"Cette incapacité à considérer ceux qui ne sont pas de votre avis est un signe de faiblesse"

François Bayrou, président du MoDem, était l'invité de "Face aux chrétiens" jeudi 9 avril, une émission en partenariat avec La Croix, KTO, Radio Notre-Dame et RCF.

Bonjour, bienvenu sur le plateau de KTO pour cette nouvelle édition de Face aux Chrétiens avec La Croix, Radio Notre-Dame et RCF. Notre invité aujourd’hui, François Bayrou, président du MoDem. Bonjour François Bayrou.

Bonjour.

Merci à vous d’avoir accepté notre invitation, vous serez interrogé dans cette édition de Face aux Chrétiens par Laurent de Boissieu pour La Croix, Louis Daufresne pour Radio Notre-Dame et par Romain Mazenod pour RCF. L’UMP a adopté sa méthode pour ses primaires présidentielles. Vous, vous êtes sur une position prêt à soutenir Alain Juppé s’il emporte cette primaire. En revanche, s’il ne l’emporte pas, on sent que, pourquoi pas, vous seriez de nouveau candidat à la présidentielle.

Non, je serai libre de mon choix.

Vous serez libre mais justement pourquoi ne pas dire que vous serez candidat si Alain Juppé ne l’emporte pas ?

Parce que ma décision n’est pas prise, parce que ce n’est pas une décision qui se prend à la légère et parce que ce n’est pas ce que je souhaiterais. Ce que je souhaiterais c’est que quelqu’un qui ait le profil d’Alain Juppé - qui corresponde à ce portrait-robot que je crois nécessaire pour la France, c’est-à-dire un homme de rassemblement, pas un homme d’agressivité et d’opposition des Français entre eux, quelqu’un qui a une expérience et une vision – puisse s’imposer et que nous fassions ensemble les rassemblements nécessaires pour que demain le pays soit géré différemment qu’il ne l’a été depuis 15 ans. Encore une fois, il ne s’agit pas de donner des leçons à la légère bien entendu mais vous voyez bien la situation dans laquelle la France se trouve. Si vous regardez attentivement les courbes : déficit et dette, commerce extérieur, chômage, ces courbes suivent toutes la même direction d’effondrement et cette direction n’a jamais changé pendant les 10-15 années qui viennent de s’écouler. Au début, le rythme était plus lent et puis à la fin le rythme s’est accéléré sans qu’il n’y ait de rupture entre la période de Nicolas Sarkozy et celle de François Hollande – duquel j’ai le droit d’être déçu. Ce qui veut dire, évidemment, que le mal est plus profond et qu'aucun des remèdes cosmétiques qu’on a prétendu appliquer - avec des déclarations chaque fois majestueuses – n’était adapté et n’a été soutenu dans le temps. C’est bien cela le mal français, l’impuissance politique française qui est pour moi le trait dominant des années qui viennent de s’écouler.

Est-ce que vous reconnaissez, actez, que la récente victoire de la droite aux départementales est aussi une victoire personnelle pour Nicolas Sarkozy ?

C’est évidemment un succès pour l’opposition mais c’est un succès pour l’opposition qui vient du rejet de la majorité, c’est un vote de contestation du pouvoir qui donc se porte vers les seuls bulletins disponibles qui sont les bulletins de l’opposition. Je vous rappelle que dans le grand sud-ouest de la France, qui est unanimement rose PS, il n’y a qu’un seul département où l’on ait réussi à renverser cette tendance – et c'est le plus intéressant du point de vue de la sociologie politique à laquelle Laurent de Boissieu s’intéresse depuis longtemps – c’est en Béarn. C’est là que le renversement principal s’est fait, c’est-à-dire autour de Pau. Et c’est à Pau que, d’une certaine manière, les choses ont été acquises pour le département. Je crois – je dis cela avec prudence et modestie – parce que nous avons une approche qui n’est pas la même que celle des autres et que, depuis la victoire aux municipales – dans une ville qui appartenait à la gauche depuis 42 ans – la manière dont nous entrainons la ville – plus encore que nous la gouvernons – tout cela est, aux yeux des électeurs, la marque d’une démarche qui, en tout cas pour eux, répond aux questions du moment.

Quelles sont, aujourd’hui, vos relations avec Nicolas Sarkozy quand il dit que le centre doit être matin, midi et soir avec lui ?

Je dois vous avouer que je n’ai pas de relation avec Nicolas Sarkozy sauf par médias interposés et par déclarations surprenantes.

Surprenantes. Vous n’en direz pas plus ? 

Non. Enfin, ce n’est pas léger comme déclaration. Voilà. Mais les journalistes qui les rapportent sont, je pense, de bonne foi parce que ce sont des rédactions de grands journaux.

Je ne comprends pas votre besoin de renouvellement à travers Alain Juppé sachant que c’est une caricature de l’énarchie qui est au pouvoir depuis des décennies, qui représente aussi une génération qui est peut-être un peu passée. Je ne vois pas très bien sur quoi vous voulez vous appuyer pour passer à autre chose.

C’est très frappant pour moi. D’abord, permettez-moi de retenir le critère démographique, de l’âge, que naturellement tout l’entourage de Nicolas Sarkozy s’applique avec une assiduité remarquable à coller sur l’image d’Alain Juppé.

Ce n’est pas mon intention.

En tout cas, pour moi, dans cette génération, Nicolas Sarkozy et Alain Juppé c’est la même génération, ils sont ensemble depuis très longtemps, je les ai connus ensemble puis fâchés, de nouveau ensemble puis de nouveau fâchés, j’ai une assez grande expérience de ces choses-là et des souvenirs assez précis parce qu’Alain Juppé était secrétaire général du RPR, j’étais secrétaire général de l’UDF et Nicolas Sarkozy était aussi un des responsables du RPR donc je sais exactement ce qu’il en est. C’est la même génération mais Alain Juppé a, pour moi un point positif, c’est qu’il a choisi une démarche de rassemblement. Il ne fait pas de la vie politique en France une guerre de tranchées entre deux camps avec désignation de coupable, mise en accusation, agressivité, déclarations du genre « c’est Hollande qui nous a conduits où nous sommes ». Au lieu de cela, il a choisi d’être un homme de modération et de rassemblement, ce qui permettra – je le souhaite – que se constitue en France une majorité nouvelle parce que – je voudrais que vous entendiez ce que je vais dire, je vais le dire sans marteler mais avec une gravité particulière – il est impossible de gouverner la France et de faire vivre ses réformes en continuant comme nous le faisons depuis des décennies à opposer deux camps artificiels l’un à l’autre, car il n’y a plus de camp de gauche et il n’y a plus de camp de droite puisque le Front national occupe au moins la moitié de l’espace de la droite, ou dit de la droite. Le centre, lui-même, a une revendication d’existence. Si vous voyez cela, alors vous comprenez tout d’un coup quelque chose qui est extrêmement simple, le jour où vous remplacez le Parti socialiste et François Hollande par l’UMP et Nicolas Sarkozy – à supposer que ce soit ses partisans qui l’emportent et qui le veuillent – vous vous retrouvez exactement dans la même configuration : vous avez contre le gouvernement nouveau, contre ce souhaité Sarkozy II, toute la gauche contre et tout le Front National contre. Ces deux camps qui s’opposent au pouvoir font 75% des voix.

Alain Juppé est le meilleur candidat de la gauche, si l’on vous suit. Et vous voulez vous mettre dans les rangs du meilleur candidat de la gauche.

Si vous permettez, c’est un argument que je considère comme pas très digne du média que vous représentez ici. C’est un argument polémique extrêmement simple.

Oui mais justement, comme la gauche n’existe plus, en fait cela se tient votre argument puisque, comme la gauche n’existe plus, il y a une recomposition, si l’on vous suit, et donc le centre est déporté un minimum vers la gauche et il faut rassembler tout ce qui n’est pas Front National.

La droite, que vous prétendez voir exister, n’existe plus parce que cette droite-là est coupée au moins en deux entre 25 % du Front national et 25 % de l’UMP, en mettant les chiffres au mieux pour l’UMP. A utiliser perpétuellement cet argument de droite contre gauche, on plaide une seule chose, mais qu’il faut que vous ayez le courage d’assumer, c’est la revendication de réunion entre l’UMP et le Front National. Il y a des gens qui pensent cela, des gens tout à fait notoires, et c’est cela que vous êtes en train de dire.

Mais j’essaie de comprendre votre position.

Non, vous n’essayez pas de comprendre. Pardonnez-moi, je vous dis cela sans aucune acrimonie parce que c’est le débat politique et je suis assez capable de voir les argumentaires, les éléments de langage, comme on dit. Quand on dit ce que vous avez dit, « au fond, vous soutenez Alain Juppé parce que c’est le meilleur candidat de la gauche », on dit « je souhaite l’union de l’UMP et du Front national » mais alors dites-le, assumez-le. C’est exactement la même chose.

Je n’ai pas dit ça.

Ne me dites pas « Je n’ai pas dit ça » ! C’est ce que vous avez dit, cela se voit. C’est comme cela que la primaire va se jouer, et c’est sur ce point – pour répondre à la question que va poser Laurent de Boissieu – que j’ai en effet comme une réticence en face de la primaire parce que c’est une prime à la simplification, à l’agressivité, au choix de ce qui cogne le plus. Cela en effet pèse d’un poids plus lourd dans un petit électorat que dans un grand électorat.

Vous êtes très très constant dans ce que vous préconisez depuis longtemps sur ce rassemblement au-delà du clivage droite-gauche actuel, mais j’ai tout de même une question : vous transposez vos idées sur Alain Juppé, mais il est celui qui a créé l’UMP en 2002, qui était le premier président de l’UMP, que nous n’aviez pas voulu rejoindre, à l’époque. C’est un homme de droite. En quoi Alain Juppé ferait cette politique par delà la droite et la gauche que vous attendez ?

Monsieur Daufresne, veuillez prendre note de ce que dit Laurent de Boissieu. Vous vous dites « Mais Alain Juppé est un effroyable homme de gauche » et Laurent de Boissieu vient de dire « Mais c’est un effroyable homme de droite ». Je dis : quelle est l’identité politique d’Alain Juppé ? C’est un gaulliste, il est de cette famille depuis toujours, modéré, c’est cela Alain Juppé.

Social ? Modéré ?

Réformiste.

Libéral ?

Et social-libéral. Libéral en économie avec une aspiration sociale marquée.

Et cela vous convient.

Moi, cela me convient parce qu’il a, en même temps, l’expérience et la volonté de rassemblement. En politique, il ne s’agit pas de faire des déclarations seulement, il ne s’agit pas de dire des mots, lire des discours écrits, il s’agit d’être. Le plus important en politique ce n’est pas ce que l’on dit c’est que l’on est. Quand vous voyez Alain Juppé, c’est un homme du centre-droit, de droite modérée. Mais la modération dans les attitudes humaines, dans la capacité de s’adresser à quelqu’un qui n’est pas de son camp, c’est très important. Dans les déclarations de Nicolas Sarkozy qui défraient la chronique en mon endroit ces jours-ci, ce qui est frappant pour moi ce n’est pas qu’il y ait un affrontement politique – il y en a toujours eu et puis entre Nicolas Sarkozy et moi ce n’est pas tout à fait nouveau – mais qu’en France on ait besoin d’un Président de la République qui sache écouter les gens même ceux qui ne sont pas d’accord avec lui. Qu’il sache non pas en faire des cibles, « il est de gauche », « il est du centre », « quelle horreur », mais qu’il sache entendre ce que disent des gens à peu près construits et qui ne sont pas de son avis parce que le Président de la République n’est pas le président d’un parti c’est le président d’un pays, d’une nation, d’un peuple, d’une communauté humaine diverse et qu’il faut savoir entendre. Cette incapacité à considérer ceux qui ne sont pas de votre avis autrement que comme des adversaires et même des ennemis, à mon avis, c’est un signe de faiblesse. La France n’a pas besoin d’un président empli d’agressivité.

Et donc Alain Juppé, on l’a compris, a cette capacité.

Alain Juppé, à mes yeux, a ce mérite, il est dans un moment où il est plutôt placé pour incarner cette vision-là. C’est une vision dont la France a besoin parce que – ce sera ma dernière phrase sur le sujet – si pour des nombreux millions de Français, ils n’avaient sur la table comme candidat crédible que Hollande, Sarkozy et Le Pen, ceux-là ne trouvent pas leur place, leur vision, ils ne trouvent pas ce qu’ils attendent. Ils en seraient extrêmement malheureux, on ne sait pas où irait leur vote et, en tout cas, le contrat démocratique ne serait pas rempli.

François Hollande, en tout cas, au début de son quinquennat, vous a déçu mais cette poursuite de quinquennat, notamment avec Manuel Valls Premier Ministre, Emmanuel Macron à l’Economie, rejoint vos préoccupations.

Dans les mots oui. Dans les réalités non.

Alors pourquoi les frondeurs du PS ne sont pas contents si ce n’est que dans les mots et pas dans la réalité ? C’est tout de même qu’il y a un minimum de réalité.

Parce que les frondeurs du PS ne s’intéressent qu’au côté économique et social. Mais je m’intéresse à beaucoup d’autres côtés. Je vais prendre un exemple très simple : la prétendue réforme du collège, quel est son premier effet ? C’est de supprimer les langues anciennes, la formation humaniste, la tradition classique du latin et du grec. Or, ceci est un déni d’égalité des chances parce que naturellement, quand vous êtes les enfants de gens qui ont une formation et une espèce de facilité culturelle, avec des livres à la maison, naturellement vous parlerez bien. En parlant bien, naturellement, vous aurez votre place dans la société beaucoup plus aisément que ceux qui ne savent pas parler. La clé – je vous le dis en amoureux de ces humanités – pour découvrir la profondeur du langage quand vous n’êtes pas né dedans ou dans le milieu qui convient, ce sont les humanités classiques. La clé c’est que vous compreniez que les mots ont une histoire et que ces mots ont des nuances et si vous fouillez dans l’histoire des mots, par exemple dans l’étymologie très simple alors vous allez découvrir des tas de choses que les autres ne savent pas, quel que soit le milieu social d’où vous venez. Donc le choix de supprimer à ceux qui n’ont pas cette chance à la maison ces clés-là, c’est un déni de politique sociale. Et c’est un déni sur le plus important qu’est la formation des esprits et des futurs citoyens. Voilà pourquoi ce sont des mots, ils disent « On va reconstruire l’éducation nationale », hélas ils la ruinent. Et on pourrait dire la même chose pour les langues vivantes. Dans les mots, c’est une chose, dans la réalité c’est une autre chose. Je prends un deuxième exemple : l’architecture des collectivités locales. On nous avait dit « On va simplifier, ce sera plus compréhensible, plus lisible et cela coûtera moins cher », qu’est-ce que l’on a fait ? Exactement le contraire. On nous avait dit « Attention on va supprimer les départements pour les fusionner avec les régions » et bien vous vous trouvez désormais avec une obligation plus grande d’avoir des départements puisque les régions sont plus loin et avec un nombre d’élus beaucoup plus important ce qui fait que cela va coûter beaucoup plus cher. Ceci est un déni de l’impératif démocratique de simplification et de compréhension. 

Ils disent mais ne font pas.

Dans la réalité, cela ne correspond pas à ce que l’on annonce, au contraire  cela va en sens inverse. Il est vrai aussi qu’il y a eu un temps où Nicolas Sarkozy proposait de supprimer le latin et le grec, c’est tout à fait exact. Mais pour moi, et beaucoup de millions de personnes, nous pensons, nous affirmons et nous revendiquons le droit de nos enfants à être formés.

Ce qui est en train de se passer entre Jean-Marie Le Pen et sa fille, est-ce que c’est de nature à affaiblir le Front National ou au contraire cela peut clarifier la situation et alléger Marine Le Pen d’un héritage un peu lourd ?

Je n’en sais rien. Mais cela n’est pas l’essentiel, ce n’est pas une considération tactique, c’est que Jean-Marie Le Pen dit des choses qu’il sait être insupportable à entendre. Je prends là-encore un seul exemple : dire « Les chambres à gaz c’est un détail de l’histoire », pardonnez-moi de vous dire que les chambres à gaz c’est l’essentiel de l’histoire. Je veux dire que le nazisme se concentre tout entier dans une entreprise d’horreur qui n’avait jamais été conduite dans l’humanité sous cette forme qui est la tentative d’éradication d’un peuple, d’enfants, de femmes, de gens désarmés, malades, en raison de leur origine et cela sous forme industrielle. C’est cela que les chambres à gaz disent. C’est essentiel parce que cela va plus loin que le camp, la chambre à gaz c’est l’éradication sous forme industrielle en raison de l’origine et de la religion, en tout cas de l’appartenance à une communauté dont la religion est la marque et à laquelle dans une émission qui s’appelle Face aux Chrétiens on devrait être assez sensible.

Vous avez répondu sur le fond des déclarations de Jean-Marie Le Pen mais pas sur les conséquences, sur la montée en puissance du Front National, sur ces désaccords entre la fille et le père, quelles conséquences cela peut avoir sur le plan politique ?

Je ne sais pas et au fond cela ne m’intéresse pas essentiellement. Je vois très bien de quoi il s’agit. Jean-Marie Le Pen a choisi une nouvelle fois la transgression pour deux choses : d’une part pour assurer une existence médiatique et deuxièmement pour affronter le clan de Marine Le Pen. Cela a un côté de guerre intestine peut-être même un côté atride puisque l’on est dans le latin et le grec. Et donc c’est cela qui est frappant ! Après est-ce que ce sera un plus ou un moins électoralement, je ne sais pas. Ce que les élections ont montré sur ce plan c’est d’une part l’impact électoral du Front National parce que le score qu’il a obtenu – de 25 % -, c’est un score qu’il a obtenu dans la plupart des cantons sans candidat connu et identifié, simplement avec des noms et une étiquette. Et les candidats n’avaient pas grande importance. Si on avait regardé, on aurait parfois été stupéfait ! Donc c’est la marque qui l’a emporté. Très gros premier tour, très faible deuxième tour. Alors il y a une part qui tient aux institutions, je peux en parler savamment, mais il y a une part aussi qui tient au fait qu’une majorité de l’électorat ne veut pas se laisser entraîner et donc n’élit pas au deuxième tour les candidats du Front National. Je pense que la question qui se pose au Front National  c’est : « est-ce que Jean-Marie Le Pen conduit sa liste en PACA ? ». Il me semble que la réponse aujourd’hui s’oriente soit vers plutôt non, soit vers une scission.

Il y a des élections régionales qui arrivent en décembre. Au MoDem, vous avez eu la plupart de vos conseillers départementaux en alliance avec la droite, vous en avez eu certains en autonomie et un avec la gauche, mais globalement c’est avec la droite. Quelle sera votre stratégie pour les régionales ?

D’une part, on se trompe en voulant décalquer sur la réalité locale la réalité des appareils nationaux. Les diatribes pour ne pas dire les insultes dont les meetings permettent l’apparition, les sifflets, les applaudissements, les huées, sont des choses qui appartiennent aux appareils nationaux. Mais dans la réalité locale, d’homme à homme, de femme à homme ou de femme à femme, il n’y a pas ce genre de rapports. C’est évident que dans l’Aquitaine actuelle et dans la future région qui n’a ni queue ni tête, qui met dans la même région Limoges, Bressuire et la Vallée d’Aspe, c’est-à-dire plus de 1100 kilomètres pour relier les trois villes, évidemment que là on se parle, on discute, on essaie de trouver la meilleure réponse possible, on essaie de faire travailler ensemble des gens différents, mais des gens qui s’estiment ! Il n’y a pas du tout ce genre d’acrimonie sur le terrain et c’est vrai dans à peu près toutes les régions.

Les étiquettes ne comptent pas, c’est cela que vous nous dites ?

Je ne dis pas que les étiquettes ne comptent pas bien entendu. Les grands partis ont un privilège, il ne faut pas dire le contraire. Mais en tout cas les relations ne sont pas ce que les appareils politiques et les débats télévisés parisiens indiquent.

Mais concrètement, les candidats MoDem, ils seront sur des listes autonomes ?

C’est une question qui est devant nous et que nous avons à trancher. L’étape où nous sommes aujourd’hui et qui durera quelques jours est de savoir qui sont les meilleurs dans chaque région. Il y aura des chefs de file dans chaque région qui seront choisis pour être éventuellement en situation de conduire des listes et en même temps en souhaitant des rassemblements.

Avec les uns ou avec les autres ? Vous n’excluez rien ?

Si, je n’aperçois pas des raisons qui feraient qu’il y aurait des alliances avec la majorité actuelle. Cela me paraît complètement à côté tant la déception d’un côté et les choix idéologiques de l’autre maintenus parce qu’il faut bien tenir ensemble toutes les parties du PS, me paraissent à 1000 lieux de ce que nous croyons bon pour le pays.

Vous avez dit « la gauche n’existe plus, la droite n’existe plus ». Mais alors le centre, dans un univers où la gauche et la droite n’existent plus, comment se situe-il précisément ?

Le centre serait un parti dominant s’il acceptait d’exister. La question politique, c’est la même que la question existentielle pour chacun d’entre nous. La question principale c’est : « to be or not to be ». Êtes-vous une force d’affirmation, de proposition, sereine, capable de discuter avec les autres, ou est-ce que vous êtes une succursale, c’est-à-dire dépendant de choix qui sont extérieurs à vous ? L’UDI, pour beaucoup de ses dirigeants cela est décidé – va participer à la primaire, mais ils n’ont pas eu leur mot à dire dans l’organisation de ces primaires. Malheureusement, il arrive assez souvent que les choix, les pentes, j’allais dire les dérives, les conduisent à être en situation de succursale et de ne pas être même associés à la fixation des règles qu’on va les inviter à appliquer.

Fixation des règles qui leurs sont plus favorables qu'à l'UMP car ils n'ont pas besoin d'un nombre minimum d'élus …

Oui mais vous voyez la condescendance. Oui, certes, puisqu'il est souhaité qu'ils participent. J'allais même dire avec un brin de malignité, qu'ils participent le plus nombreux possible de manière à fixer des voix. Tout cela est tellement transparent ! Il ne faut pas être agrégé de science-politique pour comprendre le jeu. Mais vous voyez, on ne leur demande même pas leur avis. On les cajole, on leur tapote la joue, on multiplie les salamalecs mais on ne leur demande pas leur avis. Les règles se fixent à l'endroit où est la réalité du pouvoir, et vous reconnaîtrez là un combat qui est le mien depuis longtemps, qui est celui de l'autonomie de l'existence d'un courant assez fort, assez courageux, assez indépendant pour être par lui même une proposition au pays. Pas à lui seul – vous voyez la différence que je fais – mais par lui même et capable après de discuter avec d'autres comme ça se fait dans toutes les démocraties de plein exercice du monde.

Mais en France cela passe par l'élection présidentielle. C'est la Vème République. Vous la critiquez mais c'est ainsi.

Non je ne la critique par sur ce point - vous qui suivez avec attention la vision politique des uns et des autres avec suffisamment d'expérience aussi - je ne suis pas critique de la Vème République sur son critère présidentiel.

Je vais vous faire une confidence, quand j'avais 20 ans je pensais à peu près les mêmes choses qu'aujourd'hui - comme j'ai écrit des éditoriaux toute ma vie avec une fréquence mesurable c'est assez facile à trouver – sauf sur un point : j'étais autogestionnaire. Je pensais que les communautés humaines avec suffisamment de bonne volonté pouvaient se conduire elles mêmes. Je venais des milieux de la non violence et donc j'étais autogestionnaire.

Et aujourd’hui ?

Aujourd'hui je pense qu'il faut des leaders. Il faut des leaders et je sais que l'élection présidentielle a se mérite. Le jour où le peuple le décidera, il peut changer l'orientation et le paysage politique du pays. L'élection présidentielle est donc l'élection majeure de la vie politique française.

Ce nouveau mode de gouvernement ou d'entrainement du pays que j'appelle de mes vœux et qui s'imposera un jour ou l'autre, c'est évidemment le moment où il peut se présenter aux Français et les convaincre et se faire entendre.

J'ai vécu un moment très impressionnant en 2007 parce qu'on a failli franchir ce seuil – on n'y est pas tout à fait arrivé, sans doute de ma faute et du paysage politique – mais c'est évidemment très important qu'il y ait un moment politique où l'on puisse se livrer à ce débat là et convaincre sur ce point. Je n'ai donc jamais été contre l'élection du Président de la République au suffrage universel, au contraire. En revanche, je suis critique des modes de scrutin.

Nous avons vécu un psychodrame médiatique avec l'histoire de la RATP qui avait refusé de mettre la mention « au profit des chrétiens d'Orient » pour un concert, finalement elle a fait machine arrière, sous la pression apparemment d'un unanimiste de la classe politique qui devrait peut être vous ravir. Comment avez-vous interprété cette histoire et auriez-vous agi différemment si vous aviez été aux responsabilités ?

Je l'ai vécu comme le triomphe, heureusement passager, suivi de la défaite de la bêtise. De la bêtise la plus absolue et du contre sens que l'on peut faire du mot « laïcité ». Il se trouve que la laïcité ce n'est pas refuser la mention d'une religion mais de permettre aux religions de vivre ensemble.

Vous avez que je suis chrétien, croyant et même pratiquant – on ne peut pas dire que ce soit la majorité de l'espèce dans le monde politique comme disait Audiard – et en même temps je suis un défenseur des principes de laïcité. J'ai suffisamment travaillé et écrit sur les guerres de religions, en pensant ou en écrivant qu'elles n'étaient pas finies, au contraire de ce que tout le monde disait...

Pour les gens elles appartenaient à l'Histoire.

C'était il y a quatre siècles et aujourd’hui on découvre qu'elles ne sont pas finies et qu'il n'y a qu'une voie que l'humanité ait trouvé pour permettre aux gens de vivre ensemble et c'est la voie de la laïcité en France. Alors cela peut prendre des formes différentes, mais en gros c'est cela. Qu'est-ce que c'est que cette laïcité qui permet aux gens de vivre ensemble ? C'est la distinction de la loi civile qui s'applique à tout le monde, de la loi religieuse qui s'applique à ceux qui y adhèrent. Ces deux lois n'interfèrent pas l'une sur l'autre. Une fois que l'on a dit cela, alors on comprend beaucoup de choses qui sont éminemment vitales et en même temps très simples.

Comment réagissez-vous quand vous entendez le président du CFCM Dalil Boubakeur demander deux fois plus de Mosquées d'ici deux ans ? C'est de la surenchère ?

Je pense que c'est interne à cette organisation. C'est une manière je crois – je connais bien monsieur Boubakeur – d'essayer de créer des rapports de force à l'intérieur. Il me semble que de ce point de vue là, il faille l'interpréter à la lumière des rapports internes. C'est très compliqué et très difficile.

Il s'est compromis en allant au rassemblement du Bourget de l'UOIF selon vous ?

Non... qu'il y ait des rapports entre les différentes sensibilités des musulmans de France, ça leur appartient vous comprenez ? Que dit la laïcité ? Elle dit que les affaires religieuses sont de l'ordre de la religion. Ce n'est pas à la loi civile de s'occuper des positions de l'Église de France.

La loi de 1905 dit des choses assez précises – vécues en leur temps comme des choses tolérantes et ouvertes, y compris à l'égard de la religion. Si on relit les textes et les débats de préparation de la loi de 1905, on verra que de très grands noms de la partie laïque de la société, même militante et de gauche, ont eu des positions ouvertes.

Question très courte et précise sur des points qui ont été soulevés autour de la laïcité. Est-ce que selon vous, dans les crèches, il peut y avoir du personnel voilé et d'autre part est-ce que des mères islamiques peuvent accompagner les enfants lors d'une sortie scolaire ?

Qu'est-ce qu'un voile islamique ? Quand on dit voile islamique, on pense au Tchador.

On peut dire signe ostentatoire si on reprend la loi...

La circulaire que j'avais rédigée moi même.

Excatement.

La circulaire que l'on appelle « Bayrou ». Cela veut dire que les religieuses sont interdites de citer dans ce monde là, dans cet univers là. J'essaie de ne pas avoir des positions qui seraient des postions d'antagonismes à l'égard des religions.

Si vous demandez s'il faut reprendre la querelle des jeunes filles voilées dans les universités, ma réponse à moi est que je ne préfère pas. J'ai pris, comme on le disait à l'instant, la circulaire sur le voile au collège et au lycée. Vous vous souvenez qu'à l'époque ça avait fait débat. C'est le moins que l'on puisse dire. Je l'ai fait parce que se sont des jeunes filles mineures. Les exemples étaient nombreux de pression sur ces jeunes filles par l'univers masculin. Je ne dis pas aussi qu'il n'y en pas à l'université, mais ce sont des jeunes filles majeures. Cela fait une grande différence. Je fais très attention à ne pas faire revenir ce genre de débat, de la même manière que quand Nicolas Sarkozy dit qu'il est contre les menus de substitution dans les écoles, j'ai posé une question très simple : pendant des décennies et peut être des siècles, la majorité des familles françaises préféraient que leurs enfants ne mangent pas de viande le vendredi parce que c'était un signe…

Un signe de quoi ? D'appartenance ?

Oui, ou du moins un symbole de ce qu'elles étaient. Non pas qu'elles aient pensé que c'était un grave péché, ce n'était pas ça la question, mais c'était simplement pour elles de se souvenir de ce qu'elles étaient. Est-il laïque aujourd'hui pour ces familles traditionnelles de les obliger à manger de la viande le vendredi ? Est-ce cela la laïcité ?

C'est pourquoi j'ai eu cette formule : « je ne mets pas la laïcité dans l'assiette des enfants ». C'est tout à fait autre chose. À Pau, nous avons décidé d'avoir des menus végétariens, offerts à tous les élèves qui le souhaiteNT parce que là, au moins, on peut être certain qu'il n'y aura pas ce traitement communautariste des choses. En même temps on ne violentera personne.

Vous comprenez c'est toujours la même idée ! La laïcité ce n'est pas fait pour lutter contre les religions mais de permettre aux membres du même pays de vivre ensemble, en se respectant et en ayant un peu de distance à l'égard des signes de différenceS. On n'est pas là pour demander aux juifs d'oublier qu'ils sont juifs, de demander aux musulmans d'oublier qu'ils sont musulmans, de demander aux catholiques d'oublier qu'ils sont catholiques et demander à ceux qui n'ont pas de religion de faire le signe de croix. On est là pour que toutes ces familles puissent vivre ensemble.

Si je peux même élargir le propos – et c'est pour moi un choix politique essentiel – la politique, à mes yeux, ce n'est pas fait pour imposer ses idées aux autres. C'est fait pour défendre ses idées, leurs permettre de s'enraciner mais aussi pour permettre que toutes ces idées différentes puissent vivre ensemble. Ce n'est pas seulement dans l'univers religieux que la laïcité doit s'imposer. A ce titre, il y a une très belle déclaration de Jules Ferry sur toutes ces questions, dans une très belle lettre aux instituteurs à la fin du XIXème siècle. Il leur dit ceci : « vous posez des questions sur la manière d'aborder des sujets moraux, et je vais vous donner une clef de réponse, elle est très simple : avant de parler, demandez vous si une seule des phrases que vous allez prononcer peut choquer un seul des parents des enfants que vous avez en face de vous . Si oui, ne la prononcez pas. Si non, avancez hardiment, c'est la morale universelle du genre humain ». On gagnerait parfois à relire ce genre de déclarations.

Je voulais vous poser une question sur l'Europe. Traditionnellement c'est la marque de fabrique du centre. Comment expliquer que vous n'arrivez plus à proposer un projet européen qui mobilise et qui donne de l'espoir aux Français ?

Peut-être y a-t-il de notre part un manque d'élan mais je crois que nous avons un projet européen qui mobilise. Je prends un exemple simple : vous pensez que ça va durer longtemps le fait que la France soit la seule à entretenir une armée qui intervient au nom de l'Europe, comme c'est le cas en Afrique ? Pour moi en tous cas, il est urgent que nous batissions une stratégie de défense commune et que nous en partagions la charge. Le fardeau, comme on disait autrefois sous d'autres latitudes, est commun, la défense est commune. Parler, bâtir, construire la défense commune, la financer, voilà pour moi une politique indispensable pour l'Europe.

On en est loin…

On en est terriblement loin parce qu'il y a des tas de forces qui se réjouissent que l'on n'ait pas cela. Il y a des tas de tendances dans l'opinion qui en réalité se régalent des difficultés, des échecs, des insuffisances de tous ceux qui ont à proposer quelque chose qui soit européen.

On a aussi l'urgence de bâtir une convergence sociale eu Europe pour que les charges des uns ne soient pas du dumping par rapport au montant des charges des autres, des charges sociales sur le travail.

Ce qui suppose une convergence fiscale également.

Ce qui suppose convergence sociale, convergence fiscale. Cela ne veut pas dire que l'on abandonne son identité, que l'amour de la langue française, de la patrie française, de la vocation française disparaisse ! Simplement, on décide qu'il faudra jouer à armes égales et en partageant des charges que l'on ne pourra pas assumer tout seul. Pour moi c'est cela l’enracinement de la vocation européenne.

En Afrique, au Kenya où les chrétiens d'Orient sont aujourd’hui persécutés, que peut faire et que doit faire la France ? Faut-il agir de façon plus forte militairement ? Faut-il agir en concertation avec l'ONU ou agir seul ?

Il faut que la France retrouve sa vocation. Je vais me déplacer un peu dans l'espace géographique. Vous savez que je me suis opposé fortement à ceux, pour une fois du même avis, qui voulaient qu'on bombarde la Syrie : le premier, Nicolas Sarkozy, qui avait fait une tribune retentissante – c'était sa première prise de parole après son échec – en demandant qu'on bombarde la Syrie, puis François Hollande et ensuite Alain Juppé, les trois étaient du même avis. Laurent Fabius aussi.

J'avais traduit cet espèce d'incompréhension qui était la mienne. Je ne connais pas un seul des chrétiens d'Orient, une seule des communautés si nombreuses et si subtilement différentes des chrétiens d'Orient, qui voulait qu'on se lance dans une aventure de cet ordre. J'y voyais le même type d'imprudence criminelle, où en tous cas très inquiétante, que nous avons déroulée en Libye, en intervenant sans réfléchir à l'issue et en prenant des décisions et des actes lourds qui ont conduit à répandre dans la nature des milliards de dollars d'armes létales.

Et qui nous reviennent aujourd'hui…

Responsabilité française. Du gouvernement de l'époque, de Nicolas Sarkozy et de quelques autres. Que le France retrouve sa vocation ! La vocation de la France c'est d'être protectrice de ces communautés, ou du moins être auprès de ces communautés un interlocuteur bienveillant et un intercesseur dans le jeu international. Premièrement. Deuxièmement, il faut que la France, si elle le peut - je crains qu'il ne soit un peu tard - abandonne les positions systématiques qui sont le siennes pour devenir l'interlocuteur de tout le monde.

Tout le monde jusqu'à ?

De tout le monde dans cette région. La France était celle qui parlait avec tout le monde.

De ne pas s'aligner sur l'OTAN ?

J'étais contre l'adhésion, ou du moins le retour dans le commandement intégré de l'OTAN. Je considère que là encore ça n'a pas été réfléchi. Quand vous dites s'aligner sur l'OTAN, permettez-moi de dire que c'est une formule rapide. De ne pas s'aligner sur la politique diplomatique actuelle des Etats-Unis. L'OTAN n'est pas une volonté politique, cependant le jour où nous avons décidé de rejoindre le commandement intégré, nous avons fait un geste politique et que tout le monde a interprété comme tel sans réfléchir aux conséquences, sans se rendre compte qu'il n'y avait pas de ticket de retour. La France avait gagné une position singulière, une originalité dans le débat diplomatique, ce jour-là, elle l'a perdue.

Peut-elle la retrouver ?

Elle devra d'autant plus la retrouver qu'elle travaillera à retrouver son équilibre et sa puissance parce que tout cela est extrêmement lié. Si la France pèse moins c'est parce que la France est plus faible et que tous ses dysfonctionnements que nous avons soulignés à travers du temps – une vie politique incapable de soutenir un effort de long terme, de faire parler entre eux des gens finalement assez proches, le fait que nous ayons accumulé les déficits et les dettes – conduisent à une chose évidente qui est que nous avons abandonné une partie de notre indépendance. Or, le concert européen sera d'autant plus intéressant ou favorable à la France que nous serons une voix indépendante ! Une voix assez puissante pour soutenir son indépendance. Vous voyez que tout cela, on en est loin, résultat de 15 ans au moins de glissements et d'abandons. En tous cas on n'a pas fait ce qu'il fallait faire.

Très bien merci beaucoup François Bayrou. Ces cinquante minutes en votre compagnie sont passées très vites. On a encore beaucoup de questions à vous poser mais ce sera pour une prochaine fois. 

 

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