Congrès d'Arras 2009 : Discours de clôture de François Bayrou

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En clôture du Congrès d'Arras (Pas-de-Calais), dimanche 6 décembre, François Bayrou a prononcé son discours en saluant le travail accompli, en vue d'élaborer le projet humaniste du Mouvement Démocrate qui a été publié sous la forme d'un petit livre :

"Je suis très fier et très ému aussi. Comme vous le savez, j'ai eu, nous avons eu, ma famille et moi, une semaine un peu douloureuse et, par centaines et centaines dans le congrès, vous avez été si nombreux à dire "On a pensé à toi, on a pensé à vous"? 

À cette tribune, j'ai retrouvé l'écho de ce que je crois le plus important et de ce qui nous manque le plus, c'est-à-dire des politiques qui ressemblent aux citoyens qu'ils aspirent à représenter. 

Cela fait des années et des années… ceux qui me connaissent bien, avec qui nous travaillons tous les jours, savent que c'est pour moi une blessure de tous les jours - je ne charge pas les mots, je dis les choses comme elles sont - que le peuple des citoyens, j'allais dire des petits, le peuple de la vie de tous les jours se ressente si loin de ce que la politique a de codes, de langue de bois, de faux-semblants… (Dans la salle : de magouilles !) … Et, quelques fois, en effet, de manœuvres…

Or, je suis persuadé que la question n'est pas principalement dans les discours.

J'aime la langue française de toutes mes fibres et, comme je le dirai dans un moment, pas seulement la langue française, j'aime d'autres langues, mais j'aime la langue française de toutes mes fibres. Cependant, la langue que la politique entraîne ses acteurs à parler, cette langue-là, ce n'est pas la langue française. C'est une espèce de charabia destiné, non pas à révéler ce qui est le but d'une langue, mais à dissimuler, et donc il ne faut pas seulement qu'il y ait des discours, il faut qu'il y ait des « êtres ».

J'aime immensément cette réplique, elle a plus de cent ans : lors d'une élection à la présidence des Etats-Unis, le Président sortant, qui ne sait agir plus que parler, a en face de lui un challengeur extraordinairement vicieux, doué et rhéteur. Il est en difficulté et, tout d'un coup, il a un cri du cœur. Ce cri du cœur, c'est : "Monsieur, de toute façon, ce que vous êtes crie plus fort que ce que vous dites".

Moi, je suis heureux que, dans cette liste, dans ceux qui se sont exprimés devant vous, on ait entendu autant et plus ce qu'ils étaient que ce qu'ils disaient et c'est le message qui va, je le crois, atteindre les électeurs.

D'autant que nous les avons voulus ainsi, mais, permettez-moi de le signaler, parce que je craindrais que l'on ne retienne que l'apparence.

L'apparence, c'est l'origine, la consonance du nom, le parcours. Une des premières fois que nous nous sommes rencontrés, j'ai été très ému par Alain Dolium. Pour ceux qui ne sauraient pas prononcer le nom d'Alain Dolium qui va être notre tête de liste en Île-de-France, je vous propose un slogan : Dolium, c'est notre homme ! Ainsi, tout le monde saura qu'il ne faut pas prononcer à la latine "Dolioum", mais à la française "Doliom".

La première ou la deuxième fois qu'il est venu - je ne sais plus - nous avons longuement discuté ensemble et il m'a dit quelque chose que j'ai trouvé très vrai. Il m'a dit : "J'ai fait ce parcours. J'ai vécu ces discriminations et - une dont je parlerai dans un temps - mais on se tromperait en croyant qu'il n'y a que les garçons et les filles de peau noire ou d'origine étrangère qui vivent ces discriminations, parce que, a-t-il ajouté, les provinciaux à Paris, ceux qui ont de l'accent, ceux qui viennent d'ailleurs, ceux qui ne connaissent pas les codes, ceux qui ne savent pas comment on s'habille quand on sort dans le monde, ceux qui n'ont pas le parcours fléché, tous ceux-là vivent les mêmes obstacles".

C'est bien de tous ceux-là dont nous prenons le destin en charge en ayant choisi les candidats que nous avons choisis

Il y a un peuple de travailleurs qui n'est pas représenté, un peuple de pauvres et, parfois, travailleurs et pauvres en même temps, un peuple de petits retraités - ma mère qui vient de s'en aller percevait pour sa retraite moins de 680 €. Je ne dis pas que ce soit rien, mais, après une longue vie de travail, ce n'est rien. Tous ceux-là constituent, pour nous, notre communauté d'origine, notre enracinement. C'est cet enracinement-là que nous allons porter dans cette élection.

Robert Rochefort, j'ai été très ému du travail tout à fait remarquable que vous avez fait avec Pierre-Emmanuel Portheret…

(Applaudissements…)

… Avec les mille personnes qui ont travaillé dans les dix-huit commissions, les innombrables groupes de travail et les contributions, dans le plus bel exercice démocratique qu'il m'ait été donné de voir dans aucune famille politique française.

Alors, nos amis journalistes ont dit : "Tout cela est truqué, puisque vous avez le livre imprimé, alors que vous avez fini hier soir à 22 heures de voter les amendements. Tout a été fait à l'avance."

Je veux simplement dire que le livre a été imprimé cette nuit entre 2 heures et 5 heures du matin et je remercie les industriels, la très remarquable imprimerie qui a réalisé cet exercice.

Cela me permet de remercier aussi les équipes qui ont organisé le congrès : Delfyne Sémavoine et les équipes du siège, les bénévoles et, en particulier, Marie Auffret et Michel Chastaing, responsable des transports, ainsi que l'équipe locale de Jean-Marie Vanlerenberghe et, en particulier, Lionel Crutel que je vous demande d'applaudir.

(Applaudissements…)

En écrivant ce petit livre, ce programme, nous avons répondu à une question qui est la question que vous avez entendue tous depuis des mois et des mois et que tous les politiques qui ne sont pas d'accord avec le Gouvernement entendent.

Je crois que les Français au fil du temps ont parfaitement saisi, compris ce qu'étaient les impasses dans lesquelles la politique du Gouvernement se trouvait engagée.

Ils partagent, ils le disent, les réserves, les critiques de ceux qui disent : "Non, cela ne va pas dans la direction que nous voulons", mais, immédiatement derrière, après deux ans et demi de mandat, désormais, vient une question et, cette question, c'est : "Mais qu'est-ce que vous feriez à leur place ? Nous partageons vos critiques, mais qu'est-ce que vous feriez à leur place ?"

Cette question ne s'adresse pas seulement aux militants politiques. Ce n'est pas une question pour adhérents, ce n'est pas une question pour personnes engagées. C'est une question pour citoyens : y a-t-il un projet crédible, concret, sérieux d'une autre orientation politique pour notre pays ou est-ce un rêve ?

Si c'est un rêve pour les citoyens, c'est moins que si c'est un projet auquel ils puissent attacher ou accorder confiance et crédit.

C'est à cette question qu'à Arras, nous avons voulu répondre. Nous l'avons fait à Arras, je dis cela devant son maire, pour des raisons d'affection. Lorsque j'ai un jour, j’étais jeune, frappé à la porte de la famille politique à laquelle nous appartenons, c'est un autre jeune garçon qui est venu m'ouvrir la porte. C'est Jean-Marie Vanlerenberghe qui est aujourd'hui le Sénateur-Maire d’Arras.

Merci. Je lui dois de la gratitude, parce que le travail qu'il assume dans notre équipe est un travail tout à fait exemplaire. J'en ai parlé il y a une minute.

Bien sûr, j'aime Arras, comme beaucoup de gens, parce que c'est une très belle ville et, bien sûr, nous avions une raison particulière, cette année, parce qu'il y a 350 ans, presque jour pour jour, en novembre 1659, Arras avec l'Artois a été définitivement rattachée à la France - ce n'est pas un hasard - par le traité des Pyrénées…

(Rires....)

… Signé sur l'île des Faisans, à Saint-Jean de Luz, Pyrénées-Atlantiques aujourd'hui, on disait autre chose à l'époque.

Tout cela, c'était des souvenirs, mais j'étais attaché à Arras parce qu'ici, il y a un peuple. C'est une ville, au plein sens du terme, avec une communauté populaire et même ouvrière et même de retraités. C'est un peuple authentique et profond à qui Jean-Marie Vanlerenberghe a su parler depuis le premier jour et c'est à ce peuple qu'en réalité, nous nous adressons.

Donc, Arras, à tous les titres, de l'amitié, de la confiance et de l'authenticité du tissu, c'était la ville qui devait nous accueillir. Merci à Jean-Marie Vanlerenberghe.

 

Si ce projet a deux ou trois noms, je vais en donner un. Ce nom-là, c'est : justice.

C'est un souvenir pour moi, je ne sais pas s'il faut dire douloureux ou significatif. Je n'ai jamais raconté cette histoire, mais je vous la raconte, parce que, pour moi, elle a joué un très grand rôle. Il y a des moments dans la vie où, tout d'un coup, quelque chose intervient et fait que votre vie ne sera plus tout à fait la même après qu'elle a été avant. Quelquefois, ce sont de toutes petites choses, presque insignifiantes ; simplement, elles ont autant d'écho qu'une fêlure dans un organisme à l'intégrité duquel on tient.

C'était en 2001. Je préparais, dans l'extrême difficulté des temps, une campagne présidentielle dont tout le monde disait, constatait quelle serait une des plus ardues que l'on puisse affronter, parce que je n'avais pas, à l'époque, la notoriété, enfin pas grand-chose pour être candidat à l'élection présidentielle.

J'ai réuni autour de moi les cadres de ce qu'était notre mouvement politique de l'époque et je leur ai dit : "J'ai envie de faire une campagne sur l'axe - c'était presque déjà un slogan - de la France juste".

À ce moment-là, l'un de ceux qui étaient autour de la table, et pas le moins intelligent et pas le moins formé et pas le moins respecté, a dit : "Mais, François, tu n'y penses pas ?! La France juste... C'est un slogan de gauche".

À ce moment-là - je voudrais que vous vous mettiez à la place du jeune homme que j'étais -, je me suis dit : Il y a quelque chose qui, définitivement, ne va pas dans la manière dont les responsables politiques conçoivent le débat droite-gauche, comme ils disent, parce que, pour moi, s'il n'y a pas justice, il n'y a pas projet ; s'il n'y a pas justice, il n'y a pas politique ; s'il n'y a pas justice, il n'y a pas engagement ; s'il n'y a pas justice, la vie d'un homme citoyen ne vaut pas la peine d'être vécue.

Je me suis juré, pour toutes les raisons d'expérience de vie que j'ai évoquées, que jamais la justice ne serait dans un autre camp que le nôtre, ni la justice pour les générations à venir ni la justice pour les pauvres, ni la justice pour les justiciables, ni la justice pour les territoires ni la justice pour le monde.

Je vais vous dire quelques mots très rapides sur ces choix de justice. Je suis très fier que vous ayez accepté d'inscrire, dans notre projet, que, lorsque nous aurons, le jour venu, recueilli la confiance des Français, nous inscrirons, dans la Constitution, comme il a été inscrit le principe de précaution, que la politique que nous suivrons aura pour mission de protéger les générations à venir autant qu'elle s'adresse aux générations actuelles.

Voyez-vous, parmi les innombrables faiblesses de la politique par sondage… Dieu sait que c'est une pratique de tous les jours, aujourd'hui, on se définit à partir des réponses que l'on pense que l'opinion attend de la part de ceux qui les gouvernent et on prend les décisions dont on croit qu'elles vont plaire.

Ma certitude profonde est qu'aucune grande politique ne se fait, si l'on fait le choix de plaire au lieu de faire le choix de ce que l'on croit être le plus profond de l'intérêt du pays.

Ce qui est le plus choquant dans la politique par sondage, c'est qu'elle s'adresse au présent sans considération pour l'avenir et que la plupart des décisions sont prises au contraire de ce que l'on raconte sans penser aux conséquences, à l'écho qu'elles auront sur les générations à venir.

Par exemple, je considère qu'il est anormal que la situation des classes moyennes ou des plus pauvres en France soit affectée par une fiscalité qui, comme vous le savez bien, protège les plus riches de tout effort, alors qu'elle expose ceux qui n'ont pas ces avantages à des efforts constamment renouvelés.

S'il est une chose certaine, c'est qu'à nos yeux, il n'y aura pas de réforme fiscale, s'il n'y a pas rétablissement de la progressivité de l'impôt à quelques degrés que l'on fixe la contribution de chacun. Il importe que le plus favorisé ait à rendre des efforts supérieurs à celui qui a moins.

Celui qui a plus, on doit lui demander plus ; celui qui a moins, on doit lui demander moins, or ce n’est pas ce qui se passe dans la France d'aujourd'hui et nous ne l'acceptons pas.

Justice pour les justiciables : nous considérons qu'il est de fondation dans une démocratie, dans une République, que tout le monde soit traité également devant le juge et, pour cela, nous avions en France une institution qui garantissait que ceux qui avaient des relations, des privilèges, ne seraient pas protégés de l'action de justice, quand elle doit se déclencher contre eux. C'était le juge d'instruction indépendant, c'était un magistrat qui avait la responsabilité naturellement d'enquête dans les cas graves, mais ce magistrat était un magistrat de siège, c'est-à-dire inamovible, c'est-à-dire protégé de toute les pressions du pouvoir. C'est comme cela qu'avait été pensé le système français.

Ce que l'on est en train d'essayer de nous vendre, c'est que l'enquête dépend désormais de magistrats du Parquet, c'est-à-dire soumis à l'autorité hiérarchique du pouvoir exécutif et, donc, le protégé par le pouvoir exécutif risque d'être mis à l'abri, tandis qu'au contraire, celui qui n'a pas de protection sera naturellement exposé à la rigueur de la loi.

Ceci, ce n'est pas la justice, ni la justice pour les territoires.

Voyez, je suis l'élu d'une circonscription qui a, en résumé de la France, une cité très exposée qui fait régulièrement la « une » de l'actualité, l'Ousse des Bois, c'est une cité très attachante et, en même temps, des vallées qui étaient presque désertifiées. Je suis désolé pour mon pays et pour son projet de ce que, partout où cela va mal, les services publics soient de plus en plus absents et que, partout où cela va bien, la présence de l'État est abondante et à profusion.

Jean Lasalle qui a été opéré d'une hernie discale et à qui nous adressons par l'intermédiaire des caméras nos vœux chaleureux... (Applaudissements…) a raison de rappeler, comme nous le faisons dans notre projet, qu'il n'y a République que s'il y a égalité et que, l'égalité, cela commence par les territoires et que, donc, nous sommes des défenseurs de la présence des services publics là où cela va mal dans la société française. Il doit y avoir plus de services publics là où cela va mal que de services publics là où cela va bien, et c'est le contraire dans ce pays où les pouvoirs sont concentrés.

Enfin, justice à l'échelle du monde.

Nous avons voté - peut-être que l'on ne s'en est pas aperçu, vous m'avez fait confiance et vous m'avez suivi - dans ce texte, un paragraphe qui est, à mon sens, de grande importance et qui, selon moi, renverse l'idéologie qui domine le monde, depuis des décennies.

Cette idéologie, c'est l'idéologie de la division internationale du travail qui fait que l'on considère qu'il importe peu de savoir où les choses sont produites et fabriquées : l'essentiel est qu'elles circulent au meilleur prix.

En entrant dans ce sujet par la situation des paysans africains, nous avons voté qu'il était légitime que chaque grande zone du monde revendique de conserver sur son sol une part importante des productions agricoles et industrielles pour aller vers un équilibre des sociétés en même temps que la recherche d'une prospérité.

Si vous me permettez de le dire, j'ai l'intuition que cette affirmation fera débat dans le long terme, parce qu'elle ne vaut pas seulement pour l'Afrique ; elle vaut aussi pour nous. Je considère qu'il n'est pas normal que nous ayons fait des choix tels que des pans entiers des productions françaises disparaissent sans autres raisons, me semble-t-il, que des raisons simplement de concurrence sociale et environnementale.

J'admire beaucoup l'Allemagne qui a fait le travail de conserver sur son sol une part importante de productions industrielles. Je suis désolé qu'il y ait des secteurs entiers dont nous soyons absents.

Excusez-moi de le dire, mais, un pays qui fabrique des fusées, des avions, des hélicoptères, des automobiles, qu'est-ce qui explique qu'il ne puisse pas fabriquer des machines-outils ? Pourquoi sommes-nous totalement absents ? Ce n'est pas à défaut de techniques. Il y a même des secteurs entiers, il y en a beaucoup dans le domaine de la vie de tous les jours dont les productions sont entièrement abandonnées par notre pays pour des raisons... je ne sais pas... de commodité et ce projet invite, en réalité, à une reconquête industrielle qui sera placée sous l'angle de la justice pour les territoires.

Cela, c'était le premier mot. J'ai dit justice.

 

Il y a naturellement un deuxième mot clé que j'aurais dû mettre en premier. Si l'on veut concrètement parler d'égalité des chances, alors, il faut traiter d'abord la seule question qui compte, qui est la question de l'éducation et, donc, nous avons fait, sur ce sujet, un travail que je veux résumer en quelques mots.

Nous n'acceptons pas, nous ne nous résignons pas à ce que l'œuvre d'éducation primaire, l'œuvre d'éducation élémentaire échoue au point que 30 à 40 % des enfants sortent de l'école primaire sans maîtriser la lecture élémentaire sans laquelle il sera impossible pour eux de faire des études secondaires. Nous ne l'acceptons pas, point !

Je veux dire qu'il y a des moments où il ne faut pas commencer par des discours. Il y a des moments où il faut commencer par des refus. Ceci n'est pas acceptable, pour quelque orientation politique que ce soit et je le dis avec respect, considération, amitié, pour ceux qui font le difficile travail de l'enseignement et, notamment, de l'enseignement primaire en France.

Je vous dis : il faut mettre le paquet sur la maternelle, parce que, pour les enfants qui ne sont pas nés dans les bons milieux, c'est bien là qu'on a l'occasion de les toucher tôt, pour essayer de corriger les drames qui les attendent.

Notre objectif que nous voulons évaluer à court terme, c'est donc 100 % des enfants qui sortent de l'école primaire avec le bagage élémentaire de lecture et d'écriture et même de connaissance des nombres qui leur permettra d'avancer dans leurs études ; sans cela, tout le reste est complètement vain.

Je dis 100 %. Je sais bien qu'il y a un certain nombre d'enfants qui ont des difficultés psychiques ou psychologiques. Je les mets naturellement de côté. C'est pour tous les autres. Nous avons connu un temps dans la première moitié du XXème siècle, en France, où tous les enfants de quelque classe sociale que ce soit, dans toutes les communes et toutes les écoles avec les briques rouges autour des fenêtres, apprenaient convenablement et même parfaitement à lire et à écrire dans notre pays.

À cette époque non plus il ne manquait pas de distance culturelle. Je puis vous assurer, cher Azouz, qu'il y avait beaucoup de familles dans lesquelles aucun livre n'était jamais entré et, cependant, et tu en es une des illustrations, l'école apportait cela qui été la chance de l'épanouissement pour la vie entière. Quelques fois, l'épanouissement allait jusqu'à la créativité intellectuelle et celui qui avait tant de mal à franchir le pas se retrouvait, quelques années plus tard, écrivain au service de la langue française.

L'éducation, ce n'est pas seulement cela. C'est une émancipation, l'éducation. C'est libérer ce qu'il y a de jugement potentiel dans l'esprit d'un enfant.

C'est pourquoi il est si grave qu'allant toujours dans le même sens, parce que cela paraît être un effort jamais interrompu, quels que soient les changements de ministres… on a l'impression qu'une idéologie mystérieuse gouverne tous ces choix.

Je considère comme inacceptable, en France et en République, que l'on ait décidé de supprimer l'enseignement de l'histoire et de la géographie des terminales scientifiques. On ne sera pas meilleur scientifique parce qu'on ignorera l'histoire. On sera plus mauvais scientifique, ce sera pire comme situation de scientifique intellectuel que celui qui ignore d'où il vient, pour savoir où l'humanité à laquelle il participe peut aller.

Alors, j'exige, au nom de tous ceux qui ont donné beaucoup de leur vie à construire ce qu'est et, selon moi, c'est une grande chose, l'éducation nationale française, l'enseignement public obligatoire et laïque, et je considère qu'en leur nom, nous avons le devoir d'exiger du Gouvernement qu'il arrête ce travail de sape, et que l'on puisse continuer, que l'on puisse choisir la voie qui est celle de la construction de consciences libres à l'intérieur de l'éducation.

De la même manière, je veux que vous sachiez que l'on est en train, en ce moment même, toujours allant dans le même sens, de faire basculer le travail remarquable que les générations avaient fait pour que les enseignants français soient recrutés au terme de concours de recrutement qui étaient des concours de recrutement qui voulaient dire quelque chose, et je le défends, au nom des milliers et milliers de ceux qui ont suivi ce chemin, le Capes et l'agrégation que l'on est en train de mettre à mal, que l'on veut en réalité, supprimer, tout cela pour une seule raison, retrouver une Éducation nationale qui soit faite de vacataires, de contrats avec lesquels on pourra jouer autant qu'on le voudra, et qui empêchent l'esprit de corps des enseignants.

Je trouve que c'est un travail de sape que nous ne devrions pas laisser faire au nom précisément de cette école que je décrivais à l'instant. L'éducation, c'est une résistance à l'ordre des puissants, c'est une entreprise d'émancipation et elle ne supportera pas que l'on veuille en faire une entreprise de soumission.

J'ai aimé que, dans ce programme, nous traitions d'agriculture. Voyez-vous, il y a un débat historique. Marcel Deneux qui est au premier rang, Sénateur de la Somme, en a été un des acteurs historiques et je le salue. Il y a un débat qui vient de l'après-guerre : en France et en Europe, nous avons bâti une politique agricole à partir de ce que l'on appelle l'organisation des marchés et des droits à produire.

On a fait en sorte que chaque agriculteur français puisse s'attendre, dans les progrès techniques qu'il faisait tous les jours, à avoir un revenu suffisant pour être assuré de son avenir, pour pouvoir investir et transmettre éventuellement à des enfants ou des générations plus jeunes l'exploitation qui l'a vu naître. On l'a fait pour l'ensemble du secteur des céréales. On l'a fait pour les produits laitiers et cela a été une admirable réussite.

Sous le règne de l'idéologie de la concurrence à tout prix, on a démoli, ou on est en train de démolir, cette admirable construction. Cela a une signification précise qui est que le tissu d'exploitation à taille humaine - on disait familiale autrefois – le tissu français va devoir disparaître devant des usines à production agricole. Il n'y aura plus désormais, comme il y a dans d'autres pays européens, que des exploitations à taille industrielle.

Il me semble qu'il est de notre honneur de refuser cette dérive et de dire que nous considérons, en France, qu'il ne faut pas seulement défendre des productions agricoles au plus bas coût possible. Il faut aussi défendre les paysans qui ont la charge de ces productions, ce qui est un moyen d'aller vers des productions plus saines et bio dont nous avons la responsabilité.

Ne vous trompez pas, le Gouvernement actuel a décidé de renoncer, au profit en réalité d'aides, puisque, si je lis bien les propos du ministre de l'agriculture actuel, c'est bien ce qu'il dit.

Nous, nous sommes des défenseurs de ce modèle d'équilibre que la France a voulu, a proposé à l'Europe et a fait adopter par l'Europe. Nous sommes, dans ce texte, du côté de la liberté de création, c'est-à-dire la liberté de l'entreprise et la liberté de la recherche. Nous sommes pour la liberté d'entreprise.

Il y a des formations politiques dans l'opposition, nombreuses, qui considèrent que l'entreprise, c'est toujours suspect, qui considèrent que, dans l'entreprise, se cachent des choses qui ne sont pas claires, qui ont une idée de l'État qui se fait, en réalité, le maître de la création économique.

Nous, nous pensons qu'il n'y a création économique que s'il y a liberté, que c'est là que l'on trouvera l'innovation, que l'on trouvera l'initiative qui va faire naître des idées, des progrès, des processus et, si vous me poussez dans mes retranchements, je ne fais pas de différence entre la création d'entreprise, la création dans le domaine de la recherche et la création artistique, le sommet de l'être humain.

Je vous dirai, dans une minute pourquoi nous avons défendu le mot humaniste. C'est l'être humain qui devient créateur. La création, cela peut être l'écriture, cela peut être la création musicale ou plastique, mais cela peut être la recherche, le chercheur est un artiste, et cela peut être la création d'entreprise. Tout cela, en réalité, est profondément lié, parce que c'est l'être humain qui, a son sommet, se met à inventer un monde nouveau.

Nous savons qu'il n'y a création que s'il y a liberté et que, si l'on se met à multiplier les normes, multiplier les contraintes, multiplier les contrôles, en réalité on stérilise, et c'est vrai dans tous les domaines. Ce n'est pas vrai seulement pour les PME et les TPE qui s'en plaignent et qui ont raison de s'en plaindre.

Je vais vous dire un secret : c'est vrai pour les chercheurs aussi. Ils sont écrasés sous le poids des innombrables dossiers qu'ils doivent remplir pour d'innombrables évaluations bureaucratiques. Ils ont besoin, eux aussi, de retrouver de la liberté et que l'on défende leur temps libre et que l'on défende leur capacité, leur capacité d'inventer, y compris leur propre recherche. Je ne crois pas à ceux qui disent qu'il n'y a que la recherche appliquée, comme l'on dit, c'est-à-dire la recherche que l'on transmet vers l'entreprise et la création économique. Je crois à la recherche fondamentale. C'est la recherche fondamentale qui fait bouger le monde autant que la recherche appliquée.

Vous voyez que se dessine ainsi le profil d'un projet qui ne ressemble pas aux autres. Parce que revendiquer à la fois le maximum de justice et le maximum de liberté, cela fait un équilibre qu'aucune autre formation politique en France n'a décidé de défendre.

 

Enfin, nous sommes du côté de ceux qui pensent que l'État ne peut pas tout résoudre.

Voilà pourquoi nous avons une conception de la démocratie qui est une conception particulière et que je voudrais rappeler devant vous.

Nous sommes des décentralisateurs, nous sommes anti-jacobins, nous ne croyons pas que le pouvoir central réuni entre les mêmes mains peut décider de tout. Nous n'y croyons pas pour la province face à Paris mais, pardonnez-moi de vous le dire, je ne vais pas m'avancer à la place de mes amis, mais je ne crois pas non plus à cette démarche ultra-jacobine qui fait que l'on vous explique que l'on va décider du Grand Paris dans un bureau et que, le Grand Paris, ce sera un tube avec des métros dans un grand 8 et des quartiers d'affaires, comme celui que l'on veut étendre à la Défense, en multipliant par quatre son territoire. Et ce n'est pas une raison, parce que la Défense a changé de président et qu'elle n'a pas eu le Président qu'on lui promettait, pour que nous acceptions ce projet davantage.

Je ne crois pas à l'urbanisme des grands quartiers d'affaires et des grandes tours d'un côté, éloignés des zones habitées, ce qui, cher Alain, accroîtra encore la distance entre la famille et le travail.

Nous croyons à un urbanisme de la mixité, nous croyons à un urbanisme de la diversité, nous croyons à un urbanisme qui sera tricoté comme l'on doit tricoter la vie des hommes de leur famille avec leur travail.

Je le dis à l'avance, nous qui avons les premiers proposé l'idée d'un rapprochement entre départements et régions, nous qui savons que les élus régionaux d'aujourd'hui comme cela a été très bien rappelé, sont à peu près inconnus de la population qui les a élus… Si vous sortez dans la rue et si vous demandez si les gens connaissent des conseillers régionaux… (je demande pardon aux conseillers régionaux qui sont là et que je respecte beaucoup, je sais qu'eux font des efforts de proximité et d'abord de proximité avec moi, ce que je trouve sympathique !) mais je sais très bien que ce n'est pas normal qu'il y ait deux territoires chargés de missions proches, pour ne pas dire, à mon avis, semblables, parce que tous les deux sont chargés de stratégies de territoires.

Songez, par exemple, à l'absurdité qui fait que ce sont les départements qui sont en charge des collèges et les régions qui sont en charge des lycées. Voyez-vous la bêtise que tout cela représente ? parce que le travail est le même ! Architecture, scolaire, entretien, animation, cantine… Tout cet ensemble, c'est le même travail, de la même manière que tous les départements font de la stratégie économique et toutes les régions aussi. De la même manière que sont innombrables les départements qui financent des universités et les régions aussi, même si ce n'est pas dans leurs compétences et ils ont bien raison.

J'ai dit au Président de la République combien j'étais en désaccord avec l'idée technocratique qui consiste à dire qu’on va enlever des compétences aux départements et aux régions. Ils n'auront plus le droit de faire ce dont ils ont envie parce qu'on va dire à l'avance ce qu'il faut qu'ils fassent pour leur territoire. Je suis en désaccord avec cela.

J'ai dit au Président de la République : mais pourquoi êtes-vous effrayé ? De toute façon, il y a un régulateur des compétences, c'est le budget ! Quand on n'a pas les moyens de faire, on fait l'essentiel.

J'en parle comme ayant été, pendant de longues années, Président d'un Conseil général qui a fait - c'est le seul Conseil général en France - une autoroute ! Ce n'était pas dans nos compétences, mais j'en appelle aux Basques, aux Béarnais et aux Landais qui sont là, si l'on n'avait pas fait l'autoroute, où est-ce qu'elle arriverait aujourd'hui ? Qu'est-ce qu'il resterait des territoires dont nous avons la charge ?

Moi, je suis un défenseur - je serai peut-être le dernier - de deux choses, comme nous l'avons montré hier. Je suis défenseur des 36 000 communes de France. Je pense que c'est une erreur que de vouloir faire de la France ce qu'elle n'est pas.

J'ai eu, pendant longtemps, dans ma circonscription, une commune qui comptait 18 habitants. Maintenant, elle en a près de 50. Elle a beaucoup grandi ! Je vous assure qu'ils se donnaient beaucoup pour le développement de leur commune, que ce n'était pas rien ces hommes et ces femmes. Il y avait un homme et une femme qui pensaient ce que la commune pourrait être et l'effort qui pourrait être le leur.

Je suis défenseur des 36 000 communes de France et je suis défenseur de la clause générale de compétence. Je prétends qu'il y a là quelque chose de la richesse de la démocratie locale que l'on est en train de mettre en danger et, donc, je dis : Nous qui avons été les premiers défenseurs des départements, régions et rapprochement entre les deux, nous ne pouvons pas accepter la loi électorale qu'ils sont en train de préparer et qui vise, en réalité, à supprimer tout pluralisme dans la représentation des collectivités locales en France ! Parce que c'est une loi électorale dont la signification est simple : il n'y aura comme élus, à 90 %, que des PS et des UMP, surtout si l'on adopte de surcroît le scrutin à un tour qui fait que tout pluralisme disparaît, ainsi que toute parité. On ne va plus avoir que des hommes pour 80 % dans les assemblées !

Le progrès qui avait été fait… Si cela ne vous plaît pas tant pis... Le progrès qui avait été fait par la loi de parité au scrutin proportionnel, ce progrès, nous n'avons pas le droit de le laisser disparaître. Il n'est même pas constitutionnel, à mes yeux, que l'on accepte de reculer sur ce sujet.

Je dis donc, et je l'ai dit au Président de la République qui n'en ignore rien, que s'il continue dans cette voie, nous ferons la guerre à ce projet, sans merci, jusqu'au bout, et nous ferons ce qu'il faut pour que les Français, eux-mêmes, refusent qu'on leur enlève une liberté élémentaire, parce que tout cela au fond, c'est le peuple français dans sa diversité.

 

Je veux m'arrêter une seconde à ce débat qui a été agité et relancé sur ce que l'identité de notre peuple doit être. Je veux m'arrêter une seconde en vous demandant de réfléchir à ceci : nous vivons comme au carrefour de l'an 1000 - et ce n'est pas un hasard, à mon sens -le temps des grandes peurs.

J'étais heureux que, Yann (Wehrling), tout à l'heure tu saisisses cette question-là. Les peuples sont agités de peurs profondes, parce que c'est leur destin qui se trouve en question et qu'ils ont perdu un certain nombre des repères qui faisaient que le destin était balisé. Ils ont perdu les repères qui faisaient que l'on pouvait être rassuré devant l'avenir.

Nous vivons le temps des grandes peurs et, la première de ces peurs - j'en citerai tout à l'heure une autre - ce sont évidemment les peurs qui tournent autour de l'identité, de perdre son identité. Donc, on fait le débat identité nationale.

Alors, je demande d'aborder une question un tout petit peu historique et philosophique, en même temps. Le mot nation est un mot dont l'histoire est une histoire heurtée. Le mot nation, à l'origine, cela fait référence à la naissance. Dans l'université médiévale, il y avait plusieurs nations : la nation picarde, la nation flamande, la nation française et, la nation française, c'était l'Île-de-France. Elle était moins diverse qu'aujourd'hui, mais c'était cela.

Nation, c'était la communauté d'origine. C'est ainsi que le mot est né et qu'il s'est construit.

Puis, il a plus ou moins disparu du lexique, parce qu'on a bâti des royaumes et les royaumes ont fait une autre conception de cette unité ou de cette entité.

Puis, le mot nation est revenu au XVIII ème siècle sous un autre sens, qui là est un sens politique et historique : les penseurs qui ont aplani le chemin de la Révolution, ont voulu rompre avec l'idée que la légitimité c'était celle du souverain de droit divin. C'était le souverain qui avait en lui le pouvoir, la capacité, la puissance de dire la vérité au peuple de ses sujets. Parce qu'il était de droit divin, il fallait lui obéir et il pouvait décider du destin.

Ces penseurs-là, ces philosophes-là ont voulu trouver une autre légitimité et ils ont dit : la souveraineté n'est pas dans le souverain, elle est dans le peuple. Ils ont appelé ce peuple politique, ils l'ont appelé nation.

Ce sont ces deux sens qui sont constamment chahutés à l'intérieur de la réflexion : nation comme origine / nation comme communauté de citoyens.

Nous, nous disons que, l'identité nationale, c'est l'identité qui est capable de prendre en charge les deux aspirations. L'aspiration de ceux qui se reconnaissent membres du même peuple, et d'abord par la langue. Il n'y a pas de lien plus profond à l'intérieur d'un peuple que celui de la langue.

C'est d'ailleurs une raison pour laquelle je suis - j'ouvre une parenthèse et je la referme aussitôt - en désaccord avec le Président de la République : en présentant la réforme du lycée, il explique que la filière littéraire doit devenir une filière internationale. C'est très bien qu'il y ait une filière internationale, mais, la connaissance intime de la langue française, de ses œuvres, de sa littérature, de sa philosophie, de sa pensée, de la manière dont les Français ont pensé le monde, c'est une richesse à part entière.

Je recevais récemment un professeur de droit qui me disait, un grand professeur de droit, comme l'on dit : "Ce dont nous manquons le plus, c'est d'étudiants qui maîtrisent bien la langue française". Ne laissons pas déshabiller la culture de la connaissance intime de la langue française.

Il est bon que nous acceptions ce lien entre nous, citoyens, ce lien entre nous, d'origine et notamment de langue. C'est la raison pour laquelle je pense légitime que, le jour où on posera la question de faire sortir de la clandestinité, de la semi-clandestinité des hommes et des femmes qui sont dans la situation honteuse de travailler, de payer des impôts, de payer des charges et d'être, cependant, interlocuteurs légitimes pour le fisc et poursuivis par le ministère de l'intérieur…  C'est quelque chose que je considère comme inacceptable.

Je trouve normal que, dans les critères il y ait aussi un critère sur la connaissance de la langue. Il est bon que nous acceptions et comprenions que nous avons, en effet, des choses en commun qui font de nous un peuple. C'est juste et c'est vrai.

J'ajoute que nous pensons que ni identité ni langue, comme Marielle (de Sarnez) l'a dit, ne se déclinent seulement au singulier. Cela se décline aussi au pluriel.

Je suis fier que nous soyons le mouvement qui considère que les langues régionales font partie des richesses de la nation française. Cela fait également partie de notre identité nationale. Nous avons des points communs, mais nous sommes un peuple qui accepte sa diversité.

Je trouve légitime qu'un enfant d'immigrés venus de l'autre côté de la Méditerranée n'oublie pas d'où il vient. Cela ne porte en rien atteinte à son amour pour la France, comme Azouz Begag vient de le montrer à l'instant. Se souvenir d'où l'on vient, c'est être mieux dans sa peau.

Tout cela, nous en faisons la gerbe de l'identité de la France, comme peuple.

Deuxièmement, nous disons que l'identité de la France comme peuple ne serait pas ce qu'elle est, si en même temps nous ne respectons pas les valeurs républicaines qui nous ont faits, non pas seulement peuple de femmes et d'hommes, mais peuple de citoyens, et que la République est un projet en soi. Ce n'est pas seulement un slogan au fronton des édifices publics.

La République, c'est un projet en soi. Liberté, égalité et fraternité à l'intérieur de nos frontières et dans le monde, tel est le projet de la République française. Chaque fois  que nous y manquons et, spécialement, chaque fois que le Président de la République y a manqué, chaque fois, il a porté atteinte à l'identité nationale française.

Chaque fois qu'il a été manqué à la fraternité entre peuples (je pense au discours vraiment extraordinairement choquant qui a été prononcé à Dakar, au début du quinquennat du Président de la République, qui portait atteinte à ce que nous croyons de plus important, vous en trouverez des phrases dans le chapitre que j'ai consacré à ce sujet, dans mon dernier livre…).

Chaque fois qu'il a été porté atteinte à la laïcité, nous avons porté atteinte à l'identité nationale française d'un peuple de citoyens.

Chaque fois qu'il a été porté atteinte à l'égalité des Français, il a été porté atteinte à l'identité nationale.

Chaque fois que des choix sont faits qui sont des choix de préférence pour mettre les proches du pouvoir dans les situations de responsabilité, quand ce n'est pas les membres de sa famille, il est porté atteinte à l'identité nationale.

 

Autre peur, le débat écologique.

Nous nous honorons d'être, Jean-Luc Bennahmias et Yann Wehrling en sont des témoignages parmi nous, ainsi que Corinne Lepage, de toute cette tradition d'où je dois dire qu'il y a quelques décennies ,je viens aussi de ceux qui ont pensé que le message écologique était et devait être un message profondément humaniste dans cette famille d'esprit-là… nous nous honorons de penser qu'il y a des choses à faire, mais je conjure que l'on ne prenne pas le débat écologique sous l'angle perpétuel des grandes peurs.

Je ne pense pas que nous soyons condamnés, ni à court ni à moyen ni à long terme, que l'humanité soit condamnée à des cataclysmes qui vont la faire disparaître. Cela, c'est pour les films d'épouvante, du moins, je l'espère.

Je ne pense pas qu'il y ait une fatalité. Je crois que l'être humain, par sa conscience et sa science… je crois que le progrès des êtres humains permettra de relever ces défis, à condition que l'on en ait conscience et qu'on ne se laisse pas accabler par une fatalité, comme s'il n'y avait rien à faire en face de ce destin.

Je crois qu'il y a des choses à faire et j'ai été heureux que Danièle Jeanne et Yann Wehrling le soulignent, il y a des choses concrètes à faire qui peuvent, à court terme, changer notre attitude face aux émissions de carbone, face aux matières premières qui sont nécessairement limitées, face à l'énergie. Il y a des choses à faire qui sont concrètes et accessibles.

Je proposerai que l'on consacre un colloque, dans la perspective des élections régionales, à ce qu'il y a à faire concrètement et facilement, parce que je pense qu'il est à portée de la main de la France d'être un des pays les plus sobres, en matière d'émission de carbone, dans le monde. C'est à portée de la main, en partie - je suis obligé de le dire - parce que l'énergie nucléaire a fait que nous sommes relativement préservés d'être les plus gros pollueurs, en matière de carbone.

Je vous donne les chiffres, dans la perspective de Copenhague justement, parce qu'il me semble que l'on est un peu injuste lorsque l'on s'exprime en pourcentage en disant qu’il faut que tout le monde baisse de 20 % sa consommation carbone, je vous donne les chiffres de mémoire, vous vérifierez s'ils sont exacts : les États-Unis émettent 21 tonnes de carbone par an et par habitant ; l'Allemagne émet 9 tonnes de carbone par an et par habitant, la France émet 6 tonnes de carbone par an et par habitant. La Chine… tout le monde dit la Chine, très gros pollueur, seulement 4 tonnes de carbone par an et par habitant, mais ils sont tellement nombreux évidemment que le bilan du pays est énorme, et ils dérivent vite. Tout cela est vrai, mais simplement pour remettre les choses en ordre, et les pays d'Afrique dont nous parlons, ce n'est pas 21, ce n'est pas 9, ce n'est pas 6, ce n'est pas 4, c'est zéro virgule quelque chose de tonne de carbone par an et par habitant !

Je dis donc que la justice internationale, si nous y sommes attachés, devrait fixer des chiffres de consommation en tonne par an et par habitant de manière que ceux qui polluent le plus soient obligés de descendre plus et que ceux qui ne polluent pas du tout aient une marge de manœuvre pour arriver à quelque chose qui leur permette d'avoir une vie acceptable et conciliante.

Nous sommes, nous les pays développés, les responsables, et nous voulons faire porter aux plus pauvres de la planète les efforts que nous n'avons pas consentis nous-mêmes.

Je dis que ces grandes peurs-là qui sont au tournant du millénaire, nous les refusons.

Nous sommes le parti anti-peur de la politique française. Nous sommes le parti qui considère qu'il a, en effet, sur ce point, un message original et je voudrais finir sur cette idée.

 

Nous avons choisi le mot « humaniste ».

Pourquoi avons-nous choisi ce mot ? Les mots en "-isme" ont ceci de particulier qu'ils permettent, en quelques syllabes, de résumer une pensée, un engagement et une vie.

Le Président de la République se range du côté du capitalisme, c'est la première fois qu'un chef d'État français se range de ce côté-là, qu'il emploie ce mot, jamais cela n'avait été fait auparavant. On disait économie, liberté, mais jamais on n’a choisi ce mot comme totem de la politique française.

Capitalisme, même moralisé, inutile de vous dire que je ne crois pas un mot de la moralisation du capitalisme, je pense que le capitalisme est amoral par essence. Certains disent qu'il est immoral. Moi, je ne crois pas qu'il soit immoral, je pense qu'il est amoral.

Ce n'est pas son affaire la morale, son affaire c'est l'argent, c'est la rémunération du capital et donc il dit son projet dans son nom.

Ce projet capitalisme, nous le récusons.

De la même manière, je ne crois pas à l'étatisme, je ne crois même pas au socialisme comme étatisme. Je ne crois pas qu'il y ait, là, un projet de société qui puisse s'adresser à un peuple parce que je ne crois pas que de tels États, quels qu'ils soient, fussent-ils bien inspirés, puissent résoudre les problèmes des gens.

Je ne connais qu'un mot qui permette d'aller au bout de la civilisation que nous avons construite au cours des siècles, ce mot c'est « humanisme » parce qu'il dit l'essentiel, c'est que les organisations sociales doivent être au service de l'épanouissement de la personne humaine.

Si vous y réfléchissez bien, il y a deux raisons pour lesquelles nous avons eu raison de choisir ce mot.

La première de ces raisons, c'est que l'humanisme, en réalité, est le projet le plus fondamental, le plus radical que l'on puisse avoir.

Il n'y a pas de plus grand projet politique que de mettre l'économie, le social, la culture, l'éducation, la justice, la démocratie, au service de l'homme, femmes et hommes, et de leurs familles et, ce qui en font d'eux des êtres humains, des communautés dans lesquelles ils vivent.

Par ailleurs, derrière cela, il y a cette idée politique que je voudrais défendre devant vous en quelques mots et sur laquelle je me suis déjà exprimé.

Cette idée politique est celle-ci : ne vous trompez pas, les élections qui viennent, qui viendront le jour venu, pas seulement les Régionales, mais les grandes échéances nationales, seront très difficiles... très difficiles parce que les forces, les puissances qui se sont conjuguées autour du pouvoir actuel et autour de Nicolas Sarkozy, puissances de toute nature, politiques, financières, médiatiques, ne laisseront pas facilement le pouvoir changer de mains.

Il y aura un très grand relais, un très grand soutien dans tous les domaines qui font l'opinion publique, et je considère que l'élection nationale que nous vivrons le jour venu, quels que soient ses protagonistes, sera l'une des plus difficiles que nous ayons à vivre parce que c'est la première fois que de telles puissances sont réunies entre les mêmes mains, la première fois.

Et donc je dis avec certitude, à tous ceux qui veulent changer de projet pour la France, à tous ceux qui veulent changer de chemin, et qui mesurent la difficulté de cette entreprise, que l'on aura besoin de tout le monde.

Je dis cela à toutes les sensibilités présentes dans cette salle et à tous ceux qui nous entourent.

Je dis que ceux qui nous ont dit souvent "nous, on n'ira jamais avec la gauche parce qu'on a trop de mauvais souvenirs" et ceux qui ont dit souvent, à gauche : nous, on n'ira jamais avec le centre parce qu'ils sont trop à droite", ceux qui dans les deux camps, disent "nous, on ne travaillera jamais avec des gens qui viennent de la droite"… j'ai, moi, la nostalgie du gaullisme comme force de résistance à ce qui est en train de se passer, je sais qu'il y a en France une droite sociale, elle s'est endormie, elle est dans la léthargie, elle ne parle plus, mais j'ai aimé le temps où Chaban-Delmas et Jacques Delors, c'était la même maison.

Je dis : nous aurons besoin de tout le monde". Cela ne sera pas trop de tout le monde. Et c'est pourquoi, là aussi, je propose de quitter le temps des peurs.

Pendant longtemps, on a vécu avec une vie politique française partagée par des murs et tout notre message, si nous pouvons employer ce mot, en tout cas toute notre conviction, c'est que de l'autre côté des murs, il y a des gens avec qui nous pouvons échanger, dialoguer, travailler un jour et dont nous aurons besoin si nous voulons faire changer de chemin à ce pays que l'on est en train d'égarer.

De l'autre côté des murs, il y a plusieurs murs et, quelque soit le côté du mur où l'on se trouve, il va bien falloir tendre la main par-dessus les murs.

Notre œuvre, notre message original dans la politique française, c'est celui-là.

Nous sommes ceux qui considérons qu'on doit réunir, pour changer le pays, ces sensibilités différentes, ces histoires différentes et ces identités différentes.

Or, c'est là où je re-boucle sur "humanisme". Quand je me dis, et parlant avec chacun d'entre vous : nous allons devoir, un jour ou l'autre, être capables de dialoguer ensemble, pas de nous confondre, pas de nous rallier, exactement le contraire de se confondre et de se rallier, mais dans la plénitude de ce que nous sommes, chacun avec notre histoire, nous allons devoir nous conjuguer, conjuguer nos forces, nos intelligences pour changer le pays. Où seront les valeurs communes, où seront les points de rencontre, les points communs, le plus grand commun dénominateur de toutes ces forces-là ?

Eh bien le point de rencontre, le point commun, le plus grand commun dénominateur, c'est l'humanisme. Il n'y en a pas d'autre.

Chacun d'entre eux, même si chacun a choisi d'autres mots dans son histoire, d'une certaine manière, peut se reconnaître dans cet humanisme-là. Et c'est pourquoi, en effet, en mettant sur la table le projet humaniste que nous avons construit pendant tant de mois, de semaines, de journées et d'heures pendant ce congrès, alors nous faisons faire un pas que nous espérons intéressant et décisif à cette rencontre qui est la seule qui permette, un jour, de changer les choses en France. Mais j'ai bien dit : ne pas se confondre, ne pas se rallier.

(...)

Téléchargez la suite du discours de François Bayrou en cliquant ici.

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