"Il commence à y avoir des menaces sur la réforme constitutionnelle à cause de la guerre interne à gauche"

Le Président du Modem, François Bayrou a affirmé, mercredi matin, au micro de Public Sénat et Sud radio que la gestion du débat sur la réforme constitutionnelle par le gouvernement était devenu un "prétexte de l'explosion" de la gauche et menaçait le projet de loi.

Bonjour et bienvenue dans la matinale de Public Sénat et Sud Radio. Aujourd’hui, notre invité est François Bayrou, Président du Modem et Maire de Pau. Merci d’être avec nous ce matin. Pour vous interroger, Véronique Jacquet de Sud Radio et Gilles Leclerc de Public Sénat.

François Bayrou, la crise agricole, on a vu les agriculteurs sont en colère et poursuivent leur blocage, c’est un sujet qui vous tient très à coeur. Tous les gouvernements qui ont précédé celui là, ont une responsabilité selon Stéphane Le Foll, c’est ce qu’il disait à l’assemblée nationale hier. Quel est le modèle agricole qui serait adapté selon vous?

Il faut changer profondément le modèle agricole. C’est extrêmement difficile et compliqué, parce que cela entraîne aussi une remise en question des logiques européennes, de la manière dont elles fonctionnent. Ce n'est pas facile à faire, mais c’est vital au sens propre du terme. Pour moi, la politique agricole que nous devons suivre, ses principes doivent être au nombre de deux. Le premier comme aujourd’hui, fournir aux français et aux européens, une nourriture de la meilleure qualité possible et du meilleur prix possible, c’est entendu. Et deuxièmement s’agissant spécifiquement de la France, maintenir un tissu d’agriculteurs suffisamment vivace pour que l’agriculture demeure un élément de l’identité de la société française et de son équilibre. Il y a beaucoup de pays qui ne cherchent pas ça. Il y a beaucoup de pays qui considèrent que l’agriculture est une industrie de la nourriture, or ce n’est pas une industrie de la nourriture, c’est un genre de vie. Si vous voulez me dire que c’est difficile que ça va entraîner des remises en question, peut être des interrogations européennes, je le crois c’est vrai, c’est comme ça. Mais on ne peut pas faire autrement, on ne peut pas en rester avec un monde agricole qui a été le pilier de la France, le tissu de la France, et qui est si profondément désespéré, écoeuré, lassé, se détournant de tout. Simplement parcequ'ils ne peuvent pas vivre avec le métier pour lequel on les a entraîné à faire ou plutôt la manière dont on les entraîne à le faire. 

Ils ne peuvent pas en vivre, souvent parce qu’ils sont sur de petites exploitations, alors, le modèle à choisir lequel est-ce ? C’est un modèle d’exploitation avec des fermes à mille vaches, mille cinq cents vaches? 

Mais, vous voyez bien que c’est précisément cela qu’une grande partie du peuple français rejette et qu’une grande partie des agriculteurs rejette. Il y a une inspiration à ce que l’agriculture retrouve les équilibres naturels qui étaient les siens. Et cette inspiration elle passe autour de beaucoup de questions : la lutte contre les phytosanitaires c’est une manière de dire ça. Le bio c’est une manière de dire ça. Et puis le bien-être animal c’est une manière de dire ça. Les agriculteurs ressentent ces interrogations comme dirigées contre eux, alors que je crois que ce sont des interrogations pour retrouver un modèle agricole qui les fassent vivre et qui maintiennent la paysannerie, le lien avec le sol comme une identité. Nous allons vers quelque chose qui va être très lourd mais dont je crois qu’il est nécessaire de l’envisager dans toute son ampleur. 

Vous nous dites qu’il s’agit d’un problème structurel et pas tellement conjoncturel, au fond, vous êtes plutôt indulgent de la gestion de cette crise par le gouvernement actuel.

Franchement tous les gouvernements, au travers du temps, depuis des années et des années, n’ont pas vu ou n’ont pas voulu voir que le modèle qu’on leur imposait en réalité abandonnait les racines de l’attachement de la France à l’agriculture. C’était un modèle qui était entièrement fondé, depuis longtemps, sur le fait que le consommateur devait trouver les produits agricoles au plus bas prix possible, avec de la qualité sans doute mais au plus bas prix possible. Le plus bas prix possible ça veut dire qu’il faut compenser le manque de revenu par des aides directes et c’est précisément cela qui nous a conduit dans le mur aujourd’hui. Alors sans être entendu comme il aurait fallu parce qu’on avait l’impression que c’était corporatiste, on a été quelques uns à dire depuis le début, la question c’est les prix.  Il y a aucune raison que cette profession et cet engagement ne puissent pas vivre en commercialisant les produits qu’il a fait naître. C’est impossible d’avoir à dépendre d’aides, c’est à dire au bout du compte de la fiscalité qui pèse sur l’ensemble des consommateurs. Ce que l'on donne d’une main on le reprend de l’autre.

Tout cela a été fait pour favoriser l’agriculture très industrialisée, et ce n’est pas le modèle français. Que nous ayons un modèle agricole différent c’est plutôt un plus pour la France. Les gouvernements qui vont venir après ce qui va se passer en 2017, ont une lourde responsabilité de compréhension de ce que c’est que l’agriculture comme engagement d’une vie, et comme nécessité d’avoir un équilibre économique. En tout cas, pour moi, qui comme vous savez viens de ce monde là…

…vous êtes un ancien producteur de lait 

Oui, c’est vrai, parce que j’ai eu la charge d’une exploitation agricole très jeune dans les Pyrénées en Béarn. J’en suis fier et je trouve que c’est extrêmement enrichissant comme expérience. 

Autre actualité, au menu du Conseil des Ministres ce matin, la lutte contre le terrorisme et notamment le prolongement de l’Etat d’Urgence. A vos yeux est ce qu’il faut le prolonger au-delà de la fin du mois de février. 

Je suis absolument certain qu’il sera prolongé parce que tant qu’on a pas rénové les instruments, outils dont nous avons besoin pour lutter contre le terrorisme l’Etat d’Urgence demeurera. J’espère que dans les trois mois qui viennent, on aura pris les textes, les décisions qui s’imposent pour qu’on puisse sortir de l’Etat d’Urgence comme il se doit dans à peu près trois mois. 

L’Etat d’urgence qui irait jusqu’à l’Euro, ça vous choquerait pas?  

Je pense que ce serait logique. 

Enlisement du gouvernement sur la déchéance de nationalité, il y a le groupe socialiste à l’assemblé qui réclame un nouveau texte, il y a la droite qui maintenant est de plus en plus réfractaire pour voter ce texte. Que pensez vous d'abord de la gestion hasardeuse du gouvernement? 

Tout cela prend une mauvaise tournure. Il suffit d’observer, de faire les comptes, ce que j’imagine  les collaborateurs du gouvernement et le Président de la République font, pour s’apercevoir que cette majorité qui paraissait massive devient de plus en plus précaire. Le gouvernement porte une responsabilité dans cette gestion. Si je peux vous faire une confidence, je ne comprends pas ce qui se passe. Est-ce que les libertés individuelles sont menacées, est-ce que le droit de la nationalité, dont on a le droit de parler, est-ce qu’il est menacé par ce qui se prépare? En rien. La question se résume ainsi : peut-on enlever la carte d’identité à une personne qui a porté atteinte, porté le fer et le feu, tué des enfants dans notre pays ? 

Donc vous si vous étiez parlementaire, vous voteriez sans état d’âme cette proposition ?

 Moi je la voterais. J’ai bien vu qu’il y avait eu un débat parmi les binationaux sur le sentiment qu’ils sont ciblés. Mais ils ne sont ciblés en rien ! On est ciblé que si on est condamné pour terrorisme ! Et à des peines lourdes, 10 ans ! Franchement, quelqu’un qui est condamné pour terrorisme pour dix ans, lui retirer sa carte d’identité n’est pas sa principale punition ! Cela ne remet pas en question l’attachement que nous avons à juste titre à notre pays et à son équilibre. Franchement, je ne comprends pas. Je comprends encore moins la manière dont le débat est en train de prendre un tour absolument incompréhensible pour le commun des mortels. On a l’impression que l’on se bat sur des représentations fantasmatiques de ce qu’est la réalité du pays. Pour moi en tout cas, il n’y a là aucune remise en question de ce que nous avons de plus juste et de plus profond. Pour le reste, pour les autres textes qui viennent, je pense qu’il est du devoir des gouvernants d’aller dans le sens de la sécurité. Franchement, est-ce qu’il y a aujourd’hui quelqu’un en France qui se sente menacé dans sa liberté ? Beaucoup de gens se sentent menacés dans leur sécurité, mais pas dans leur liberté sous prétexte qu’il y aurait une possibilité pour les policiers de faire des perquisitions dans des cas extrêmement précis et limités de menaces d’attentats. Il me semble qu’il y a quelque chose qui est décalé par rapport au sentiment du pays.

À cause de ce décalage, est-ce que la révision constitutionnelle aura du mal à aboutir ?

Je pense qu’en effet, il commence à y avoir des menaces sur la révision constitutionnelle à cause de cette mauvaise gestion, à cause en fait de la guerre interne à gauche ! C’est devenu le prétexte de l’explosion de la guerre interne à gauche et on l’a vu avec le départ de Madame Taubira par exemple. 

François Hollande a sous-estimé justement cette gauche ?

Oui, je ne trouve pas que ce soit une gestion très professionnelle, c’est vrai. Les partenaires sociaux sont au chevet de l’assurance chômage qui est aujourd’hui en déficit. Il y a un mot qui apparemment ne fait plus vraiment peur à personne, celui de « dégressivité ». S’agit-il d’une des bonnes idées et faut-il y aller ? Ce n’est pas la panacée parce que l’on a déjà eu la dégressivité en France dans les années 90 et on ne voyait pas de résultat. La vraie question est : où est l’incitation pour que les Français qui sont au chômage retrouvent du travail ? Et cette question de l’incitation ne se résume pas à la dégressivité.

Les présidents de région étaient reçus hier par Manuel Valls. Ils réclament plus de pouvoir justement pour lutter contre le chômage, ils ont quand même un gros appétit. Est-ce que l’on ne touche pas aux limites de la décentralisation en allant jusqu’à demander la régionalisation de Pôle emploi ?

Tous les responsables locaux demandent en général plus de pouvoir pour eux. Ils ont le sentiment qu’ils règleraient mieux les choses qu’on ne les règlerait depuis Paris. En tout cas, l’adéquation – c’est-à-dire la correspondance précise entre les offres d’emploi et les demandes d’emploi - oui je pense que cela se gèrerait mieux de près que de loin. Le problème est que les régions ne sont plus « près ». On a fabriqué des régions - pour un certain nombre d’entre elles - protéiformes, immenses. Songez que la région dans laquelle je vis est plus grande que l’Autriche, plusieurs fois plus grande que la Suisse, la Belgique, les Pays-Bas, Israël ! Il y a là quelque chose qui ne correspond plus à la gestion de proximité. Donc je pense que l’on s’est gravement trompé. C’est pour moi une des choses à mettre au débit du gouvernement avec la politique de l’éducation nationale. On s’est gravement trompé dans la manière dont on a « réorganisé » les régions.

 On a appris la mise en examen d’Emmanuelle Mignon, la directrice de cabinet de Nicolas Sarkozy sur les sondages commandités par l’Élysée. Quelle est votre position là-dessus ?

 Je n’ai pas de position. Si vous me demandez le fond de ma pensée, je pense que Madame Mignon est quelqu’un qui est honnête personnellement. En tout cas, de ce que j’en ai vu, je n’ai pas de position sur le dossier que les magistrats instruisent, c’est à eux de faire leur travail.

Vous allez regarder cette campagne de la primaire à droite attentivement, mais en tant qu’observateur et non acteur. Est-ce qu’il n’y a pas là un peu une contradiction : d’un côté on sait que vous êtes proche d’Alain Juppé - donc on pourrait imaginer que vous ayez envie de l’aider - et en même temps vous ne souhaitez pas que le MoDem participe à cette consultation… 

Nos adhérents et sympathisants qui souhaiteront participer auront tout à fait leur place. Mais je me défie beaucoup du mécanisme des primaires. Je soutiens Alain Juppé comme vous l’avez dit : s’il est choisi je l’aiderai et je l’aiderai à être choisi si je peux. Mais il suffit de regarder les primaires américaines pour observer à quoi ce mécanisme mène ! Ce mécanisme mène à une prime à la surenchère. C’est un mécanisme qui est réservé à un camp. Il y aura une participation mais elle sera différente du corps électoral et cela risque de mener à une prime à la surenchère. 

Comment pourrez-vous aider Alain Juppé ?

 En mettant en valeur ce que je crois être ses qualités personnelles et les atouts qui seraient les siens pour gouverner ou présider le pays différemment. Un des atouts d’Alain Juppé est qu’il n’est pas prisonnier d’un appareil. Les deux partis politiques qui ont le monopole du gouvernement depuis des années sont aujourd’hui, non pas une réponse aux problèmes du pays, mais une partie du problème de la France ! S’éloigner des appareils politiques, inventer ce que je vais essayer de faire modestement avec mes amis - une forme d’engagement politique nouvelle - est très important pour moi.

Merci François Bayrou.

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