Europe : "Il y a un rendez-vous historique sans précédent."

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François Bayrou, président du Mouvement Démocrate, était ce matin, l'invité de Jean-Jacques Bourdin dans "Bourdin Direct", diffusé sur BFM TV. Nous vous invitons à redécouvrir cette interview.

Bonjour François Bayrou. Vous serez aujourd’hui à Bruxelles au sommet de l’ALDE. L’Europe s’enferme-t-elle ?

Je ne crois pas qu’on puisse dire les choses ainsi. Il y a un rendez-vous historique sans précédent car pour la première fois, la question de la décomposition de l’Europe est à l’ordre du jour. Cela ne s’est jamais produit depuis que l’UE a été construite. Elle est à l’ordre du jour avec une menace qui est l’idée propagée par les esprits qui veulent une victoire électorale à tout prix, qui donc s’appuient sur les instincts les plus chahutés. Ces instincts essaient de vendre à l’opinion publique, pour avoir des gains électoraux, l’idée que cela sera beaucoup mieux si on applique le « chacun pour soi » et que chacun des pays européens peut s’en tirer par lui-même. Cette idée est pour moi la plus dangereuse et la plus destructrice pour notre économie, notre défense, et l’équilibre de la planète. Nous voyons bien qui sert cette idée : les hyperpuissances que sont les Etats-Unis de Trump et la Chine. Le seul pôle de résistance, c’est l’Europe, qui est la seule à avoir à la fois la dimension et la capacité. Détruire et décomposer ce pôle de résistance, c’est une formidable affaire pour tous ceux qui préfèreraient être les seuls aux commandes de la planète. En face de cela, il y a des débats politiques entre dirigeants européens qui sont apparemment loin d’être à la hauteur de la situation… Et je suis content que le président de la République Française veuille mettre les choses à la hauteur de la situation. Je vois bien que madame Merkel a elle-même des soucis de ce point de vue-là. Je vois aussi les conséquences considérables de la sortie du Royaume-Uni et les très grandes difficultés qu’il rencontre à cause de cela. Tous ceux qui nous vendent l’idée que cela serait mieux tous seuls, qu’ils jettent un coup d’œil sur la Grande-Bretagne et sur la Grèce. Donc il est vrai que c’est un rendez-vous sans précédent. 

 

François Bayrou, lorsque Emmanuel Macron emploie le mot de « lèpre », c’est peut-être un peu excessif, mais péjoratif quand même pour les peuples qui ont voté !

Chacun son expression. Cela n’est pas la mienne. De même que je n’emploie jamais le mot de « populisme », parce que ce mot essaie de faire du péjoratif avec le mot peuple. Et je n’aime pas cela.

 

Il y a des pays qui résistent à toute idée de solidarité comme les pays de l’Est. La Hongrie, par exemple… Est-ce qu’il faut aller jusqu’à suspendre son droit de vote ? 

Je crois que l’Europe ne peut pas se faire dans la brutalité, sauf si on est dans une impasse absolue. Les pays qui sont contre la solidarité, ils le sont aussi à l’intérieur-même de leur propre pays. Monsieur Salvini, c’est la Ligue – qu’on appelait la Ligue du Nord. Quelle était la thèse de la ligue du Nord : « Arrêtons la solidarité à l’intérieur de l’Italie : nous sommes le « nord riche », nous voulons être indépendants ; et abandonnons ce sud qui est misérable parce que cela nous coûte trop ! ». Vous voyez, l’idée de mettre fin à la solidarité, c’est une idée qui se paie aussi à l’intérieur. Pour moi, l’idée qu’on doit se faire de la solidarité, ne se divise pas. 

 

Elle ne se divise pas mais il faut bien sanctionner ces pays qui n’ont aucun esprit solidaire avec les autres…

Il va falloir poser la question de confiance et maintenir la solidarité entre ceux qui la veulent en construisant une Europe à plusieurs cercles. Il n’y a pas d’autres moyens dans le blocage où nous sommes. J’ai longtemps défendu une idée simple : pas d’élargissement sans approfondissement. Et nous voyons aujourd’hui à quel point cette réalité était importante. Mais je ne suis pas pour pousser l’Europe de l’Est à l’extérieur. Ce sont des Européens…

 

… des Européens qui touchent beaucoup d’argent de l’Europe.

Nous touchons tous de l’argent de l’Europe. Vous voyez bien à quel point l’agriculture française a été favorisée pendant des années par des règles que nous avions nous même fixées… Et donc je ne suis pas pour avoir la mémoire courte.

 

L’accueil des réfugiés ou des migrants. On ne peut pas, on ne doit pas faire autrement, c’est ce que vous disiez en septembre 2015. Vous étiez favorable à la création de refuges dans les pays d’où viennent les migrants.  

Des refuges, cela veut dire des zones internationalement protégées. Pour que tous ceux qui fuient la guerre, trouvent un recours, une possibilité de respirer. Et que peut-être avec ces zones-là, on construise de nouveaux liens. En tout cas, cette prise de position qui est aujourd’hui largement évoquée, elle a une signification précise : c’est sur l’autre rive que se joue la question de l’immigration. Sans oublier, qu’aujourd’hui il y a dix fois moins d’immigration qu’il y a deux ans. 

 

Est-ce que vous approuvez sans  réserve la politique migratoire conduite par Emmanuel Macron  et par son ministre de l'Intérieur ? 

La politique migratoire, c'est extrêmement simple : on a des principes, mais un de ces principes doit être que l'opinion, les concitoyens, ne soient pas envahis par le sentiment qu'on laisse tout faire. Si les citoyens ont le sentiment qu'on laisse tout faire, à ce moment-là se lèvent des vagues de rejet, qu'on a vécues en Italie, qu'on vivra dans d'autres pays  et qu'on vit  évidemment dans les pays de l'Est. Ce sont des vagues de rejet qui sont pas «  admirables » mais qui sont tellement fortes qu'un dirigeant, digne de ce nom, doit les prendre en considération.  

 

Est-ce qu’Emmanuel Macron a raison lorsqu'il dit qu’au nom de l'humanitaire, certaines ONG font parfois le jeu des passeurs ? 

Je pense qu'il a des qu'il y a des informations précises. C'est ce que m'a dit depuis longtemps le gouvernement italien. C'est ce que disent depuis longtemps des services secrets ou services de renseignements des pays qui sont les nôtres.  C'est très simple. Vous savez comment ça se passe ? On vend un ticket de sortie aux migrants, pour quelque chose comme entre quatre et cinq mille euros chacun. On les a on les embarque à bord d'un bateau, on crée un risque d'abandon et de naufrage, et à ce moment-là, des ONG interviennent. C'est noble qu'elles interviennent, mais  les passeurs comptent sur cela pour y arriver aussi. Et le réalisme oblige à dire, qu'il faut aller chercher ses réseaux de passeurs pour mettre un terme, ou en tout cas ralentir, leur trafic.  

 

Le Conseil constitutionnel doit se prononcer sur le délit  de solidarité. Est -ce qu'il faut l’abolir ?

Je pense que la solidarité n'est pas un délit. La solidarité, c'est un réflexe de l’être humain. Je trouve que les poursuites au nom du délit de la solidarité sont un mauvais signal. 

 

Donc il faut le supprimer ?

On peut écrire les choses différemment. Vous n’êtes pas obligé de prendre uniquement la gomme ! Je n'ai jamais ressenti la solidarité comme étant quelque chose qui mérite la poursuite. Il faut il faut veiller à ce que les lois soient respectées. Mais les êtres humains qui se battent au nom de raisons éminemment morales  ne sont pas des ennemis de la société. 

 

François Bayrou, vous étiez garde des Sceaux  encore il y a un. Où en est la Justice sur votre affaire ?  

Je n'ai eu aucune nouvelle.

 

Comment cela se fait-il ?

Ecoutez, c'est vous qui êtes questionneur.  Personnellement, je me borne à dire que pour avoir exercé ses fonctions et pour être dans la situation de responsabilité qui est la mienne, je dois dire que j'espère, que la Justice établira des faits que je sais indiscutables. Et c'est peut-être un signe qu'il n' y ait eu aucune nouvelle pendant un an. 

 

François Bayrou, Emmanuel Macron vous déçoit-il ?

Non.  

 

Je lisais ce qu’a déclaré hier soir Jean- Louis Borloo : « Mon sentiment, c'est qu'on est en train de remplacer le vieux monde des solidarités par le jeune monde des abandons de ceux qui ont besoin de la solidarité. En d'autres termes, il faut faire attention à ce que notre pays ne se retrouve pas dans la situation désagréable ou le gratin se sépare des nouilles. ».  Est-ce que vous considérez que Emmanuel Macron malmène à la société française ? 

Non. Je considère qu'il y a un devoir, une exigence,  que le président de la République, et l'équipe qui l'entoure, doivent remplir et une exigence à laquelle il doit répondre : derrière les réformes successives - et sans doute nécessaires  pour la plupart d'entre elles - il doit y avoir un projet de société.  

 

Et plus de justice sociale, c’est ce que vous disiez, il y a quelques jours. Vous dites la même chose aujourd’hui ?

Je dis non seulement la même chose, mais je dis aussi que si vous regardez le moment que nous sommes en train de vivre, la question est française, mais aussi mondiale, planétaire. Quelle est cette question ? C'est que, la société dans laquelle nous vivons aujourd'hui, c'est la société de la loi du plus fort, souvent le plus riche, ceux qui détiennent la puissance que l'argent, l'investissement, le capital donnent, et qui créent dans la société planétaire des fractures de plus en plus grandes entre ceux qui sont du côté privilégié et ceux qui sont de l'autre côté.  Or la France - parce qu'elle est la France -  avec son histoire, a le devoir de proposer une alternative à cette société de la loi du plus fort.  

 

Mais où est l'alternative ?

Peut-être, y a-t-il là, l'exigence et la nécessité dont je parle. 

 

Quand on voit que les APL ne seront pas revalorisées par exemple ? 

Il y a eu beaucoup de gouvernements qui n’ont pas revalorisé telle et telle allocations. Je vois  très bien quel est le plan qu’Emmanuel Macron a proposé aux Français dans son élection. C’est : on va libérer les forces de la créativité du pays. C’est un pays qui est bloqué par un tel nombre de liens, de pièges, on va le faire vivre comme il doit vivre avec de l'oxygène et en prenant en compte les défis qui se présentent à lui.  Et en même temps, nous allons faire un projet de société, dans lequel chacun va avoir plus de chances. S’ il manque la première chance, il aura une deuxième chance, et s'il faut une troisième chance, ça commencera par l’Education et par l'Ecole, par la solidarité avec ceux qui sont les plus fragiles : je pense à l'allocation adulte handicapé : elle a été augmentée et personne n’en parle, je pense au minimum vieillesse qui a été augmenté également et personne n'en parle non plus, je pense au « zéro reste à charge », qui a été récemment annoncé avec les mutuelles, qui fait que  désormais on va pouvoir, quelle que soit sa situation, avoir des lunettes, avoir des appareils auditifs.  Tout cela va dans le sens du rééquilibrage. Mais il est vrai que l'expression de ce rééquilibrage, le projet nécessaire pour le porter doit être formulé et il n'y a qu'une personne qui puisse le formuler, c'est le président de la République.

 

Sept cent quatorze milliards d'euros de prestations sociales en France chaque année, est-ce trop ? 

Non je ne dirais pas les choses comme ça. Je vais le dire autrement : est-ce toujours bien employé ? Non. Je vous raconte une histoire extrêmement simple : le chef d'une entreprise très importante dans le bâtiment de ma région m’a dit : «  Cette semaine, j'ai proposé quatre CDI. Ils m'ont dit non, on préfère alterner CDD et chômage. ».  Je comprends bien le désir de liberté que cela représente et qui existe aussi, mais vous voyez bien que cela n'est pas de la solidarité bien placée que de diriger vers le refus de l'emploi, ou de créer les conditions pour que le refus de l'emploi soit plus attirant que l'acceptation de l'emploi. Lorsque vous avez quelqu'un qui est placé dans l'incapacité d'accepter un emploi parce qu'il sait qu'il va y perdre, alors c'est mal employé. Et donc il y a à reconstruire, toute notre architecture de l'aide sociale, pour qu'elle soit bien employée. Mais pour le reste, un pays qui exerce la solidarité en son sein, c'est un pays qui est dans la bonne direction. 

 

On ne doit pas toucher aux pensions de réversion ?

Ce serait une atteinte à notre contrat social. Quand on construit une famille et que l'un des deux ne travaille pas pour assurer la vie de la famille, et qu'il bénéficiera après la mort de son conjoint à peu près la moitié de la retraite de celui-ci, c'est normal. Entre nous, je ne sais d'ailleurs pas d’où est sortie cette idée parce que pour en avoir parlé avec le président de la République, il n’en a jamais été question  - en tout cas, dans l'esprit du président de la République, de ce qu'il m'en a dit.

 

Vous le voyez souvent ?

Oui. 

 

Vous lui avez parlé de ce jeune garçon qu’il a un peu rappelé à l'ordre, il y a quelques jours ?

Il m'en a parlé plus exactement. 

 

Que vous a-t-il dit ?

Le besoin d'autorité, de ne pas laisser n'importe quel style se mettre en place, est réel. Vous savez, il a fait ce recadrage puis il est revenu. Il m'a dit : « Je suis revenu pour qu’il ne garde pas un trop mauvais souvenir du recadrage. » Pour avoir vécu cela, je pense qu’il y a eu raison de ne pas laisser s'installer n'importe quel  style d'interpellation, surtout dans un lieu aussi sensible que le mont Valérien, dans une commémoration aussi importante. De ce point de vue-là, il a eu raison. Et après, vous savez ce que sont les télévisions en continu, les réseaux sociaux… Alors il y a eu un petit emballement. Ce que je sais, c'est que le président de la République m'a parlé avec beaucoup de sensibilité de ce garçon et de ce qu'il avait dû vivre.

 

Merci François Bayrou.

 

 

 

 

 

 

 

 

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