"Il faut sortir de la partitocratie"

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Dans une grande interview à paraître demain dans Les Echos, François Bayrou s'exprime sur la situation économique du pays, la loi El Khomri, l'Europe et appelle à créer une large majorité pour réformer.

Isabelle Ficek / Journaliste et Gregoire Poussielgue / Journaliste 

Croyez-vous à la reprise économique comme le dit l’Insee et le gouvernement qui estime que la reprise s’installe « doucement mais sûrement » ?

Je ne partage pas l’optimisme officiel, même modéré. Je n’ai jamais pensé que les problèmes de la France venaient de l’extérieur, de la conjoncture, du « climat ». Les difficultés de la France viennent de ses problèmes et de ses échecs intérieurs : l’éducation, le statut et la place des entreprises, l’hypertrophie administrative, le caractère oppressant et illisible de certaines normes et règles, et une vie politique qui pousse à l’affrontement et pas à la réflexion.

Tous ces problèmes additionnés font que même quand les vents sont porteurs, la France n’en profite pas comme elle devrait. La BCE a apporté de l’oxygène à toutes les économies occidentales par sa politique de quantitative easing, qui a donné des facilités d’accès au crédit. De ce point de vue, il y a eu une amélioration. Mais tant qu’on ne s’attaquera pas aux problèmes de fond de notre pays, je ne vois pas de possibilité de progrès sensible et durable et de meilleure compétitivité par rapport à nos voisins européens. C’est pourquoi la question de la réforme, de la capacité à prendre des décisions et à les soutenir est vitale.

La nouvelle version de la loi El Khomri vous convient-elle ?

Tout le monde voit bien ce qui s’est passé. Les reculs sont actés et peut-être ne sommes-nous pas au bout de ces reculs. La raison en est dans le défaut de préparation, car il n’y a pas eu le travail d’échange avec les partenaires, et dans le défaut de pédagogie. On ne peut pas porter une réforme importante sans que cette réforme soit soutenue devant l’opinion. Un tel texte aurait dû être présenté et soutenu dans ses principes au niveau du président de la République lui-même, alors que c’est Manuel Valls qui a été envoyé en mission pour le défendre.

Mais si j’avais à voter ce texte, sur les points essentiels de la négociation d’entreprise et du compte personnel d’activité, je le voterai, car je pense qu’il est très important d’avoir une opposition qui prenne acte positivement des avancées.

Ce texte présente néanmoins deux grands défauts. D’abord la place des PME, leur statut et leurs conditions d’exercice ne sont pas bien pris en compte. Par ailleurs, je suis en désaccord avec le régime des heures supplémentaires envisagé. Je suis favorable à ce que la rémunération des heures supplémentaires soit gratifiante, 25% de plus par exemple, quitte à baisser les charges du même montant pour que cela ne soit pas pénalisant pour l’entreprise.

Vous avez dit que l’augmentation du point d’indice des fonctionnaires était légitime…

Bien sûr, il y a un aspect électoraliste, mais personne ne peut nier que la stagnation du point d’indice des fonctionnaires depuis six ans méritait une correction. Malheureusement il faut rappeler que les économies nécessaires à cette augmentation n’ayant pas été faites, c’est un déséquilibre de plus dans les finances publiques. Pour une ville comme Pau, nous faisons des économies de fonctionnement tous les ans car je ne veux pas augmenter les impôts. Or avec cette augmentation, il nous faut presque 1 million d’euros d’économies en plus chaque année.

Comment jugez-vous l’issue du débat sur la réforme constitutionnelle et la déchéance de nationalité ?

C’est fini pour la déchéance. Il faut avoir la simplicité de le dire. Jamais l’Assemblée nationale ne votera le texte du Sénat. Il ne reste donc que l’article sur l’état d’urgence qui peut être adopté sans difficulté, mais l’équilibre de la réforme constitutionnelle en sera changé.

Mais c’était un symbole d’unité nationale ?

Il y a un bon et un mauvais usage des symboles. Quand François Hollande a fait son discours devant le Congrès à Versailles [le 16 novembre, trois jours après les attentats, NDLR], c’était un moment d’unité nationale. Dans la foulée, on n’a pas réussi à trouver un texte consensuel. Ce qui était un symbole d’unité est devenu un symbole de division.

Pouvez-vous imaginer pour 2017 un match-retour entre François Hollande et Nicolas Sarkozy ?

Pour l’élection présidentielle, tout est possible et les choses prennent une tournure tellement baroque, on assiste à une telle prolifération de candidats que je m’attends à tout. Le match retour du second tour de 2012, les Français ne le souhaitent pas, bien sûr. Mais ce dont ils veulent encore moins, c’est de l’impuissance chronique, née d’un mode de gouvernement qui fait que deux appareils de parti se partagent alternativement le pouvoir depuis quarante ans. C’est cette « partitocratie » à deux, PS et LR, qu’il faut mettre en question.

Les Français aspirent à une autre façon de vivre leur démocratie, moins prisonnière des partis usés. C’est la raison pour laquelle j’ai apporté mon soutien à Alain Juppé car il est moins prisonnier de l’appareil que ne le sont ses compétiteurs. Je veux rappeler à tous ceux qui se réclament du gaullisme l’intention première du général De Gaulle qui était d’enlever aux partis politiques le monopole du pouvoir. Jamais cela n’a été plus nécessaire. Pourtant, on fait le contraire !

Alain Juppé creuse l’écart avec Nicolas Sarkozy dans les enquêtes sur la primaire. Cela éloigne de plus en plus la possibilité de votre candidature en 2017 malgré de bons sondages…

Pour moi, dans le jugement sévère des Français sur la politique, il y a l’idée que les politiques ne pensent qu’à eux. Une espèce d’égoïsme structurel. Je trouve intéressant au contraire de montrer qu’un responsable politique, même pourvu d’un socle important de soutiens et de souhaits de candidature, est capable de tendre la main et de travailler avec quelqu’un qu’il considère comme bien placé pour changer la manière de gouverner le pays.

Cela a du sens, même si je ne suis pas d’accord avec Alain Juppé sur tout et notamment sur la représentation du pays et la loi électorale. Nos règles électorales actuelles sont dangereuses et sont responsables de l’incapacité actuelle, puisqu’elles empêchent de créer des ententes pour réformer le pays. Cela a du sens que les hommes politiques choisissent de s’entendre sans abandonner leur liberté de jugement et leur singularité. Si cela peut aider Alain Juppé à gagner son pari et à remporter la primaire, je trouve cela positif. A partir de là, il faudra trouver une nouvelle majorité large et cela suppose qu’il y ait un centre puissant pour ce nouvel équilibre.

Quelle place pour le centre dans la surenchère des propositions économiques à droite ?

Les mesures détaillées dans les programmes sont nécessaires mais ne sont pas l’essentiel. Depuis des lustres, on a appris que ces engagements étaient la plupart du temps mensongers. Deux choses comptent pour l’élection présidentielle. La plus importante, c’est le profil personnel de celle ou de celui qui aspire à la fonction. Il faut qu’il ait un tempérament, une crédibilité, de l’expérience, la capacité à rassembler. Et il faut qu’il ait une vision. Car c’est cette vision qui permet de fixer les priorités qui vont permettre de changer la vie du pays. C’est la deuxième exigence.

Quelles sont ces priorités pour vous ?

La première des priorités, c’est que la France se réconcilie avec son système éducatif, c’est-à-dire qu’elle retrouve la certitude que l’école offre la meilleure formation possible à la fois pour la nation et pour l’égalité des chances.

La deuxième, c’est que la France se libère de la bureaucratie qui l’asphyxie. La prolifération des exigences administratives et normatives imposées au citoyen, aux familles, aux entreprises, aux collectivités, aux associations constitue un véritable emphysème qui empêche le pays de respirer et de produire les effets nécessaires.

La troisième c’est un nouvel équilibre des dépenses publiques. Le débat se focalise sur les dépenses, et c’est justifié. Mais si la France a aujourd’hui 57,5% du PIB de dépenses publiques c’est aussi parce son PIB n’est pas ce qu’il devrait être et donc que ses ressources ne sont pas ce qu’elles devraient être. Si nous avions tenu un rythme normal de croissance, notre PIB serait au moins de 10 points supérieur à ce qu’il est.

Quatrième priorité, je maintiens, sur le droit du travail, qu’une norme illisible est une pénalisation très forte pour l’activité. Il faut simplifier, et on ne cesse de complexifier.

La cinquième priorité, c’est modifier la vie publique pour trouver le moyen de créer des dialogues et des alliances plus larges afin de soutenir une politique de réforme qui rassemble au moins une majorité relative de Français.

Est-ce que ces alliances permettraient de faire reculer le FN ?

Le FN prospère sur l’incapacité de la vie politique traditionnelle, sur son impuissance. Si on pouvait régler quelques-uns des problèmes, avancer, au fond, il y aurait un dialogue entre le pouvoir et le pays. Et les extrêmes reculeraient. Mais il faut une parole politique assumée ! Je suis stupéfait par l’absence de François Hollande en tant que parole politique, par exemple sur le projet de loi El Khomri. On voit bien pourquoi : il est dans une perspective préélectorale, et il pense à juste titre que sa majorité ne le suit pas. Le système des blocs, pseudo droite contre pseudo gauche, empêche tout débat constructif.

Que pensez-vous du refus de l’UDI de participer à la primaire organisée par Les Républicains ?

Vous savez ce que je pense du risque des primaires. Il suffit de voir ce qui va se passer aux Etats-Unis pour en avoir une assez juste idée. L’UDI a rejoint ce jugement. Cela ne veut pas dire que les citoyens de cette sensibilité ne participeront pas individuellement. Quant à l’idée de transformer la préparation de l’élection présidentielle en marchandage législatif, elle me met mal à l’aise. Je trouve que cette période encourage trop les manœuvres. Cela ne ressemble pas à ma vision de la Ve République.

L’Union européenne a-t-elle eu raison de signer un accord avec la Turquie sur la crise des réfugiés ?

Je voudrais que cela marche, mais je suis sceptique. On ne peut pas déléguer à ses voisins une question aussi critique que celle des réfugiés, surtout en procédant par marchandage. Tout cela me paraît illusoire d’un côté et voué à l’échec de l’autre. La seule attitude sérieuse serait de se mettre autour de la table, en hommes d’Etat, et de trouver des solutions pérennes, comme de garantir des zones de sécurité dans les pays et régions d’origine des réfugiés. Ce serait le contraire de ce qu’on a fait jusqu’à maintenant.

Que l’Union européenne ne puisse jamais se saisir d’un problème sous les yeux de ses citoyens explique en grande partie le rejet qu’elle suscite. Une question comme les réfugiés, ce n’est pas une affaire de diplomates qui peut se régler dans les couloirs. L’Union européenne meurt car on s’ingénie à empêcher tout débat démocratique devant les citoyens. Souvent à raison, les gens pensent que c’est une technocratie qui prend les décisions, qu’on leur impose les choses sans tenir compte de leur opinion. Cette conviction va de pair avec la certitude que jamais l’Europe n’a été aussi vitale qu’aujourd’hui.

Il y a cette double nécessité de reconnaître que l’Europe est vitale pour les pays qui la forment et qu’elle ne survivra pas si nous ne lui donnons pas la dimension d’un ensemble démocratique. Tous, nous avons le droit de savoir comment se préparent les décisions, qui décide, quelle est la légitimité de ceux qui décident et quand se prennent les décisions au nom des peuples Européens.

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