"Si l'Europe ne parle pas d'une seule voix, ce seront la Russie et les Etats-Unis qui décideront de notre avenir"

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Marielle de Sarnez était aujourd'hui l'invitée du Brunch politique de Sud Radio. Dans la première partie de l'émission, elle a répondu aux questions de Louis Morin à propos de l'actualité internationale et européenne.

 Vous pouvez réécouter cette interview grâce au podcast à télécharger sur ce lien.

Depuis un peu moins de 48h, Donald Trump est officiellement le Président des Etats-Unis. C’est un tournant dans l’histoire des Etats-Unis, Marielle de Sarnez ?

Je pense qu’on va rentrer dans une période qui sera, ou qui est absolument imprévisible. Je ne sais pas ce qui va se passer. Et je pense que c’est bien ça la question.

C’est inquiétant ?

Oui c’est inquiétant, on ne sait pas comment le président des Etats-Unis va gouverner, dans quelle direction il va aller... est-ce qu’il va rester dans le discours très militant et assez caricatural qui était le sien pendant la campagne, et qui a d’ailleurs été le sien à Washington avant-hier ?

Qui lui a permis d’être élu.

Qui lui a permis d’être élu, ajoutons que je pense que s’il a été élu c’est aussi, j’espère que je ne vais pas vous choquer en disant ça, je pense qu’Hillary Clinton est sûrement une femme très intelligente et qui a de nombreuses qualités, mais je pense qu’elle n’était pas la bonne candidate au bon moment, je pense qu’il y avait un manque d’empathie avec le peuple américain, et qu’elle était un peu la caricature d’un establishment que plus personne ne voulait voir. Donc je pense qu’il n’y avait pas la bonne candidate en face.

Il a été élu davantage par défaut que par adhésion, selon vous ?

Je pense, oui. Maintenant, nous rentrons dans une grande période d’incertitude, et à voir le président de la première puissance mondiale qui va être capable de nous faire des tweets plus imprévisibles les uns que les autres, c’est compliqué. C’est une difficulté pour le monde. Cette imprévisibilité, on va dire, les premiers points qu’il a développés dans son discours d’investiture sur le protectionnisme absolu, je pense que c’est de nature à être assez déstabilisateur pour le monde. Si on commence à se lancer en plus de tout ce que nous connaissons aujourd’hui comme guerre – que ce soit la question de la Syrie, de l’Irak, du Proche-Orient, la déstabilisation du Sahel, la radicalisation... – si on ajoute une guerre commerciale en plus, vraiment je pense que ce ne sera pas un bon moment pour le monde. Donc ça veut dire qu’il faut que les dirigeants français, les dirigeants européens, et les dirigeants du monde fassent preuve d’un grand sang-froid. Et en particulier l’Europe. Notons au passage qu’on a un jeu complètement à rôles renversés et inversés avec le président chinois qui, lui, dit « il faut continuer à faire du commerce, ne fermons pas nos frontières ». Donc, on va voir comment tout cela évolue, mais vraiment, il va falloir du sang-froid de la part des Européens.

Il va falloir dialoguer avec Donald Trump ?

D’abord, je ne confonds pas le peuple américain avec Donald Trump, j’ai une grande reconnaissance vis-à-vis des Etats-Unis, nous avons une histoire commune, je pense que ça doit compter, et j’espère que ça comptera. Après, c’est à nous aussi d’avoir nos propres positions et d’essayer de calmer un jeu qui peut devenir très déstabilisateur.

Vendredi, lors de la cérémonie officielle d’investiture de Trump il n’y avait qu’un seul représentant français, hormis l’ambassadeur, c’était le député des Français de l’étranger, Frédéric Lefebvre.

Donald Trump est le président des Etats-Unis, que ça nous plaise ou pas. Vous entendez bien dans ma voix que j’ai plus que des interrogations à son sujet, que c’est la première fois qu’on va être confrontés à une telle évolution aux Etats-Unis, à un moment où le monde est d’ores et déjà dans de grandes difficultés. En plus, on voit bien qu’on a un certain nombre de dirigeants autoritaires qui sont là, on a la question de Poutine, la question de la Turquie, la question de l’évolution du monde, et donc, oui, nous rentrons dans une zone peut-être un peu dangereuse.

Alors justement, il y a la question de la Russie qu’on évoquera dans un instant, mais auparavant, si vous aviez été aux Etats-Unis hier, est-ce que vous auriez été à la marche des femmes contre Donald Trump ?

Je ne sais pas si c’était contre Donald Trump. Moi j’ai vraiment suivi cette marche, hier, à la télévision, en écoutant les témoignages. J’ai le sentiment que toutes les femmes et hommes qui étaient là, c’était pour dire « On est là, notre voix doit compter, elle doit être prise en compte, nous allons être vigilants et on n’a pas envie de quelque chose qui soit politisé » ; c’est plutôt un mouvement d’une partie de la société américaine. Mais c’est vrai que la tradition américaine, c’est que le président élu tende la main à l’autre partie des Etats-Unis qui n’a pas voté pour lui.

Et ce n’est pas vraiment ce qu’il a fait ?

Ca n’est pas ce que Donald Trump a fait.

Ca sert à quelque chose de manifester aujourd’hui ? On voit bien qu’il n’a pas réagi, Donald Trump, est-ce que finalement c’est utile d’aller dans la rue ?

Ecoutez en tout cas, toutes celles et tous ceux qui y sont allés, c’est parce qu’ils voulaient exprimer une forme de malaise, et cette exigence de vigilance pour faire attention à ce qui allait se passer, sont des mouvements citoyens qui sont parfaitement honorables, et que l’on comprend très bien.

On a l’impression pour Donald Trump que plus il divise, plus il est heureux.

Je ne sais pas, je ne connais pas bien la psychologie de Donald Trump, je ne sais pas au fond qui il est, c’est la première fois qu’on a quelqu’un comme ça, avec autant de points d’interrogation autour de lui. Ce n’est pas n’importe quelle puissance, c’est la puissance américaine. Il y a une démocratie américaine, il y a évidemment un Congrès américain, on va voir si la démocratie américaine, si les contre-pouvoirs fonctionnent, et on va voirce que le président va faire. Ses premières décisions rapides, notamment sur la question du gaz de schiste, peuvent déjà laisser prévoir d’autres décisions qui iraient dans ce sens-là, et qui sont des décisions qui vont être compliquées pour la planète.

Et puis cette hostilité avec la presse qu’il entretient, on voit que Donald Trump se complaît dans cette image anti-système.

Oui, mais en même temps il est d’un système, c’est un milliardaire, qui n’a pas payé d’impôts pendant des décennies, c’est quelque chose d’assez étrange, mais les américains l’ont élu, je vous ai dit que je pensais que la concurrence en face de lui n’était pas peut-être au rendez-vous de l’histoire auquel il aurait fallu être. Maintenant moi j’attends de voir, mais je ne vais pas vous cacher que j’ai des inquiétudes.

Vous avez évoqué Vladimir Poutine. Donald Trump veut mettre fin aux sanctions contre la Russie, on le dit proche par ailleurs de Poutine, faudra-t-il que la France suive si jamais les Etats-Unis cessent leurs sanctions envers la Russie ?

Moi je crois surtout qu’il va falloir que la France et l’Europe restent unies en cette période. On va subir les tirs croisés de Trump et de Poutine. Moi je regrette Obama, c’est quelqu’un que j’aimais bien, et moi je ne participe pas à cette sorte de Obama-bashing qu’il y a eu dans la presse française, je trouve que c’était quelqu’un de plus que respectable. Petite parenthèse, puisque maintenant il est parti. Donc on va avoir effectivement les tirs croisés de Trump et de Poutine, et il va falloir que l’Europe se décide, enfin, à exister. A parler d’une seule voix. A être unie. A peser. Se décide enfin à prendre les bonnes décisions qu’elle doit prendre pour son propre destin, son propre avenir, sa propre protection. Et donc moi, mon souhait, mon vœu, c’est que l’Europe soit à ce rendez-vous-là. C’est que quelque part, ce soit une opportunité pour avancer vers « mieux » d’Europe.

Pour se renforcer et avoir davantage d’intégration.

C’est d’ailleurs une obligation de le faire. Parce que si nous parlons tous d’une façon désunie et de manière dispersée, eh bien ce sont les deux puissances Russie et Etats-Unis qui décideront de notre avenir.

Concernant les sanctions contre la Russie, est-on encore en mesure de continuer à les appliquer ? Des sanctions qui pénalisent par ailleurs la France.

Oui, c’est une question, mais en même temps quand il y a comme ça des choses qui sont faites contre les règles de droit essentielles qui doivent régir la vie et la communauté internationale, évidemment il faut plutôt maintenir les sanctions. Mais en même temps il faut être capable de dialoguer. Mais dialoguer ne veut pas dire s’aligner. Dialoguer ne veut pas dire se rallier. Dialoguer, ça veut dire être capable d’avoir un dialogue de puissance à puissance, ce qu’à mon sens l’Europe n’a pas fait non plus.

Mais Vladimir Poutine n’y était pas forcément extrêmement ouvert, à ce dialogue de puissance à puissance, lui-même ne reconnaissant pas un certain nombre de pays comme étant des puissances équivalentes à la sienne.

Très bien, mais si nous existons et si nous parlons comme une puissance, il sera bien obligé d’en tenir compte.

Maintenant les questions européennes, le Brexit, Theresa May la Premier ministre britannique joue le rapport de force avec l’Union européenne, la question c’est bien évidemment les accords commerciaux qui sont négociés avec l’UE une fois la Grande-Bretagne sortie. Faudra-t-il sanctionner la Grande-Bretagne, couper l’accès à nos marchés ?

Ce n’est pas une question de sanctionner, c’est simplement une question de logique et de cohérence. Si vous sortez de l’UE, mais que vous avez toujours les mêmes avantages qu’en étant dedans, à ce moment-là plus rien ne veut plus rien dire. Donc si vous sortez de l’Union européenne, c’est une décision qui doit être assumée et qui a évidemment des conséquences. On ne peut pas être un pied dehors et un pied dedans, ça ne marche pas. Moi je regrette le départ de la Grande-Bretagne, je considère qu’elle est un grand peuple, un peuple ami avec lequel là aussi nous avons une histoire commune, et j’ai tout à fait regretté le départ de la Grande-Bretagne, je continue de le regretter. Mais une fois que c’est fait, c’est fait. Et donc vous êtes obligé de tirer les conséquences qui s’imposent.

Nous-mêmes nous avons intérêt à continuer à commercer avec la Grande-Bretagne.

Oui, et les Britanniques aussi. On verra quelles règles, quels chemins tout cela prendra. Je crois que cela va prendre beaucoup de temps. On dit dans le traité que ça doit être fait en deux ans. Moi, je pense que cela va prendre peut-être plus de temps que ces deux années. Mais en même temps, ce serait plus logique que cela soit réglé avant les prochaines élections européennes, c’est-à-dire avant les deux ans et demi de renouvellement du Parlement européen, parce qu’on imagine mal qu’il y ait à nouveau des députés britanniques qui viennent siéger au Parlement européen dans deux ans et demi. Donc il vaudrait mieux que tout cela soit réglé avant, ne serait-ce que par nécessité de clarté et de cohérence.

Et la Première Ministre britannique veut aller vite. On parle même de ‘hard Brexit’ pour qualifier sa volonté de sortir de l’UE.

Elle veut aller vite mais elle n’a toujours pas enclenché la clause de retrait. Elle veut aller vite mais il faut qu’elle l’enclenche pour qu’on négocie les conditions de leur départ.

Donald Trump estime que le Brexit est un succès pour le Royaume-Uni. Il estime également que le Brexit a été causé par la crise des réfugiés, qui a été mal gérée par l’Europe.

Je crois que Donald Trump n’utilise pas les bons mots pour les choses dont il parle, c’est déjà un problème. Ce n’est pas la crise des réfugiés, je pense que ce à quoi il fait allusion, ce sont les citoyens européens, membres de l’Union européenne, notamment en provenance des pays de l’est...

Les travailleurs détachés.

Non, pas seulement les travailleurs détachés. Il y a des gens qui sont allés travailler en Grande-Bretagne parce que Tony Blair, au moment de l’élargissement de l’Europe aux pays de l’est, n’a pas mis de limites à l’entrée des citoyens venant des pays de l’est, alors que la France avait mis de telles limites, à juste titre je pense. Pendant que la Grande-Bretagne allait bien, et qu’elle était en plein boom économique, c’était très bien pour sa croissance, et ça intéressait les entreprises britanniques, il n’y avait pas de problème. Et quand il y a eu la crise de 2008, on s’est demandé ce que faisaient, entre guillemets, ces européens qui n’étaient pas anglais, chez nous. Ca a sûrement joué un peu, mais je crois que ce n’est pas uniquement ce qui a joué.

Donald Trump estime par ailleurs que d’autres pays suivront la Grande-Bretagne, doit-on s’attendre à un délitement de l’UE ?

Je ne crois pas que Donald Trump dans le rôle de Madame Irma ait raison sur tout. On va le laisser faire ses tweets et faire ses déclarations, mais le monde ne va pas s’arrêter quand il fait des déclarations mal fondées ou infondées.

Si je vous pose la question, c’est aussi parce qu’il y a un vent d’euroscepticisme qui court à travers l’Union européenne, on le voit avec les partis d’extrême-droite, qui sont forts dans un bon nombre de pays, en France notamment, mais pas que. En Italie également, en Pologne.

C’est une autre question. C’est la question de « de quelle Europe a-t-on besoin demain ? » Oui bien sûr qu’il y a un risque de délitement européen, on le voit bien avec le départ de la Grande-Bretagne, il y un risque de délitement européen, il y a un risque que ça continue, si les leaders européens ne prennent pas le taureau par les cornes et ne font pas de l’Europe quelque chose qui soit pas seulement utile aux citoyens, mais qui soit aussi une gouvernance plus démocratique de l’Union européenne. Vous ne pourrez combler le fossé qui s’est installé entre les citoyens et l’idée européenne que si vous donnez, vous créez, vous participez de la création d’une vraie démocratie européenne. Que les citoyens aient le sentiment, à juste titre, que leur voix pèse pour les politiques de l’Union européenne.

Marielle de Sarnez, qu’est-ce que vous préconisez, un nouveau traité ?

Je préconise que par exemple, quand le Conseil européen se réunit, quand les chefs d’Etat et de gouvernement se réunissent – vous savez que pas une décision n’est prise en Europe sans qu’ils se réunissent autour d’une table et ne se mettent d’accord les uns après les autres – je préconise que ces réunions ne se passent plus à huis clos, qu’elles soient publiques, et que les positions des uns et des autres soient assumées devant l’opinion publique nationale, et devant l’opinion publique européenne. Et à ce moment-là on aura un débat politique européen, et ce sera le début d’une démocratie européenne qui doit s’écrire.

Ca doit passer par un nouveau traité ?

Pas forcément, parce que celui qui ira vous raconter que demain on va faire un nouveau traité signé par les 27, ça risque d’être un peu compliqué. Donc moi je crois qu’il y a des décisions que l’on peut prendre, celle dont je viens de vous parler c’est une décision qui coûte zéro euro, mais simplement ça modifie la perception qu’auront les peuples du fonctionnement de l’Union européenne, en tous les cas pour partie. Ensuite ça veut dire qu’il faut que les chefs d’Etat et de gouvernement, que l’Europe, l’Union européenne, soient en capacité d’apporter les bonnes réponses aux questions qui se posent. L’UE a été infichue de gérer la crise des réfugiés. Les chefs d’Etat et de gouvernement ont été infichus d’anticiper, alors qu’on avait la guerre en Syrie depuis quatre ou cinq ans, qu’il y aurait un grand mouvement de départ de ce pays. Il suffisait de regarder les millions de Syriens qui étaient dans les pays voisins de la Syrie. Par faute d’anticipation, et par faute d’apporter les bonnes réponses, alors qu’il y avait des bonnes réponses à apporter, on a eu quelque chose qui était très désordonné, chaotique, et ceci ça n’est bon pour personne. Ni pour l’Europe, ni pour les réfugiés.

Le retour des contrôles aux frontières en France, il faudrait y mettre fin un jour.

Déjà ce qu’il faudrait, c’est avoir des frontières de l’UE qui soient contrôlées. Moi ça fait des années que je demande qu’on ait des gardes-côtes et des gardes-frontières, que comme toutes les grandes puissances, comme les USA, nous soyons en mesure de protéger nos frontières, de les surveiller, et d’assumer le contrôle aux frontières. Ce n’est pas très compliqué, chaque puissance dans le monde le fait, l’Europe n’est toujours pas vraiment à ce rendez-vous-là, malgré chaque fois les bonnes intentions. Sommet européen après sommet européen, on nous explique que ça va être fait, qu’on va mettre un corps de gardes-côtes et de gardes-frontières, et puis vous vous rendez compte que les moyens financiers qui sont alloués par exemple à Frontex sont absolument dérisoires, et qu’à chaque fois on a des engagements, mais qui ne sont pas suivis par des actes. Je demande aux chefs d’Etat et de gouvernement de faire preuve enfin de courage et de volonté, parce que sans ça effectivement vous aurez le délitement de cette belle idée de l’Europe.

Vous partagez le constat avec les eurosceptiques et les souverainistes sur les frontières de l’Union européenne ?

Disons que c’est peut-être un constat qu’ils partagent avec nous, ça fait des années que nous le disons, que nous demandons des gardes-côtes et des gardes-frontières.

En attendant il faut continuer de contrôler nos frontières en France ?

Mais est-ce qu’elles sont vraiment contrôlées, d’abord ?

C’est ce que dit le gouvernement.

Ecoutez, moi je vais souvent à Bruxelles, de temps en temps c’est contrôlé, de temps en temps non. Ce qui me semble important, c’est que si vous formez un espace – il faut peut-être repenser Schengen, repenser son périmètre – mais si vous formez un espace ensemble, et bien il faut qu’évidemment les frontières extérieures de cet espace soient contrôlées, surveillées, gardées, et que les gens qui sortent de cet espace – j’ai été rapporteur d’un texte sur cette question au Parlement européen – que les gens qui y rentrent soient contrôlés.

Sur les réfugiés, l’Allemagne est souvent présentée comme étant un pays qui a bénéficié de l’accueil de ces réfugiés pour des raisons économiques.

Oui, c’est vrai, pour des raisons économiques et pour des raisons démocratiques. C’était la position du patronat allemand, d’accueillir des réfugiés. Simplement, je pense que tout ceci aurait dû et pu se faire autrement. Si les chefs d’Etat et de gouvernement avaient anticipé. A ce moment-là il suffisait de mettre un système en place qui était assez simple. Vous alliez les représentants de l’UE, du Canada, des USA, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande... dans les pays d’accueil des réfugiés syriens pour ouvrir des consulats, vous prenez les demandes d’asile, vous regardez si ces demandes d’asile sont recevables, acceptables, ou pas recevables, ou pas acceptables, et à ce moment-là vous donniez ou pas un visa temporaire ou de plus long terme pour les uns ou pour les autres. Le Canada l’a fait ; ses frontières sont plus lointaines que les nôtres, c’est exact, mais le Canada l’a fait pour 50.000 réfugiés syriens, et je trouve qu’on aurait dû gérer la question des réfugiés syriens de cette façon-là. Je suis allée beaucoup dans les îles grecques, j’ai été sur la route des Balkans, dans les îles grecques j’ai vu ces réfugiés syriens qui arrivaient en bateau, qui payaient 3000 euros chacun à un passeur avec de fausses bouées de sauvetage sur le dos, dans la tempête ils payaient 1500 euros parce qu’il y avait moins de chances qu’ils arrivent sur les îles... Tout ce trafic humain, tous ces morts, tous ces décès, toutes ces abominations elles auraient été évitées s’il y avait eu une manière légale de gérer la question de l’asile. Donc j’en veux beaucoup, j’en veux beaucoup aux dirigeants politiques européens qui ont été infichus de gérer ça de façon pertinente.

Est-ce qu’il ne faudrait pas une harmonisation du droit d’asile ?

Mais c’est évident qu’il faut une harmonisation du droit d’asile, c’est évident que dans certains pays vous ne pouvez pas attendre un ou trois mois avant la réponse du droit d’asile, et deux ans par exemple en France ! Parce que quand vous attendez deux ans, puis ensuite avec les recours ça peut aller plus loin, bien évidemment pour celui ou celle qui est là c’est beaucoup plus difficile ensuite de repartir. Donc tout ceci n’est pas raisonnable, bien sûr qu’il faut une harmonisation du droit d’asile, bien sûr qu’il faut que le droit d’asile s’exerce, comme je viens de vous le dire et pas par le biais de passeurs, de manière clandestine et illégale. Ca n’est bon pour personne, et je pense qu’on peut avoir une politique du droit d’asile digne de ce nom, qu’il y a à côté toutes les questions qui ont trait à l’immigration, et que sur l’immigration il faudra bien aussi que l’Europe, en cohérence, ait une politique d’immigration. On ne peut pas imaginer avoir zéro immigration, mais on ne peut pas imaginer non plus avoir des frontières totalement ouvertes, mais il faut encourager à ce que tout ceci se passe par des voies légales. Il peut y avoir des demandes de visa, pourquoi pas des visas multiples, c’est-à-dire pour rester un certain temps, vous pouvez rentrer chez vous, revenir l’année d’après si vous avez un boulot, et ce boulot tombe si vous ne rentrez pas dans votre pays. Il y a des choses à faire, il y a des quotas à mettre en place, des politiques à mettre en place, mais aujourd’hui la vérité c’est que nous n’avons pas de politique d’immigration réelle, et nous n’avons pas non plus de politique de droit d’asile.

Il y a la question du protectionnisme également, au cœur de la question européenne. Donald Trump par exemple, de son côté, a fait pression sur un certain nombre de constructeurs, notamment des constructeurs automobiles, pour les inciter à construire aux USA. La France est également tentée parfois par ce protectionnisme, c’est le cas de certains candidats socialistes, notamment Arnaud Montebourg, qui propose des mesures protectionnistes : réserver 80% des marchés publics aux PMEs françaises, ça sous-entend éjecter de fait les entreprises européennes.

Il y a plusieurs choses dans votre question, il faut faire attention à ne pas tout mélanger. Le protectionnisme, c’est la fermeture totale des frontières, grosso modo vous mettez des droits de douane tels qu’il n’y a plus d’exports, plus d’échanges commerciaux. Il faut juste savoir, je dis ça en passant, que les USA sont le premier pays non-européen avec lequel nous exportons. Donc si les USA ferment demain leurs frontières, vous allez voir les incidences que ça aura sur le développement économique en Europe, et particulièrement en France dans un grand nombre de secteurs. Je ferme la parenthèse, ça c’est la première chose. Avoir des échanges commerciaux, ça doit reposer sur deux bases. Un, il faut que ces échanges se fassent dans le cadre d’une concurrence loyale, c’est-à-dire que les mêmes règles s’appliquent aux uns et aux autres. On a des grands ensembles dans le monde qui ont des droits anti-dumping très forts ; les Etats-Unis ont des droits anti-dumping par exemple contre la Chine qui sont très forts. Et on a en Europe des droits anti-dumping qui sont beaucoup plus faibles. Il faut une harmonisation de tout cela, pour créer des échanges commerciaux, dans le cadre d’une concurrence loyale. Ensuite, ça n’empêche pas d’être intelligent, ça n’empêche pas de développer des politiques proactives pour privilégier une production européenne, privilégier parfois aussi le produit français, avoir de l’investissement sur un certain nombre de secteurs d’avenir, notamment augmenter notre nombre de brevets, dans les domaines de l’énergie, des nouvelles technologies. Ca ne nous empêche pas d’être proactifs pour développer, valoriser nos atouts en matière industrielle ou para-industrielle. Et donc il faut faire deux choses ; celui qui vous opposerait l’un à l’autre, ça n’aurait pas de sens. Il faut effectivement défendre l’intérêt des Européens, moi je suis députée européenne, je suis là aussi pour défendre l’intérêt des Européens, de l’industrie européenne, de l’emploi, de l’activité, de la croissance européenne, et en même temps je pense qu’on doit avoir des échanges commerciaux loyaux. Mais il faut que cette politique marche sur les deux jambes, on défend nos intérêts, et c’est bien et c’est normal qu’on le fasse, parce que les autres puissances du monde, elles le font ! On n’a pas à être plus naïf que les Chinois ou les Américains, et en même temps bien évidemment, il faut pouvoir avoir un monde qui ait des échanges commerciaux en toute loyauté.

Marielle de Sarnez, il n’y a plus beaucoup de personnalités politiques pro-européennes en France.

Des personnalités politiques pro-européennes ? Je ne peux pas dire que les derniers présidents de la République, il y en a pas mal qui se sont succédés, aient été de grands Européens. Mais ceci a des incidences qui ne sont pas bonnes sur la France. La France est aux abonnés absents de la construction européenne ! La France ne dit plus « voilà ma vision européenne », la France ne pèse plus dans le destin européen. Or moi je pense que l’Europe ne peut pas se faire sans une France qui pèse, sans une France qui parle d’une voix importante pour poser les thématiques, poser les perspectives qu’elle souhaite défendre. On ne peut pas avoir une Europe qui soit simplement avec la chancelière allemande. D’ailleurs la chancelière allemande, qu’est-ce qu’elle attend ? Elle attend qu’il y ait avec elle, à côté d’une Allemagne forte, une France forte. Parce que c’est à ce moment-là qu’on fait converger des perspectives.

Elle rencontre d’ailleurs François Fillon demain à Berlin. Ce sera peut-être en tout cas ce qu’elle souhaiterait être le futur couple franco-allemand.

Je ne pense pas que la chancelière Angela Merkel puisse intervenir directement dans la campagne présidentielle française.

Mais c’est le seul candidat qu’elle rencontre de cette campagne présidentielle.

Oui et bien écoutez, c’est très bien, tant mieux pour les deux.

Les enjeux de défense maintenant, et la question de l’OTAN. Donald Trump pourrait se désengager. Il met en cause les questions financières : seuls 5 pays consacrent 2% de leur PIB aux dépenses militaires, comme ce devrait être le cas. 5 pays sur 22. Il ne faut plus compter sur l’OTAN aujourd’hui ?

Ca pose deux questions. Ca pose la question de l’OTAN, de notre partenariat avec l’OTAN, et ça pose la question de l’Europe de la défense. Si on commence par le deuxième point, ça fait des années que nous demandons qu’il y ait la construction d’une défense européenne, d’une mutualisation en matière de défense. Les Européens doivent être en capacité d’assurer, d’assumer leur propre défense. Ceci est une évidence, pour leur propre sécurité intérieure et extérieure, avec les nouveaux risques et périls que nous connaissons, et pas seulement les guerres classiques que nous avons connues. Donc ça c’est le premier point. Et pour moi ça doit être à l’agenda du nouveau Président de la République française, du nouveau ou de la nouvelle élu(e) en Allemagne. Nous devons avancer vers la création d’une défense européenne, et d’une mutualisation de la défense européenne. Ca c’est une chose. Et ensuite il y a la question de l’OTAN. La vérité, c’est que les Américains financent 70% de l’OTAN, Trump dit que ça va s’arrêter, moi je n’en suis pas si sûre. Car évidemment quand il finance 70% de l’OTAN, ils ont une puissance politique qui va avec. C’est-à-dire que qui finance, grosso modo, et qui décide. Et s’ils abandonnent tout ça, ça nous obligera à être d’autant plus costauds sur cette politique de défense dont je parle. Mais je ne suis pas sûre que sur ce point-là, Donald Trump et ses promesses de campagne soient la réalité de demain du nouveau président Trump.

Harmonisation du droit d’asile, des mesures anti-dumping, coopération sur les sujets de défense, c’est ce qu’on vient de dire sur les mesures qui pourraient permettre de sauver l’Europe...

Si je peux ajouter un mot, la France a une responsabilité particulière, pas seulement parce qu’elle a une défense – un budget de défense important qu’il faut absolument préserver – mais parce qu’elle est la seule puissance de l’UE de demain à être autour de la table du Conseil de Sécurité et à disposer de l’arme nucléaire. Donc nous avons, nous Français, dans toutes ces questions de défense, une responsabilité tout à fait particulière.

Vous souhaitez plus d’intégration européenne, Marielle de Sarnez, n’est-ce pas utopique aujourd’hui ?

D’abord c’est un mot que je n’ai pas prononcé. Je veux bien vous dire que je suis pour plus d’intégration, mais ce n’est pas un mot que je prononce parce que « intégration », c’est comme « fédéralisme », ce sont des mots qui ont plusieurs sens et qui peuvent faire peur. Moi je suis pour une Europe politique, où l’on fasse de la politique, où l’on parle de politique, je ne suis pas pour une instaurer des normes matin, midi et soir. Je suis pour une Europe qui a une politique en matière migratoire, une politique en matière d’asile, je suis pour une Europe qui avance sur les questions de défense, et je suis pour une Europe qui se décide enfin, pour ceux qui partagent la même monnaie, à avancer ensemble sur l’économique. Grosso modo, on a dans la zone euro des gens qui ont une monnaie en commun, mais on n’a pas de politique industrielle, économique, d’investissement, de budget, réelle. Bien évidemment, on ne marche que sur une jambe, et il y a un déséquilibre qu’il faut corriger.

 

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