"François Bayrou, modéré et tranchant"

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Deux semaines avant d'annoncer s'il sera de nouveau candidat à l'élection présidentielle, François Bayrou publie Résolution française (éd. de l'Observatoire). L'occasion de dévoiler, avec un vent d'optimisme, au magazine L'Express ses pistes pour lever les blocages de la société.

Qu'a de centriste la société française d'aujourd'hui ?

Ne parlons pas en termes d'étiquettes. La question de la France aujourd'hui est celle de son découragement et de ses blocages. C'est de cela qu'il faut sortir! Pour moi, je le dis dans ce livre, on peut retrouver la volonté et l'allant du pays plus facilement qu'on ne le croit : il suffit d'identifier sur chaque sujet ce qui bloque et de mobiliser les forces pour lever ces obstacles. Pourquoi est-ce impossible chez nous, depuis longtemps? Parce que notre démocratie ne marche plus. Le lien est coupé avec les citoyens, et d'abord parce que les deux tiers des électeurs (extrême droite, extrême gauche, écologistes indé pendants et centre) n'ont aucune représentation. Ce n'est plus tolérable. La philosophie des institutions que je défends, c'est que l'on peut vivre ensemble et trouver des majorités d'idées, même si l'on n'a pas les mêmes options et orientations. Le centre, c'est l'acceptation du pluralisme. Marc Sangnier disait : « La démocratie est l'organisation sociale qui permet de porter à son plus haut la conscience et la respon sabilité des citoyens. » Or nous avons des institutions politiques et un système médiatique qui poussent au simplisme, n'aident pas à la conscience et qui vont plutôt vers l'irresponsabilité que vers la responsabilité. Ce qui l'emporte, c'est l'accu sation, la détestation, la mise en cause, et cela retentit sur la société française. Je défends l'idée qu'il serait important pour cette dernière que les responsables sachent se montrer de l'estime, même s'ils n'ont pas les mêmes options.

Aujourd'hui, qui appréciez-vous dans la sphère politique ?

Ma liberté est de pouvoir estimer les gens qui le méritent, même quand ils ne sont pas de mon parti. Je n'ai jamais hésité à leur manifester du soutien. Je l'ai montré avec Alain Juppé, et je parle de même avec Manuel Valls, Jean-Pierre Raffarin ou Bernard Cazeneuve.

Que proposez-vous pour que les citoyens participent désormais au fonctionnement de l'Etat, et donc au débat public ?

Il s'agit d'obtenir non pas seule - ment la participation des citoyens, mais leur adhésion à la vie civique. Il y a, d'après moi, trois choses à faire. D'abord, changer la pratique politique par l'adoption d'un principe constitutionnel selon lequel les citoyens ont le droit d'être représentés au Parlement si leur courant dépasse un seuil de crédibilité - autour de 5 % du corps électoral (environ 1 million de voix). C'est la propor tionnelle, comme en Al lemagne, qui seule permet des majorités d'idées. Ensuite, le pré sident de la République doit se sentir représentant non d'un camp, mais de l'ensemble des Français. Il inspi re, il dirige, il donne des orientations, mais il ne prend pas parti contre une partie de la nation. Troisièmement, c'est le président qui choisit le gouvernement, en fonction des qualités personnelles des ministres et de la composition de l'Assemblée - il ne nomme pas des représentants d'un cou - rant. Il faut, enfin, une réflexion sur l'information, sur la séparation des pouvoirs entre des intérêts particuliers et des grands organes de presse. C'est pourquoi je propose une instance qui lutte contre les concentrations, contre les conflits d'intérêts, et pour la protec tion des rédactions. Ainsi qu'une loi sur le numérique qui soit l'équivalent de la loi sur la presse de 1881.

Qu'est-ce que le « droit à la communauté » que vous évoquez ?

C'est une réponse à la grande angoisse populaire de notre temps. Cette inquiétude profonde, dépassant tous les clivages, que notre pays bientôt n'existe plus comme nous le connaissons et l'aimons, la peur irraisonnée de voir dis - paraître les points de repère que nous avons dans notre mode de vie et dans notre système de pensée et de valeurs. J'ai trouvé cette notion dans certaines Constitutions africaines. C'est vouloir reconnaître non seulement des droits individuels, mais aussi un droit collectif à porter un modèle de société au travers du temps. C'est un droit naturel pour une société que de vouloir se projeter dans l'avenir. Nous ne sommes pas seulement une addition de droits individuels. Chacun a la latitude d'organiser sa vie au sein de la société, et cependant nous avons une identité, une « âme commune ». Et dans cette âme commune, il y a la liberté individuelle, la liberté de pensée, l'égalité des droits, l'égalité des sexes, la laïcité.

« On a oublié ce qu'est un président », écrivez-vous. Quel fut le dernier à l'être ?

Giscard a été un vrai président. A certains moments, Chirac a effleuré cela, mais il est ensuite tombé dans le parti unique. Mitterrand avait quelque chose de cette liberté souveraine. Sarkozy comme Hollande n'ont pas su l'exprimer.

Dans votre livre, vous combattez la nostalgie de Thatcher, vous dites ne pas croire qu' « on chamboule un pays de fond en comble ». Impossible de vous imaginer derrière Fillon...

L'élection présidentielle, c'est une personnalité et un projet. Je connais François Fillon depuis trente ans. J'avais toujours considéré qu'il était un modéré. Son attitude, son style disaient la modération et une certaine retenue. Or le projet qu'il a choisi, ou qu'on l'a convaincu de choisir, tout au contraire, va vers la brutalité des ruptures. Je ne me reconnais pas et je ne reconnais pas François Fillon dans ce projet. J'ajoute que je suis persuadé qu'il a été élu lors des primaires bien plus sur cette perception d'équilibre que sur son projet.

L'affaire Penelope ne rend-elle pas inaudible son discours de fond ?

C'est un très grand trouble dans l'opinion et une très grande déstabilisation. Les responsables politiques ne se rendent pas compte à quel point les sacrifices demandés aux moins favorisés suscitent de la colère et du rejet lorsqu'on découvre les privilèges qu'ils s'accordent à eux-mêmes.

Le centre politique n'est-il pas aujourd'hui plus faible qu'il ne l'a jamais été ?

Il est faible car cinquante ans de bipolarisation ont fini par persuader des hommes politiques peu courageux qu'il fallait se rallier et se soumettre à un camp, généralement à droite.

Avez-vous votre part de responsabilité ?

Non. Je sais bien qu'il est à la mode de faire de l'autoflagellation, mais je me suis battu contre le parti unique à droite, souvent seul. Si je n'avais pas tenu le drapeau de cette indépendance, je vous le dis sereinement, le centre aurait disparu.

Emmanuel Macron est-il centriste dans sa volonté de dépasser les clivages entre la droite et la gauche ?

Une partie de son succès se situe sur ce terrain que j'ai dé - friché. Est-il centriste? Je ne le sais pas, et lui non plus. Parce qu'être centriste ce n'est pas se prétendre socialiste un jour et pas socialiste un autre. Le centre, ce n'est pas « ni l'un ni l'autre ». Et même pas un « et l'un et l'autre ». C'est un mouve - ment qui a son histoire, sa pensée, son originalité et sa philosophie. Cela remonte à Pascal et à Montaigne, aux grands répu blicains, au Sillon. Ce n'est pas du mou, c'est du dur. Plus on est modéré, plus il faut être tranchant.

« Macron est le Bayrou des temps modernes », a dit Brice Hortefeux. Ce n'était pas forcément un compliment...

Sans doute pas! Mais c'est intéressant de voir que la démar che politique que j'ai initiée fait référence, même auprès de ceux qui la combattaient...

Vous ne regrettez donc rien, en termes de carrière ?

Rien. Et je ne lâcherai rien sur ce que je crois. L'engagement n'est pas une carrière pro - fessionnelle. Ce n'est pas un métier où on chercherait des promotions. C'est une part essentielle de soi-même. C'est comme d'être père de famille. On ne fait pas cela pour soimême. Quand on est engagé, qu'importe la forme, c'est pour la vie, et à chaque instant.

Une seule lettre vous sépare, dans les titres de vos ouvrages, Résolution française et Révolution, d'Emmanuel Macron...

C'est un hasard malicieux : mon titre a été déposé auprès de mon éditeur dès août! En vérité, j'aime que les mots aient un vrai sens. Je me méfie des mots qui sont utilisés pour faire le contraire de ce qu'ils an - noncent. Normalement, la révolution est faite pour changer l'ordre établi. Or, pour les principaux soutiens souterrains d'Emmanuel Macron, si je comprends bien, il s'agit de conforter l'ordre établi, en ralliant la France aux pratiques du capitalisme mondia lisé. La France n'a pas besoin de se bercer de l'idée de révolution. Elle a besoin de résolution, de volonté et de lucidité.

Votre décision d'être, ou non, candidat à la présidentielle est-elle prise ?

Non. Nous nous trouvons devant le paysage politique le plus tourmenté de l'histoire de la Ve République. Je me donne donc la liberté de réfléchir. Je suis entré dans la préparation de cette élection présidentielle avec l'idée qu'il fallait des rassem blements. Il est mieux de donner aux gens le sentiment que l'on est dans des démarches plus altruistes qu'égoïstes. Le problème est que les rassemblements supposent une relative harmonie dans le projet.

Pourquoi n'avez-vous pas réussi à être élu président ?

Parce que la forme des institutions et la bipolarisation se sont conjuguées. Et peut-être n'ai-je pas su vaincre ces obstacles. Mais ce n'est pas parce que l'on a échoué à monter au sommet de l'Everest que l'on doit renoncer. Ma philosophie de vie, c'est qu'un jour, d'une manière ou d'une autre, on arrive à vaincre les sommets les plus inaccessibles.

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