«Il faut un nouvel acte civique, social et populaire.»

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Retrouvez l'interview de François Bayrou, accordée au Figaro ce mercredi 21 novembre.

 

Par Marion Mourgue,  Albert Zennou et  Mathilde Siraud

 

LE FIGARO.- Comment comprenez-vous le mouvement des «gilets jaunes»?

François BAYROU. - Il y a dans ces manifestations des aspects choquants et inacceptables. Mais il faut comprendre qu'un tel mouvement est un révélateur d'une crise profonde de la société française. Le prix du carburant est un sujet, mais peut-être pas le vrai ni le seul sujet. C'est un élément déclencheur, un détonateur, mais la matière explosive est plus large. Une sorte de sécession de la base de la société contre son prétendu sommet. Cette rupture vient de très loin, de plusieurs décennies, et elle concerne tous les pays démocratiques occidentaux, tous touchés par la mondialisation, le gouffre entre le monde qu'on voit à la télévision et le monde réel, la distance des pouvoirs. Mais c'est plus grave en France, pays unitaire, qui aime l'égalité. 

Est-ce la révolte de «la France périphérique», comme l'a théorisé Christophe Guilluy ?

La France périphérique, c'est la France! La rupture apparaît comme géographique, urbaine contre rurale, mais est en réalité sociologique: les villes, y compris dans les quartiers qui paraissent à l'aise, connaissent elles aussi une part de leur population en rupture.

Comment se manifeste cette rupture?

De nombreux concitoyens se sentent étrangers aux débats, aux orientations, aux décisions qui sont prises en leur nom mais dont ils ont le sentiment qu'elles sont prises contre eux. Les mots même qui sont utilisés pour décrire la réalité leur sont étrangers. Nous devons entreprendre une remise en cause profonde de la manière dont nous pensons le pouvoir et dont nous l'exerçons depuis trente ans. Il ne suffira pas de dire qu'on ne change rien pour que le mouvement s'arrête. Il faut une redéfinition profonde de la manière d'être et de penser. 

Le gouvernement met-il de l'huile sur le feu en se montrant inflexible?

La première mission de l'État est de faire régner l'ordre. Et de cela nous devons être solidaires. Mais les responsables politiques qui sont les animateurs de notre démocratie doivent aller plus loin. Il leur faut des antennes pour comprendre ce qui se passe. Au travers de tels mouvements, ce sont les courants profonds d'une société qui s'expriment, même là où on ne les attend pas. Ils doivent affronter ce défi d'un pays fracturé, et donc conduire un très gros travail de pensée et d'imagination. C'est ce qui manque le plus.

Jean-Yves Le Drian appelle à «entendre la souffrance». Qu'en pensez-vous?

Chacun à notre manière, nous disons je crois la même chose.

Comment y répondre alors?

D'abord il y a le court terme. Une nouvelle étape d'augmentation des taxes sur les carburants est prévue au mois de janvier. Cela mérite que nous y réfléchissions. La trajectoire définie à partir de 2007, sous l'impulsion de Nicolas Hulot, était claire: une augmentation progressive des prix pour conduire à une baisse de la consommation des hydrocarbures. Mais peut-être n'avons-nous pas assez réfléchi au «progressivement». Par exemple, on pourrait reprendre l'idée d'une modulation des taxes en fonction du coût du baril du pétrole, pour que le prix à la pompe ne subisse pas de fluctuations trop pénalisantes. 

Le premier ministre répète pourtant qu'il ne changera pas de cap.

Le premier ministre défend la ligne du gouvernement dont nous sommes solidaires. Mais une démocratie, ce n'est pas que le gouvernement, c'est aussi un Parlement et des mouvements politiques qui ont la responsabilité d'ouvrir le débat. Si l'on veut que la politique réussisse, il est impératif de ne pas être en rupture avec le pays. Sinon tout se bloque. 

Certains reprochent au président d'être sourd au mécontentement. Est-il isolé?

Il est une chose dont je puis vous assurer: s'il y a quelqu'un dans les cercles de pouvoir qui a une pleine conscience de cet éloignement et de cette rupture, c'est le président de la République. Sa campagne de 2017 était construite autour de cette intuition et il en a aujourd'hui une conscience aiguë.

L'exécutif ne semble pas très réceptif à la main tendue par Laurent Berger. Est-ce une erreur?

Pour répondre à une telle crise, la proposition d'un travail avec les organisations syndicales et les associations est positive. Mais il faut qu'un tel travail soit fait sur le terrain et élargi: il serait souhaitable qu'il implique même - si on peut - des représentants de ceux qui manifestent. Il faut qu'on puisse parler avec la société dans toutes ses composantes. Il ne suffira pas de dire «c'est comme ça et ce n'est pas autrement», car à l'instant même où vous perdez le soutien ou en tout cas l'assentiment de la société, le pouvoir se retrouve paralysé. 

C'est un risque aujourd'hui?

Depuis des décennies, le pouvoir en France est très endogamique, très souvent technocratique, avec l'idée que c'est, au sommet, dans l'administration et au sein des cabinets qu'on a raison. Or la société ne peut pas fonctionner par injonctions avec des dirigeants qui se tournent vers les citoyens pour dire «c'est ça qu'il faut faire et pas autrement». C'est ce modèle de pouvoir à la française qu'il convient de remettre en question.

Le président avait pourtant été élu sur un renouvellement des pratiques…

L'élection d'Emmanuel Macron portait cette promesse. Et cette promesse était juste. C'est ce qu'évoquait par exemple la notion de bienveillance. Une bienveillance qui devrait être un devoir de la part de ceux qui se pensent au sommet par rapport à ceux qui, à la base, sont réellement le socle du pays. Une sympathie, une empathie. C'est pourquoi aujourd'hui il est impératif d'ouvrir un nouvel acte du quinquennat qui réponde à cette rupture: un nouvel acte civique, social et populaire.

Qu'entendez-vous par un «nouvel acte» du quinquennat?

Une réponse à la question: pourquoi sommes-nous un pays où le socle populaire, depuis un quart de siècle, ne comprend plus son État et les dirigeants qu'il a pourtant élus?

Il faut refaire société?

Société, étymologiquement, cela veut dire compagnonnage. Nous devons retrouver le compagnonnage de bon aloi qui fait que nous ne vivons pas en étrangers les uns avec les autres. On ne peut pas en rester à cette ambiance d'affrontement. Si on commence à y apporter des réponses alors on aura une nation, si on n'apporte pas des réponses il y aura une explosion.

Les priorités du quinquennat doivent-elles être repensées?

Les priorités sont bonnes, encore faut-il les hiérarchiser et les simplifier. Ce qui me frappe depuis longtemps, c'est que la France vit sans stratégie. La Chine a un plan à 30 ans, la France 30 jours, et encore… Les points saillants étaient apparus pendant la campagne d'Emmanuel Macron: un impératif de répondre à la compétition internationale, la redéfinition de ce qu'est la solidarité en sortant de nos méthodes habituelles, par exemple le dédoublement des classes ou la deuxième chance, l'esprit de responsabilité dans toute la société. Autant d'approches qui ont touché les Français. Maintenant, il faut se servir des événements que nous vivons et qui ne s'arrêteront pas sur un claquement de doigts, pour revenir à l'essentiel. 

L'impopularité actuelle du président rend-elle encore possible ce travail?

L'impopularité qui est évidemment un risque n'est pas une fatalité. C'est pour cette raison qu'il faut prendre à bras-le-corps les problèmes de fond. J'ai été frappé pendant son «itinérance mémorielle» du contact direct, les yeux dans les yeux, et de la franchise des rapports entre le président et les Français qu'ils rencontraient. Il a raison de vouloir multiplier ces contacts.

Le clivage «nationalistes contre progressistes» proposé par Emmanuel Macron pour les européennes vous semble-t-il pertinent?

Ces mots ne sont pas les miens. La vérité est qu'il y a un clivage fondamental entre ceux qui pensent qu'en Europe «l'union fait la force» et ceux qui veulent le «chacun pour soi». Si ce sont ces derniers qui l'emportent, ce sera mortel. Des forces colossales sont en œuvre: Trump, Poutine et leurs affidés ne rêvent que d'une chose: que l'Europe se divise. Emmanuel Macron a choisi le vrai mot: l'Europe est la seule garantie de notre souveraineté. 

Avez-vous dîné mardi soir avec Emmanuel Macron à l'Élysée pour en parler?

Je ne parle jamais de mes rencontres avec le chef de l'État.

 

 Retrouvez cette interview sur le site du Figaro.



 

 

 

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