"L'absence de réforme risque de faire mal à la SNCF, voire de la condamner."
François Bayrou était l'invité d'Apolline de Malherbe dans "BFM Politique" ce dimanche 8 avril 2018. Nous vous invitons à revoir la quatrième partie de l'émission pendant laquelle le président du Mouvement Démocrate a débattu avec Bruno Poncet, secrétaire fédéral de Sud-Rail.
Apolline de Malherbe : Rebonjour François Bayrou. Vous êtes bien sur président du modem, maire de Pau, et vous avez été, au fond, non seulement l’un des piliers de l’élection d’Emmanuel Macron, et vous avez même été membre du gouvernement puisque vous avez été Ministre de la Justice. Bonjour Bruno Poncet.
Bruno Poncet : Bonjour.
Apolline de Malherbe : Merci d’être avec nous, vous êtes secrétaire fédéral de Sud Rail, vous êtes finalement l’un des visages de cette grève. Depuis le début vous faites partie de ceux qui portez ce conflit et vous venez justement débattre avec François Bayrou pour aussi essayer de comprendre ce qui vous oppose, sans vous opposer parce que vous n’êtes pas non plus l’un des piliers de cette réforme mais vous l’avez dit tout à l’heure, François Bayrou, vous estimez, même si l’on sent quelques nuances notamment sur la mise en œuvre, que cette réforme est parfaitement nécessaire. Bruno Poncet.
Bruno Poncet : Déjà merci de m’avoir invité. Je suis content de pouvoir discuter avec M. Bayrou, parce que c’est quelqu’un d’important dans la politique française et en même temps, vous êtes quelqu’un de très ancré dans un territoire et pour parler de la SNCF, c’est quand même mieux de parler de la province parce que je pense que beaucoup de gens en parlent, mais ne prennent pas souvent le train et ne se rendent pas compte à quel point aujourd’hui qu’il y a de gros soucis. Je vous ai écouté tout à l’heure et vous avez raison sur un point : il faut une réforme. C’est sûr, aujourd’hui le système ferroviaire commence à tomber en obsolescence : on a des voies qui ont presque 40 ans d’existence, on a des caténaires qui ont, des fois, plus de 30 ans d’existence. En Allemagne, évidemment, en comparaison, c’est 15 à 17 ans d’ancienneté de réseau. Mais cette réforme-là, elle n’est pas bonne, elle est injuste et même inutile car elle ne prend pas les choses par le bon bout, c’est à dire que M. Spinetta a fait un rapport, et qui aujourd’hui le critique même, quand il passe devant la commission parlementaire, il dit qu’on lui a laissé un an, après 6 mois, après 3 mois, et que ce rapport a été bâclé, il a fait du copié collé avec les autres qui ont été donné quelques temps avant - il le dit lui-même, j’ai encore vu ça cette semaine, je n’en pouvais plus, je trouvais ça inadmissible. En plus, derrière, cette réforme, ce qu’elle a fait en premier, elle a mis en exergue les cheminots, elle nous a dit que l’on était des privilégiés, elle nous a dit qu’on avait un statut qui était inadmissible au XXIe siècle, et elle ne parle pas de la dette. Elle ne parle pas du réseau, de la réfection des réseaux, elle ne parle pas de toute cette dette qui étrangle le chemin de fer. Sachez aujourd’hui que lorsqu’il y a 100 millions d’euros empruntés par la SNCF, il y en a 51 qui vont au remboursement de la dette, donc que 49 vont juste en injection dans le réseau, donc aujourd’hui tout le système est vicié donc c’est pour cela que je suis d’accord avec vous sur un point, il faut une réforme, mais pas celle-là.
François Bayrou : Alors, je l’ai dit avant que vous n’arriviez : je ne mets pas les cheminots comme responsables de la situation de la SNCF. Je crois d’ailleurs que personne ne le fait. Je crois qu’il y a eu des arguments de cet ordre, mais ce n’est pas mon point de vue, parce que je sais ce que c’est que la fierté des cheminots, ce sont des éléments dont on parle peu mais c’est réel, c’est profond, c’est important, et c’est important vous le disiez dans le monde de la province d’où je suis. Simplement, on est dans une situation où le fait de dire non à la réforme ou à toute réforme – c’est comme cela que c’est ressenti, même si ce n’est pas cela mais vous savez bien que c’est cela qui est entendu – est une attitude qui risque de faire très mal à la SNCF pour ne pas dire de condamner la SNCF.
Je vais vous dire ce que, comme élu local, je vis. La situation est aujourd’hui, à bien des égards, insupportable. La gare de Pau, capitale au pied des Pyrénées, n’est toujours pas accessible, je ne sais pas si vous vous rendez compte.
Apolline de Malherbe : Qu’est-ce que cela veut dire ?
François Bayrou : C’est à dire qu’elle n’est pas accessible aux personnes qui ont des difficultés pour se déplacer.
Apolline de Malherbe : Il n’y a eu de travaux, de remises aux normes.
François Bayrou : Oh c’est bien plus compliqué. Je n’ai jamais rencontré, depuis que je suis maire, le président de la SNCF – qu’il m’est arrivé de voir – sans que je lui dise : « Mais enfin, c’est impossible ». Et alors la SNCF fournit des projets pharaoniques : jeter des passerelles, … Alors qu’il y a un passage souterrain, et qu’il suffirait de mettre un ascenseur et puis les choses seraient réglées. Et on me dit : « Ce n’est pas possible parce qu’il faut monter les quais ». Des blocages administratifs incompréhensibles, insupportables. J’ai fait une affaire avec la SNCF parce que nous avons racheté une halle Sernam, il a fallu 4 ans - on s’est mis d’accord, on a pris la décision : 4 ans pour l’administration. Je n’en veux pas aux personnes parce que c’est un système, c’est une mécanique et c’est une mécanique trop lourde et trop fermée. Ce qui va se produire s’il n’y a pas de réforme - alors j’entends bien que vous dites qu’il en faut une, après on peut discuter laquelle - , s’il n’y a pas de réforme ce qui va se produire je vais vous le dire. Dans une région comme la mienne où on aurait besoin de navette SNCF, d’Orthez à Pau et jusqu’à Lourdes, on aurait besoin d’une navette qui fasse du pendulaire, il y aurait des milliers de personnes qui la prendraient. Mais si on ne fait rien, le prix que la SNCF demandera pour faire cette navette sera insupportable pour les collectivités locales et pour les usagers. C’est trop haut et beaucoup d’élus locaux - vous le savez mais je ne cherche pas à vous convaincre - disent : « La concurrence vivement la concurrence » parce que l’on sait bien que d’autres compagnies ferroviaires - je pense aux allemands, aux suisses - sont prêts à nous ouvrir cette ligne à 30% ou 20% de moins ou 25% de moins et moi cela me fait mal au cœur parce que cela devrait être la SNCF qui devrait être prescripteur ou proposant de service public.
Apolline de Malherbe : Qu’est-ce que vous répondez à ces blocages-là, Bruno Poncet ?
Bruno Poncet : Je suis d’accord avec vous, aujourd’hui on le vit au quotidien. Il faut bien comprendre que les conditions de circulation des usagers sont nos conditions de travail. Et donc quand ça fonctionne mal tout le monde en pâtit. Après vous avez raison, il y a quelque chose qui ne va pas dans les investissements de la SNCF. Mais il ne faut pas oublier que M. Pepy, cela fait 20 ans qu’il est là, ce tout TGV qu’il a porté pendant 20ans et aujourd’hui il dit qu’il faut aller sur le réseau du quotidien, c’est de sa faute aussi, il ne faut pas oublier. Ce monsieur - nous on pense, on le voit aujourd’hui avec ses déclarations - il met de l’huile sur le feu dans le conflit alors qu’il n’a pas besoin de cela, je pense qu’il est temps de dépassionner le débat, on peut discuter intelligemment sans avoir besoin de mettre de l’huile sur le feu et je trouve que vous avez entièrement raison sur le constat.
Quand je vois que la SNCF dépense 200 millions d’euros dans sa communication, et qu’elle est incapable d’augmenter les cheminots depuis 4 ans et que derrière j’entends régulièrement des gens comme vous qui disent « dans ma gare il n’y a pas de passage pour les personnes à mobilité réduite, l’accès aux quais n’est pas possible ». Vous vous rendez compte nous vivons tous les jours cette dichotomie : il y a de l’argent à la SNCF qui est mal utilisée. Vous parliez de créer une ligne entre chez vous et Lourdes. Mais ça ce sera toujours la SNCF parce que cette partie-là ne va pas entrer normalement avec capitaux privés ou quoi que ce soit, cela restera au sein de la SNCF parce que l’ouverture à la concurrence se fait sur l’exploitation.
Apolline de Malherbe : Mais sur cette ouverture à la concurrence qui finalement est plébiscitée et espérée par les élus locaux comme le dit François Bayrou, qu’est-ce que vous lui répondez ?
Bruno Poncet : Alors l’ouverture à la concurrence, il faut bien se rendre compte aujourd’hui qu’il y a des effets pervers qui sont dénoncés dans tous les pays où cela a été fait.
En Angleterre par exemple cela a augmenté les prix à un taux extraordinaire. Déjà au départ il y a eu des problèmes de réseaux parce que l’entretien du réseau était aussi ouvert à la concurrence et rappelez-vous il y a eu des morts, c’était quand même assez effroyable.
François Bayrou : Et ils ont tout changé. Et en 10 ans ils ont rénové complètement leur réseau, on dit aujourd’hui que c’est le premier ou deuxième réseau par la qualité en Europe.
Bruno Poncet : Et après l’exploitation en Angleterre a fait que cela a augmenté les prix, mais c’est à des taux que nous en France on ne pourrait pas supporter. Par exemple : il y a une ligne qui fait Londres-Cambridge, 60km. L’abonnement à l’année est 6000 euros, 500 euros par mois. Je ne pense pas qu’un français aujourd’hui ait envie de faire son abonnement personnel de son TER ou de son TGV à cette hauteur-là. Ensuite je vous ai entendu parler de la Suisse, j’ai trouvé cela très intéressant parce que, vendredi j’étais à une réunion au ministère et si au ministère on ne négocie pas, par contre on apprend des choses en ce moment. Je suis sur la qualité du service public et, dans ce débat-là, une dame qui représente le fonds d’infrastructure ferroviaire en Suisse est venue nous expliquer comment ça marche là-bas. Déjà en Suisse c’est 3800km de réseaux nous c’est 30000.
François Bayrou : Je n’ai pas dit que c’était la même chose.
Bruno Poncet : Non ce n’est pas ça mais c’est intéressant de voir, eux ils investissent, ils ont ce fonds d’infrastructure et en autogestion complète c’est à dire un autofinancement complet à 4.8 milliards par an. Dedans, il y a des fonds qui viennent de l’Etat, 1,5 fois plus d’argent par habitant que ce qu’il pourrait y avoir en France. Donc, il faut se rendre compte de l’investissement qu’ils font.
Apolline de Malherbe : Et proportionnellement, vous dites que cela coûte aussi l’Etat suisse.
Bruno Poncet : Oui, mais derrière, elle dit : « Nous, on a 4.8 milliards, on dépense 4.8 milliards et on ne dépense pas plus ». Et derrière ces milliards sont engendrés par un report modal qui fait que vous n’avez pas le droit de traverser la Suisse en camion, vous devez aller sur les trains et cette augmentation du trafic fret fait que, en ce moment, là-bas, ils sont en autogestion. Vous savez qui a annulé l’écotaxe ? C’est Madame Royal. Cette écotaxe avait été faite lors du Grenelle en 2007 - le Grenelle de l’Environnement - elle devait déjà financer la LGV, on peut en reparler tout à l’heure. Eh bien Madame Borne, aujourd’hui, qui chez M. Bourdin s’embrouille un petit peu - je pense qu’elle se rend bien compte que sa réforme, elle ne va pas arriver à la défendre comme cela - elle dit : « Pourquoi on ne ferait pas une taxe sur les camions ? ». L’autre fois, j’ai vu un reportage sur la chaine parlementaire que je regarde beaucoup, elle était à côté de Madame Royal quand ils ont signé la fin de l’écotaxe. Ce n’est pas sérieux, aujourd’hui on peut dire ce que l’on veut sur les cheminots mais, nous, on connaît notre domaine on sait ce que l’on vaut, on sait ce que l’on fait. Et surtout quand on entend des gens comme ça, qui sont passés par la SNCF, qui a été directrice de la stratégie et qui aujourd’hui nous explique que « la stratégie n’est pas bonne depuis 20 ans » ce n’est pas entendable. Or, nous, nous pouvons entendre tout et n’importe quoi mais aujourd’hui on se rend compte qu’après quasiment 2 mois d’entretiens entre Spinetta et les ministères et la direction d’entreprise, on se rend compte que c’est du grand n’importe quoi.
François Bayrou : Alors si vous voulez me faire dire que la France, depuis des décennies est gérée - je n’irai pas jusqu’à dire « n’importe quoi » comme vous dites mais ce n’est pas loin - vraiment, on est dans une situation où faire et défaire, reprendre, retrouver les mêmes idées… Après tout, on peut dire entre nous que la réforme que l’Etat propose aujourd’hui c’est le statut de la SNCF en 1937.
Bruno Poncet : Oui à peu près.
François Bayrou : C’est exactement cela, si on n’avait pas entretemps démantelé, mis par terre donc vous voyez que le statut de 1937 c’est un an après 1936, je rappelle.
Apolline de Malherbe : Le front populaire.
François Bayrou : C’est exactement le statut que nous allons avoir si, sur ce point, la réforme arrive à son terme. Et donc oui en effet l’Etat en raison de la politique, des institutions qui font que on va d’un bord sur l’autre et on revient en arrière…
Apolline de Malherbe : C’est ce que vous disiez tout à l’heure sur le poids de l’administration.
François Bayrou : De l’administration et le fait que la politique favorise - que les règles politiques favorisent - l’affrontement et la confrontation au lieu d’essayer d’avoir une discussion.
Apolline de Malherbe : Mais votre discussion, c’est assez passionnant de vous voir discuter tous les deux, sur le constat vous êtes globalement proches. Sur les pistes que vous, Bruno Poncet, vous proposez, notamment quand vous comparez avec la Suisse en disant il y a cette question du fret, on sent bien que vous vous dites que c’est une piste qui devrait être envisagée.
François Bayrou : C’est criminel que l’on n’ait pas fait plus pour le fret en France
Apolline de Malherbe : Donc cette réforme aurait peut-être dû prendre en compte davantage de pistes.
François Bayrou : Je ne veux pas ouvrir une polémique avec qui que ce soit, ce n’est pas mon objectif. Mon objectif est de montrer que contrairement à ce que l’on dit, il y a des points de d’accord, de convergence qui sont trouvables. Je ne crois pas que les cheminots soient sourds et aveugles, je pense qu’ils se rendent très bien compte de la situation, c’est la leur. Par exemple, quand ils disent les armoires électriques ont 40 ans parfois - les aiguillages ont 40 ans sur certaines lignes - quand on regarde l’état de la voie entre Dax et Pau, il faut plus d’une heure pour faire 100km ou 90km… Mais on pleure ! On a laissé en effet s’effondrer avec le temps, le réseau français qui était le réseau le plus respecté.
Apolline de Malherbe : Et dont les français étaient d’ailleurs très fiers.
François Bayrou : Je me souviens très bien du record du monde d’une locomotive à 330km/h dans les Landes, allez voir l’état du réseau dans les Landes aujourd’hui. Tout cela, en effet, est du gâchis au travers du temps parce que l’on a passé notre temps à démolir ce qui a été fait.
Apolline de Malherbe : On se dit, en vous écoutant tous les deux aujourd’hui, que le gouvernement aurait dû vous demander à vous, François Bayrou, d’être le négociateur dans cette réforme parce que, au fond, le dialogue a l’air beaucoup plus fécond qu’il ne l’ait aujourd’hui, si je veux bien vous croire quand vous êtes face au gouvernement. Mais, Bruno Poncet, vous êtes d’accord sur le constat, cela dit, est-ce qu’il y a des points dans cette réforme dont vous vous dites qu’ils sont, au minimum, acceptables ?
Bruno Poncet :Non, parce que à partir du moment où vous ne gérez pas la dette - et c’est cela le gros problème de la SNCF aujourd’hui - tout le reste qui découle c’est demander des efforts aux cheminots, aux usagers, aux collectivités territoriales. Parce que, à un moment donné, quand il va falloir reporter ces 9000km de lignes, que le gouvernement dit : « Nous, on y touchera pas, mais on va laisser les collectivités territoriales gérer cela. », plus leur gare TGV qui sont pas rentables soit disant, vous allez avoir un abandon de ces lignes très rapidement ; et derrière cette dette elle est pas expliquable, elle est pas expliquée, elle est pas reprise et nous on n’arrive pas à comprendre pourquoi on fait une réforme quand on ne parle pas du plus gros sujet. Nous, à la SNCF, les cheminots, on vit depuis plusieurs années 2000 suppressions d’emplois, parce que l’on nous dit il faut faire des efforts à cause de la dette. L'année dernière c'est 56 suicides de cheminots, via souvent des problèmes de management, de harcèlement moral car il faut toujours faire plus avec moins. Aujourd'hui vous vous rendez compte que j'ai des gens qui nous disent (hors grève) que c'est le chaos tous les jours, j'ai des collègues qui conduisent des trains de la ligne B, ils ne veulent plus la faire car on ne laisse pas assez de temps aux gens sur le quai pour pouvoir monter et descendre, on dit aux conducteur qu'au bout d'une minute il faut qu'il reparte, c'est pas possible. Donc aujourd'hui nous, ce que l'on dit, et on le répétera encore et on ne lâchera pas là-dessus : cette réforme là ils la retirent, on se met à une table de négociation et on discute de cette dette, et cette dette-là vous en parlez. Mais ce qu'on oublie de dire aujourd'hui, c'est que si le gouvernement était droit dans ses bottes, il dirait : « cette dette on la reprend, mais derrière il faudra faire des efforts ». On ne serait pas autant en colère qu'on peut l'être. Au début on était 80%, maintenant on est à 50/50. Pendant plusieurs semaines, en plus, les médias nous ont soutenu, ils ont suivi non pas les syndiqués mais les gens comme moi, qui conduisent les trains, qui font les aiguilles, et ils se sont rendu compte que d'une : on est pas des privilégiés, que notre boulot, il n'y a pas grand monde qui veut le faire, il nous manque des conducteurs mais on ne trouve personne malgré notre statut qui parait-il est extraordinaire.
François Bayrou : Vous voyez bien que dans ce que vous avez dit, il y a du juste : je sais très bien qu'en dépit du statut on arrive pas à recruter des conducteurs. Parce qu'il y a des contraintes, etc... Toutes ces choses sont importantes, mais il y a une chose qui ne peut pas être entendue c'est : « Il faut retirer la réforme ». Si le gouvernement avait la mauvaise idée de retirer la réforme, évidemment vous voyez quel signe d'impuissance – j'ai parlé toute à l'heure de l'impuissance politique que les français observent et qui les désespère – et donc pour moi, ça c'est évidemment impossible. Oui, je suis sûr qu'il y a des discussions discrètes...
Bruno Poncet : Pas avec nous… Nous, on est Sud Rail, personne ne parle avec nous...
François Bayrou : Moi je veux bien parler avec vous ! Vous n'êtes pas des pestiférés, vous êtes des syndicalistes, vous essayez de défendre votre boulot, et une certaine idée du service public que je comprends aussi, et que tous les français, qui aiment le train, ressentent. Et ce que vous avez dit sur le RER B, je ne vais pas dire le contraire. C'est vous qui avez évidemment raison. En revanche, dire qu'au nom de tout ça on bloque tout, je crois que c'est vraiment impossible et c'est rendre mauvais service à la SNCF et, je crois, aux cheminots.
Bruno Poncet : On bloque tout parce que le gouvernement ne nous écoute pas, ne veut pas négocier, depuis le 15 février. On est quasiment mi-avril, depuis deux mois on nous trimballe dans des salons, mais quand on parle de négociations, il n'y a rien au bout. Moi je suis pour la grève de gratuité, ce qui permettrait d'avancer et de toucher le portefeuille de l'entreprise, mais l'Etat dit non et l'Europe dit oui ! Si le gouvernement était aussi légitime que ça sur cette réforme, il ne demanderait pas à Emmanuel Macron de s'exprimer jeudi.
Apolline de Malherbe : Le fait que Emmanuel Macron décide de s'exprimer, pour vous, c'est une réponse directe parce qu'il sent bien que ce n'est pas tenable ?
Bruno Poncet : Si vous voulez, il nous a envoyé Madame Borne ou Monsieur Philippe. À un moment ils ne sont pas crédibles !
François Bayrou : On oublie comme ça, en passant vite, une question essentielle : que ce soit le représentant de Sud Rail qui l'aborde, pour moi ça a beaucoup de signification. Il dit, on ne discute pas en fait, on nous « trimballe ». Il est vrai que dans les négociations avec l'Etat, ceux qui y ont à faire, ont ce sentiment – et je parle de tous les gouvernements antérieurs, on a aucune culture ni habitude de la négociation, du travail que l'on peut faire en commun, de l'échange fondé sur le réel. J'ai toujours pensé que les syndicats apportaient quelque chose parce qu'ils viennent du terrain réel. Le monde de la haute administration - je n'en dis pas du mal il y a des gens très bien…
Apolline de Malherbe : Vous en dites tout de même pas mal de mal depuis le début de cette émission !
François Bayrou : Le monde de la haute administration a souvent l'habitude de contourner, de biaiser, de ruser car ils ont leurs idées toutes faites. Je pense que l'un des enjeux de la réforme institutionnelle dont on a parlé toute à l'heure, c'est d'avoir un monde politique qui se mette enfin à avoir des dialogues réels avec les syndicats, les fonctionnaires, les entreprises... On avait dit que l'on allait faciliter pour les PME, etc... On en m'en parle pas.
Apolline de Malherbe : En tout cas, l'échange, s'il ne se fait pas dans le réel, se fait sur ce plateau ! Merci à tous les deux d'avoir débattu.
"Ce débat doit devenir un modèle."
Apolline de Malherbe : Myriam Encaoua, je le disais tout à l’heure, qu’au fond, le gouvernement aurait été sans doute mieux inspiré d’envoyer François Bayrou pour négocier, parce que le dialogue aurait sans doute été plus fécond !
Myriam Encaoua : Absolument. C’était passionnant de vous écouter parce que jusqu’à présent, on a l’impression qu’on assiste à un dialogue de sourds entre le gouvernement les cheminots, et les syndicats. Et là, « patatras » ! La politique a fait son éruption, et c’est François Bayrou qui nous explique qu’il y a des points de négociations, qu’on peut avancer. Et c’est Sud rail qui nous dit le statut des cheminots n’est pas forcément un préalable. La dette, c’est plus important. Et on commence à y comprendre quelque chose.
Bruno Poncet : Je n’ai pas dis ça…
Myriam Encaoua : Mais vous n’avez pas non plus fermé la porte à une négociation sur le statut. Moi, j’avais l’impression que le statut, c’était : « On le garde, quoi qu’il arrive ».
Apolline de Malherbe : En tout cas, la dette ne peut pas être à part, et qui devrait faire partie de cette réforme.
François Bayrou : La phrase exacte de Monsieur Poncet, elle est plus subtile que ça. Il dit : « Si le problème de la dette est abordé, et même traité, et qu’en échange, on demande des efforts, on peut. »
Bruno Poncet : Oui, ça aurait été beaucoup plus intelligent de le faire comme ça. Mais après, l’histoire du statut, nous, ce que l’on veut à Sud rail, c’est que ce statut de cheminot soit appliqué à tous dans le secteur du rail : que ce soit la dame qui nettoie la gare, que le conducteur de train. Ce qui fait qu’après, vous n’allez pas dans le dumping social. En Allemagne, ils ont ouvert à la concurrence. La plupart des cheminots ont perdu jusqu’à 30% de salaire. Ce n’est pas ce qu’on veut en France.
François Bayrou : Ils ont regagné plus de 30%...
Bruno Poncet : Non, ils ont perdu plus de 30%...
François Bayrou : Au départ, et après ils ont regagné.
Myriam Encaoua : Si vous me permettez, ce que raconte aussi ce débat, c’est qu’il y a eu beaucoup d’humiliations ressenties, notamment du côté des cheminots. On a parlé de la part du gouvernement d’une forme de « SNCF bashing », notamment au début du lancement de la réforme. Ce que ça raconte aussi, c’est que peut-être ce gouvernement d’experts a trouvé ses limites. On parlait d’un manque de poids lourds pour défendre cette réforme. Est-ce que François Bayrou, vous allez monter au créneau pour défendre la réforme auprès des syndicalistes ?
François Bayrou : Je monte au créneau sur le plateau où vous m’avez invité pour exposer une vision. L’élection du printemps 2017 s’est fondée sur des éléments qu’on vient de retrouver ici. Emmanuel Macron a dit : « Bienveillance ». Et bienveillance, ça a déchaîné des adhésions et des applaudissements. Alors après, c’est plus dur de maintenir au travers du temps que de le dire. Mais c’est une attente de la société française. Ce que je viens de défendre devant vous, c’est le sentiment de millions et millions de Français qui n’ont pas voté Emmanuel Macron par défaut, mais qui ont voté Emmanuel Macron par espoir.
Apolline de Malherbe : Mais quand vous entendez les députés LREM qui pour certains, ont dit : « C’est la gréviculture en France, etc… », vous le regrettez ? On est loin de la bienveillance…
François Bayrou : Je ne confonds pas des cas individuels ou des expressions individuelles de députés qui sont jeunes… , avec le sentiment profond qui a animé celui qui s’est fait élire président de la République. Je crois que l’idée profonde d’Emmanuel Macron, c’était : désormais, on va agir sans humilier personne. Et je suis persuadé – je sais – que son sentiment n’a pas changé sur ce point.
Apolline de Malherbe : Alors il est temps qu’il s’exprime !
Mathieu Jolivet : Moi j’ai vu et entendu un politique et un syndicaliste qui s’écoutaient sur la réforme du rail. Je formule juste un vœu : c’est que l’exécutif et tous les négociateurs actuels, et les syndicats de la SNCF, puissent s’inspirer de ce qu’on vient de voir et entendre. Parce que je rappelle juste le contexte dans lequel ça se passe. C’est un contexte où on a un retour d’une croissance durable en France, qu’on attendait depuis 2007. Et le grand danger - et je le dis vraiment quelle que soit la légitimité des uns et des autres : la légitimité des combats syndicaux, et la légitimité du volontarisme politique – le grand danger serait que, à l’arrivée de ce conflit, on se rende compte qu’un conflit de la SNCF ait hypothéqué le retour d’une croissance qu’on attendait depuis trop longtemps.
François Bayrou : Une double hypothèque même : c’est qu’on casse la croissance et qu’on arrive pas à trouver une issue à un conflit, et qu’on en sorte dans l’amertume générale avec la défaite des uns, et le désespoir des autres.
Apolline de Malherbe : Ce débat doit donc devenir un modèle. Merci.