"Il y a des moments dans l’histoire où il faut éviter de favoriser le pire"

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Invité de l'émission "Tous politiques" sur France Inter où il a été interrogé par Marc Fauvelle, Jean-Noël Cuénod et Thierry Borsa, François Bayrou s'est exprimé à la fois sur les problématiques nationales et internationales. Selon lui, "la France est en train d’abandonner sans recours la force qui était en elle, et c’est cette force qu’il faut retrouver".

« Tous politiques » - Bonsoir François Bayrou.

Bonsoir.

François Bayrou, vous êtes maire de Pau et président du MoDem. Ce soir, vous serez interrogé par Thierry Borsa du Parisien/Aujourd’hui en France et par une grande signature de la presse étrangère, Jean-Noël Cuénod, collaborateur à la Tribune de Genève, rédacteur en chef et correspondant à Paris du mensuel suisse La Cité.

Nouvelles images d’horreurs : celles de la décapitation d’un otage britannique, David Haines, qui était entre les mains de l’État islamique depuis un an et demi lors de son enlèvement en Syrie. Troisième décapitation en l’espace d’un mois. Est-ce que l’on est condamné, nous Occidentaux, à vivre au rythme de toutes ces images dans les années qui viennent ?

Nous sommes condamnés à nous battre. Cette tentative de prise de contrôle de pays et d’États entiers, il faut que nous voyons exactement de quoi il s’agit : c’est un mouvement ennemi de ce que nous avons de plus précieux. Je n’emploie pas le mot « ennemi » souvent. Il peut y avoir des conflits territoriaux, il peut y avoir des conflits d’idéologie, mais ce n’est pas à cela que nous avons à faire. C’est à une volonté construite, soutenue financièrement pendant très longtemps, qui a choisi de mettre à bas ce que nous – Europe, Occident, monde civilisé – avons de plus précieux : le respect élémentaire des droits de la personne humaine et parmi ces droits, le plus fondamental, le droit de croire ou de ne pas croire. Ils ont décidé de plier l’humanité qui est à leur portée, sous leurs mains, à leur loi « religieuse ». Elle n’est pas plus religieuse qu’autre chose, elle est purement et simplement totalitaire et intégriste.

Faut-il les éradiquer, François Bayrou ?

Il faut les mettre hors d’état de nuire. Il faut que cette construction politique et militaire qui s’est mise en place soit abattue. Il faut que ce mouvement, autant que possible, disparaisse comme menace pour tous ceux qui hélas sont soumis au risque de leurs rencontres.

François Bayrou, votre position a évolué sur la Syrie. Vous étiez très opposé à Bachar el-Assad, votre opinion a un petit peu évolué depuis. Est-ce qu’il faut frapper l’État islamique en Syrie, quitte à prendre le risque de faire le jeu de Bachar el-Assad ?

Monsieur, vous dites que mon opinion a évolué. Moi, j’ai le sentiment qu’elle est toujours restée la même et je vais vous dire pourquoi. Je n’ai jamais approuvé Bachar el-Assad. Je ne suis pas de ceux qui ont applaudi à son invitation il y a quelques années au défilé du 14 juillet, dans la tribune officielle aux côtés du Président de la République française. J’ai trouvé que c’était une aberration et je l’ai dit à l’époque. Je n’aime pas davantage Bachar el-Assad aujourd’hui qu’hier, de même que je n’aimais pas Kadhafi et je n’ai pas approuvé le fait que, à grand honneur, on l’accueille dans les jardins de Marigny, à l’Élysée ou presque, avec la tente démonstrative en oubliant quels étaient les abus et les crimes qui étaient les siens. Mais je considère qu’il y a des moments où on est obligé de constater que, faire disparaître le minimum d’ordre qui tant bien que mal empêche les pires dérives et les pires abus, c’est faire le jeu de l’ennemi dont je parlais. Donc en effet, j’ai critiqué le fait que l’on aille bombarder Bachar el-Assad à l’époque alors qu’aujourd’hui les mêmes s’apprêtent à bombarder les djihadistes sur le territoire de la Syrie.

Faut-il bombarder l’État islamique en Syrie quitte à renforcer Bachar el-Assad ?

En tout cas, je pense qu’il est absolument nécessaire de mettre à bas cet État islamique où qu’il se trouve, y compris en Syrie. Je soutiens, et je l’ai déjà dit depuis longtemps, l’idée d’une mobilisation internationale pour que cette menace disparaisse de cette région. Évidemment, on doit souhaiter et tout faire pour que cette prise de responsabilité soit celle des États arabes et des autorités politiques reliés à toutes les familles de l’Islam.

Y compris l’Iran par exemple ?

Il est légitime de penser que tout le monde, les chiites, les sunnites, les différentes sensibilités du sunnisme, soient présentes autour de la table. C’est la responsabilité des États arabes de nettoyer cette espèce de dérive qui s’est incrustée, enkystée dans leur sein.

Il y a une grande conférence qui s’ouvre demain pour former une coalition contre l’État islamique. Quelle doit être la position de la France ?

La France doit être favorable à la coalition la plus large et la plus efficace possible pour que la menace de l’État islamique disparaisse, y compris jusqu’à un soutien militaire. Il faut en tout cas avant tout un soutien humanitaire pour les pauvres victimes.

Faut-il envoyer des hommes sur place ?

Personne ne dit qu’il faut envoyer des hommes sur place. Je pense qu’il faut essayer d’éviter cette extrémité. Tout cela est évidemment horriblement difficile. Mais les États qui vont être assis autour de la table portent une part de responsabilité.

Vous avez évoqué Jacques Chirac et le « non » de la France en 2003 au sujet de la guerre en Irak. L’homme qui avait porté cette voie, c’était Dominique de Villepin. Écoutez ce qu’il dit aujourd’hui, justement sur la nécessité ou non, vous allez l’entendre, d’intervenir en Irak.

[Retransmission de propos tenus par Dominique de Villepin]

On obtient la guerre en semant la guerre. Il n’a pas tort Dominique de Villepin sur la situation en Irak.

C’est ce que je disais à l’instant. Chacun ses mots, mais je diverge d’avec Dominique de Villepin sur la conclusion implicite de son propos qui est le suivant : il ne faut rien faire. Je suis en désaccord avec cela. Les millions de personnes, qui sont menacées, soumises, abattues, atterrées par le sort qu’on leur fait subir, ne sont pas non plus de cet avis. Il y a des moments dans l’Histoire – et ce n’est pas facile, ce n’est pas agréable – où il faut faire quelque chose, simplement pour que l’horreur ne l’emporte pas ! Or, l’horreur est aujourd’hui en train de l’emporter dans les zones qui sont soumises à l’ordre terrifiant de cette barbarie.

Aujourd’hui, François Bayrou, environ 1 000 Français sont dans cette région en train de combattre auprès de l’État islamiste. Il y a une proposition qui doit être examinée demain à l’Assemblée nationale, qui est portée par Bernard Cazeneuve et qui prévoit l’interdiction de sortie du territoire français pour les futurs djihadistes présumés. Est-ce que vous pensez qu’il s’agit d’une bonne mesure et comment peut-on l’appliquer ?

J’ai une ligne de conduite dans cette affaire : il faut l’unité nationale autour des dirigeants qui ont la charge difficile de la sécurité du pays dans des circonstances comme celles-là. Je ne doute pas qu’ils aient examiné toutes les hypothèses. Cette position qui est la mienne - l’unité nationale autour des responsables en matière de sécurité - était la même lorsque Nicolas Sarkozy était au pouvoir et elle est la même aujourd’hui. Ils ont des éléments par les services de renseignement et d’analyses internationales auxquels je propose que nous fassions confiance et que nous serrions les coudes.

Il y a quand même un projet de loi qui va être adopté et là-dessus. Est-ce que cette interdiction de djihadistes présumés n’est pas un danger pour les libertés individuelles ?

Je ne le crois pas. Quand vous avez une jeune fille de 14 ans qui, simplement parce qu’elle s’est emballée sur internet dans une vision qui est à la fois romantique et terrible, dit « Je vais aller moi aussi du djihad », il faut bien qu’il existe un moyen légal, juridique !

Mais pour quelqu’un qui a 20 ans, 25 ans, est-ce que l’on peut vraiment l’empêcher d’aller faire le djihad ?

Cette mesure avait été envisagée préalablement et on la retrouve aujourd’hui.

La gauche avait bataillé contre à l’époque. Il faut une unité à l’Assemblée, c’est cela le message ?

Je ne donne évidemment pas d’indication de vote sur un sujet comme celui-là. Je vous dis quelle est ma position et je sais très bien que ce n’est pas facile, donc je le dis avec prudence. Mais je pense nécessaire qu’il y ait une solidarité avec les responsables.

Est-ce que François Hollande, sur l’aspect militaire depuis le début de son quinquennat avec le Mali, la Centrafrique, peut-être demain l’Irak, est à la hauteur des enjeux mondiaux aujourd’hui ?

Mali et Centrafrique, oui, et je l’ai soutenu. J’ai désapprouvé l’orientation qui était la sienne, celle aussi de Nicolas Sarkozy et même d’Alain Juppé, lorsqu’il s’agissait de frapper la Syrie. Je trouve que dans les deux premiers cas, c’était logique. L’adversaire désigné était l’ennemi dont je parlais à l’instant. Dans l’autre cas, c’était favoriser le jeu de cet ennemi-là. En tout cas, je l’ai vu comme tel et je peux vous affirmer que toutes les minorités religieuses de cette région du monde, que ce soit les minorités religieuses musulmanes de la grande galaxie musulmane ou les minorités chrétiennes, ou d’autres encore comme les yazidis, tous avaient la même opinion : ils avaient le sentiment que cette menace que portaient les États-Unis et la France était en réalité le risque immense d’être soumis à la dictature des pires. Il y a des moments dans l’histoire où il faut éviter en tout cas de favoriser le pire.

Que François Hollande soit ou non un bon chef de guerre, un récent sondage montre que 6 Français sur 10, et même un peu plus, souhaiteraient qu’il s’en aille avant la fin de son quinquennat. Est-ce que vous en faites partie ?

Non, je pense que nous avons des institutions et que c’est nous aider tous que de respecter nos institutions.

Il y a une tentation du putsch à droite dans les appels au départ de François Hollande ?

Non, je ne crois pas.

« La gauche n’est pas légitime »…

Ce serait en tout cas une terrible erreur parce que cela voudrait dire que désormais nous entrons dans le cycle « On les chasse s’ils nous déplaisent ». Or il y a pour cela des élections. Il y a trois réponses institutionnelles : le référendum, la dissolution et la démission. Mais dire « S’il y a des élections nous ne gouvernerons pas et nous obligerons le Président de la République à partir » c’est, pour moi, inconséquent. Vous ne pouvez pas vous présenter devant les électeurs en disant « Si vous votez pour nous, nous ne gouvernerons pas » et vous ne pouvez pas organiser une espèce de putsch institutionnel.

Certains ont-ils cela derrière la tête aujourd'hui à droite ?

Vous savez, on est un pays qui a tellement de difficultés, tellement d’instabilités qu’au moins il faut que nous respections les piliers de notre société, notre organisation politique. Et parmi ces piliers, il y a le fait que le Président de la République soit élu pour 5 ans, sauf décision de sa part, et qu’il n’y ait aucun moyen institutionnel d’organiser contre lui une prise de contrôle du pouvoir.

Vous venez d’évoquer la dissolution. Est-ce que pour vous ce serait une solution pour que François Hollande ait une majorité qui soit plus adaptée à sa politique ?

Je ne suis pas sûr, s’il y avait dissolution, que François Hollande ait une majorité. Je ne le crois pas.

Peut-être une vague centriste qui viendrait s’ajouter à sa majorité de gauche ?

Soyons sérieux. La dissolution éventuelle est la décision institutionnelle qui permet de rendre la parole au peuple. On peut le faire par référendum mais il y a peu de chances que François Hollande gagne un référendum aujourd'hui. Je crois qu’il aurait pu le faire au début de son mandat et j’ai souvent proposé cette idée comme vous le savez. Aujourd'hui, c’est impossible et la seule possibilité est de rendre la parole aux peuples en lui demandant de réélire sa représentation. Est-ce que c’est la solution ? Est-ce envisageable ? C’est la seule issue possible en cas de crise et de blocages.

On en est là ou pas ?

Je pense que les ferrements de cette crise et de ces blocages sont là, il suffit d’ouvrir les yeux pour les voir. La majorité même est profondément fracturée en son sein sur le fond. J’ai noté les propos de Martine Aubry : que dit-elle entre les lignes ? Elle dit qu’il y a un désaccord profond.

Qu’il faut changer de cap. Qu’il faut une inflexion, qu’il faut respecter les déficits... ce n’est pas non plus le discours de Jean-Luc Mélenchon !

Arrêtons nous une seconde car on est à la veille d’un développement qui risque d’être un accident pour la France. La France a pris des engagements internationaux réitérés, multiples et puis une fois de plus elle ne les respecte pas. Et donc il y aura des partenaires de la France pour dire « Vous ne respectez pas vos engagements ».

On va en parler dans quelques instants. Encore quelques mots sur François Hollande et les affaires récentes : vous avez appelé, implicitement, à voter pour François Hollande. Est-ce que vous considérez aujourd'hui que c’était une erreur, vous avez des regrets ?

Le verbe « regretter », pour des responsables politiques qui agissent en conscience et après avoir réfléchi profondément, n’existe pas.

Vous feriez la même chose aujourd'hui ?

Non, aujourd'hui cette question n’est pas devant nous. La décision de choisir l’alternance, que j’ai prise en 2012, avait deux principales raisons : la première était que la France était exposée à des dérives extrêmement nuisibles et qu’il fallait que ces dérives cessent. La deuxième raison était que la gauche, qui prétendait avoir les réponses aux questions, devait être mise au pied du mur pour pouvoir enfin sortir de l’illusion et du mensonge. Malheureusement François Hollande ne s’est pas rendu compte assez tôt du caractère inéluctable de ce qui devait se produire. Et il n’a pas pris les moyens de rendre viable ce qui était inéluctable.

Pourquoi ? Parce que c’est, comme le dit Arnaud Montebourg, « quelqu’un qui ment tout-le-temps » ?

Non, je ne ressens pas des choses comme ça et je trouve qu’il y a trop d’invectives dans le débat.

C’est ce que j’allais vous demander : entre le livre de Valérie Trierweiler et l’épisode des « sans-dents », le règlement de comptes d’Aquilino Morelle qui dit « Il y a eu une purification ethnique quand on m’a sorti de l’Élysée » où il était conseiller, Cécile Duflot qui règle aussi ses comptes dans un livre… Y a-t-il une forme de chasse anti-Hollande dans les médias, son propre camp et la classe politique aujourd'hui ?

Il y a le règne de l’excès, passionnel et immaitrisé. Tout le monde tombe dans des mots qui sont trop importants pour ce qu’ils veulent dire.

Et vous vous avez envie de le défendre François Hollande, l’homme Hollande au moins ?

Je l’ai défendu. En tout cas j’ai apporté mon témoignage sur un point qui était le fait de l’accuser de mépriser les pauvres et ceci m’a paru excessif. Pour avoir longuement et souvent parlé avec lui, je n’ai rien vu qui aille dans ce sens là. Je ne le vois pas avoir ce type de sentiment.
Pour le reste, il est largement responsable de la situation qui a été créée. Un mot, parce que je l’entendais dans le journal : il est responsable de la situation qui a été créée, pas des résultats. Les résultats que nous connaissons aujourd'hui sont la conséquence de 15 années allant dans le même sens : l’absence d’une politique de reconstruction et de redressement du pays.

De quinze années… vous pourriez dire quarante. Concernant l’endettement de la France, le dernier budget en équilibre date d’il y a 40 ans environ.

Non. Lorsque l’on est à la fin des années 1990, non, la situation du pays n’est pas celle-là. Au début du XXIème siècle, dans les années 2000, la France est loin devant l’Allemagne. Et à l’époque c’est l’Allemagne qui est présentée comme l’homme malade de l’Europe. Et cela nous fait écarquiller les yeux quand on le lit. Non, ça ne fait pas 40 ans. Mais les 15 années cruciales que l’on vient de vivre ont été 15 années d’absence de décision et d’absence de vision. On a gouverné au jour le jour ou plutôt « au sondage le sondage » sans réaliser la condition nécessaire à mes yeux pour en sortir : le rassemblement du pays. On a joué l’antagonisme et le clivage du pays. À mon sens, ne pas rassembler le pays c’est se condamner à échouer lorsqu’on est en crise et qu’il faut une politique de réforme.

Manuel Valls et le vote de confiance à l’Assemblée pour le gouvernement Valls II… Que doivent faire vos amis centristes : voter la confiance ou pas ?

Car ils n’ont pas confiance, ils ne voteront pas la confiance. Donc non.

Pourquoi n’ont-ils pas confiance ?

Comment auraient-ils confiance ?

C’est votre ligne économique qui est en train de gagner aujourd'hui en France : les 40 milliards d’aide aux entreprises…

Non, ce sont des mots qui ressemblent. Je ne crois pas qu’il y ait 40 milliards d’aide aux entreprises. Comme toujours on annonce des intentions, on a de belles paroles, on vous affirme que l’on va voir ce que l’on va voir puis dans la réalité rien ne se passe ou très très peu de choses.

Vous n’y croyez pas du-tout ou vous pensez que c’est simplement un retard à l’allumage avant de  mettre en place ces réformes pour économiser…

Je ne crois pas au retard à l’allumage. Je pense que tout cela est infiniment trop complexe, trop compliqué, illisible. Lorsque l’on a annoncé le CICE j’ai, le soir de cette annonce, employé l’expression « d’usine à gaz ». Ça ne peut pas rétablir la confiance. Les intentions sont convenables. Les mots utilisés, s’ils étaient transformés en réalité, sont intéressants.

Le discours d’amour aux entreprises vous n’y croyez pas. Ce sont les mots d’un discours amoureux mais il n’y a pas de preuve d’amour derrière ?

Oui… je ne dirais même pas cela : la situation dans laquelle nous sommes n’est pas une question de sentiment. C’est une question fondamentale qui est l’absence de confiance dans l’avenir. Or sans confiance il n’y a pas d’investissement, il n’y a pas de consommation, on prend des précautions perpétuellement. Or nous avons bâti un fonctionnement politique et administratif qui est fondé sur la défiance, la peur et le contrôle. Tous les symptômes d’un système de défiance sont réunis et ça ne peut pas marcher.
J’ajoute une deuxième chose parce que l’on est au fond du sujet : je ne crois pas qu’il s’agisse uniquement d’une question d’allocation aux entreprises ou au contraire d’allocation aux ménages. Je pense que la situation de la France vient de ce que l’on a bâti un pays dans lequel les moteurs essentiels du développement sont en panne et tant que l’on ne s’attaque pas à cela, on ne s’attaque à rien. L’exemple de l’Éducation nationale est criant : voilà le sujet…

Seul budget quasiment préservé avec 60.000 enseignants supplémentaires. Les autres ministères n’ont pas cette chance.

Monsieur Fauvelle, si pensez que l’Education nationale n’est qu’affaire de budget, c’est que vous ne regardez pas bien les écoles de vos enfants.

Qu’est-ce qu’il faut faire alors ?

Régler les problèmes de l’Éducation nationale est une question infiniment plus profonde qui touche au moins à deux sujets. Premièrement : est-ce que nous sommes capables de transmettre des connaissances à ceux qui ne les reçoivent pas à la maison ? Pour l’instant, majoritairement, la réponse est non. Il suffit de voir les problèmes de lecture, d‘écriture et de compréhension de la langue. Il suffit de voir l’adhésion de nos enfants à l’école.
Deuxièmement, quelle est la situation des enseignants à l’école française ? Je puis vous dire, moi qui connais beaucoup de jeunes enseignants, qu’il existe un très grand nombre d’établissements scolaires d’où les enseignants sortent avec le sentiment qu’il faut quitter ce métier. C’est notamment le cas au collège et au lycée. On est dans une période de chômage généralisé et pourtant on ne trouve plus d’enseignants pour les écoles françaises. Pourquoi ? Parce qu’ils ne peuvent plus faire cours, et personne ne le dit ! Tout le monde se cache et à bas bruits les enseignants s’en vont et désertent et tant qu’on ne fait rien, le sentiment de confiance ne se reconstruira pas. Voilà un premier sujet, je vous en donne un deuxième : la formation professionnelle. On dépense entre 30 et 40 milliards d’euros, ça dépend de la manière dont on fait les comptes mais est-ce que ça sert aux chômeurs ? Est-ce que ça sert aux personnes qui en ont le plus besoin ? Est-ce que c’est efficace ? Non et tout le monde le sait depuis 20 ans. Je me souviens sous le gouvernement Balladur de séances terribles de ce point de vue là et on a rien fait car il y a des intérêts qui s’y opposent.

Ceux du syndicat et du patronat, qui cogèrent le budget. Mais au-delà de ces questions de formation professionnelle ou de l’Éducation nationale, que doivent faire les centristes sur le plan politique ?

C’est très simple : ils ont deux choses à faire. La première est de se réunir, se rassembler pour faire une force politique alors qu’aujourd'hui leurs divisions les en empêchent. Et, deuxième chose, il faut qu’ils développent leur propre vision et pas un décalque de la vision des autres. Enfin, pas le décalque de ce que l’on a entendu depuis 20 ans et qui semble constituer la vision des autres. Il y a dans les forces et dans l’inspiration du centre des réponses que personne d’autre ne pourra apporter. Au lieu de s’arrêter à la surface des choses et, pardon je vais me faire reprocher cette phrase, le débat sur la forme de la fiscalité c’est un peu la surface des choses. L’allocation aux uns ou aux autres, verser de l’argent comme on le dit à l’entreprise ou aux ménages… c’est la surface des choses. Le fond des choses c’est est-ce que notre pays a en lui la vitalité et les moyens de retrouver les voies du développement qu’il porte en lui.
Il y a des millions de personnes qui ont ou auraient la capacité et l’envie de créer quelque chose. Mais aujourd'hui ils sont complètement bloqués. Demandez aux artisans s’ils prennent des apprentis et vous allez découvrir qu’ils fuient devant l’apprentissage parce que c’est trop compliqué. Et ce pour des raisons très simples et très bêtes. Je vais vous en citer une : les peintres ne peuvent pas laisser leurs apprentis monter à l’échelle parce que la loi l’empêche. Si vous avez un apprenti qui ne peut pas effectuer le travail ça ne marchera pas. Ce sont des choses que certains diront de bon sens et que moi je considère comme profondes car elles répondent à une question : « Est-ce que vous État, vous qui faites la loi, vous faites confiance aux citoyens dont vous avez la charge ? Est-ce que vous considérez qu’un maitre d’apprentissage est assez grand pour savoir, avec ce qu’il faut de règles minimales, ce qu’il faut faire faire à un apprenti ? ». C’est ainsi que la France est en train d’abandonner sans recours la force qui était en elle. Et c’est cette force qu’il faut retrouver.

Vous allez dire que l’on en vient toujours aux chiffres, qu’il faut dépasser la surface des choses. Mais est-ce qu’il faut enterrer définitivement en France les 3% de déficit, l’objectif qui a déjà été repoussé ? Cela aurait dû être l’an prochain, maintenant c’est 2017. Est-ce qu’il faut accepter que ce chiffre aujourd’hui ne correspond plus à rien, qu’il nous mène dans le mur comme certains de nos voisins, et que nos déficits ne sont pas l’alpha et l’oméga d’un gouvernement ?

Si le déficit faisait la prospérité d’une nation, nous serions très riches. Cela irait très bien en France, et ça irait très bien en Italie et extraordinairement bien en Grèce. Quand vous voyez la situation des pays qui sont en déficit, vous voyez qu’ils ne vont pas bien. Quand vous êtes surendettés, vous ne vous en sortez pas. Il faut ajouter une deuxième considération à cela : ceux qui plaident pour le déficit me font rire. Qui va le payer le déficit ?

Prenons l’exemple des petites retraites, François Bayrou, celles de moins de 1200 euros. Vendredi dernier, Michel Sapin nous disait « On ne va pas les augmenter aujourd’hui » puis Jean-Marie le Guen dit « On va peut-être faire un geste ». Est-ce qu’il faut par exemple faire un geste pour les petites retraites ? Ce ne sera pas bon pour le déficit français évidemment. 

Si l’on considère que ce sont les quelques euros que l’on peut dépenser pour les petites retraites qui vont faire les difficultés économiques de la France, on se trompe.

Donc on peut augmenter aujourd’hui les petites retraites en France ? Tant pis pour le déficit ?

Il faut un minimum de solidarité. Il faut que l’on réussisse à équilibrer ces choses-là. Je vis dans une ville, à Pau. Il y a beaucoup de petites retraites et s’il y a un effort à faire c’est plutôt pour elles que pour d’autres dépenses. Je vais en prendre une pour que vous ne pensiez pas que je dis des choses trop faciles : je n’ai pas compris et je ne comprends toujours pas la décision du gouvernement qui a été d’introduire le tiers payant pour les médecins. Personne ne demandait cela. Évidemment le fait qu’il ne faudra plus acquitter la consultation chez le médecin sera un facteur de dépenses supplémentaires parce que cela déresponsabilise le patient. Et même, je connais beaucoup de médecins qui disent « On considère que mon travail va valoir un euro », puisque c’est un euro que l’on va demander aux gens. Ils ne sont pas du tout satisfaits de cela et cela va évidemment entrainer des augmentations de dépenses. Et donc je suis en désaccord avec le fait de creuser comme cela, par inadvertance, des déficits qu’il faudrait au contraire équilibrer. Et s’il y a des efforts à faire, faisons-le pour les petites retraites.

François Bayrou, vous parlez d’équilibrer les choses. En face du déficit, il y a aussi la fiscalité. Est-ce que l’on n’est pas arrivé dans ce pays à une fiscalité qui devient insupportable ?

Bien sûr que l’on a atteint un niveau de fiscalité insoutenable, mais soyez assuré que si vous creusez le déficit, vous augmentez les impôts. Encore une fois, je reprends cette affirmation : qui va payer le déficit ? Ce ne sont pas les banques, les grandes entreprises. Ceux qui vont payer le déficit c’est ceux nous écoutent, les Français. Plus on creuse les déficits, plus on augmente leurs impôts à venir. Et il y a ainsi des maitres en illusion qui racontent depuis des années et des années qu’il suffirait de faire baisser la monnaie, de sortir de l’euro et d’augmenter le déficit pour que l’on s’en tire. C’est un mensonge, comme on peut le vérifier tous les jours dans la situation du pays.

On évoque de plus en plus le retour de Nicolas Sarkozy, vraisemblablement dimanche prochain dans le 20h peut-être de France 2. Vous pensez qu’il a changé, que c’est un autre homme ou pas ? 

Je ne sais pas, je ne l’ai jamais revu depuis l’élection de 2012.

Jamais ? Il n’a jamais décroché son téléphone une fois pour vous parler ?

Jamais. Et puis j’arrive à le comprendre. Jamais il n’était sorti du jeu politique, je ne l’ai jamais cru. Je l’ai revu seulement à une seule occasion, c’était l’émission qu’il faite le soir du traitement qu’il avait reçu par la justice. Je comprends qu’il ait été heurté. Ce soir-là, je n’ai pas eu l’impression qu’il avait profondément changé.

Vous pourriez travailler avec lui ?

Je sais bien que la fable s’est répandue sur une antipathie très profonde entre lui et moi, mais c’est une fable. Il se trouve qu’aucun des sentiments que j’ai à l’égard de Nicolas Sarkozy n’a été dû à quelque chose d’épidermique ou de privé. Mais j’ai été en confrontation, vraiment profonde et vraiment dure, j’ai été heurté et souvent blessé par les positions qu’il exprimait et plus encore les sentiments ou les valeurs que ses positions révélaient. Je me suis trouvé très souvent en désaccord avec lui. J’ai vu un certain nombre de dérives se produire, dans les affaires, dans des décisions impensables du point de vue de l’Etat. On vient d’ailleurs de découvrir dans Le Monde, cette semaine, le rapport que les policiers ont fait sur les débuts de l’affaire Tapie.

Bernard Tapie n’aurait pas été lésé financièrement lors de la vente du Crédit Lyonnais.

Comme je l’écrivais à cette époque, et cette fois-ci la police a avancé des éléments de preuve qui paraissent extrêmement lourds, ce n’est pas Bernard Tapie qui est en question. Bernard Tapie fait le travail de Bernard Tapie. Ce qui est en question, c’est la décision de l’Etat, contre ses propres règles, de lui accorder 400 millions d’euros dont 45 millions de préjudice moral. On hésite à dire cette phrase alors que la mort d’un enfant apporte à ses pauvres parents 30 000 euros de préjudice moral. 1500 fois plus ont été donnés à l’occasion de cet arbitrage.

Vous n’avez pas répondu à la question, pourriez-vous travailler avec lui ?

Je ne sais pas sur quels thèmes, avec quelle vision, avec quelles valeurs Nicolas Sarkozy va se représenter, d’abord devant les militants de l’UMP puis ensuite devant les Français.

Alors on lit ici ou là que Nicolas Sarkozy veut tout changer, qu’il veut fusionner en quelque sorte l’UMP et le centre. D’où cette question sur Twitter : « si l’UMP vous tend la main, la prenez-vous ? ». Avant votre réponse, je voudrais vous faire écouter quelqu’un qui connaît très bien Nicolas Sarkozy, c’est Nadine Morano. « François Bayrou me pose un problème à titre personnel parce qu’il a appelé à voter François Hollande. Il a fait son mea culpa, je lui dis « si tu regrettes, reviens, mais fais une vraie politique pour laquelle les Français t’attendent ». Il faut que tout le monde soit rassemblé ». Vous revenez ou pas ?

Vous voyez, quand on passe de « Va-t’en » à « Viens », alors il se passe sans doute quelque chose. Pour le reste, je vous ai répondu sur le fond, sur les regrets. Je pense que le verbe « regretter » n’existe pas dans le vocabulaire d’un homme politique responsable ou alors c’est qu’il est inconséquent, qu’il vire à tous les vents et je ne crois pas en être. Il me semble que la première question que devraient se poser les soutiens de Nicolas Sarkozy, et Nicolas Sarkozy lui-même, c’est de s’interroger sur les raisons qui ont fait que les Français ont choisi de le remplacer et de voter contre lui. Des millions de Français, du Centre et même de Droite, ont pensé que ce n’était plus possible de continuer ainsi. Quand on perd une élection, j’en ai perdu quelques unes, gagné aussi, et lorsque l’on perd une élection, la première question à se poser c’est la responsabilité que l’on a personnellement dans sa propre défaite et son propre échec surtout quand on est sortant. On va voir, je ne sais pas où en est la réflexion de Nicolas Sarkozy. On lit tout et le contraire de tout. Je ne sais pas. Mais je sais une chose : un pays, pour s’en sortir, a besoin d’hommes de rassemblement, d’hommes qui servent ce qui manque tellement dans notre pays : la compréhension mutuelle.

Alors Nicolas Sarkozy est-il un homme de rassemblement ?

Pour l’instant, cela n’est pas apparu clairement.

Et Alain Juppé, autre acteur important de l’UMP, avec lequel vous dites qu’une entente serait possible : est-ce un homme de rassemblement ? Pourriez-vous faire une sorte de ticket ?

La raison pour laquelle j’ai de l’estime et de l’affection pour Alain Juppé, c’est que je pense qu’il est un homme de rassemblement. Dans sa vision, la capacité de rassembler joue un rôle très important. Ensuite vous me parlez de ticket : il n’y en a pas à ce niveau de responsabilité. Cela n’existe pas. Il peut y avoir des accords mais il n’y a pas de tickets. 

Quel type d’accord est possible avec Alain Juppé ? Si c’est lui le candidat de l’UMP, vous ne concourrez pas à l’élection présidentielle ?

Cela nous en parlerons ensemble. Il faut que tous les « si » préalables soient réglés. Il y avait une chanson qui disait « Avec des si, on mettrait Paris en bouteille ». C’est pour Le Parisien que je dis cela. Nous n’en sommes pas à des tractations.

Mettre un programme ensemble sur la table, ce n’est pas des tractations.

J’ai dit seulement une chose qui a son poids. Je pense que, dans la situation du pays, il est nécessaire qu’une vraie vision courageuse soit portée par une majorité large et par des rassemblements. De l’expérience qui est la mienne, Alain Juppé a cette sensibilité. Et je suis heureux qu’elle puisse s’exprimer dans le jeu politique français. On peut avoir ainsi, avec des forces différentes, dont chacune a son identité, une capacité de réaliser des accords larges et des forces politiques qui emportent les difficultés que la France a connues depuis trop longtemps.
Ce n’est pas un accord de personne, c’est un accord de sensibilité. Et je suis sûr qu’il y a des gens très souvent, y compris qui jusqu’à maintenant ne votaient pas pour nous, qui disent « Après tout, là, il y a peut-être une solution pour l’avenir du pays ». 

Alors je vous repose la question, vous pourriez travailler avec Alain Juppé ?

Oui.

Très clairement vous pourriez être à Matignon avec Alain Juppé comme Président ?

Matignon, c’est autre chose. Je ne suis pas en train de vous parler de poste ou de responsabilité. Je suis très heureux de mes deux responsabilités actuelles : maire de Pau et président de cette force que le Mouvement Démocrate est. Je suis très heureux et comblé. Je ne cherche pas d’autres choses. Mais je peux vous dire avec certitude qu’à la question « pourriez-vous travailler avec Alain Juppé ? », ma réponse est oui.

Ce souhait de rassemblement - pourquoi pas autour d’Alain Juppé - irait-il jusqu’à l’absence d’un candidat du centre à la prochaine élection présidentielle ?

Nous verrons si les « si » sont remplis les uns après les autres.
La force du mouvement politique que j’ai crée avec beaucoup de difficultés est la faculté qu’il a à tous égards – politiques, économiques, financières, intellectuelles, amicales - de proposer au pays ce qu’il estime être le meilleur pour lui. Ce n’est pas une force politique soumise ! Nous ne dépendons pas d’autres ! C’est un cas rare dans la vie politique française. Cela présente de lourdes difficultés mais la liberté est un bien inestimable !

Y a-t-il un « deal » entre Alain Juppé et vous pour 2017 ? Est-ce un sujet que vous avez abordé clairement avec Alain Juppé ?

Je ne dis pas qu’il y a un accord, encore moins qu’il y a un « deal ». D’abord parce que j’utilise peu de mots anglais quand je parle français !

C’est l’agrégé de lettres qui me reprend évidemment… 

J’essaie d’utiliser des mots anglais quand je parle anglais et en français, j’aime mieux utiliser des mots français. Donc il n’y a pas de marchandage, il n’y a pas d’accord mais depuis 20 ans il y a une entente, une manière de voir les choses, qui est amicale et compatible. Je n’ai jamais ressenti chez Alain Juppé quelque chose qui me heurte dans mes convictions profondes. Je crois que c’est réciproque et il y a de l’estime entre nous. C’est déjà pas mal !

François Bayrou, ce que je remarque chez vous, c’est que vous avez toutes les qualités que l’on prête aux femmes et aux hommes politiques suisses 

Arrêtons-nous là ! (sourire)

Sérieux, modestie, absence d’a priori et de logiques, etc. Mais j’ai l’impression que ces qualités que l’on vous prête en Suisse et qui vous serviraient en Suisse vous desservent en France. Qu’en pensez-vous ? 

Non, je ne le crois pas. Il suffit de voir les indices de confiance de l’opinion pour voir que cela n’est pas vrai. Simplement, vous avez raison sur un point : nous avons un système institutionnel qui pousse à s’organiser en camps, ce qui n’est pas du tout votre cas en Suisse où chacun des mouvements peut avoir son identité, sa vision et la défend devant ses électeurs. Et la loi des camps, c’est que les plus durs de chaque camp l’emportent sur les autres en général. Donc, cela ne sert pas les sensibilités du centre. Mais à toute règle vient un jour où des exceptions apparaissent ! Je pense que peut-être les temps dans lesquels nous entrons peuvent montrer que ces exceptions révéleront en France un paysage politique nouveau.

Merci à vous François Bayrou, merci d’avoir accepté l’invitation de France Inter.

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