"Ce n’est pas l’orthographe de nénuphar qui est un problème au collège !"

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Faisant suite à la polémique liée à la réforme de l’orthographe qui sera appliquée à la rentrée 2016 dans tous les livres scolaires, François Bayrou a tenu à exprimer vigoureusement son opposition à ces nouvelles règles dans une longue tribune publiée hier dans le JDD.

Le gouvernement n’avait probablement pas assez à faire avec le chômage, les déficits, les gouffres de nos régimes sociaux, le terrorisme et le mal-être de notre pays. Il a trouvé utile et urgent de faire renaître, en catimini, une polémique que l’on croyait éteinte depuis un quart de siècle. Certains croient qu’il s’agit d’une manoeuvre de diversion. Je crains que ce ne soit plus profond et qu’il ne faille y réfléchir.

ON NOUS DIT QUE C’EST UNE RÉFORME POUR SIMPLIFIER. C’est évidemment faux. Qu’on en juge : le trait d’union est sommé de disparaître dans porte-monnaie (qu’il faudra écrire portemonnaie) mais il devient obligatoire dans cent-trente-et-un ou dans cinq-cent-soixante-six-millièmes. L’accent circonflexe est déclaré illégal sur tous les i et tous les u, par exemple sur le i de il paraît, du verbe paraître, qu’on est sommé désormais d’écrire comme l’imparfait du verbe parer, il la parait (de toutes les vertus), mais il est toujours requis pour les formes verbales du passé simple, du subjonctif, et l’on n’aura garde de l’omettre du participe passé du verbe devoir, j’aurais dû réfléchir avant de signer, pour ne pas le confondre avec l’article partitif du, j’ai du bon tabac dans ma tabatière.

La situation est- elle plus simple que précédemment ? Évidemment non. Il faudra se gratter deux fois plus la tête, qu’elle soit juvénile ou chenue, et comme auparavant on se lancera souvent sans filet. C’est une réforme (une de plus !) qui ne servira à rien, sauf à embrouiller davantage. Car il devra se lever tôt, le ministre ou le chargé de mission qui voudra m’obliger à écrire il paraît sans accent ou le gouvernement amoncèle les bêtises, au lieu de amoncelle comme nous avons appris à le faire.

Il voudrait que j’écrive à sa convenance. Je continuerai à écrire à la mienne. Et il me restera suffisamment d’arguments grammaticaux qui me feront souvenir que l’accent circonflexe est la trace d’un s d’autrefois, effacé dans la prononciation, mais présent dans l’histoire du mot : le maître fut un master après avoir été un magister. Et honni soit qui mal y pense.

La langue nous appartient, à nous, amoureux du français, autant et bien davantage qu’au gouvernement. Il n’est pas né celui qui m’obligera à écrire combattif avec deux t. J’ai bien l’intention au contraire de demeurer, contre ces cuistres, combatif à ma manière, et à continuer mon persiflage avec un seul f, et quand je grelotterai à le faire avec deux t, ou à aimer les corolles avec deux l.

Il y aura cependant des conséquences. Il y aura ceux qui sauront, ceux qui se reconnaîtront au circonflexe, ou au trait d’union : autrement dit une orthographe pour les uns, les initiés, et une orthographe pour les autres. Une discrimination de plus. D’autant que personne ne pourra déclarer fautive l’orthographe traditionnelle. Leur pouvoir ne va pas jusque-là. Alors pourquoi ? Il est deux forces principales qui poussent à la roue de ce chariot (qu’il faudrait écrire maintenant charriot avec deux r). La première est commerciale. Les éditeurs aspirent à mettre sur le marché des éditions de dictionnaires ou de livres scolaires estampillées NO (nouvelle orthographe) ou OR (orthographe rectifiée) sur fond rouge flamboyant, pour améliorer leurs ventes et leur chiffre d’affaires. Qu’ils gagnent plus d’argent, tant mieux pour eux !

Mais ils oublient ceci, qui est plus grave : nous sommes nombreux à avoir grandi dans des maisons où le dictionnaire Larousse était l’ouvrage le plus précieux et le plus fréquemment consulté. Il avait beaucoup vécu, et la couverture n’y tenait plus guère. Mais peut- être précisément pour cela, il était respecté. Et qu’un godelureau décide qu’il y aura un ancien et un nouveau dictionnaire, que le dernier dévaluera le précédent, que l’un mettra l’autre en doute et qu’il faudra en acquérir un nouveau, même si l’on n’a pas l’argent, pour se mettre à l’heure du ministère, je trouve cela offensant.

C’EST LA MÊME TACTIQUE QUE LES FABRICANTS D’ÉLECTRO-MÉNAGER (désormais électroménager) qui programment savamment la panne terminale de leurs machines. Mais la culture et la langue ne sont pas des machines à laver ! Être assuré que les dictionnaires d’autrefois, surtout dans les familles où il est peu de livres, continuent à faire autorité pour l’avenir, c’est une civilisation.

Mais derrière tout cela, qui paraît désordonné, il y a des groupes de pression qui savent ce qu’ils font ! Leur idée fixe, sous couvert de philologie approximative, c’est de couper nos enfants de leurs racines, c’est de rompre la chaîne qui réunit les générations et permet aux esprits libres de résister aux charlatans de l’idéologie ou de la manipulation. Il n’est donc pas étonnant que ce soit le même gouvernement qui, sans crainte de désespérer les enseignants qui lui faisaient confiance, entreprenne d’éradiquer le latin et le grec et de dévaluer l’orthographe qu’ils enseignent si difficilement.

ILS PRÉTENDENT QUE C’EST CELA LE PROGRESSISME. C’est le contraire : si le progressisme a une définition, c’est l’émancipation des esprits. En privant les futurs adultes de ces racines et de ces repères, ils facilitent au contraire la tâche des manipulateurs. Ils préparent des générations de soumission et de suivisme. Ajoutons que prétendre que ces simplifications imposées facilitent en quoi que ce soit l’acquisition de l’orthographe par les élèves est une plaisanterie de garçon de bains. Ce n’est pas l’orthographe de nénuphar qui est un problème au collège, c’est l’accord du sujet avec le verbe, au pluriel le s ou le x pour les noms, et le nt pour les verbes, et la conjugaison simple. Non pas le recherché ou le complexe, mais l’élémentaire. On ne facilitera pas le travail des enseignants de français ou des professeurs des écoles en introduisant dans les esprits des élèves l’idée que ces règles qu’ils essaient de transmettre sont discutables et d’un autre temps.

Et cela ne trouble pas que nous. J’écris ces lignes depuis Buenos Aires. L’Argentine, de tout temps, est passionnée de la France. Depuis vingt-quatre heures que je suis là, personne ne m’a parlé de notre politique économique ou de nos difficultés sociales, mais trois responsables éminents et éminemment francophones m’ont parlé, catastrophés, de la réforme de l’orthographe ! Notre langue, c’est leur bien autant que le nôtre. Eux non plus ne veulent pas rompre la chaîne.

Un dernier mot : je ne crois pas que l’Académie française de 2016 puisse prêter la main à un tel désordre. Ni Hélène Carrère d’Encausse, ni Valéry Giscard d’Estaing, ni Marc Fumaroli, ni Danièle Sallenave, ni Amin Maalouf, ni Rufin, ni Darcos, ni Finkielkraut, pour ceux que je connais le mieux, ne peuvent souscrire en leur for intérieur à ces entreprises de déculturation. Il serait précieux qu’on les entende. Et qu’ils rappellent que c’est la vie, c’est l’usage, et non le décret, qui fait vivre et changer les langues."

 

François Bayrou

 

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