"Cette pratique du pouvoir conduit inéluctablement au blocage"

François Bayrou était, ce vendredi matin, l'invité politique de la matinale de France Info. Le président du MoDem a réaffirmé la nécessité de réformer les institutions du pays. Selon le Maire de Pau, "nos institutions conduisent inéluctablement à des affrontements".

Bonjour François Bayrou, vous avez de l’essence chez vous à Pau?

Oui, pour l’instant, mais comme partout on a connu des files d’attentes dans les stations parce qu’il y a de l’inquiétude autour de la situation sociale du pays. Cette inquiétude n’est pas prête de se calmer.

Les jours se suivent et se ressemblent, des interpellations, des policiers bléssés, un cégétiste renversé sur un barage hier à Fos sur Mer, dans la rue du monde toujours mais pas plus que d’habitude, le gouvernement peut-il parier sur l’essoufflement du mouvement?

Il y a deux questions que tout le monde voit bien, la première c’est une question de grande urgence : ce sont les risques de blocage du pays, surtout à l’approche de ce grand évènement que les autorités françaises ont voulu c’est à dire l’organisation de l’Euro de football en France. Cet évènement va braquer sur notre pays les yeux de l’ensemble de nos voisins européens et peut être encore plus largement, au-delà de nos frontières. Pour l’instant, on n'aperçoit pas de sortie parce que toute sortie qui serait offerte, serait une sortie en direction de la CGT et cela veut dire que le gouvernement abandonnerait ses positions et ses alliés de la CFDT.

Donc on ne retire pas la loi, on ne réécrit pas l’article 2?

C’est là où nous sommes aujourd’hui. Vous avez entendu hier des couacs très importants à l’intérieur du gouvernement et de la majorité avec le Président du groupe socialiste, d’un côté, le Ministre des finances, de l’autre, qui indiquait qu’il fallait songer à réécrire, ce qui aurait été un désaveu du Premier Ministre. C'est évidemment le signe, je crois, du départ inéluctable du Premier Ministre.

C’est le constat politique mais vous prônez quoi?

Il y a une deuxième chose : c’est l’interrogation autour de la manière dont on gouverne le pays. Tout le monde voit bien que cela ne peut pas durer ainsi. Cette pratique du pouvoir conduit inéluctablement au blocage, tout le monde voit bien que cela ne peut pas fonctionner.

Ceux sont des propos généraux, mais là, à court terme, on réécrit l’article 2, on retire la loi, quelle solution prônez-vous? 

Je pense que le gouvernement ne peut pas faire autrement que de résister sur le texte qu’il a lui même proposé. Pour autant, on n'aperçoit pas de sortie de crise sans qu’il n'y ait de recul. C’est le dilemme dans lequel le gouvernement s’est enfermé, la pratique du pouvoir s’est enfermée. 

C’est le grand paradoxe du quinquennat, fracture syndicale, une CGT anti-hollande alors que le Président est obsédé, on le sait, par la question du dialogue social. On est loin du dialogue social?

On en est très loin! On est très loin de tous les dialogues, pas seulement du dialogue social mais du dialogue politique qui, dans une démocratie, devrait permettre à tous les grands courants de réfléchir ensemble aux ententes qu’ils devraient trouver pour réformer le pays. Il faut comprendre que nous sommes le seul des pays continentaux européens dans lequel aucun accord ne se trouve possible, même s'il y a sur le fond des rencontres. Vous voyez bien qu’entre le texte qui avait été présenté par le gouvernement et ce que disait une partie de l’opposition, disons entre les réformistes, il y avait des accords et des rencontres possibles.  Cependant, il n’y aucun dialogue, aucune prise en compte, aucun respect réciproque et nos institutions conduisent inéluctablement à des affrontements. Ce n’est pas récent, ça dure depuis longtemps.

L’option du référendum est-elle absurde pour sortir de la crise? 

Je ne crois pas que le Président de la République se risque à un référendum aujourd’hui. Ce qu'il y a de plus vraisemblable, c’est que l’on cherche un compromis qui nous mène vers une porte de sortie. Cette porte de sortie conduirait inéluctablement à la démission du gouvernement et de Manuel Valls. Je crois que c’est ça le problème qui se pose.

Et l’option médiateur qu’on entend ici et là est-elle absurde ?

Le texte est devant le Sénat maintenant, il a été adopté au 49-3 à l’Assemblée par une épreuve de force que le gouvernement a ouvert et dont vous avez suivi les détails. Médiateur, ça voudrait dire que l’on retire les textes, si on retire le texte c’est la fin du gouvernement. Tout le monde voit que l’on est enfermé dans ce dilemme avec le tictac de l’horloge, le compte à rebours qui conduit à un éventuel blocage du pays d’ici quelques jours au moment de cet évènement sportif. Oui, on est vraiment enfermé dans une impasse, c’est une impasse qui pour le gouvernement et pour le Premier Ministre a une signification menaçante.

Pendant ce temps là, la primaire bat son plein à droite, vous intéresse-t-elle ? On cherche le centre dedans en ce moment car elle annoncée comme étant la primaire de la droite et du centre, on ne voit pas bien le centre.

Oui, parce que je ne suis pas sûr qu’il y ait du centre dans cette primaire. Vous voyez bien la question qui se pose : la primaire est un mécanisme de sélection dont on voit aux Etats-Unis, à l’instant Fabienne Sintes annonçait le résultat de la primaire républicaine, la primaire a conduit à la désignation de Donald Trump. Pourquoi ? Parce que la primaire donne un poids prééminent à ceux qui sont les plus durs, les plus radicaux, ceux qui veulent que ce soit des positions très dures qui s’expriment. Et donc Trump l’a emporté. De l’autre côté, il y a aussi ce poids prééminent de tous ceux qui veulent les positions les plus radicales. Ça, c’est le mécanisme de la primaire.

C’est ce qui va se produire en France ? C’est-à-dire la droite la plus dure va gagner ? Peut-être Nicolas Sarkozy? Alain Juppé ne sera pas candidat et vous vous le serez du coup ?

Ce n’est pas ce que je dis. Vous savez bien que j’ai de l’estime pour Alain Juppé et je le soutiendrai s’il est choisi. Il a voulu aller dans le mécanisme de la primaire, moi je redoute le mécanisme de la primaire. C’est une différence d’appréciation entre nous. Cela n’empêche pas aujourd’hui que ce soit celui qui apparait aujourd’hui comme pouvant rassembler le pays dans un moment où notre pays a un très grand besoin de rassemblement.

Monsieur Bayrou, vous avez été candidat en 2002, 2007, 2012, l’opportunité historique est là, elle est devant vous, vous venez de le dire, il n’y a pas de centre. Qu’attendez-vous honnêtement ? Vous allez être le premier politique à respecter sa parole ?

Et bien oui ! C’est peut-être une originalité, une singularité…

C’est dommage non ?

Je crois que c’est très intéressant et que ça apporte quelque chose au débat, quelqu’un qui a un socle électoral important - vous avez lu les sondages - qui puisse dire « écoutez, je suis prêt à travailler pour un autre. Je ne mets pas mon sort en premier, ni mon intérêt en premier, ce que je mets en premier c’est l’intérêt du pays ». Il y a des moments - et vous voyez bien que l’on est dans un de ces moments-là - où lorsqu’une personnalité peut être rassembleuse, il est intéressant de dire : « je tends la main et je peux travailler avec cette personnalité ».

Mais vous êtes aussi un stratège François Bayrou, c’est bizarre.

Vous dites : « c’est bizarre vous allez respecter votre parole ».

Oui, oui, je vous dis cela car on connait un peu la politique.

C’est peut-être bizarre mais je respecte ma parole.

Vous savez ce que dit votre ami de 40 ans, Jean Lassalle ? « Même Bayrou ne croit pas en la victoire de Juppé, il sait qu’il va perdre la primaire et il attend son heure ».

Ce sont des phrases qui n’ont pas de sens. Je n’entre pas là-dedans.

Le choix que j’ai fait de soutenir Alain Juppé s’il gagne la primaire est fondé sur l’idée que se rassembler est mieux que se diviser. Quand on a des valeurs en commun, une manière de voir les choses compatible, ce n’est pas si mal de pouvoir dire : « écoutez, je suis prêt à travailler avec quelqu’un d’autre, je tends la main pour que le pays se redresse ».

Vous connaissez les mots de François Mitterrand à votre égard - je le cite - : « un bègue aussi éloquent, un centriste aussi ferme, un catholique aussi laïc, François Bayrou sera un jour un redoutable candidat à l’élection présidentielle ». Laisserez-vous passer votre tour en 2017 ?

Vous regardez cela comme s’il s’agissait d’une aventure personnelle, comme si ce qui était important était le sort d’un homme. Je ne regarde pas les choses de cette manière. Je regarde cela comme une grande échéance dans un pays qui est dans une crise si profonde qu’il faut d’une manière ou d’une autre que l’on trouve une issue. Il y a une possibilité avec Alain Juppé. Si cette possibilité n’est pas remplie, je prendrai mes responsabilités. 

Vous disiez qu’il faut tendre la main aussi de l’autre côté. Est-ce que cela va jusqu’à Emmanuel Macron ?

On est dans des affaires de personnes, de courses de petits chevaux comme les médias les aiment. Il y a en France un courant réformiste qui a besoin d’être assumé et de s’exprimer. Ce courant est un courant central de la vie politique du pays. Pour l’instant, il est dispersé. Les personnalités qui ici ou là disent épisodiquement « moi j’appartiens à ce courant », c’est intéressant et il faut les prendre en compte. Mais Emmanuel Macron est ministre de l’Économie, on est dans une situation économique critique et pour l’instant on ne voit pas apparaître une politique différenciée. On ne voit pas apparaître des décisions et o,ne voit pas apparaître des propositions. Tout le reste, ce sont des jeux de posture. 

Son porte-à-porte qui commence demain simultanément dans 40 villes, est-ce du flan selon vous ?

Vous croyez qu’il y a besoin de porte-à-porte pour savoir où en est le pays ? Lorsque vous êtes un élu local, lorsque vous êtes un maire, lorsque vous avez des électeurs, lorsque vous avez des enfants, lorsque vous avez des voisins, vous n’avez pas besoin de faire des porte-à-porte pour savoir où en est le pays. Tout cela, ce sont des jeux de mise en scène pour vous, pour les médias !

Si vous deviez vous syndiquer François Bayrou, seriez-vous à la CFDT ?

J’ai été autrefois, il y a très longtemps, syndicaliste à la CFTC. C’est le courant réformiste, central, qui est le mien bien sûr.

Dimanche, il y aura une photo à Verdun pour l’histoire. Après Kohl-Mitterrand, ce sera Merkel-Hollande. Est-ce qu’il temps de faire quelque chose pour l’Europe ? Est-ce qu’il y a une mesure urgente que vous pourriez nous donner ce matin pour relancer la construction européenne ?

Je n’ai aucun doute qu’il y a des décisions à prendre pour l’Europe et je vais vous surprendre : ces décisions urgentes sont plus faciles à prendre qu’on ne le croit. Pourquoi ? La grande question européenne est que les citoyens découvrent des décisions qui sont prises à leur place sans qu’ils soient informés des questions élémentaires : qui prend cette décision ? Comment la prépare-t-on ? Qui va faire les grands choix ? Quand va-t-on les faire ? Même vous qui appartenez au 1 pour 1 million les plus avisés du pays, vous ne savez pas de quelles manières sont prises et préparées les décisions européennes. Tant que l’on ne voudra pas transformer l’Europe avec des principes de démocratie élémentaire - c’est-à-dire que les décisions européennes soient prises au vu et au su des citoyens - il y aura rejet. Le jour où on commencera à ouvrir le mécanisme de décisions aux citoyens, alors on découvrira que ce sont des questions pour nous. On a cette grande négociation sur un traité transatlantique avec les États-Unis. Aucun d’entre nous en sait ce qu’il y a dans le texte que l’on prépare. Est-ce que vous trouvez cela normal ? C’est notre droit élémentaire comme citoyen français et européen de savoir ce que l’on décide à notre place.

On vous réinvitera pour en parler Monsieur Bayrou. Merci.

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