"Cette réforme est une certaine idée égalitariste, contre l’idée du meilleur pour tous"

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François Bayrou a exposé ce soir au micro de France 24 les deux visions s'affrontant actuellement sur la réforme du collège : la France offre-t-elle la meilleure éducation possible à ses enfants ou bien est-ce qu'elle se contente d’un basique minimum tirant les élèves vers le bas ?

François Bayrou, bonsoir. Merci d’avoir accepté notre invitation. Vous êtes président du MoDem et vous êtes aussi ancien ministre de l’éducation nationale de 1993 à 1997, un record de longévité à ce ministère. Vous êtes avec le roi Henri IV le Béarnais le plus célèbre de France. En 2012 vous appelez à voter pour François Hollande, une échappée qui vous fera naviguer un temps sur les rives de l’ambiguïté mais avec l’aide d’Alain Juppé, vous reviendrez tout de même dans la famille de la droite. Alain Juppé, avec qui il paraît, vous échangez des SMS en latin, transition toute trouvée pour rajouter que votre présence sur ce plateau aujourd’hui tombe à point nommé pour nous parler de la réforme des collèges et des programmes. Agrégé de lettres classiques et je l’ai dit ancien ministre de l’éducation, vous partez en guerre contre la suppression du grec, du latin, et des classes  bilangues. François Bayrou, cette parution au JO vous a fait bondir et vous réclamez une grande manifestation nationale, j’ai envie de vous demander est-ce bien raisonnable quand on est responsable politique, vous n’êtes pas syndicaliste ?

Je suis un responsable politique, et il arrive, heureusement assez souvent, que des responsables politiques, lorsque quelque chose leur apparaît intolérable, s’y opposent par l’exercice du droit de manifester. Vous savez que le droit de manifester est dans la constitution, cela fait partie des droits fondamentaux du pays ! Peut-être faut-il expliquer en un mot, pour ceux qui nous écoutent, loin des frontières de la France, ce qu’il y a sous ce projet, et ce qui suscite une telle indignation pour les uns, interrogations pour les autres, colère pour les troisièmes, dont je suis. L’éducation nationale française, c’est un idéal, certains pourraient même dire : c’est une utopie remarquable qui a traversé le temps avec une idée simple qui était que l’école allait offrir à tout le monde, d’où qu’il vienne, les meilleures chances. Elle allait offrir à tous la possibilité d’obtenir le meilleur, aussi bien qu’à tous ceux qui viennent de milieux familiaux qui ont des moyens intellectuels ou financiers.

Pardonnez-moi je vais prendre mon exemple, parce que ce que j’ai vécu est au fond l’histoire de beaucoup d’entre nous. Je suis né dans une ferme, dans les Pyrénées, à 850 kilomètres de Paris, dans un milieu qui Dieu sait n’avait pas d’argent, et je suis allé ce qu’on appelle à l’époque au lycée - le collège aujourd’hui - où j’ai eu la chance d’apprendre ces langues anciennes, de recevoir un socle culturel qui fait que, non seulement moi, mais tous mes amis de l’époque, qui venaient des milieux sociaux les plus modestes, cheminots, gardes-barrières, employés du commerce - il n’y avait pas de milieux favorisés chez nous - avons tous pu accéder à ce qui est offert aux plus fortunés, aux plus chanceux par la famille. Par exemple j’avais, il vient de disparaître tragiquement, comme professeur de latin et de grec à partir de la sixième, un homme qui était le plus grand spécialiste français de la pensée hindoue au lycée de Noailles, Basses-Pyrénées on disait à l’époque, Pyrénées-Atlantiques aujourd’hui, c’est une bourgade au pied des montagnes. Ça c’était la promesse de l’éducation nationale, l’idéal de l’éducation nationale, et nous l’avons tous vérifié !

J’étais tout à l’heure interrogé à une radio sur Pierre Bourdieu qui est le grand sociologue. Il se trouve que Pierre Bourdieu est Béarnais, qu’il est né dans un village voisin du mien, qu’il est fils de postier, il a pu bâtir une culture classique, il est passé par l’école normale supérieure, et puis ensuite il a développé sa critique sur la société française. L’éducation nationale française - et c’est pourquoi elle était aimée dans le monde, c’était ça - le meilleur à tous. Selon ses aptitudes, selon ses envies, selon ses désirs, selon ses capacités, selon ses efforts, selon la chance parfois ! Et voilà que le ministère a décidé que cette offre du meilleur à tous, les langues anciennes, puis les langues vivantes de manière un peu accentuée, classes bilangues et classes européennes, c’était trop pour certains, c’était élitiste, et qu’il fallait donc le supprimer, au nom d’un égalitarisme que je trouve absurde et scandaleux de la part de l’éducation nationale. Alors ça peut paraître à certains une question secondaire, mais pour moi, et pour des dizaines de responsables intellectuels ou politiques qui ont fait ce parcours, ou qui ont un idéal de la société française, c’est une question centrale. Et que ce soit la gauche, héritière de Jaurès d’ailleurs - le sommet de la formation classique, qui avait écrit sa thèse en latin - que ce soit les héritiers de Blum, et les héritiers de Voltaire, entièrement pétris de cette culture, qui viennent nous expliquer que l’égalité ça passe par l’éradication de tout cela, c’est honteux ! Pardon de vous le dire comme cela. Et donc ça explique la colère et le ressentiment, parce que la grande question qui est derrière tout ça, c’est « est-ce que la France offre la meilleure éducation possible ? », ou bien « est-ce qu’on se contente d’un basique minimum qui nous tirera vers le bas ? ».

Oui mais ça c’est l’éternelle catégorisation de toute réforme qui vient de la gauche par ses opposants qui viennent de la droite. Est-ce que cela ne mérite pas une analyse un peu plus poussée de votre part, vous qui vous vous situez en général à distance de toutes ces catégorisations, de toutes ces sloganisations ? En vous écoutant, je me disais au fond vous avez eu votre bac, quand 16 ou 18% d’une classe d’âge avait son bac. Et, à ce moment-là, en effet, le lycée était réservé à une minorité. Le problème c’est qu’aujourd’hui les masses ne sont pas comparables, vous l’avez vécu comme ministre, qu‘on tend vers 80% d’une classe d’âge au bac, que ce soit bac général, bac professionnel ou bac technologique, et on a l’impression que l’on est dans la nostalgie des anciens très bons élèves, mais on a un système qui restera toujours très bon pour les très bons. Le problème, c’est que les inégalités se sont creusées, à l’intérieur de ce collège. Donc les inégalités, on cherche à les corriger ou on les constate ?

Vous venez de démontrer absolument le contraire de ce que votre introduction indiquait, parce que vous avez dit le système restera très bon pour les très bons : ce n’est pas vrai. Le fils d’ouvrier, d’employé ou de paysan dont je parlais n’aura plus la chance d’étudier le latin ou le grec.

Mais si ce n’est pas supprimé ?

C’est supprimé !

Non !

Écoutez c’est très simple, tapez sur internet mouvementdemocrate.fr, j’ai affiché l’arrêté, le décret, et la loi. C’est un débat franco-français parce que l’on raconte des histoires, vous verrez qu’il n’y a plus une heure qui sera accordée à ces disciplines. Et on entendait à l’instant, pardon d’être dans un débat un peu technique, qu’un enseignement pluridisciplinaire allait les remplacer. C’est totalement faux ! L’enseignement pluridisciplinaire comportera 26 heures sur 3 ans. Et allons droit au but : l’école française, vous vous dites ce n’est pas possible d’en faire une école qui offrira le meilleur à tous, et moi je dis que c’est possible. Je le prouve.

C’est le sens de cette réforme pourtant.

Non ! C’est totalement le contraire. C’est une certaine idée égalitariste, contre l’idée du meilleur à tous. Et je le prouve : quand j’étais ministre de l’éducation, vous avez eu la gentillesse de dire que cela avait été une période, assez longue.

Est-ce que pour autant vous avez fait beaucoup de réformes ?

Oui, je vais vous le dire, précisément sur ce sujet, j’ai porté l’horaire du français en sixième à 6 heures, actuellement c’est 4 et demie, donc c’est 30% de moins, j’ai instauré le latin pour tous ceux qui le souhaitaient en cinquième, on vient de le supprimer, et le grec pour tous ceux qui le souhaitaient en troisième. Et la première année de cette réforme, nous avons eu plusieurs centaines de milliers d’élèves sur des générations de 750 ou 800 000 qui ont choisi cette discipline comme un chemin de différenciation pour aller plus loin et pour aller vers le meilleur, et on le supprime. Je dis moi que ça heurte les sentiments les plus profonds.

Est-ce que ce débat est idéologique et politique : en gros on considérerait que la gauche est égalitariste et que la droite est élitiste, est-ce que la gauche s’opposerait aux élites aujourd’hui ?

Non. Écoutez des hommes comme Jean-Pierre Chevènement, comme Jack Lang - qui s’est encore exprimé cette semaine - un très grand nombre d’intellectuels venant de la gauche, que la ministre de l’éducation a qualifié de « pseudo-intellectuels », ce qui est un jugement de sa part un tout petit peu hardi. Jack Lang dit exactement dans son camp la même chose, avec son style, que ce que je dis, il a prononcé la phrase la plus juste que j’aurais pu signer, il a dit : « mais pourquoi donc veut-on changer ce qui marche » ?

Sur les deux points que vous évoquez. Mais pour autant, il ne décrit pas l’apocalypse comme vous le faites.

Mais je ne décris pas l’apocalypse, je décris une trahison.

Vous dites le meilleur pour tous, alors qu’un certain nombre de constats qui sont faits, j’allais dire, de manière objective, c’est plutôt qu’on a aujourd’hui une école qui donne le meilleur à quelques-uns, et donc le problème c’est d’élargir ce « quelques-uns ».

Non. Cela aurait été le cas si on avait dit : « voilà on a seulement 25 % des élèves qui font un apprentissage de langues anciennes, on a seulement 18 % des élèves qui suivent ces cours de langues intensives, on va donc élargir ce nombre ». J’aurais dit : « ça, en effet, c’est émancipateur, ça va dans le bon sens ». Mais partir du fait qu’il y a trop peu – enfin, 25 % - 20 %, ce n’est pas mal – d’élèves qui suivent ces formations et que donc on va les supprimer, alors ceci s’appelle une trahison. Je vous assure que si Jaurès ou Blum étaient là, ils auraient explosé de rage.

Trahison vis-à-vis de qui ?

Vis-à-vis de l’idéal de l’éducation nationale – on hésite maintenant à employer le mot « républicain » pour les raisons que chacun d’entre nous sait.

Mais regardez, est-ce que l’on peut revenir à quelques grands principes de cette réforme parce que les spécialistes considèrent aussi que c’est une petite réforme et vous, vous en faites quelque chose d’énorme.

J’en fais une trahison, parce qu’il n’y aura plus d’enseignements. Je parle de quelque chose que je connais. Mais je reviens au fait essentiel : quel est le problème du collège ? C’est que l’école primaire ne remplit pas sa mission auprès d’un très grand nombre d’élèves – 30% d’entre eux qui entrent au collège sans savoir lire – est-ce que l’on corrige cela ? Pas du tout.

Bien sûr, parce que c’est la clé de tout.

Est-ce vous croyez qu’ajouter une langue vivante en 5e à des élèves qui ne savent pas lire ça va les aider ou les noyer ?

Pas tous, les 2/3 savent lire et vous savez que la 2e langue obligatoire, petite parenthèse, c’est la seule façon de sauver le français en Europe. Si les autres n’adoptent pas les mêmes règles que nous, ce qu’ils sont en train de faire…

Vous êtes en train de décrire le contraire de que l’on fait parce que vous décrivez une réforme telle que vous auriez souhaité qu’elle existe et c’est le contraire qui se passe.

Prenons un des grands principes de cette réforme - puis après peut-être on en termine – qui est l’autonomie davantage accordée aux chefs d’établissement et aux établissements. Quand la droite, Madame Pécresse, a instillé un peu d’autonomie dans les universités, la gauche a hurlé. Quand la gauche essaie d’instiller un peu d’autonomie dans les collèges, la droite hurle. Est-ce que c’est raisonnable ?

Je ne sais pas très bien ce que le mot autonomie veut dire.

Des décisions adaptées à leur collège.

Nous sommes tous les deux amis d’un esprit éminent, quelqu’un que j’aime beaucoup, qui s’appelle Jean-Claude Casanova. Il dit que quand on prétend que l’on a donné l’autonomie aux universités on se moque du monde. Vous avez, à vous écouter, à cet instant, le monde qui sait, lui, ce que le mot « autonomie des universités » veut dire. Est-ce qu’il faut l’autonomie aux collèges ? Oui, si l’on garantit le respect des programmes et un cursus continu pour les élèves qui changent d’établissement. Si on ne respecte pas ces choses-là, je crois que cette réforme : un, elle aura beaucoup de mal à être appliquée ; et deux, cette réforme est inorganisable. Voilà ce que je crois.

Je voudrais vous reposer la question un peu plus fermement peut-être sur cette manifestation, une grande manifestation nationale que vous appelez de vos vœux. Est-ce que vous réitérez cet appel ? Parce que c’est vrai que la manifestation de lundi a été assez faiblarde.

Cela n’a rien à voir. La manifestation de lundi était une manifestation d’enseignants qui faisaient grève. C’était mardi d’ailleurs.

Et là, vous voulez appeler qui dans la rue ?

Ce que je voudrais – évidemment cela dépend du choix de chacun – c’est que parents d’élèves, enseignants, intellectuels ou passionnés d’éducation et de culture, responsables politiques, que tous prennent leur responsabilité et disent « Nous ne sommes pas d’accord avec ce que l’on fait et ceux qui nous méprisent », « Nous ne sommes pas d’accord ». Quel est le choix ? Le gouvernement a, comme on dit, passé en force c’est-à-dire qu’il a – sans le dire à personne, un beau soir, dans la nuit – publié au journal officiel une réforme dont il affirmait avant qu’elle était en discussion, en dialogue, en examen, qu’on allait pouvoir reprendre.

Mais gouverner c’est évidemment faire preuve d’autorité.

C’est de l’autoritarisme, ce n’est pas de l’autorité. Ce n’est pas du tout la même chose. L’autorité c’est quand cela s’impose ; l’autoritarisme c’est quand on impose au contraire de ce que l’on attendait, de ce que l’on avait dit soi-même. S’il est un sujet qui mériterait débats et explications, c’est ce sujet là, qu’on regarde les textes par exemple. La ministre de l’éducation dit avec certitude, comme ça, avec assurance - et si on ne vérifie pas et bien on le croit  - elle dit « mais c’était absolument légitime que l’on prenne un décret parce que l’on avait voté une loi pour dire cela ». Alors je dis, moi en tout cas avec certitude, qu’il n’y a pas un mot dans la loi, qui a été votée sous l’anté-prédécesseur en 2013 de Madame Vallaud-Belkacem, qui concerne la réforme du collège. Pas un mot. Et vous trouvez normal, que nous citoyens, on nous prenne à ce point pour des imbéciles quand l’on affirme, quand on est ministre de l’éducation, que l’on a voté une loi sur le sujet alors qu’il n’y a pas un mot dans le texte qui a été examiné. Tous ceux qui veulent s’en assurer : mouvementdemocrate.fr, vous avez le texte.

Pourquoi la droite, l’UMP, ne vous a pas suivi ? Par exemple Nicolas Sarkozy dit « Il ne faut pas de manifestation, il faut un débat au parlement ».

C’est une manière de botter en touche. Après, chacun prend ses responsabilités. Pour moi, en tout cas, c’est un sujet grave.

Donc Nicolas Sarkozy botte en touche ?

Ce n’est pas un sujet politicien, ce n’est pas un sujet partisan, c’est un sujet grave dont les enjeux dépassent de beaucoup les frontières. Je connais des gens de gauche extrêmement engagés, des gens de droite très engagés et très à droite qui partagent exactement ce sentiment. Après, je n’ai pas envie de faire de la récupération parce que je trouve la récupération malvenue dans ces affaires-là. Je souhaiterais donc que les associations professionnelles, d’enseignants, les associations culturelles, disent toutes ensemble « Nous n’allons pas nous laisser faire, nous n’allons pas accepter, nous n’allons pas choisir le camp de la résignation, car si vous ne faites rien, c’est réglé ». C’est paru au journal officiel. Alors on sait bien qu’il arrive très souvent que des choses paraissent au journal officiel et ne soient pas ensuite reprises ou soient changées ou soient retirées mais cela demande une mobilisation et c’est cette mobilisation que je recommande.

Alain Juppé est un peu plus modéré que vous sur ce sujet d’éducation en reprochant, au fond, au gouvernement d’avoir mélangé les programmes avec la réforme du collège. Ce serait deux discussions différentes.

Je parle de la réforme du collège et pas des programmes. Le programme est une autre question, je trouve qu’ils sont mal faits, je trouve que leur conception fait courir un risque mais en tout cas, pour moi, je ne parle pas des programmes, je parle de la réforme des collèges et de la suppression de ces chances qui étaient offertes à tous d’aller plus loin qu’ils n’iront dans un système égalitariste.

On va peut-être parler d’Alain Juppé du coup. On clôt le chapitre éducation.

J’offrais une conclusion. Il faut avoir une introduction, un développement, une conclusion.

Quelle est votre citation latine préférée ?

Je n’en sais rien. Si : « macte animo generose puer ». Cela veut dire : « Courage, enfant généreux ».

En tout cas, aujourd’hui, ce sont les algorithmes qui guident le monde mais c’est un autre sujet.

C’est un sujet très important ! Jean-Marie Colombani, je vous le dis avec beaucoup de considération, vous vous trompez. Dans la Silicon Valley, les responsables des grandes entreprises internet ont monté une école pour leurs enfants et cette école-là a une règle : pas d’écran jusqu’en 3e. Pas d’écran jusqu’en 3e. Pourquoi ? Vous savez que je vis sur le monde internet depuis le début internet et même assez longtemps avant, parce que j’ai été producteur du premier journal numérique en France, c’était un journal expérimental au début des années 1980, avant que ne soit lancé le réseau Minitel, c’est dire que c’est une passion pour moi et que j’ai toujours aimé cela. Mais internet est une jungle, c’est foisonnant, on y trouve tout ce que l’on cherche mais c’est une jungle et pour se repérer dans une jungle il faut une carte et une boussole : c’est la culture générale. Si vous n’avez pas cela, vous êtes perdus dans la jungle, vous croyez n’importe quoi, vous êtes dans les thèses complotistes, grand nombre d’adolescents sur internet croient ce qu’on leur dit. Je veux défendre ici la culture générale contre ce que vous appelez la société des algorithmes. Je pense que la culture générale est plus importante que les écrans.

Je crois que personne ne sera contre ce que vous dites. On ne va pas manifester contre vous.

Mais alors tirez les conclusions de ce que vous pensez, allez jusqu’au bout.

On va parler politique. On parlait à l’instant de Nicolas Sarkozy, manifestement il trace son chemin, il le trace intelligemment avec beaucoup d’opiniâtreté comme à son habitude, et Alain Juppé – qui faisait la course en tête – fait de plus en plus la course – j’allais dire – en spectateur. Donc est-ce que vous n’êtes pas inquiet de cela ? Parce que vous aviez lié votre sort à celui d’Alain Juppé, et du coup, comment regardez-vous ce paysage se modifier sous vos yeux ?

J’ai toujours eu beaucoup de réticences sur le système des primaires. Ce n’est pas aujourd’hui que je vais dévoiler ma position sur ce point, je l’ai dite depuis la première minute où ce système a été évoqué. Pourquoi ? Parce que dans le système des primaires – et ceux qui vivent aux États-Unis le savent très bien – dans chaque camp, ce sont les plus radicaux, les plus durs, les plus agressifs du camp qui pèsent le plus. Il me semblait, pour quelqu’un qui a le profil d’Alain Juppé, ou le profil que je souhaite pour la France, quel que soit l’impétrant – comme on dit en latin – c’est-à-dire un profil plus modéré et plus rassembleur, que ce système n’est pas le bon système. Après, Alain Juppé a fait son choix, ses amis aussi, je n’ai rien à dire sur ce point, je n’appartiens pas à ce parti politique-là et je n’aime pas que l’on coupe la France en deux camps. Je me suis battu toute ma vie contre le découpage en deux camps.

Voilà un beau sujet : comment faire pour que la France cesse d’être découpée en deux camps ? Le centre s’y essaie depuis des lustres sans y parvenir.

Le centre a failli y parvenir.

Oui, tout à fait. C’est passé de très près. Je m’en souviens très bien.

Vous vous souvenez de cette époque et de ce que les journaux écrivaient.

De ce que certains journaux écrivaient, j’y ai pris ma part, hélas, d’une certaine façon. Est-ce que vous croyez qu’un jour on puisse arriver à un gouvernement de coalition ? Pour une raison simple c’est que, quand on parle avec les uns et les autres – je veux dire ceux qui sont raisonnables et qui ne sont pas dans les extrêmes – ils mettent, en général, assez peu de temps pour se mettre d’accord sur les 3-4 grandes réformes qu’il manque encore au pays. Alors, comment on fait surgir cela ? Parce que ce n’est pas la victoire d’un homme qui va décider de cela.

C’est très simple, il y a une seule question, bien qu’elle paraisse technique et pour initiés, qui est la règle électorale. Si l’on veut obtenir deux résultats, le premier c’est permettre d’obtenir des majorités d’idées. Il faut permettre à une majorité réformiste de se manifester pour que des gens qui partagent à peu près la même vision de l'avenir puissent s'entendre. Si on veut parallèlement obtenir un autre résultat, pour lequel je plaide, qui est un garde-fou contre des dérives extrémistes, alors il n'y qu'une seule chose à faire - ce que tous les pays européens continentaux ont fait sans exceptions - c'est d'avoir une loi électorale juste qu'on appelle la proportionnelle. On ne peut pas dire que l'Allemagne ne soit pas gouvernée, on ne peut pas dire que l'Espagne ou encore l'Italie ne soient pas gouvernées. Ces pays arrivent à bâtir les majorités que nous avons évoquées. Cette loi électorale juste permet à tous ceux qui pèsent dans le pays d'avoir une représentation. Je n'en demande pas plus. A partir de cet instant, on obtiendra le résultat que vous indiquez. C'est parfaitement compatible avec la Vème République parce qu'elle ajoute quelque chose que le général de Gaulle a voulu et qui me paraît juste, c'es que le gouvernement puisse échapper aux combinaisons parlementaires.

Allez-vous trouver votre place en 2017 ? Vous étiez le troisième homme en 2007 mais aujourd'hui le troisième est une femme et c'est Marine Le Pen. On a donc le PS, l'UMP, le FN…et vous dans tout cela ?

Il faut avoir la rigueur de dire que dans les intentions de vote nous sommes très hauts. 12 % alors que François Hollande est à 16 % en cas de campagne contre Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen. Ce n'est pas mon souhait.

Mais vous, vous avez intérêt à ce que la droite se droitise avec Nicolas Sarkozy, non ?

Non, je ne cherche pas mon intérêt. J'ai la chance d'être le représentant considéré comme légitime d'un courant d'opinion que je trouve important – autrement vous ne m'inviteriez pas – et j'ai la chance d'avoir une fonction politique à la tête d'une ville magique qui je crois est heureuse de cette situation. Je ne cherche pas mon intérêt particulier. Je ne cherche qu'une chose, que se bâtisse le grand courant réformiste, modéré et enthousiaste dont la France a besoin. C'est un but, oui, que je considère moi comme nécessaire. Considérer que les modérés sont gris, c'est quelque chose qui ne me convient pas du tout. J'essaie de montrer que l'on peut avoir une autre approche et une autre sensibilité. Bâtir ce courant dont la France a besoin, oui, c'est quelque chose qui me passionne et m'intéresse. Pour le reste, l'élection présidentielle est l'élection majeure et chacun prend ses responsabilités le moment venu.

Donc vous-y retournerez de toute manière ? Vous allez être candidat.

J'ai essayé de vous expliquer que mon appréciation pour Alain Juppé, c'est par ce que je trouve que c'est quelqu'un qui peut fédérer.

Oui, donc vous irez s’il ne gagne pas ?

Je serai libre et je verrai ce que je fais.

Dans votre ADN, il y a l'Europe. L'Europe aujourd'hui est assaillie de multiples problèmes. Il y a la guerre en Ukraine, la situation en Méditerranée et les flux d'immigrés avec ceux qui fuient et que l’Europe peine à accueillir. Comment vous situez-vous dans le débat actuel ?

Peine à accueillir ou à ne pas accueillir.

La commission a innové en proposant une allocation ou une relocalisation de ceux qui fuient et demandent l'asile, parce que la commission considère que certains pays font beaucoup et d'autres font très peu. On a entendu François Hollande sur ce sujet, qui s'oppose aux « quotas ». Or, c'est intéressant parce qu'à aucun moment la commission européenne ne parle de « quotas ». En France, on a un débat qui s'installe sur les « méchants européens » qui veulent imposer des quotas. Comment vous positionnez-vous sur ce débat ?

Tout d'abord, j'ai beaucoup de considération et d'affection pour Jean-Claude Juncker. Je pense que c'est quelqu'un qui a la dimension, l'expérience, la conviction et le courage de cette fonction. Deuxièmement, on ne peut pas laisser la pauvre Italie et la pauvre Grèce seules en première ligne, comme si cette affaire ne nous intéressait pas, et faire ce qu'un certain nombre de gens annoncent, c'est-à-dire fermer la frontière avec l'Italie pour que personne ne vienne, ce qui est illusoire. Il faut donc que l'on partage la double responsabilité qui est d'empêcher les trafiquants d'êtres humains de faire leur ignoble œuvre - qui constitue à mes yeux un crime contre l'Humanité – en les poursuivants et en empêchant les rafiots qui coulent sur la mer de partir. Leur stratégie est simple : on lance les bateaux sur la mer et les immigrants seront récupérés et amenés chez nous. On leur vend très cher, trois mille dollars, cette incroyable loterie. Il faut donc lutter contre cela. L'Europe et les pays qui ont une armée et une marine en Europe, et des satellites, sont tout à fait en état d'empêcher ce trafic. Troisièmement, il y a des questions qui relèvent de l'asile. Il y a deux impératifs à l'asile, qu'on le traite vite – aujourd'hui en France il faut des années pour dire si oui ou non on relève de l'asile et après si les gens sont là depuis 4 ou 5 ans, ils restent, ce qui est un manquement au principe – en fixant une règle de 6 mois que les pays européens traitent ensemble. C'est une question très importante. Ensuite, s'il est possible de faire en sorte que ceux qui veulent échapper au sort terrible qu'est le leur soient ramenés chez eux et qu'on apporte un peu d'ordre dans les pays où nous avons pris la responsabilité que se créer le désordre absolu – je pense à la Libye par exemple – il faut que les pays européens traitent cette question ensemble. La responsabilité de la France en Libye est très grande. Le Président de la République de l’époque, Nicolas Sarkozy, a pris cette responsabilité et je trouve que nous devrions ouvrir des conversations et un travail avec les autres pays européens – et l’Italie en particulier – pour savoir de quelle manière on peut en Libye essayer de sortir de l’immense chaos et désordre extrémiste et tribal dans lequel on se trouve.

Est-ce que la position de la France vous paraît claire ? Quand François Hollande dit « pas de quotas »…

Jean-Marie Colombani a dit à juste titre « personne n’a jamais parlé de quotas ». Les quotas, c’est tout à fait autre chose. On confond les mots et c’est pour cela que le travail sur les mots est très important. Le mot « quota » est utilisé par un certain nombre de pays, pour dire « nous sommes prêts à accepter des personnes qui viennent vivre et travailler chez nous selon les critères suivants : 300 mécaniciens, etc. ». Ça, ce n’est pas absurde ! Moi je pense qu’il n’est pas du tout interdit de penser que l’on régule l’immigration de cette manière ! Vous savez, c’est la carte verte américaine. Ce n’est pas absurde, je trouve même que c’est probablement un progrès par rapport au chaos que nous vivons actuellement et qu’il n’y aucune raison de ne pas traiter les problèmes sous cette angle.

Je voudrais que l’on parle aussi de ce qui se passe en Syrie : l’État islamique est à Palmyre, qui est un joyau de l’humanité, et où d’ailleurs les inscriptions sont en grec – comme quoi ça sert -.

C’est notre civilisation vous comprenez !

Quand Bachar el-Assad dit qu’il est militairement dépassé, faut-il le croire ou sait-il pertinemment que le cœur des occidentaux va saigner quand on va voir que le site de Palmyre est détruit ? Est-ce que c’est une technique pour revenir dans le giron et au fond pour que l’on aille l’aider ?

Je suis sur cette question en désaccord avec la plupart de mes amis. La plupart de mes amis était pour que l’on bombarde Damas et Bachar el-Assad. Et quand je dis la plupart des mes amis, je devrais dire la plupart des responsables politiques français ! Le premier à s’être exprimé en ce sens, c’est Nicolas Sarkozy ! Ce fut sa première déclaration après avoir été battu à l’élection présidentielle, ensuite François Hollande est de cet avis et Alain Juppé est de cet avis ! Moi, je n’ai jamais pensé qu’abattre ce qu’il y avait comme régime – que je n’apprécie pas – mais prendre la responsabilité d’abattre ce régime que je n’apprécie pas, j’ai toujours pensé que c’était ouvrir la porte à l’installation de Daesh et de l’islamisme à Damas. Donc moi, je ne partage pas ce sentiment de participation guerrière à ce qui se passe en Syrie. Je veux rappeler qu’un pouvoir français a invité Monsieur Bachar el-Assad à venir présider le défilé du 14 juillet ! Et à l’époque, nous n’avons pas été nombreux – je crois même j’ai été assez seul - à dire que c’était insensé, indigne et donc de ce point de vue il me semble qu’il y a un risque à être va-t-en-guerre.

Le « va-t-en-guerrisme » aujourd’hui, si j’ose dire, est totalement dirigé contre Daesh. S’il y a des efforts militaires qui sont d’ailleurs principalement aériens et curieusement faibles Parce que les récentes chutes auxquelles on assiste, on voyait des colonnes de voitures surmontées de leurs mitrailleuses sans aviation aucune.

Et on ne les a pas attaquées. Il serait intéressant de savoir pourquoi.

Exactement. Merci François Bayrou d’être venu sur le plateau de France 24. 

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