"Je ne crois pas à la théorie du choc ou du grand soir"

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Dans un grand entretien accordé au journal Les Échos, le président du Modem appelle François Fillon à faire évoluer son projet sur la fiscalité, le travail, les emplois publics, la sécurité sociale et avance de son côté de nombreuses pistes ciblées et progressives pour redresser la France.

Propos recueillis par Isabelle Ficek et Nicolas Barré

Au lendemain de la primaire de la droite et du centre, quelle est votre position ?

Ma première conviction, c’est qu’il faut une alternance : les cinq années du Parti socialiste au pouvoir ont montré tant d’insuffisances qu’elles méritent sanction.  Les Français ne peuvent pas laisser le PS au pouvoir. Ils n’en ont d’ailleurs aucune intention. Par ailleurs, il se trouve que j’ai pour François Fillon qui a été sélectionné une  vraie estime et une amitié éprouvée. Mais j’éprouve en même temps de grandes inquiétudes à propos du programme qu’il a présenté, et dont je considère qu’il fait peser un risque non seulement sur l’après-présidentielle, mais même directement sur l’issue de l’élection.

Trop libéral ?

La réponse que ce projet apporte à la crise est problématique. Il me semble que la référence réitérée à Mme Thatcher est très risquée. Pas seulement en raison de la brutalité de la politique, mais surtout parce qu’elle est inadaptée.  L’histoire nous l’apprend : nous avons connu trois grandes crises économiques dans le siècle passé. La crise de 1929, la crise de la fin des années 70, et la crise héritée de 2008. Or ces trois crises sont de nature radicalement différente. La crise des années 70 était une crise d’hyperinflation.  Lorsque Thatcher arrive au pouvoir, l’inflation est ente 15 et 18 % l’an, 1,5 % par mois ! Devant une telle flambée, il est adapté de casser l’inflation à tout prix. C’est ce qu’a fait la « Dame de Fer », quitte à faire exploser le chômage. En revanche la crise de 29 et notre crise actuelle sont toutes deux, même d’intensités différentes,  des crises déflationnistes : nous souffrons d’une activité trop faible. Appliquer à ces crises déflationnistes une politique déflationniste, c’est une erreur de conception. D’ailleurs on a essayé dans les années 30 : réduction brutale des salaires des fonctionnaires, par exemple. Le résultat a été catastrophique. Verser un grand seau d’eau froide sur un feu qui galope, c’est adapté. Mais verser le même seau d’eau froide sur un feu qui est au bord de s’éteindre et qu’on voudrait voir repartir, c’est obtenir le résultat contraire à ses espérances… J’ajoute que Thatcher n’a supprimé que 100.000 emplois de fonctionnaires en six ans, soit cinq fois moins que ce que propose le projet Fillon. C’est un débat qu’il convient d’avoir et que je considère vital pour l’avenir.

Vous qui alertez depuis longtemps sur le poids de la dette et la nécessité de faire des économies, que proposez –vous d’autre ?

Je note que le programme de François Fillon envisage un déficit de 4,5% la première année, ce qui est très risqué dans un contexte de renchérissement des taux d’intérêt. La meilleure manière de lutter contre la dette, c’est de renforcer l’efficacité de l’action publique, lutter contre les rigidités dans les carrières, libérer et encourager la capacité de créativité qui existe dans la société… Or le blocage général qui résulterait de la suppression de 500.000 emplois publics empêcherait tout cela. Sans compter que nous irions droit à des épreuves de force et à des mouvements sociaux néfastes pour la société française. Je ne crois pas à la théorie du choc ou du grand soir : voyez ce que cela produit dans d’autres pays comme en Italie. La recherche du choc crée des affrontements et des frustrations qui paralysent l’action publique. 

Comment relancer la croissance ?

Je partage le diagnostic sur l’insuffisance de l’investissement. Pour y remédier, François Fillon propose de supprimer l’ISF. Je pense qu’il serait plus efficace de le réformer en traitant l’investissement comme les œuvres d’art, qui sont déduites de la base de l’ISF. On éviterait le symbole consistant à favoriser les riches en taxant les ménages modestes avec la hausse de la TVA et on orienterait de manière décisive l’épargne vers l’entreprise. Mais le meilleur moyen de relancer l’investissement est encore de créer un climat qui montre que l’avenir sera meilleur qu’aujourd’hui. Ce qui est décisif, ce sont les anticipations positives des investisseurs. Or de ce point de vue, la dimension récessive du projet Fillon risque de produire l’effet inverse et de les décourager. Quand la Réserve fédérale américaine indique qu’elle vise le plein emploi, elle agit exactement dans ce but : créer des anticipations positives et envoyer un signal de croissance.

François Fillon vous semble-t-il prêt à infléchir son programme ?

J’entretiens avec lui des relations de confiance depuis suffisamment longtemps pour penser qu’il peut entendre un certain nombre d’idées. Et je sais que je ne suis pas le seul à relayer ces inquiétudes. Il sait que j’ai pour préoccupation l’unité du pays et qu’il faut éviter les chocs qui le fracturent. Son projet était très centré sur la primaire mais il n’est ni aveugle ni sourd. J’ai connu François Fillon bras droit de Philippe Séguin : ce que je dis sur le risque récessif, le risque social, le sentiment d’exclusion d’une partie des Français, Philippe Séguin l’aurait dit aussi… Le sentiment d’exclusion d’une partie des Français, notamment sur la question du travail, est fort. Il y a aujourd’hui dans le monde une vague d’acceptation de la croissance continue des inégalités à l’intérieur des sociétés. Une démarche qui fait que les privilégiés ont toujours plus de facilités, les faibles, toujours plus de contraintes. Cela explique la victoire de Donald Trump, le Brexit et le référendum italien.

La situation n’est-elle pas différente en France ?

La partie du projet de François Fillon qui paraît avaliser le risque d’une baisse des revenus du travail – Emmanuel Macron va d’ailleurs dans le même sens quand il présente l’idée que les jeunes travaillent davantage pour gagner moins– , cette idée qu’on dirait du XIXe siècle selon laquelle le travail est toujours trop cher payé, est contre-productive.  La manière dont on parle de la fonction publique, de l’hôpital, des collectivités locales, de l’enseignement, est blessante pour ceux qui donnent leur vie à cette action publique,  et fracture de plus en plus la société. Or une société fracturée est prête à toutes les aventures. La campagne présidentielle sera très rude, et certains sont prêts à cultiver ces blessures.

Vous dites que vous voulez l’alternance. François Fillon est-il la meilleure chance d’alternance ?

Si la conscience de ces questions grandit d’ici quelques semaines dans la société française et si on en tient compte, si on cherche des réponses justes, alors la chance d’alternance sera importante. Sinon, elle sera menacée, sur sa gauche et sur sa droite car ces fractures favorisent les extrêmes. C’est pourquoi je ne ferme aucune porte sur la décision que j’aurai à prendre. Je suis déterminé à ne pas laisser ce piège se refermer sur notre pays.

Sur quels points souhaitez-vous le faire évoluer ?

Nous avons de nombreux points d’accord. Par exemple, je défends depuis 2006 l’idée d’une allocation sociale unique à points, je pense qu’il faut alléger le code du travail. Nous avons une différence sur la méthode, François Fillon plaide pour le choc, moi je plaide pour l’action ciblée et progressive. Je suis pour une société d’expérimentation plutôt que d’injonctions venues du sommet. Le projet annonce quatre référendums. J’imagine que ce qui vient de se passe en Italie va aussi le faire réfléchir. Il y a surtout toute la question du travail, la question des heures supplémentaires qui est un des seuls moyens pour les salariés d’arrondir les fins de mois. Il y a le choc simultané de la suppression de l’ISF et de l’augmentation de la TVA. Et il y a bien sûr la sécurité sociale, dont il me semble que la question de la privatisation doit être reprise. 

Quel regard portez-vous sur la fin du quinquennat ?

La situation est chaotique. Manuel Valls est dans une position compliquée. Il n’a cessé de dire que le vieux parti est un obstacle et veut aujourd’hui l’amalgamer autour de lui. Cela va être périlleux. 

N’y êtes-vous pas contraint parce qu’Emmanuel Macron occupe votre espace politique ?

Dans une campagne présidentielle, ce qui passe, ce n’est pas l’image, c’est le message. Quand il est dense et fort, il est entendu. S’il est évanescent et impalpable, il part en vrille. On l’a vu lors de la primaire, les candidats qui se revendiquaient du seul « renouveau » n’ont pas tenu la route. L’élection à la présidence de la République exige que l’on soit confirmé, stable et fort. C’est ce poids spécifique qui fait la différence.

Que pensez-vous de l’importance du fait religieux dans le débat public ? 

Tout le monde sait que je suis chrétien, croyant et pratiquant. Mais je défends sans faiblesse la séparation entre politique et religion, car là est la pierre d’angle de la laïcité. Chaque fois que l’on pousse la politique vers la religion, on fait courir des risques majeurs à la société. Dans une société pluraliste, aucune politique ne doit être fondée sur le dogme religieux, sinon on court le risque de guerre de religion. C’est même, que je sache, le fondement de notre contestation de l’islamisme. 

Partagez-vous la position de François Fillon sur l’avortement ?

Je ne mets pas sur le même plan les convictions personnelles  et la responsabilité publique  Quelles que soient les convictions personnelles, cela ne donne pas de légitimité pour les inscrire dans la loi et les imposer à d’autres. Par pitié, ne rallumons pas la guerre sociétale à chaque élection ! Cela ne ferait qu’accentuer les fractures. J’imagine que François Fillon n’est pas éloigné de ce point de vue.

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