"Ce sentiment de fascination pour la mort est le contraire de notre civilisation"

Que pense le Président du Mouvement Démocrate de « l'esprit du 11 janvier », lui qui a longtemps prôné l'union nationale ? Que pense l'ancien ministre de l'Éducation nationale du débat sur le rôle central de l'école dans la « fracture sociale » française ? Comment aborde-t-il le débat sur l'islam et l'islamophobie ? François Bayrou a répondu aux questions de TV5 Monde.

Mohamed Kaci - Bonsoir François Bayrou.

François Bayrou – Bonsoir.

Merci d’être avec nous sur TV5 Monde. Vous êtes le maire de la ville de Pau, dans le sud de la France, vous êtes le président du Mouvement Démocrate, formation centriste. Vous avez été ministre français de l’Éducation nationale pendant plus de quatre ans. Commençons, si vous le voulez bien, par la politique internationale. On l’annonçait à l’instant dans le rappel des titres, le sommet de Minsk vient tout juste de débuter. Il se tient donc en Biélorussie. Il y a un an, jour pour jour, débutait le mouvement de contestation en Ukraine. Il a très vite viré à la guerre civile dans l’Est de ce pays qui est aux portes de l’Europe. C’est clairement un échec pour la diplomatie européenne, non ?

Aujourd’hui en tout cas, on peut dire que c’est à l’initiative de deux diplomaties européennes, les diplomaties française et allemande, que se tient le sommet que tout le monde dit de la dernière chance. Je pense qu’il l’est d’une certaine manière. On aurait pu souhaiter que ce soit l’ensemble des pays européens qui pèsent dans le même sens. Mais au moins, la France et l’Allemagne sont, elles, à l’initiative. On voit que, lorsque c’est le cas, elles sont entendues, en tout cas qu’elles créent une dynamique. On ne sait pas encore si celle-ci va déboucher sur la paix ou sur un mouvement en direction de la paix, de la coopération et de la vie en commun, mais c’est déjà un point dont on doit dire que les diplomaties française et allemande, le Président de la République et la Chancelière allemande, doivent être crédités.

Les sanctions européennes et américaines ont jusque-là eu un impact sur l’économie russe mais soyons clairs, elles n’ont pas eu d’effets politiques. On voit le résultat. N’est-il pas le temps, selon vous, de dialoguer avec le Président russe, Vladimir Poutine, qui est d’ailleurs présent à Minsk ?

Vous dites qu’elles n’ont eu aucun effet, je ne crois pas : je pense qu’elles ont eu un effet. Et que celui-ci – ou le trouble qui s’est emparé de l’économie russe – est un élément pour que Vladimir Poutine entende. Je pense qu’elles ont eu même un effet très important. Mais est-ce qu’il est temps de dialoguer avec la Russie ? Oui, je pense qu’il est temps, et je pense que la vocation de l’Union européenne et la vocation de la Russie sont de vivre ensemble. Oui, il est temps de vivre ensemble, parce que rien dans la vocation de l’Union européenne et de la Russie ne devraient les pousser à être l’une contre l’autre. Je pense qu’il y a un point très important, c’est que Vladimir Poutine comprenne que l’Union européenne n’est pas un empire comme l’Union soviétique était un empire. L’Europe n’a aucune vocation à la domination et au contraire même, l’esprit de création de l’Europe est un esprit de coopération entre ses membres et une volonté pacifique à l’extérieur.

Sauf que, comme le savez, il y a l’OTAN et Vladimir Poutine dit que « l’Union européenne non, mais l’OTAN se rapproche sans cesse de nos frontières ».

Si vous voulez, on peut avoir des discussions à propos de l’OTAN. Vous savez que j’étais opposé au fait que la France rejoigne le commandement intégré de l’OTAN. Je pense que cela a été une décision peu réfléchie, qui ne nous a pas apporté grand chose et qui parfois peut, au contraire, donner lieu à des ambigüités. Nous sommes allés au Mali seuls, par exemple. Je pense qu’il faut simplement que l’Union européenne transmette à la Russie le message que notre vocation – OTAN ou pas OTAN – c’est la paix. Que c’est pour cela que nous nous sommes formés en Union européenne, c’est pour cela que nous avons fait ce choix incroyable, historique, quelques mois à peine après la fin de la guerre, de décider non pas qu’on allait vivre les uns à côté des autres en paix mais que nous allions vivre ensemble ! Ce n’est pas du tout la même chose.

Vous avez cité le Mali, l’armée française est en effet engagée dans ce pays, vous disiez seule. Il y aussi la Centrafrique, l’Irak également, est-ce que ce n’est pas trop ?

Dans un monde idéal, oui c’est trop. Mais dans le monde comme il est, il y a très peu de pays, très peu de puissances qui ont une capacité de projection militaire qui puisse non pas seulement employer des mots, mais avoir des actes. C’est ce qui fait la place tout à fait singulière de la France dans le concert du monde, et c’est une des raisons pour lesquelles il est justifié que nous soyons au Conseil de sécurité des Nations Unies. Pour moi en tout cas, ce fait-là nous donne une responsabilité qui est la suivante : dans les grandes affaires qui sont traitées, nous devons intervenir, intervenir peut-être parce que nous étions intervenus de manière peu réfléchie et désordonnée dans d’autres conflits comme la Libye.

La France intervient également dans la coalition internationale engagée contre le groupe Etat islamique en Irak et en Syrie. On a le sentiment, François Bayrou, que c’est un éternel recommencement et que l’on revit la guerre qu’avait lancée Georges Bush.

Je crois que cela n’a rien à voir. Je pense que la décision de Bush était une décision non maîtrisée, qui n’était pas pensée comme elle fallait. Cette décision était créatrice de grand désordre, raison pour laquelle j’avais soutenu Jacques Chirac bien qu’étant dans une position un peu d’opposition politique intérieure avec lui. Mais j’étais monté à la tribune pour le soutenir quand il a décidé que la France ne participerait pas à l’intervention militaire en Irak. Il a dit non à cet enchainement. C’est un conflit qui n’est pas de notre fait. La volonté de groupes qui sont politico-religieux d’introduire une loi théocratique, dictatoriale sur les sociétés, les êtres humains, et donc de menacer par-là même tout ce à quoi nous croyons et tout ce à quoi croient les peuples du monde, cela nous met devant nos responsabilités. C’est pour cela que la France n’est pas absolument n’importe quel pays. Les autres pays se contentent en règle générale d’avoir des protestations verbales. La France est un pays qui intervient. Dieu sait que ce n’est pas facile d’intervenir. Je suis comme vous le savez le maire de Pau. C’est une des bases militaires les plus importantes que la France possède. Il y a des soldats qui sont en garnison à Pau et qui sont engagés sur tous les théâtres d’opérations que vous avez indiqués. Pau est la plus grande base d’hélicoptères militaires en Europe ! Donc chaque fois que dans le monde il faut intervenir, naturellement les militaires sont concernés et naturellement les risques et les victimes sont chez nous.

Intervenir à l’étranger sur des théâtres de guerres, ce n’est pas non plus sans conséquences. François Bayrou, les auteurs des attentats de Paris se sont revendiqués de l’organisation « État islamique » ou encore « d’Al-Qaïda au Yémen », ils étaient néanmoins Français. J’en viens à une situation beaucoup plus intérieure : selon vous de quoi est-ce le symptôme ? Le problème est-il vraiment au Moyen-Orient ou aussi en France ?

Le problème est dans le monde. Pas seulement chez nous en Occident. La violence est considérée désormais comme une arme normale de premier recours et cette violence prend un tour absolument horrible, horrifique, barbare que nous voyons dans chacun de ces groupes qui revendiquent la mort d’un otage. Vous avez vu : on brûle vif un pilote qui a la même religion que la vôtre, si c’était un argument que l’on pouvait avancer…

Mais pourquoi des jeunes Belges, des jeunes Français, des jeunes Canadiens, des jeunes Britanniques, des jeunes Néerlandais rejoignent les rangs de ces groupes ?

Monsieur, un des symptômes du caractère déstabilisé des sociétés dans lesquelles nous vivons, c’est que la folie devient une fascination pour des esprits tourneboulés. La folie intégriste, si du moins ils savent ce que c’est, et la folie barbare, deviennent une fascination. Il y a une chose lourde dans ces gestes faits au nom de la religion, c’est la fascination de la mort. Ils disent « nous, nous sommes au-dessus de toute menace parce que nous, non seulement nous ne craignons pas la mort, mais nous la voulons ». Et ce sentiment de fascination pour la mort, c’est le contraire de notre société et de notre civilisation. Nous, nous sommes la civilisation et les peuples qui au contraire avons dès l’origine choisi la vie : la liberté et le respect de l’autre.

Vous aviez dit il y a plusieurs années : « attention aux divisions qui minent la société française ». Vous avez été l’un des rares politiques à insister précisément sur cette notion. On a vu une énorme solidarité, le grand rassemblement du 11 janvier, cet esprit d’unité... Le premier ministre Manuel Valls a parlé « d’apartheid ». Quel est le malaise, pourquoi aujourd’hui en France on étiquette les gens en fonction de leur appartenance religieuse ou communautaire ?

Vous êtes en train de décrire une conséquence comme si c’était une cause. La maladie est très simple et très claire : une société dans laquelle un très grand nombre de nos enfants de toutes origines ne trouvent pas leur place est une société qui entraîne à toutes ces dérives-là. Pourquoi ne trouvent-ils pas leur place ? Pour ou moins deux raisons qui l’une comme l’autre suffirait à elle-même. La première, c’est que notre système éducatif a perdu la clef qui était celle de l’intégration et de « tu peux réussir d’où que tu viennes ». La deuxième, c’est que notre économie est si malade que l’emploi hélas est devenu beaucoup plus rare, que le chômage y est galopant. Et ce n’est en rien une malédiction ! Je vous donne un chiffre qui est sorti hier : l’Allemagne a réalisé 217 milliards d’excédent commercial, elle a fait un bénéfice comme pays de 217 milliards d’euros, tandis que la France, elle, a un déficit de plus de 50 milliards d’euros. Si on regarde bien les chiffres, ce déficit ne s’arrange pas mais se creuse. Le pétrole a baissé donc cela améliore nos comptes mais cela ne change rien de notre difficulté à produire et à commercialiser.

François Bayrou, merci beaucoup d’avoir accepté de témoigner dans 64’ minutes – le monde en français.

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