"C'est une crise qui va rendre notre pays ingouvernable"

Invité de Ruth Elkrief sur BFM TV hier soir, François Bayrou a estimé qu'avec la démission de l'exécutif, nous entrions "dans une nouvelle époque".

Ruth Elkrief - Bonsoir François Bayrou, merci beaucoup d’avoir accepté notre invitation. Vous présidez le MoDem et êtes maire de Pau.

François Bayrou - Bonsoir.

Cette crise de gouvernement, est-ce une péripétie ou est-ce une crise majeure pour vous ?

C’est une crise majeure dont tout le monde doit prendre la dimension parce que c’est une crise qui va rendre notre pays ingouvernable. Alors bien entendu, tout cela était inscrit dans les événements qui se déroulent depuis des mois et même des années. J'ai même souvent à votre plateau expliqué qu’il y avait désormais au sein de la gauche une fracture, une rupture qui allaient mettre en confrontation deux courants qui ne sont d’accord sur aucune orientation fondamentale. Cette crise a maintenant atteint son stade terminal. On est entré dans une nouvelle époque. Cette nouvelle époque, elle va évidemment faire naître d’extrêmes difficultés. Tous les citoyens français, tous ceux qui ont la responsabilité du pays doivent en prendre la mesure.

Est-ce qu’il n’y a pas une clarification ? Vous le dites vous-même, il y avait deux lignes au sein du gouvernement, deux gauches et peut-être qu’aujourd’hui il n’y en aura plus qu’une seule et ce sera plus clair ?

Il n’y a plus de majorité dans le pays. Évidemment, vous avez fait les calculs sur vos plateaux tout l’après-midi : il n’y a plus de majorité numérique à l’Assemblée nationale, il n’y a plus de majorité politique. Tout cela est extrêmement lourd de conséquences. C’est l’ambiguïté profonde, qui a été celle de la gauche depuis 15 ans, qui est en partie responsable de la situation et tout ceci se traduit en conséquences dramatiques pour la politique, pour la France et pour l’économie du pays. En vérité, il y a 15 ans que la France dévale une pente. On est aujourd’hui en vitesse accélérée. Et il devrait appartenir aux responsables politiques conscients de prendre la mesure de cette extrême faiblesse de la politique dans notre pays.

Tout à l’heure Arnaud Montebourg, l’homme par qui la crise est arrivée, a dit "les politiques de réduction des déficits aboutissent précisément à la non réduction des déficits et sont donc une absurdité financière, ils plombent la croissance et empêchent par la chute de l’activité la réalisation de leurs propres objectifs". C’est une dénonciation totale, directe et claire. C’est vrai qu’aujourd’hui, la France est à l’arrêt, la France reste en grave crise, la réduction des déficits est-t-elle la bonne politique ?

Ruth Elkrief, si un pays qui s’endette y gagnait de la croissance alors nous, la France, nous devrions être au sommet du sommet. Tout le monde devrait applaudir notre prospérité et notre bonne santé. En vérité, vous voyez bien que cela a produit exactement le contraire.

Il ne faut pas changer de politique, c’est ce que vous dites ?

Nous n’avons pas réduit les déficits. On nous dit qu'on les a réduits mais ce n’est pas vrai. L’an prochain, le déficit sera plus important en France qu’il ne l’était l’année précédente. On va retrouver des niveaux qui étaient ceux de Nicolas Sarkozy et François Fillon. Pas tout à fait encore, parce que on a connu des années en 2008 et 2009 où on était à 7 pour cent de déficit. Cette fois-ci, on est entre 4 et 5. Notre pays est à des niveaux de déficit énormes. Dans le budget de l’Etat, nous dépensons peut-être 20 pour cent de plus que ce que nous récoltons et donc nous sommes dans une extrême faiblesse qui pourrait conduire toute famille, toute entreprise a de très graves difficultés de surendettement. Comment peut-on prétendre que l’on a réduit les déficits dans un pays où au contraire tout montre qu’ils explosent ?

Permettez-moi de dire quelque chose de très important. On nous fait croire que c’est la baisse des dépenses publiques qui portent en elles les difficultés du pays. C’est faux. Cela mérite que l’on se mette en colère. Ce qui porte les difficultés du pays, c’est l’incapacité que nous avons à réformer l’Éducation nationale, à faire que les jeunes trouvent une formation qui les épanouisse, une culture générale qui leur permette d’être créatifs dans le monde où nous sommes.

Il est faux, gravement faux et nuisible à l’intérêt national de dire que c’est parce que l’on ne dépense pas assez l’argent que nous n’avons plus, que nous avons ces difficultés. Ces difficultés, elles viennent du fait que nous n’avons pas su résoudre, répondre à toutes les faiblesses qui se sont accumulées au travers du temps sur l’école, sur l’entreprise, sur la formation, sur l’université. Nous avons été incapables de reconstruire ce qui devait l’être. C’est pour cela que nous en sommes là.

Un dernier mot. Vous n’avez pas été frappé : qui applaudit Arnaud Montebourg ? C’est Marine Le Pen.

Effectivement, elle prône une autre politique.

On a cet espèce de bloc qui s’établit entre extrême droite et la gauche de la gauche et puis d’autres - puisqu’il y a d’autres sensibilités - qui selon moi conduisent le pays au pis des accidents.

Et donc cela veut dire, si j’entends bien, que vous serez d’accord pour une politique de rigueur budgétaire, du retour à la croissance par des économies rationnelles, par la lutte contre les déficits. C’est l’objectif affiché par le gouvernement. Vous avez beaucoup fréquenté François Hollande avant qu’il ne devienne Président. J’ai envie de dire, est-ce que ce n’est pas une situation possible de rapprochement aujourd’hui ? Est-ce qu'un Manuel Valls qui veut avoir une politique claire, un François Hollande qui veut avoir une politique claire sur les déficits et la croissance ne pourraient pas faire appel à vos services ?

On ne peut pas avoir de politique claire, on ne peut pas espérer de résultats positifs quand on ne s’est pas donné les moyens de corriger les causes de ses erreurs. Or, il se trouve que sur l’idée de la définition des règles politiques, de la définition des institutions, de l’affirmation d’une politique et de la possibilité de faire se rassembler les Français, le gouvernement et spécialement le Président de la République, n'ont pas fait ce qu’il fallait faire depuis des années. Aujourd’hui, le bateau coule. Le pays est devenu tel qu’il est impossible de s’en sortir avec des rustines. Les hommes responsables, ceux qui ont la volonté, le courage et l’expérience, doivent penser à reconstruire à partir des fondations. Tant que l’on essayera de faire des réparations de fortune, cela ne marchera pas.

Donc vous n’êtes pas prêt à aller éventuellement rejoindre une équipe qui serait sur une ligne que vous approuveriez ? Est-ce que ce ne serait pas logique que Manuel Valls et François Hollande fassent appel à des centristes pour que se construise une majorité ?

En politique, quand c’est tard, c’est trop tard. Il y a eu une faute de conception dès les premières semaines du mandat de François Hollande qui portait l’espoir de tas de gens qui se disaient "peut-être que la gauche peut rectifier sa ligne, trouver un cap, faire que de nouvelles règles s’établissent". Le Président de la République et le Parti socialiste ont fait un choix contraire.

Et c’est trop tard ?

Je ne vois pas comment le gouvernement peut s’en sortir avec une majorité devenue ingouvernable.

Il faut une dissolution ?

J’imagine que François Hollande écartera le referendum ainsi que la démission qui provoquerait une nouvelle élection présidentielle. Je pense que la seule solution à terme, la seule chose qui institutionnellement puisse se produire, est une dissolution de l’Assemblée nationale qui rebattrait les cartes. Mais comme nous avons toujours les mêmes règles, nous risquons d’avoir des résultats qui seraient eux-mêmes nuisibles. Je dis cela de la manière la plus grave que l’on puisse imaginer. C’est d’une reconstruction en profondeur dont nous devons parler. Et quiconque voudra être responsable dans ce pays devra s’interroger sur cette nécessité.

Merci beaucoup François Bayrou d’avoir réagi à chaud.

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