« BFM Politique » avec François Bayrou - 1ère partie
16 décembre 2018
Ce dimanche 16 décembre, François Bayrou était l'invité de Thierry Arnaud dans « BFM Politique » sur BFM TV. Retrouvez ci-dessus, la première partie de l'émission.
Bonjour François Bayrou
Bonjour.
Avez-vous vu dans la journée, hier, le début de la fin du mouvement des « gilets jaunes ? Dites-vous, aujourd’hui, comme certaines autres personnalités de la majorité, que le moment est venu d'arrêter ce mouvement, de lever les barrages et de partir des ronds-points ?
La participation est moindre. C’est indiscutable et traduit quelque chose de profond. C’est qu’il y a eu des réponses. Il y a aussi le contexte qui permet de remettre les choses à leur place. Je parle des attentats.
Pour moi, si la participation est moindre, les problèmes ne sont pas résolus pour autant. Les questions posées sur lesquelles nous nous arrêtions il y a encore une semaine, avec autant de souci et de gravité, sont toujours là et il importe qu'elles trouvent des réponses.
Des réponses au-delà de ce qu’a dit le Président de la République lundi soir ? Pour vous, c'est un début plutôt qu’une réponse complète à tout ce qui s'est exprimé depuis des semaines ?
La réponse du Président de la République lundi soir, pour moi, est très importante. Elle est importante, pas seulement à l’échelle des 5 années pour lesquelles il est élu, mais parce que cela fait 30 ans que les problèmes couvent, qu'ils fermentent, qu'il y a quelque chose dans la société française de complètement malsain et que l’on voit ressortir à chaque campagne électorale et auquel on n’apporte pas de réponse.
Donc, quand j'ai dit « changement d'époque », c'est que le Président de la République a dit, ayant fait ce choix personnel : « On va affronter ces questions-là. » Ces questions qui n'ont jamais été prises en compte ou, en tout cas, qui n'ont jamais trouvé de réponses construites, on va les leur apporter.
Première chose : il a apporté des réponses, c’était votre question, d'ordre du pouvoir d'achat, de la vie de tous les jours et matériel. Ces réponses sont très importantes. On en parlera dans une minute, mais il y a beaucoup d'autres questions. Par exemple, le sentiment qu’ont les manifestants, et ceux qui les soutiennent, qu’il y a une très grande partie des Français qui n’est pas prise en compte, que le jeu ‑ le « jeu », je dis cela de manière simple et non péjorative ‑ les débats, les affrontements retransmis sur vos écrans sont ceux d'une certaine partie de la France, plutôt du haut de la pyramide et que les Français du socle français, du socle du travail, des difficultés de la vie de tous les jours, ceux-là ne s'y retrouvent pas, ne s'y entendent pas. Il n’y a pas de voix pour eux.
Comment concrètement leur donne-t-on une voix ? Comment faut-il faire ? Un certain nombre de choses ont été annoncées par le Président de la République, de réformes institutionnelles, et on y reviendra, mais des choses n’ont pas été dites par le Président de la République et, notamment, une des revendications que l’on a beaucoup retrouvée chez les « gilets jaunes », celle d'un référendum d’initiatives citoyennes. Est-ce une bonne idée ? Le Président aurait-il dû l'annoncer lundi soir ?
La question de la représentation traîne depuis longtemps. J'ai été frappé de voir qu'il n'y avait pas une revendication qui n'exige, ne demande, n'attende une représentation plus juste des citoyens. On appelle cela, la « Proportionnelle », c’est-à-dire que le nombre de sièges soit proportionnel au nombre de voix, ce qui n’est pas du tout le cas dans les institutions françaises depuis longtemps.
Mais que vous réclamez depuis longtemps aussi.
Combat que je mène depuis longtemps.
Il y a la prise en compte du vote blanc pour ceux qui ne se retrouvent pas dans les candidatures et, de ce point de vue, là aussi, il y a quelques difficultés, mais des réponses qui peuvent être évidentes. Puis, il y a la réponse du référendum d'initiatives citoyennes. Or, ce référendum, dans nos institutions, existe. Dans la Constitution, à l’article 11, il y a la possibilité que 10 % des élus de la Nation, députés, sénateurs, s'ils sont soutenus par 10 % des électeurs inscrits, puissent faire inscrire un texte au référendum. Est-ce que ce…
Pourcentage ?
Oui, pourcentage.
Doit être ajusté ?
10 % est-ce qu’il est trop haut ? On peut en discuter. Peut-on imaginer le baisser ?
À combien, par exemple ?
On pourrait imaginer qu’un million de signatures constitue un seuil permettant d'écarter… un million de signatures à condition qu’il y ait un soutien d'un certain nombre de parlementaires, pour garantir que tout cela n'est pas fantaisiste.
À nouveau, 10 % de parlementaires ou là, encore moins ?
10 % un peu moins, un peu plus…
De cet ordre-là.
Je n'ai pas de chiffre en tête, mais vous voyez bien qu’un million de signatures authentifiées avec carte d'électeur et carte d’identité, oui, c’est quelque chose qui pourrait faire naître une consultation. Comme cela se passe dans beaucoup de pays proches de nous, la Suisse en est un exemple. On n'a pas cette culture.
C’est vrai.
Ce sont des changements très importants qui peuvent concerner nos institutions, notre manière de vivre la politique ensemble, mais il y a une chose dont je suis absolument certain : il est impossible que la politique soit l’affaire seulement des initiés, parce que la politique, c’est la vie, c’est la mienne, c’est celle de nos enfants, c'est celle de nos proches. La politique doit être l'affaire de tous et si on n'a pas cela en tête alors on s’égare, comme on s'est égaré depuis si longtemps.
Cela fait 40 ans que la participation à toutes les élections décroît sans cesse et cela vient de ce que l’on écarte les citoyens. Ne serait-ce que ‑ ce que je vais vous dire va vous paraître bizarre ‑ par la langue que l'on parle.
J'ai un souvenir extraordinaire qui m'a marqué dans une élection un peu ancienne alors que je sortais du Gouvernement, il y avait un renouvellement et j’étais dans un chef-lieu de canton où je participais à une réunion. Une jeune femme s’est levée et a dit : « S’il vous plaît, ne vous moquez pas de moi parce que c’est la première fois que je parle en public ». Elle a dit : « J'ai deux choses à vous dire. La première, je vous écoute tous les mercredis parce que tous les mercredis après-midi, avec les enfants, je repasse. Et donc j’allume les questions d'actualité. Deux choses me frappent. La première : vous vous tenez mal ! Les uns dorment, les autres hurlent ! » Elle dit : « Si mes enfants se tenaient comme cela en classe, je serais très mécontente. La deuxième : je ne comprends rien à ce que vous dites parce que les échanges, les mots que l’on utilise, les idées que l’on avance, les « concepts », comme on dit, les idées générales et les chiffres… » Tous les citoyens sont écartés.
Cela a été entendu manifestement par le Président de la République. On va y revenir. Vous n’avez pas répondu à la toute première question. Vous dites-vous que le moment est venu, là, compte tenu de celui dans lequel on se trouve, d’évacuer les ronds-points et de lever les barrages ?
Je pense que ceux qui sont dans ce mouvement doivent avoir maintenant le souci du débouché de ce mouvement. Quelle forme, parce que l’on ne va pas continuer à occuper les ronds-points et à mettre Paris en état de siège chaque semaine ?
Concrètement, cela veut-il dire, par exemple, choisir des représentants pour participer au grand débat national ?
Choisir des représentants, réfléchir à la forme de l’engagement. Est-ce un mouvement qui présente des candidatures aux élections ? Tout cela est la question qui, évidemment, se pose.
Mais c'est l'étape nécessaire à franchir maintenant ?
Sans cela, le mouvement s'enlisera.
Dans ce qui a été annoncé par le Président de la République, il y a un certain nombre de mesures concrètes, mais êtes-vous confiant dans le fait que le Président tiendra les engagements pris ?
Je m’explique, il propose, par exemple, 100 € nets de plus par mois pour tous ceux qui sont rémunérés au Smic, mais on ne sait pas, au moment où on se parle, par quels mécanismes ni par quel financement. Il propose que soit mis en place un grand débat national. Il devait démarrer le 15 décembre, c’est-à-dire hier, finalement il semble que l’on ne saura quelles seront les modalités de ce débat, seulement en fin de semaine. N’y a-t-il pas dans tout cela un sentiment global d’improvisation ? C’était le sens de ma question. Est-ce que l’on n’est pas en train d’improviser des réponses ?
Ce qu’a fait le Président de la République lundi soir, il l’a fait ‑ disons la vérité ‑ contre toute la haute Administration.
Bercy, en particulier, pour parler clairement ?
Je ne veux pas cibler. Contre toute l'organisation technocratique, disent certains, du pouvoir dont la réponse perpétuelle est : « Monsieur le Président, cela n’est pas possible ».
Donc d’une certaine manière, il a caché son jeu pour pouvoir faire les annonces ?
Ce n’est pas qu’il a caché son jeu. Il a pris la décision personnelle, j’allais presque dire, solitaire, que cette fois-ci, ce ne serait pas comme les autres fois. Et il l’a fait en rencontrant, les journaux en sont pleins, ce n’est pas un scoop, mais je l'ai ressenti comme cela, il l'a fait en affrontant toutes les pesanteurs et tous les immobilismes nés d'une certaine manière de gouverner le pays depuis 40 années et cela n'a pas été facile pour lui.
Donc il s'est révolté contre le système d’une certaine manière ?
Oui, d'une certaine manière, il a décidé que, désormais, les obstacles, ceux qui disent non à tout ne devaient pas avoir raison. C'est une décision à l’échelle du demi-siècle parce que cela ne s'est pas fait souvent. Cela s’est fait peut-être en 1968, d’une autre manière, mais cela ne s'est pas fait souvent. C’est la première chose.
Deuxième question, ou plus exactement celle que vous avez posée sur les 100 € et le Smic, pour moi, il y a un critère : est-ce que la promesse énoncée par le Président de la République, va être tenue…
À l'Euro près.
… au mois de janvier ? Si c’est début février, je ne n'en ferai pas un drame et les Français non plus, ou bien, on a commencé à lire dans les journaux, dans votre partenaire Le Parisien, que ce ne serait pas possible avant le mois de juin.
Êtes-vous inquiet là-dessus ?
Je ne suis pas inquiet, je suis déterminé. Je sens le Président de la République et je suis avec lui, sur ce point, déterminé à ce qu’une nouvelle fois, on ne ratiboise pas les promesses faites en expliquant que c’était comme ça et que c’était pas autrement.
C'est une chose extrêmement importante. Il y a plusieurs manières d'y répondre. Peut-être y reviendra-t-on ? Mais l'effectivité, la réalité, la réalisation concrète de ce qui a été promis par le Président de la République est un élément de jugement. C'est à partir de cela que l’on verra.
Ensuite, quant à la question que vous avez posée sur le grand débat national, c’est une chose sans précédent. Si on la fait bien, on changera l'avenir du pays, sinon on fera naître des frustrations.
Qu’est-ce que ce débat national ? C’est quelque chose que les Français ont vu depuis longtemps. À chaque élection, depuis un demi-siècle, les mêmes problèmes reviennent sur le devant de la scène. Je veux vous rappeler qu’en 1995, Jacques Chirac a été élu sur la fracture sociale et, en quelques mois, on a basculé vers autre chose et cela s'est produit à chaque élection. Lorsque le débat a lieu, ressortent les attentes profondes et, dès que le nouveau Président est élu ou le nouveau Gouvernement, alors on revient à la manière de gouverner d’avant « Business as usual » comme disent les Anglais.
Si nous prenons au sérieux cette séquence dans laquelle, les Français et leurs dirigeants, majorité, opposition, représentants, etc. font apparaître ces attentes jamais traitées, attentes économiques, attentes sociales, démocratiques, européennes, si on les fait apparaître, si on leur donne une réponse et une direction, alors tout peut changer et pour le bien parce que, pour une fois, ce ne seront pas des promesses de Gascon ! Mais de vraies promesses puisque ceux qui vont les prendre sauront qu’ils devront les appliquer.
Une dernière question sur un mot que vous avez employé à l'instant à propos d’Emmanuel Macron, vous avez dit : « il a pris une décision presque solitaire ». Il n'est pas solitaire, le Président de la République, il a des collaborateurs, il a des conseillers, il a un gouvernement et il a un Premier ministre.
Il arrive, et après tout le Général de Gaulle a montré assez souvent que cela pouvait arriver, que ceux qui sont au plus haut degré des responsabilités et naturellement des équipes n'aient pas toujours les mêmes idées.
Dans ce cas-là, il faut changer d’équipe, non ?
Et dans ce cas-là, il faut rebâtir, persuader, faire le travail qui est celui du n°1.
Cela veut dire changer d'équipe ? De gouvernement ?
Je n'emploie pas des mots comme ça. J’ai dit persuader, convaincre, entraîner, faire changer la culture du pays. Je n'ai aucun doute que, depuis 18 mois, Emmanuel Macron a eu beaucoup de raisons de voir que la culture administrative du pays, la culture de gouvernement du pays ne ressemblait pas exactement à la spontanéité, à l’intuition, peut-être à la bienveillance qu’il avait défendue pendant la campagne présidentielle et c’est d’autant plus intéressant. C’est un moment passionnant, unique, sans précédent, précisément parce qu’il va permettre de faire naître une autre époque, une autre manière de concevoir les citoyens, leurs rapports avec le pouvoir et l’exercice même du pouvoir.
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