"Il faut remettre dans la vie politique française de l'honnêteté civique !"

Invité de Patrick Cohen sur France Inter mardi 20 septembre, François Bayrou a admis s'être vu proposer des financements occultes par des porteurs de valises qu'il a "renvoyés de manière indiscutable", et s'est par ailleurs dit "gêné" par l'intervention de DSK, réglée "jusqu'au moindre soupir".

Patrick Cohen : "Il faut savoir prendre sa perte", la formule, vous l’avez reconnue, est de Dominique Strauss-Kahn à propos de la Grèce. Pensez-vous, comme l’ex-directeur du FMI, que les Etats et les banques doivent abandonner une partie de leurs créances sur la Grèce, puisque ce pays semble incapable de faire face à ces obligations financières ? 

François Bayrou : Je crois en tout cas que ce n’est pas le problème de la Grèce qui est le problème principal, parce que la Grèce, c’est notre problème. C’est notre difficulté. A partir de l’instant où il apparaitra qu’un des pays de la zone euro ne peut pas répondre de sa dette en euro, tous les pays de la zone euro vont être soumis à une inquisition, à des enquêtes qui vont être extrêmement rudes et la France, parmi les pays de la zone Euro est un de ceux qui a le plus de déséquilibres. Vous voyez, on parle ce matin dans vos journaux de la dégradation de la note de l’Italie. Or, il faut savoir que l’Italie a un déficit moindre que le nôtre. Il faut savoir que ce qu’on appelle le déficit primaire, c’est-à-dire le déficit "hors dette". Si l’Italie ne pouvait plus emprunter, elle pourrait toujours payer ses fonctionnaires. Mais ça n’est pas le cas de la France. 

On ne peut pas confondre dette et déficit ; la dette italienne est, en pourcentage du PIB, plus importante que la nôtre… 

Un peu plus importante que la nôtre. 

En pourcentage du PIB, la même dette que l’Allemagne par exemple… 

Excusez-moi de vous dire ceci : la dette et le déficit, c’est la même chose. La dette, c’est la somme des déficits. Donc, vous ne pouvez pas séparer l’un et l’autre. Et donc les Italiens ont plus de dettes que nous mais moins de déficits. Et donc cette situation qui concerne les pays du Sud de l’Europe, nous sommes nous-mêmes concernés par les déséquilibres qu’elle évoque. 

Alors, je reprends ma question : le fardeau financier de la Grèce représente a peu près 160 pour cent de son PIB. Chacun voit que ce pays ne pourra pas dans l’état actuel de ses contraintes budgétaires et malgré les mesures qui ont été prises depuis le début de l’année par le gouvernement Papandréou, ne pourra pas faire face à ce fardeau. Est-ce qu’il faut envisager une restructuration de la dette grecque ? 

Il y aura une restructuration de la dette Grecque et notamment on peut imaginer que les banques qui ont prêtées soient elles-mêmes obligées de prendre une partie de cet allongement de créances. Je pense que c’est sous cette forme d’allongement de créances qu’il faut le faire, pour donner un peu d’oxygène à la Grèce et en continuant d’avoir des institutions européennes qui assurent la dette, pour que les taux d’intérêts ne soient pas trop importants. Si on ne le fait pas, on va vers de graves ennuis pour tout le monde. La présentation selon laquelle on dit : "Il faut que les Allemands ou les Français paient pour les Grecs" est une présentation fallacieuse. Ca n’est pas vrai. Il ne s’agit pas de subventionner, il s’agit d’assurer un emprunt de manière à ce qu’ils puissent en sortir eux-mêmes un jour et je n’ai pas de doutes qu’ils vont faire des efforts, qu’ils font des efforts considérables pour en sortir. 

Ce n’est pas "à fonds perdus", vous n’aimez pas cette expression. 

Ce n’est pas à fonds perdus. 

Même si on n'a pas forcément l’espoir de retrouver l’argent que l’on verse ? 

Mais si on fait un allongement de créances pour la Grèce, c’est bien pour qu’elle puisse se reconstruire et s’en sortir. Alors c’est évidemment le pays dans la situation la plus précaire de la zone euro mais ne vous trompez pas, il y a une chaine de dominos entre la Grèce, le Portugal, l’Italie, l’Espagne et la France. Voilà les pays du Sud de l’Europe qui sont concernés par la dégradation de la situation contre laquelle, vous le savez, j’ai passé des années et des années à mettre en garde. 

A part ça, François Bayrou, l’intervention de Dominique Strauss-Kahn dimanche soir - je parle là des 22 premières minutes de son intervention - vous avez trouvé cela nécessaire, convaincant, propice à son retour dans le débat public ? 

Je ne sais pas si ça se fait de le dire, mais j’étais gêné par cette intervention. Je trouvais qu’il y avait quelque chose de gênant dans la manière dont c’était si évidemment préparé, dont les communicants, comme on dit, avaient pris tout cela en main, dont tout était réglé jusque dans le moindre soupir. J'ai trouvé gênant la posture dans laquelle il dit : "j’ai commis une faute morale". Mais il place en accusation cette femme qui, pour le moins que l’on puisse dire, s’est trouvée dans cette affaire sans le vouloir. C’était l’aveu ou le demi-aveu qu’il a fait, j’ai trouvé cela très gênant. 

Vous avez tenu votre Université de rentrée le week-end dernier à Giens ; vous avez eu une envolée qui a été assez remarquée contre les affaires qui ont occupées l’actualité de ces derniers jours et de ces dernières semaines. Vous avez prôné une politique propre, est-ce que ce sera l’axe de votre campagne présidentielle ? 

L’axe de la campagne présidentielle, c’est qu’il faut sortir de la situation désespérante dans laquelle il se trouve. Et c’est pourquoi c’est un axe de reconstruction. Cet axe de reconstruction, il s’appuie sur 3 verbes : il faut la France se remette à produire, c’est le premier verbe. Car notre déficit, notre dette, notre absence de pouvoir d’achat l’incapacité à supporter les services publics les déséquilibres de toute nature, ils viennent principalement de ce que nous ne produisons plus. 
Deuxième verbe : instruire. Nous sommes devant une difficulté immense, à la fois de résultats et de morale de l’école, chez les parents et chez les enseignants, la France se retrouve 22ème ou 23ème au classement des pays développés, elle qui avait la meilleure éducation du monde, ceci n’est pas acceptable pour notre pays. 
Et troisième verbe, construire. Produire, instruire et construire. Construire quoi ? Construire une république et une démocratie dignes de ce nom. Ce que nous vivons fait honte à tout le monde et je suis sûr que parmi ceux qui nous écoutent, cette honte est présente ; le fait que l’on découvre que, en particulier au sein de l’Etat, des réseaux incroyables, deux, trois, quatre, cinq, des réseaux rivaux, de corruption… 

Pour vous, c’est une découverte ? 

En tout cas, à ce point, oui, sans aucun doute. Moi je ne connais pas les gens dont il s’agit, ça n’est pas une découverte qu’il existait de la corruption, de tentation de corruption au sein de l’Etat. Mais qu’on ait installé au cœur de l’Etat des réseaux entiers, toutes ces affaires, les unes après les autres, qui viennent scandaliser l’opinion : l’affaire Takkiedine, Karachi, l’affaire Tapie, dans un autre genre, l’affaire Bourgi, c’est-à-dire : "on va prendre l’argent aux plus pauvres de la planète, aux Africains, pour le donner à des hommes en responsabilité d’Etat en France", c’est une honte. 

Est-ce que l’on vous a déjà proposé ce type de financement François Bayrou ? Des valises de billets ? 

Si on me l’a proposé, les gens qui l’auraient fait se sont vus renvoyés dans les secondes, de manière absolument indiscutable. 

Je n’ai pas compris, c’était au conditionnel, à l’indicatif ? Quel était le temps de la phrase ? 

Non, ça n’était pas au conditionnel. 

Donc on vous l’a proposé et donc vous avez renvoyé les porteurs de valise ? 

Lorsque des propositions de cet ordre m’ont été faites, les porteurs de valise se souviendront assez longtemps des réponses qu’ils ont entendues. 

Vous imaginez la perplexité des gens qui vous écoutent en ce moment, qui ont envie d’en savoir davantage. 

Ecoutez, c’est juste pour dire que l’on peut dire non. Que l’on peut évidemment remettre dans la vie politique française quelque chose d’élémentaire qui est "une honnêteté civique". Vous êtes en situation de responsabilité, et vous êtes porteur vous-même d’une partie de l’image, de la vie du pays qui est le vôtre, de son équilibre intérieur. C’est très simple, les choses dont nous parlons, je ne peux même pas en parler à mes enfants. Parce que c’est tellement troublant, infiniment désespérant, je ne peux pas dire à mes enfants la réalité… 

C’est de la corruption. 

Oui, mais la corruption ordinaire, on sait bien qu’elle existe. Lorsqu’il s’agit d’une personnalité chargée de la République au sommet de l’Etat, ça c’est une corruption que simplement, nous devons un jour ou l’autre éradiquer. Il faut simplement, sur ces affaires, faire la clarté, et que la France se retrouve comme un pays normal avec des institutions honnêtes. 


Question d'un auditeur : Bonjour François Bayrou. J’ai été un petit peu gêné après une question qui était somme toute très claire. Vous avez quand même insinué que l’on vous avait proposé des mallettes d’argent. Alors de deux choses l’une : ou on ne dit rien et vous êtes tranquille, ou alors vous dites : "Oui, effectivement, on m’a proposé" et vous allez jusqu’en justice. Un homme de votre posture est obligé de porter plainte contre ce genre d’agissement, je trouve que ça ressemble à une bombe atomique. 

Cela n'est pas une bombe atomique. On m’a dit "est-ce qu’il y a des pratiques de cet ordre dans la République française à votre connaissance ?". Ma réponse est : "oui, il y a, hélas, sans aucun doute, pour moi, des pratiques de cet ordre", et chaque fois que des propositions de cet ordre m’ont été faites, chaque fois, j’ai renvoyé sans aucune ambigüité et un peu méchamment les gens qui me les faisaient. 

Patrick Cohen: Mais qui étaient ces gens ? 

Ecoutez, je n’ai aucune vocation à être dénonciateur au micro. 

Ce n’est pas de la dénonciation. 

Si, il y a suffisamment de scandales, vous en vivez assez, vous en commentez assez sans que j’ajoute à ces scandales. En tout état de cause, pour moi, je témoigne que l’on peut dire non seulement "non" mais dégager des gens qui vous font ces propositions. 

En l’occurrence, dénoncer, c’est faire œuvre de salubrité publique. 

Oui, c’est aussi quelque fois créer des incidents internationaux de première dimension, ce que je ne ferai pas. 

Et ça se rapporte à une époque ancienne où vous dirigiez un parti qui était membre de la majorité ? 

Non, écoutez-moi bien, en tant que responsable de parti politique, je n’ai jamais laissé entrer un euro d’argent qui ne soit pas de l’argent public officiel, déclaré et militant. Jamais. 

Vous, mais votre parti qui était le CDS à une époque a été en procès pour des histoires de financement politique... 

Je suis président de ce parti depuis 16 ans et jamais il n’y a eu un centime qui soit entré chez nous qui soit d’origine douteuse. Ce qui fait qu’aujourd’hui, nous sommes libres, et que je peux vous parler à ce micro sans la moindre ambigüité. J’estime que c’est une preuve apportée de ce que l’on peut vivre non en donneur de leçons de morale, non pas en dénonciateur, mais en responsable politique honnête et qui assume les choses. 

Il ne faudrait pas que ces pratiques soient poursuivies en justice pour des raisons de diplomatie, selon vous ? 

Je n’ai pas de position à exprimer sur ce sujet, je ne suis pas un juge, je ne suis pas un procureur, je ne suis pas un enquêteur. Je dis avec certitude que ce qui est dans les colonnes des journaux, que ce que des sites comme Mediapart ont depuis des mois dénoncé et que vous mettiez en doute, quelque fois même, à ce micro, non pas vous, mais à ce micro, sur cette antenne. Je me souviens d’avoir entendu des choses qui pourrissent la vie politique française, et ce pourrissement-là, il faut y mettre un terme. 

Vous savez que ce que vous venez de dire, peut-être qu’un juge, le parquet, va ouvrir quelque chose. 

Et bien je soutiendrai le juge et le parquet, je l’ai fait dans l’affaire Tapie. J’espère que, pendant des années, nous nous sommes battus souvent seuls, souvent dans le scepticisme général et il est arrivé un moment où la justice - il faut lui rendre hommage - a fait son travail. Il est arrivé un moment où monsieur Nadal, procureur général près la Cour de Cassation et la Commission de la Cour de Justice de la République ont dit : "voilà ce qu’il s’est passé : complicité de faux". C’est donc qu’il y a faux. "Complicité de détournement d’argent public", c’est donc qu’il y a soupçon de détournement d’argent public. Ceci, à soi seul, suffit à montrer que dans un pays libre, c’est à la Justice de faire régner l’ordre. 

Question d'une auditrice : Alors, moi je vais rester un petit peu dans le même registre. pour concevoir une politique saine, comme vous le préconisez, ne faudra-t-il pas laisser un peu sur le bord de la route toutes les personnes qui ont été impliquées dans des affaires, qu’elles soient judiciaires, financières ou morales, ça ferait une sorte de tri sélectif, qu’en pensez-vous ? 

En effet, le tri civique à appliquer au sein du personnel politique, entre les attitudes des uns et des autres, c’est quelque chose que les citoyens doivent appliquer. 

Patrick Cohen : Question qui est revenue dans le débat politique ces derniers jours, faut-il réduire le salaire du Président de la République ? 

J’ai proposé moi-même, je crois le premier, que lorsque le nouveau président sera élu, pour montrer au pays qu’il prend sa part de l’effort qu’il demande au pays, il s’applique, en effet, à lui-même, une réduction de son salaire. Cela n’est pas avec ça que l’on va rééquilibrer le budget du pays, mais c’est symbolique. Cela veut dire : ceux qui sont en responsabilité, ceux qui sont "en haut", comme on dit, ils montrent l’exemple. Je trouve que c’est légitime et juste. 

Jean-François Achilli : Pour revenir sur le tri sélectif, on parle de relaxe possible pour Jacques Chirac dans son procès. Vous pensez, vous, que les accusations de monsieur Bourgi à l’encontre de monsieur Chirac et Villepin sont crédibles, aujourd’hui ? 

Il donne des détails tellement stupéfiants que je suis incapable d’analyser ce qu’il peut se passer dans le bureau du président de la République. Je sais une chose, c’est que cet argent-là - qui vient en France, pas depuis seulement les mandats de Jacques Chirac mais aussi, comme cela a été évoqué en justice, sous François Mitterrand - est pris aux plus pauvres de la planète, et c’est dégueulasse. Alors c’est une pratique ancienne, pour se ménager des amitiés, des soutiens dans le monde international, le fait que l’on apporte de l’argent liquide aux responsables de l’Etat par un réseau ou directement, c’est dégueulasse. Parce que, ce sont des gens qui sont dans la pire des précarités, à qui on va enlever et de qui on va détourner des sommes qui leur sont nécessaires pour vivre. Et quelle sorte d’indignation faut-il ou quelle sorte d’indifférence faut-il pour que l’indignation n’emporte pas ces condamnations ? 

Question d'un auditeur : Bonjour à tous. Le scénario du deuxième tour de la présidentielle est écrit. Il opposera François Hollande à Nicolas Sarkozy, votre intérêt et celui du MoDem n’est-il pas de rejoindre la majorité présidentielle ? De négocier avec Nicolas Sarkozy et d’obtenir, au moment de la constitution du gouvernement le grand ministère de l’éducation. Vous êtes un grand spécialiste de l’éducation, vous pourrez alors mettre en œuvre très librement les réformes que vous jugez nécessaires, ces réformes qui constitueront l’enjeu essentiel du prochain quinquennat. 

Monsieur, je vais vous dire ceci. Votre raisonnement, il pèche par une phrase initiale, quand vous dites : "Le scénario du deuxième tour de l’élection présidentielle est écrit". Moi je vous dis, si l’élection présidentielle existe, c’est pour que le scénario du deuxième tour ne soit pas écrit. Il y a quelques semaines, encore, vous m’auriez dit : "Monsieur Bayrou, le scénario est écrit, c’est Dominique Strauss-Kahn qui va être au deuxième tour contre Nicolas Sarkozy", on a vu que ce n’était pas le cas. 
Ce qui va s’imposer dans cette élection présidentielle, c’est la réflexion, la question posée à tout le pays, de savoir si la bonne alternance, c’est l’alternance entre l’UMP et le PS. Je crois que non, étant donné les difficultés que nous avons à affronter aujourd’hui, je vous dis ceci : il n’y a qu’une majorité qui puisse porter la politique nécessaire pour le pays, cette majorité est une majorité centrale centre-gauche à centre-droit. Pour l’instant, cette majorité ne s’est pas imposée ; elle s’imposera. Elle s’est imposée en Allemagne, pour changer le pays, elle va s’imposer en Italie, je vous le dis avec certitude, elle va s’imposer en Grèce, si Zapatero a pu faire adopter la règle d’or qui limite ou supprime les déficits en Espagne. C'est grâce à cette majorité-là et c’est ce que nous allons faire en France. Parce que l’on ne va pas laisser le pays dans l’impasse entre d’un côté l’échec et de l’autre l’illusion. 

Thomas Legrand : Pour pouvoir faire un grand rassemblement du centre, est ce qu’il vaut mieux, si vous êtes au second tour, avoir en face de vous Nicolas Sarkozy ou le candidat socialiste issu des primaires ? 

Je ne crois pas que ce soit à choisir le candidat qu’on a contre soi qu’on a une chance de rendre une hypothèse crédible. Ce que nous avons à rendre crédible, c’est que cette majorité nouvelle, que j’appelle majorité du courage, doit s’imposer quelque soit les hypothèses de deuxième tour. Il y a dans ce que vous avez dit une hypothèse plus facile et de l’autre côté une hypothèse plus difficile. Il demeure que c’est cette majorité-là et ce projet-là qui doit l’emporter. Ce projet, qui je le répète, est fondé sur ces trois idées, produire, instruire, construire une démocratie digne de ce nom. Si nous avons ces trois choses en tête, alors cela s’imposera, quelque soit l’adversaire du deuxième tour.

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