"Dans cette période de troubles, l'urgence est d'apporter des réponses et non de s'affronter"

François Bayrou, président du MoDem, a jugé jeudi que le plus important en politique n’était pas l’affrontement mais la possibilité d’apporter des réponses aux questions qui se posent au pays. Cette ligne est celle du centre a-t-il rappelé, qui prône des majorités dépassant les frontières droite-gauche.

Je reçois ce matin François Bayrou, président du MoDem, maire de Pau. Bonjour.

Bonjour.

Merci d’être avec nous. Je vais d’abord revenir sur Jean-Pierre Raffarin et Manuel Valls. Curieuse rencontre, non, François Bayrou ? Voilà que Jean-Pierre Raffarin - dès lundi avec nous - parle de pacte républicain pour l’emploi. Manuel Valls lui embraye le pas. Curieuse rencontre ou naturelle rencontre ?

Il y a deux visions de la situation du pays aujourd’hui. Il y a tout d’abord la vision de ceux qui pensent que le plus important est de s’affronter : si vous êtes dans un camp le plus important est la guerre contre l’autre camp.

Qui pense cela ?

Les Républicains - dans leur majorité - et une partie du Parti socialiste : au fond, ceux qui n’arrivent pas à imaginer le monde autrement que comme un choc entre droite et gauche. Comme il n’y a plus de droite et il n’y a plus de gauche - on y reviendra - alors c’est évidemment l’organisation de l’impuissance. Je vous en dirai un mot pour expliquer cette phrase. Et puis, il y a ceux qui pensent autrement, qui pensent que le plus important n’est pas l’affrontement mais la possibilité d’apporter des réponses aux questions qui se posent au pays - aux drames que le pays affronte et traverse - que c’est cela l’urgence, que c’est là que l’on juge les hommes d’État, que c’est la différence entre la politique et le sens civique. Au fond, c’est un clivage qui est très profond. Et donc, je ne suis pas surpris que Jean-Pierre Raffarin soit sur cette ligne, c’est la ligne du centre en France, la ligne de la grande famille du centre dispersée, peu organisée et peu indépendante alors qu’elle devrait l’être. Mais c’est la ligne de cette famille politique, de ce courant de pensée, de cette sensibilité, et donc, Jean-Pierre Raffarin est à sa place. Or, cette sensibilité, elle est vitale pour l’avenir du pays.

Est-ce qu’elle gagne du terrain aujourd’hui ou pas selon vous ? J’entends les uns et les autres, de tous les côtés.

La nécessité gagne du terrain. Si vous voulez, jusqu’à dimanche, on a eu le choc du premier tour. Puis, on a eu le choc en réponse du second tour. Tout le monde sentait bien qu’il se passait quelque chose de grave et que dès que le dimanche serait passé, le lundi matin on reviendrait aux habitudes, aux choses les plus éculées et classiques qui font que, pour les politiques, l’affrontement l’emporte sur la nécessité.

Oui mais, François Bayrou, les Français veulent que cela bouge. Alors c’est bien beau le discours de Jean-Pierre Raffarin et de Manuel Valls qui saisit la balle au bond. D’abord, concrètement, comment cela pourrait-il se traduire ?

Concrètement, c’est une tout autre chose. Autant je suis sur cette ligne - vous savez bien, et depuis longtemps, que c’est pour moi un axe que l’obligation du service à rendre au pays l’emporte sur l’intérêt du parti, ce qui est au fond le grand clivage -, autant est-ce que je suis optimiste sur les réponses ? Non. J’espère que je me trompe.

Cela veut-il dire que, pour vous, François Hollande fait de la tactique ? 

Cela veut dire une chose très simple : tant que l’on en reste à la vie politique comme elle est organisée en France, alors on se retrouve avec des majorités qui sont en désaccord profond sur les réponses à apporter et qui sont des majorités d’apparence mais en réalité minoritaires dans le pays. Aujourd’hui, la gauche, qu’est-ce qu’elle pèse ? 30 %.

Toute la gauche ?

Toute la gauche. Et en plus, ils sont en désaccord entre eux. Vous ne pouvez pas réformer un pays avec 30 % contre 60 %. Et si c’était la droite, ce serait la même chose : la présence du Front national et la confrontation de deux sensibilités à l’intérieur de la droite parlementaire fait que vous ne pouvez pas réformer le pays. C’est pourquoi je plaide pour la naissance ou la renaissance d’un centre qui soit fort dans notre pays.

Mais, François Bayrou, c’est très bien, c’est utopique, mais cela fait des années que j’entends dire ça.

Disons, ensemble, que le dire depuis des années, au moins montre qu’il y a une ligne et que la nécessité de cette ligne apparait tout les jours. C’est François Hollande qui a les clés entre les mains.

Je vais y revenir. Un pacte républicain pour l’emploi est-il possible aujourd’hui ?

Il est possible à une condition : que le gouvernement accepte de prendre des risques vis-à-vis de sa majorité.

Alors comment faire ? Concrètement comment faire ? Réunir - je ne sais pas - des parlementaires de droite et de gauche qui pourraient s’asseoir autour d’une table et travailler sur un texte sur le chômage ?

Ils le pourraient. Il n’y a pas assez de dialogue dans le pays entre des gens qui voient la gravité de la situation et qui pourraient discuter de mesures qui ont été abordées cent fois. Premièrement, le changement dans le contrat de travail, le fait que l’on puisse avoir un contrat de travail qui soit solide et respectueux mais qui fasse que les entreprises - les petites et moyennes en particulier - n’aient pas peur d’embaucher. Deuxièmement, avoir les règles du code du travail simplifiées pour les rendre simplement lisibles. Troisièmement, le fait que l’on ait une baisse des charges et pas des usines à gaz comme celles que nous avons avec des mesures et des aides. Des choses très simples, mais le problème est que la majorité au pouvoir n’est pas d’accord sur ces changements là, et que donc, la seule majorité possible pour que ces changements avancent est une majorité qui dépasse les frontières. Est-ce que François Hollande veut en prendre le risque ? Jusqu'à maintenant, ce qui a été fait comme preuve, c’est qu’il ne voulait pas prendre ce risque.

Que demandez-vous au Président de la République, justement, pour faire avancer les choses ? Les Français veulent que ça bouge pour que des décisions soient prises et principalement dans la lutte contre le chômage.

Deux choses : est-ce que vous n’avez pas été frappé ces dernières semaines où le pays a traversé des périodes de troubles du silence d’un seul ? Le seul responsable qui ne se soit pas exprimé dans cette période est François Hollande.

Il a beaucoup parlé après les attentats, pour la COP 21, mais ne s’est pas exprimé sur les élections.

Excusez-moi, le travail du Président de la République, sa mission et sa vocation, est, chaque fois que le pays se trouve dans une période de troubles, de s’exprimer et de se faire entendre pour que les Français aient une référence.

Que lui demandez-vous ce matin ?

Premièrement : ce silence ne correspond pas, pour moi, à la vocation de ce que devrait être la fonction de Président de la République. Deuxièmement : il y a une clé, ce sont des institutions, ce sont des règles politiques pour que ce dialogue puisse avoir lieu, et éventuellement ce travail en commun de forces différentes sans qu’aucune ne renie son identité.

Lui demandez –vous ce matin de mettre en oeuvre sa promesse ?

Je ne le lui demande pas, c’est lui qui s’est engagé.

Oui, oui, oui.

Il est venu devant les Français, au moment de l’élection présidentielle. Il suffit de reprendre la grande tirade : « Moi, Président de la République, j’instaurerai la proportionnelle pour que toutes les sensibilités soient représentées ».

Vous souhaitez qu’il annonce au pays le changement de la règle électorale.

Je dis à François Hollande une chose simple : si vous ne faites pas, si vous n’accomplissez pas, si vous ne remplissez pas la promesse que vous avez faite, vous, aux Français, il n’y aura aucune évolution et on se trouvera perpétuellement dans le bloc contre bloc. Or, le bloc contre bloc, c’est donner le pouvoir à des minorités incapables de bouger. Comprenez cela, parce que l’on dit « il y a aura une majorité », non. Il n’y a pas de majorité, il y a des minorités. Aujourd’hui, la France se trouve coupée en trois blocs et encore, avec des sensibilités à l’intérieur et ces trois blocs là sont trois minorités. Si l’on veut que quelque chose se passe et que quelque chose bouge alors il faut faire ce qu’ont fait toutes les grandes démocraties européennes, c’est-à-dire instaurer une règle du jeu qui permette à des sensibilités différentes de travailler ensemble pour le bien commun, parce qu’elles ne sont pas loin de s’entendre.

J’ai des questions précises à propos du Président de la République et de Manuel Valls. Manuel Valls défend donc l’idée d’une grande coalition et a dit que l’erreur initiale du PS était de ne pas avoir saisi la main tendue par vous. Pourriez-vous aujourd’hui travailler avec Manuel Valls ?

C’est quelqu’un que j’estime.

Oui, mais j’oublie l’estime, politiquement est-ce que vous pourriez travailler avec lui ? 

Politiquement, il est impossible de changer la configuration ou l’architecture de la vie politique si on ne change pas la règle qui préside à cette vie politique.

Donc aujourd’hui vous dites « non ».

Commencez par le commencement, instaurez une manière de vivre la vie civique en France qui aura deux avantages : tout le monde sera représenté, parce qu’il n’est pas normal - vous savez quelles sont mes confrontations avec le Front national - qu’il ne soit pas représenté dans les institutions. Comprenez, le Front national vient de faire 40 %.

Donc la proportionnelle permettrait leur représentation, leur présence.

Elle organiserait leur présence dans la vie publique du pays et elle permettrait des ententes et du travail en commun entre ceux qui partagent l’essentiel. Donc les trois choses que les Français exigent sont : le renouvellement de la manière de vivre la politique, la justice dans la représentation et la capacité de dépasser des intérêts partisans pour aller plus loin vers, au fond, le service du pays, et que l’on fasse ce qui doit être fait, dont on voit bien que c’est dramatique. Je veux dire une chose, un fait : on a appris un chiffre terrible cette semaine : en 2015 il n’y a pas un emploi de plus dans le secteur productif en France qu’il n’y en avait en 2001. 15 années pendant lesquelles nous avons stagné du point de vue de l’emploi et de la production alors que la population du pays a augmenté de cinq millions.

Cela veut dire que la vie politique est bloquée.

Oui, la vie politique est bloquée par la faute de règles et d’institutions dont nous acceptons les méfaits.

Mais enfin, je regarde. En Italie, vous avez un homme, Matteo Renzi, qui a bousculé…

Et quel mode de scrutin ?

En Espagne, vous avez un centre qui est en train de devenir la deuxième force politique de son pays avec un homme de 36 ans à sa tête. Pourquoi est-ce impossible en France ? Pourquoi est-ce qu’il n’y a pas de renouvellement de la classe politique ? Pourquoi ? J’en arrive à me poser cette question : à quoi pensent les responsables politiques ? Quelles sont les questions principales que se posent les responsables politiques dans notre pays ? Gagner la prochaine élection ?

Oui. L’organisation de la vie démocratique en France est anti-démocratique et anti-civique, parce que la seule chose qui compte est en effet l’affrontement qui permet de tuer l’autre pour avoir soi-même le pouvoir dont d’ailleurs on ne fera rien.

Mais vous y participez.

Non, Monsieur Bourdin, non. Il y a 15 années - ceux qui nous écoutent le savent bien - que j’ai pris les risques les plus déraisonnables, simplement pour faire exploser cette frontière. J’ai voulu dans la philosophie qui est la mienne dire « vous n’y arriverez pas, il n’y aura pas de réformes possibles, il n’y aura pas de vie civique différente ». Vous savez, il y a un philosophe ou, en tout cas, un très grand orateur autrefois qui a dit qu’il ne sert à rien de pleurer sur les conséquences quand on persiste à vouloir les causes. Or, en France, les deux forces politiques principales, ce qu’elles veulent au fond d’elles-mêmes c’est que rien ne change. Alors parfois, poussées par la nécessité, quand cela va très mal, elles entrebâillent le rideau en disant « on pourrait peut-être faire autrement », et puis dès l’instant que la pression s’est un peu allégée, elles reviennent à leurs habitudes. Et c’est pourquoi il est absolument capital, vital que nous ayons la constitution d’une force autour de la sensibilité de ceux qui veulent que cela change.

Hier, j'avais comme invité à votre place Gilles Kepel et nous parlions du repli identitaire. Dans la dernière partie de son livre, il consacre un chapitre entier à ce repli identitaire voulu évidemment par Daech et également voulu par le Front national. Est-ce que cela menace la cohésion française ? Est-ce que cela risque de nous diriger vers une forme de guerre civile ?

Pour être honnête vis-à-vis des auditeurs, il faut parler un peu de cet incident, c'est-à-dire du fait que le Front national a mis en ligne des photos d'horreurs perpétrées par Daech, des décapitations du pauvre jeune Américain James Foley et des photos du Bataclan... De ce point de vue là, il n'y a qu'une chose à dire je crois, c'est de l'indécence ! C'est oublier qu'il y a des parents qui pleurent inconsolablement l'enfant qu'ils ont perdu et on affiche ces photos comme des arguments électoraux ! Cela, dans une société normale, avec des règles de vie normales, ne devrait pas se produire.

Que cherche Marine Le Pen selon vous ?

Marine Le Pen est prise dans ce moment de la politique où la passion l'emporte sur toute autre chose, elle "pète les plombs" comme on dit, ou son entourage, ceux qui sont avec elle ! Mais quant à la question de fond, dans une société qui est si profondément marquée par la crise, il y a toujours le retour de l'envie de se refermer sur soi-même, de chasser les autres, de ne plus voir personne, d'être entre-soi. Or, cela n'a jamais conduit à quelque chose qui soit bon pour un pays. Ja-mais. À aucun moment de l'Histoire. On peut reprendre toute l'Histoire. Chaque fois qu'une société a choisi de cibler les autres parce qu'ils ne pensaient pas pareil, qu'ils ne croyaient pas pareil, que simplement ils étaient différents par la couleur de la peau ou par l'origine, par leur langage ou leur foi, chaque fois, cela a fait des malheurs et pas des petits malheurs ! D'énormes, immenses, désastreux malheurs ! Cela bout dans la société française, vous le savez bien, vous écoutez les Français. Cela bout, ce n'est pas seulement que ça chauffe ! Il faut des gens qui aient la tête assez équilibrée pour dire "ce n'est pas le chemin". Il faut le dire en trouvant les mots sensibles, en trouvant les mots qui parlent aux gens et à ce qu'ils ont à l'intérieur. Au fond ce n'est pas un travail différent de celui du père de famille ou d’un chef d'entreprise. La responsabilité de ceux qui sont en fonction de conduire une société ou une communauté est celle-là !

En corollaire, le Président de la République hésiterait à maintenir la déchéance de nationalité pour les binationaux nés en France dans son projet de réforme de la Constitution. Faut-il maintenir cette déchéance de nationalité ?

C'est une réponse au sentiment d'agression que ressentent beaucoup de Français. Ils disent "ceux qui ont plusieurs nationalités et qui font cela au pays, ceux-là ne méritent pas de rester Français".

Voteriez-vous cette déchéance ?

Je pense que je la voterais.

L'état d'urgence inscrit dans la Constitution, y êtes-vous favorable ?

C'est normal. Il y a deux situations que la Constitution prévoit. La première est l'article 16 : cela va tellement mal que l'on donne les pouvoirs au Président de la République et à lui seul. On suspend tout le reste. La deuxième est l'état de siège qui est fait pour la guerre. Vous voyez bien que ni l'une ni l'autre ne répond à la situation d'un pays qui est agressé par le terrorisme par exemple. Que l'on écrive ce qu'un état d'urgence en cas de risque pour le pays doit être, je trouve cela normal. Mais dans ce cas, qu'on l'assortisse du fait que dans toute circonstance où il faut bousculer les règles habituelles des libertés individuelles, il y ait la protection d'un juge. Il peut y avoir des pouvoirs accentués à condition qu'il y ait le regard d'un juge.

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