Istanbul : "Il n’y a qu’un seul combat qui vaille, le combat de la liberté"

Réagissant au triple attentat-suicide qui a frappé il y a quelques heures l'aéroport d'Istanbul, le président du MoDem a déclaré au micro de TV5 MONDE : "Faire peser sur toutes les vies humaines l’autorité sans partage de gens qui prétendent savoir ce que dit Dieu est une terrible atteinte à la liberté humaine".

Bonsoir François Bayrou.

Bonsoir.

Merci d’être avec nous dans 64 minutes sur TV5 MONDE. Commençons par l’actualité et ce qui se passe en Turquie. Après Paris, Bruxelles, Orlando, Abidjan, un village libanais avant-hier et à nouveau Istanbul - il faudrait du temps pour citer toutes les villes victimes des attentats - comment endiguer le phénomène mondial qu’est le terrorisme selon vous?

En travaillant ensemble. Le seul moyen de bâtir des défenses, c'est en échangeant sérieusement des informations, en repérant solidement des éléments, en travaillant en confiance, en exerçant ensemble toute notre capacité de surveillance. Il faut comprendre une chose : pour les terroristes, les frontières sont des protections. Quand j’entends des gens qui disent "on va sortir de l’Europe pour se défendre soi-même", je ressens un aveuglement absolument incroyable : si vous avez une frontière et si les polices des deux côtés de la frontière ne communiquent pas, il suffit de passer la frontière pour être tranquille ! On sait bien cela dans ma région, au pied des Pyrénées : l’ETA était un mouvement usant de la violence et assassinait…

Le mouvement séparatiste basque...

Oui, ce mouvement qui faisait sauter des bombes. Ce mouvement avait toutes ses bases de repli de l’autre côté des Pyrénées à quelques kilomètres en France. Et évidemment, comme il n’y avait pas d'échanges entre les policiers… Le jour où il a été décidé de faire de vrais échanges entre la police espagnole et française, de mettre le travail en commun, ce jour là ETA a été réduit et même a été obligé de déposer les armes. Tant qu’on ne comprendra pas que c’est le travail en commun, la coopération, l’intimité entre tous ceux qui sont menacés qui nous permettra - non pas de supprimer - mais de faire reculer les menaces, on ne comprendra rien. 

François Bayrou, on a d’un côté des terroristes qui disent "vous nous bombardez, alors on commet des attentats chez vous, dans vos pays, en Occident". On a des États qui répliquent en disant "vous commettez des attentats chez nous, donc on vient vous bombarder".

C’est un très grand sujet, sans vouloir employer de trop grands mots, de civilisation. Ceux qui veulent soumettre l’ensemble de la vie humaine et des sociétés à une autorité religieuse considérée comme infaillible sont en rupture avec la conception qui est la nôtre d’une société pluraliste dans laquelle on respecte les opinions, les convictions, les philosophies et les religions différentes. Là est la grande ligne de partage et cette ligne mérite qu’on la défende. C’est plus qu’une dictature. Faire peser sur toutes les vies humaines l’autorité sans partage de gens qui prétendent savoir ce que dit Dieu est une terrible atteinte à la liberté humaine. Or il n’y a qu’un seul combat qui vaille, c’est le combat de la liberté. 

Six jours quasiment après le Brexit, les 27 dirigeants de l’Union européenne se sont réunis sans le Premier ministre David Cameron. Ils veulent une nouvelle impulsion au projet européen. Quelle doit être selon vous aujourd’hui cette impulsion ?

Alors, il faut deux choses. Premièrement, il faut une clarification : aucun projet ne peut être fait si on ne voit pas clair dans la manière dont les uns et les autres vont être organisés. Si par exemple se prolongeait pendant des semaines et des mois le brouillard autour de "qu’est-ce qui va se produire en Grande Bretagne ?", cela serait catastrophique pour tout le monde. Donc il faut une clarification. De ce point de vue, j’espère - je dis j’espère avec quelques prudences - que les responsables de l’Union européenne vont être capables d’exiger la clarification sans la reporter.

Là, en l’occurence le prochain sommet est le 16 septembre

Oui, mais ce n’est pas parce qu’il y a sommet, qu’il y aura clarification. Donc, en un la clarification. En deux, il faut sortir de l’ambiguïté qu’il y a sur l’Union européenne. Pour les uns, l’Europe est un marché que voulaient les Britanniques, c'est l’idée que le seul objet de l’Union européenne est le Commerce. Cette idée est à mon sens terriblement insuffisante et terriblement frustrante pour les peuples. Le fait que l’Union européenne se soit concentrée sur ce sujet a été une part terrible de son affaiblissement parce que les gens se disent "à quoi ça sert qu'ils fassent des normes, des règles sur les concombres, les moteurs de tondeuses à gazon ou le niveau sonore des aspirateurs ?". Je ne ne dis pas que ce sont des choses inutiles parce que si on veut faire du commerce, il faut que nous répondions aux mêmes règles. Mais ce n’est pas l’essentiel, l’essentiel c’est que nous sommes des nations dont la taille ne nous permet pas de répondre aux grands problèmes du monde. Ceux qui vous écoutent sont plongés dans les grands problèmes du monde. Vos auditeurs et téléspectateurs savent très bien ce qui se passe. Les grands problèmes du monde sont par exemple : ce qui s’est passé au Moyen-Orient, les problèmes de la Chine, l’immense société plurielle de l’Inde, ce qui se passe sur le continent américain nord et sud et les immenses risques qu’il y a autour de tout cela. L’Europe est faite pour ça, pour s’occuper de l’essentiel. Il ne s’agit pas de faire disparaître les nations, heureusement que nous sommes français - on ne peut pas trouver plus amoureux de la France que je le suis - et heureusement qu’il y a des Allemands, des Italiens, etc. Toutes ces nations existent, il faut cependant qu’elles décident de travailler ensemble pour sauver ou pour promouvoir l’essentiel. Ensemble elles seront fortes, séparées elles seront faibles. C’est ça l’Europe ! 

Parmi ceux qui nous écoutent, il y a peut-être deux manières de lire ce Brexit, certains disent que les Britanniques sont tombés dans le piège de politique intérieure - David Cameron le premier -, d’autres y voient l’expression d’un peuple souverain. Vous l’Européen convaincu, quelle est votre vision des choses ?

Je suis un Européen qui aime l’idée que les peuples sont souverains. Mais pour un pays comme la France - je ne parle pas des petits pays – il n’y a de souveraineté que si nous sommes capables de créer la puissance qui nous fera écouter du reste du monde. L’idée que l’on peut être souverain tout seul est une idée qui n’est plus possible aujourd’hui. Si vous êtes en face de la Chine et que la Chine veut vous imposer des lois commerciales, si vous êtes seul, vous êtes un microbe, vous ne pesez pas et les Chinois éclatent de rire alors que si vous êtes une puissance qui comporte plusieurs centaines de millions d’habitants et une industrie puissante, alors vous pouvez vous faire respecter. Là est la seule véritable souveraineté.

Souveraineté étatique, mais souveraineté du peuple aussi : les Français doivent-ils se prononcer pour ou contre le maintien de la France dans l’Union européenne ?

Cette question posée ainsi n’a pas de sens. La France a été créatrice de l’Union européenne : on peut proposer un autre équilibre pour l’Union européenne et le faire adopter par référendum ce jour-là mais si la France se retrouve seule, alors on est criminel.

Pas de référendum sur un éventuel Frexit alors ?

L’idée que l’on pourrait envisager que la France sorte de l’Union européenne est une idée suicidaire. En revanche que des dirigeants nouveaux - ayant une vision de l’avenir et sachant ce qu’ils veulent - proposent au peuple français une feuille de route, soumettent aux Français un mandat pour dire ce qu’on doit faire dans l’avenir - par exemple pour réintroduire le peuple des citoyens dans la boucle des décisions à prendre - alors ça je le prends au sérieux.

Nicolas Sarkozy et François Hollande ont-ils échoué en la matière ?

Nicolas Sarkozy porte une responsabilité très importante car il a fait le traité de Lisbonne et ce traité était une manière de court-circuiter le choix qui s’était exprimé au référendum. Je pense que quand une décision a été prise par le peuple tout entier, il n’y a que le peuple tout entier qui puisse la corriger. Et François Hollande pendant 4 ans il n’a rien dit. Je croyais que François Hollande était un Européen dans la lignée de Jacques Delors - d’ailleurs c’est comme cela qu’il avait commencé sa vie politique - et puis je me suis aperçu qu’il ne parlait jamais de l’avenir de l’Europe aux Français.

Ne faut-il pas aussi cesser cet élargissement pour éviter ce désamour des Européens envers l’Union européenne ? La semaine dernière, sur ce plateau, Nicolas Dupont-Aignan disait qu’il était pour un retour à 4 États-nations. Quel est votre avis à ce sujet ? Faut)il une Europe à combien ? Êtes-vous pour un maintien à 27 ?

Vous vous souviendrez que j’étais un des auteurs de la formule qui disait : « approfondissement avant élargissement ». Vous vous souviendrez que je suis de ceux qui ont le plus fortement défendu l’idée que faire entrer la Turquie au sein de l’Union européenne était prendre un risque absolument déraisonnable et mensonger. Il y avait à l’époque contre moi le pouvoir de droite et l’opposition de gauche. Je suis hostile aux élargissements perpétuels et inconsidérés, c’est de cela dont nous avons souffert et dont nous continuons à souffrir. Pour le reste, la question va se poser aux Européens de savoir quelle Europe ils veulent. Certains veulent une Europe uniquement du commerce : c’est le cas de la périphérie, d’un certain nombre de pays qui ne partagent pas l’idée d’une volonté politique commune et partagée des États-nations européens. Probablement y a-t-il deux projets et donc y aura-t-il une Europe à deux cercles : un cercle qui est celui de la zone euro qui, partageant une monnaie, devra partager une volonté, et un cercle périphérique de ceux qui se contentent d’accepter uniquement les mêmes règles commerciales et juridiques. Mais ces derniers ne font pas une puissance politique qui puisse être respectée, ils font une zone commerciale et du « chacun pour soi ». Je ne suis pas pour cette solution, je suis pour que l’on fasse ensemble une Europe qui s’occupe enfin de l’essentiel.

Merci beaucoup François Bayrou d’avoir répondu à nos questions.

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