Alain Juppé, comme François Fillon, ils été sifflés parce qu’ils ont été considérés comme s’opposant à la prééminence de Nicolas Sarkozy, et que c’est ça le fond de cette affaire. La question c’est celle de la violence que l’on met en politique. Quand on n’a pas d’idées, on met de la violence. Quand on n’a pas d’idées, on fait flamber les ressentiments, et je trouve que c’est plus intéressant d’avoir une démarche distanciée, avec un peu plus d’humour, même si il le faut, avec une manière de prendre les choses sans que l’on veuille mettre le feu à la maison. Je trouve que c’est plus intéressant pour l’avenir du pays. Et c’est une attitude qui est plus proche que celle d’un homme d’Etat, ou que celle qu’un citoyen père de famille devrait avoir.

Deux choses et puis je passe au collège. Premièrement : pour les régionales, le MoDem va s’allier aux Républicains ? Partout ? Au premier tour ?

Le MoDem a présenté dans toutes les régions des chefs de file et va présenter des projets.

Vous allez passer accord ?

Si c’est acceptable, nous sommes prêts à des rassemblements ; si c’est moins acceptable ou que les équilibres ne sont pas trouvés et bien nous serons dans une démarche autonome.

Vous pourriez vous rassembler derrière Laurent Wauquiez ou Guillaume Peltier ?

Vous voyez bien qu’il y a là des sensibilités qui, précisément, ne ressemblent pas à ce que je viens de vous indiquer.

Donc pas de rassemblement dans ces 2 régions ?

En tout cas, quand il y a des  sensibilités qui exacerbent les passions, il faut qu’il y ait en face une proposition politique différente, plus équilibrée et plus novatrice.

Cela vous a choqué le voyage de Manuel Valls à Berlin, samedi soir ? Franchement.

Je pense que les hommes politiques en fonction, parfois, perdent le sens des réalités.

Il a perdu le sens des réalités pour vous ?

Dans ce voyage-là, il ne s’est probablement pas aperçu que cela choquerait beaucoup de gens, que ce soit l’argent public qui prenne en charge un moment de détente et de passion pour le Premier Ministre et il me semble que c’est toujours mauvais signe et mauvais signal. On ne se rend pas compte que ces facilités que le pouvoir offre, ces privilèges que le pouvoir offre, il faut y résister avec beaucoup de force de caractère. On est toujours tenté, les entourages sont là, « Monsieur le Ministre, Monsieur le Premier Ministre, on va arranger cela, ce n’est pas difficile, l’avion est là, on va aller à Berlin ». On connaît bien cela, vous le connaissez, je le connais. De ce point de vue-là, c’est un mauvais signe et un mauvais signal, parce que pour les Français cela veut dire « Mais ils ne réfléchissent pas  combien c’est dur pour nous ».

Nouvelle grève contre la réforme du collège jeudi. Vous êtes prêt à manifester, à aller manifester contre cette réforme ? Vous descendriez dans la rue ? François Bayrou.

Ah je pourrai descendre dans la rue contre cette réforme. Le jour où il y aura ce que je pense nécessaire – une manifestation – évidemment j’irai.

Vous appelez à une grande manifestation ?

Nous avons signé une tribune avec Jean-Pierre Chevènement, Luc Ferry – tous les 3 anciens Ministre de l’Education nationale – Michel Onfray, Pascal Bruckner et Jacques Julliard – 3 intellectuels majeurs – pour montrer que l’on dépassait de beaucoup les frontières politiques. On a signé une tribune, elle a atteint 15 000 signatures en 3  jours. C’est très facile de la signer, je dis cela pour ceux qui nous écoutent, cela s’appelle « pouruncollegedelexigence.fr », sans intervalle et sans apostrophe. Et donc, cette tribune-là, elle a retenu, recueilli l’adhésion et le soutien de beaucoup de Français. Pourquoi ? Pour une raison très simple : tout le monde se rend bien compte qu’il y a un choix du gouvernement qui pour moi est un choix idéologique. Au lieu de choisir l’exigence, on choisit le nivellement par le bas et alors on s’attaque à tout ce qui marche c’est à dire les langues vivantes lorsqu’elles sont renforcées avec des classes européennes ou des classes bilangues ou bien les langues anciennes.

C’est 18% les classes européennes. Là, apparemment, les élèves apprendront une langue vivante dès la 5e au lieu de l’apprendre dès la 4e, c’est un progrès ou pas ?

C’est un leurre, vous le voyez bien.

Ah bon.

C’est un leurre parce qu’il y a à peu près 30% des enfants du collège qui ne maitrisent pas la lecture et l’écriture de la langue française, et vous les mettez en situation d’avoir 2 langues dès la 5e ? Vous voyez bien que tout cela ne va pas.

D’ailleurs vous dites que le début de la réforme du collège se joue au primaire. C’est là le début de la réforme.

Oui. C’est le premier point de notre appel. La question est, en effet, dans l’enseignement primaire. Mais vous voyez, l’autre jour, quelqu’un a dit en nous attaquant que nous étions conservateur. Je voudrais vous dire quelque chose : je suis conservateur et même farouchement conservateur de ce qui marche et de ce qui tire le pays vers le haut. Et je suis farouchement réformateur de ce qui ne marche pas et tire le pays vers le bas. Or, on est en train de faire le contraire : on s’attaque à ce qui marche parce que, soi-disant, ou parce que, prétendument, sont moins nombreux les élèves qui le suivent. 20 ou 25% des élèves suivent ces filières, langues ou langues anciennes, ou peut-être 30%, 25% en tout cas. Alors si l’on m’avait que l’on va élargir ce socle-là, « On a 25%, alors on va passer à 50%  en quelques mois », j’aurai applaudi, j’aurai dit « Cela, ça va dans le bon sens », mais vous voyez bien que ce n’est pas la situation qui est choisie. Il y a une déclaration du Ministre de la Défense qui a dit la même chose pour l’Ecole Polytechnique annonçant qu’on allait changer complètement l’Ecole Polytechnique. Les rares choses qui marchent dans notre pays, qui sont signes d’excellence, de qualité, et bien on lance des idées qui sont, au contraire, pour les déstabiliser et pour, d’une certaine manière, mettre à bas leur cheminement. Je trouve que cette idéologie-là – qui consiste à s’attaquer à ce qui marche et au contraire à élargir ou à multiplier ce qui ne marche pas – est une mauvaise idéologie.

Sur la réforme du collège, vous demandez le retrait du décret.

Le retrait, et qu’on le reconstruise.

Et s’il n’y a pas retrait, vous appelez à manifester.

Et s’il n’y pas retrait, j’irai manifester le jour où il y aura une manifestation que j’appelle de mes vœux et je vous dis quelque chose d’autre : s’il n’y a pas retrait, cela deviendra un sujet majeur des élections qui viendront. Parce qu’on l’annonce pour 2016 – évidemment j’espère que d’ici là on aura fait ce qu’il fallait – mais autrement on va voir là un clivage, un signe de changement, un symptôme de ce qui n’a pas marché, des mauvais choix qui ont été faits depuis que le gouvernement est en place. Vous voyez que ce n’est pas un sujet secondaire, c’est un sujet essentiel donc pour l’instant pouruncollegedelexigence.fr pour tous ceux qui nous écoutent.

Merci François Bayrou d’être venu nous voir.

 

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