"Je voudrais une autorité qui analyse les conséquences financières des promesses de campagne des candidats"

François Bayrou a proposé mercredi sur BFM TV et RMC que les "conséquences financières" des propositions et engagements des différents candidats à la présidentielle puissent être analysées par "une autorité", en l'occurrence la Cour des comptes.

Bonjour François Bayrou, président du MoDem et maire de Pau.

Bonjour.

Si vous étiez député, voteriez-vous la motion de censure déposée par l'opposition sur la loi travail ?

Oui, je la voterais.

Pourquoi ?

Je la voterais pour deux raisons. La première, la méthode aboutit à un désordre invraisemblable, à un chaos politique et social dont tout le monde voit l'extrême gravité. La deuxième, je suis en désaccord avec un certain nombre de mesures. Celle sur laquelle je suis le plus en désaccord est la baisse des heures supplémentaires. Je trouve que les heures supplémentaires est un des acquis sociaux les plus importants. Quand vous êtes un salarié, quand vous avez besoin de boucler les fins de mois, que vous consentez à travailler un certain nombre d'heures en plus, je trouve tout à fait anormal et tout à fait injuste que l'on baisse les heures supplémentaires dans leur rémunération de plus 25% à, peut être, plus 10%. Ce n'est pas normal, ça ne va pas dans le sens de la dynamique qu'une économie et les familles exigent.

Le gouvernement peut-il être mis en minorité ?

Honnêtement, je ne crois qu'il puisse être mis en minorité. J'ai regardé comme tout le monde les chiffres et il faut 289 voix pour obtenir le vote de la motion de censure et je ne crois pas que cela soit possible, même avec le renfort de certains frondeurs de gauche.

Souhaitez-vous que le gouvernement soit renversé ?

Je trouverais important et utile qu'il y ait une réflexion de la part du gouvernement sur la manière dont il fonctionne. Je trouve que tout cela est désordonné. De toute façon, vous savez bien que nous sommes à 6 mois environ du début de la campagne de l'élection présidentielle, c'est le dernier texte où l'on pouvait faire quelque chose, or ce texte se perd dans un brouillamini épouvantable. Cela veut dire que la période utile s'achève.

Cela veut dire que la France va vivre désormais au rythme de la présidentielle sans qu'aucune réforme importante ne puisse être votée ? C'est l'impuissance ?

Je crains que ce ne soit le cas. Et dans une ambiance que vous voyez bien, entre un mélange de refus et de chaos d'un côté et de l'autre des promesses et des chèques qui sont signés, dans une ambiance d'irresponsabilité.

Je vais faire une proposition devant vous. Le débat présidentiel se lance et il y a des engagements, des promesses de tous les côtés, des chèques qui vont être signés ou annoncés. Je trouve que c'est terriblement inquiétant pour les français par ce qu'ils voient bien qu'on signe des chèques avec un argent que l'on n'a pas. On annonce des libéralités avec un compte en banque qui est vide. Je voudrais que l'on ait une autorité - pour moi c'est la Cour des comptes qui devrait le faire - qui analyse les propositions de chacun et qui dise à terme ce que ça coûtera par an au pays et qui exige des explications sur le financement. Je souhaite qu'il y ait une autorité qui puisse demander des explications aux candidats, au Président de la République ou au gouvernement puisque lorsque ces derniers annoncent des libéralités, des allocations, des subventions, des augmentations pour l'année à venir, ce n'est évidemment pas eux qui le payeront mais les gouvernements suivants. Donc, je voudrais qu'il y ait une autorité de surveillance du débat public qui puisse demander des explications...

C'est déjà le rôle de la Cour des comptes !

Oui, mais ils ne peuvent examiner que le passé et moi je voudrais qu'elle puisse également examiner le futur et que l'on ait ainsi un dialogue intéressant, ouvert et que les propositions les plus aventureuses apparaissent comme ce qu'elles sont. Je souhaiterais que l'on ait une possibilité pour les citoyens de se rattacher à quelque chose de solide, à un point fixe à partir duquel ils pourraient analyser. Le citoyen est noyé sous un déluge de chiffres, d'annonces, de chèques signés ! Il faudrait que l'on ait cette autorité pour montrer quelles sont les conséquences financières des décisions annoncées.

Êtes-vous d'accord avec tous ceux qui disent que le recours au 49-3 n'est pas démocratique alors que c'est pourtant inscrit dans la Constitution. Faut-il supprimer le 49-3 ?

Non ! Le 49-3 est une arme du gouvernement contre sa majorité. Lorsqu'un gouvernement se trouve avec sa majorité théorique qui est en réalité en rébellion contre lui alors le gouvernement met sa majorité au défi de le renverser, il dit :  « ce texte me paraît important, si vous jugez qu'il n'est pas acceptable vous me renversez et il y a de nouvelles élections ». C'est comme cela que ça se passe. C'est une arme du gouvernement contre les siens.

Le 49-3 est utile, il est même arrivé qu'il soit indispensable. J'étais certain qu'il interviendrait dans ce texte-là mais je trouve que le 49-3 ne devrait être utilisé qu'à la fin du débat. Il faut qu'on laisse le débat se faire, que l'on voit les arguments, pour que l'Assemblée analyse bien les textes présentés. Honnêtement, nous ne sommes pas à deux semaines près sur un texte comme celui-là. Je trouve que le 49-3 ne devrait intervenir qu'à la fin du processus, que l’Assemblée analyse le texte.

Je regarde les commentaires dont notamment celui de Jean-Luc Mélenchon: « fin de règne crépusculaire » a t-il dit, « il faut maintenant des manifestations du front du refus le jour du vote », il appelle aux manifestations. Et vous dites à propos de Jean-Luc Mélenchon que vous écoutez ce qu'il dit avec intérêt, est-ce vrai ?

Je suis en désaccord avec les orientations de fond, mais cela n’empêche pas d’écouter les gens. Je pense qu’il y a en France un courant puissant qui vit avec un modèle que je crois impossible mais qu’il est intéressant d’entendre. C’est l’idée qu’au fond une décision politique pourrait changer les rapports sociaux et économiques. Dans le temps de la mondialisation, cela est devenu impossible. Il y a une preuve que nous avons sous les yeux vous et moi, que l’on a vécue ensemble et Jean-Luc Mélenchon y a été intéressé au premier chef, c’est la Grèce ! A. Tsipras, que Jean-Luc Mélenchon soutenait, a démenti le choix qu’il avait proposé lui-même au peuple grec et a signé les décisions qu’il refusait par référendum quatre jours avant. Pourquoi l’a-t-il fait ? Ce n’est pas parce que c’est un mauvais type, ce n’est pas parce que c’est quelqu’un qui n’a pas de dimension. Mais il s’est aperçu que s’il entrait en confrontation avec les grandes règles de l’économie du monde, il était mort ! Son pays était mort ! Pourquoi ? Parce qu’il ne pouvait plus emprunter l’argent dont il a besoin tous les jours pour vivre. Cette règle là est celle au fond de bon sens que chaque foyer connait bien. Tu ne peux emprunter que si tu peux rembourser ! Ou tu ne peux emprunter en tout cas que si tu t’engages à rembourser ! Si tu dis à la banque, je vais vous emprunter de l’argent mais je vous préviens je ne vous rembourserai pas, il n’y a pas un banquier qui vous prêtera de l’argent ! Donc cette loi qui s’applique à chacun de ceux qui nous écoutent s’applique aussi aux États ! Elle s’applique aussi aux sociétés et aux entreprises ! Et c’est sur ce point que je pense que la gauche de la gauche se trompe parce que la réalité n’est pas celle qu’elle aperçoit ou qu’elle annonce.

Nous approchons d’une élection présidentielle, le gâchis de cette loi Travail ne va-t-il pas renforcer justement cette méfiance vis-à-vis de la classe politique ?

La réponse que l’on attend est oui. Cependant, moi je crois le contraire. Je pense qu’une élection présidentielle, cette grand séquence qui est celle au fond d’une alternance, est un des moments où l’on peut rendre de l’espoir au pays par de la cohérence, de la volonté ou par une manière d’exprimer les problèmes du pays et ses attentes qui soient inattendues. Je crois moi que je suis plus optimiste que vous ne l’êtes.

Mais les promesses ne sont pas tenues par les responsables politiques !

Parce que les promesses ne sont pas tenables ! Vous savez bien que c’est sur ce point que je me suis affronté assez souvent avec les responsables politiques d’un bord et de l’autre ! Ils font des promesses et ce n’est pas seulement qu’ils n’arrivent pas à les tenir, c’est qu’au moment où ils les font, ils savent pertinemment qu’elles sont intenables. Et c’est pourquoi je faisais appel à cette autorité qui pourrait être la Cour des comptes et demanderait des comptes avant qu’on entre - si j’ose dire - dans le vif du sujet ! Il faut que l’on sache par un dialogue transparent ce qu’ont dans le crâne ceux qui font ces propositions mirobolantes ! À chaque élection c’est comme cela : on fait des propositions mirobolantes et les moyens n’existent pas. Il n’y a pas un citoyen qui nous écoute qui ne sache que ce que je dis là se vérifie à chaque élection.

François Bayrou, je regardais l’ébauche du programme économique d’Alain Juppé qu’il présente dans un livre intitulé « 5 ans pour l’emploi ». Pas de remise en cause du système social à la française, réduction des dépenses publiques de 100 milliards en cinq ans...

Je veux dire deux choses sur le programme d’Alain Juppé. Il a dit une phrase que je crois fondamentale et qui est d’ailleurs dans le droit fil de sa proposition au pays : « je ne suis pas là pour casser la société française et je veux réformer sans briser ». Je trouve que c’est marqué au coin non pas seulement du bon sens mais de la nécessité ! Il y a des millions de foyers qui s’interrogent pour eux-mêmes et pour leur avenir et il faut leur montrer un chemin crédible. Ensuite, ce que propose Alain Juppé, c’est assouplir un certain nombre de choses sur le contrat de travail...

Ce que disait d’ailleurs la loi El Khomri au départ !

Pas exactement. En tout cas, ce que je propose moi depuis longtemps est une proposition qui a été reprise en Italie et qui a crée 300.000 emplois en quelques mois : un CDI à droits progressifs. L’idée est que plus on reste dans son entreprise et plus on acquiert de droits, ce qui permet à l’entreprise de vous embaucher, de vous jauger sans avoir au-dessus de la tête des menaces de prud’hommes ou d’indemnités trop lourdes. Je ne crois pas que l’on améliorera l’emploi en rigidifiant le droit social du travail. Je pense que l’on améliorera l’emploi en assouplissant autant que possible et respectueusement les droits des salariés et les nécessités de l’entreprise.

À propos d’Alain Juppé, vous dites « je l’aiderai mais je ne veux pas être prisonnier d’une primaire ».

Je redoute la primaire comme mécanisme. Il suffit de regarder les primaires américaines qui se déroulent sous nos yeux. Il y a un an, quand je disais à mes amis « méfiez-vous, Trump va être choisi comme candidat des Républicains », ils éclataient de rire ! C’est un mécanisme qui est construit sur le fait que le candidat est choisi par un nombre d’électeurs nécessairement plus petit que l’électorat général. Si ce nombre d’électeurs est plus petit, il y a une chose extrêmement simple, c’est que les plus durs du camp, les plus « va-t-en-guerre », ceux qui veulent les déclarations les plus brûlantes pèsent plus lourds que devant l’électorat. Donc le risque est que la primaire soit une prime à la surenchère, aux propos les plus débridés dans tous les camps. C’est comme cela que Trump a gagné !

Vous dites que nous risquons, dans la primaire des Républicains, de voir tout à coup émerger des discours, des postures extrêmes.

Je vais plus loin que cela. Je considère que le principe des primaires dans les deux camps est un mauvais principe pour une raison très simple, il découpe le pays en deux. Ce n’est pas moi qui porte les idées du centre au plus profond de moi qui vais accepter. 

Voterez-vous à la primaire ?

Non, moi je ne participerai pas à titre personnel. Mes amis voteront parce que voter quand on est un responsable politique, cela signifie que l’on accepte le résultat de la primaire mais moi je redoute son mécanisme.

Alors, vous accepterez le résultat de la primaire si Alain Juppé est choisi et vous ne l’accepterez pas si ce n’est pas lui. 

Nous verrons cela ensemble quand le moment sera venu. 

Tout le monde a compris. 

Vous allez à des simplifications …

Mais non je ne vais pas à des simplifications, c’est la réalité et vous le savez bien. Autant le dire d’ailleurs.

Vous n’êtes pas très loin de la réalité.

Je sais. Donc vous ne voterez pas à la primaire. Alors, j’ai Michel qui nous a envoyé un tweet et qui vous pose la question : accepteriez-vous de devenir le Premier ministre du Président François Hollande, si la motion de censure obtenait une majorité ?

(Rires). Cela n’est même pas une hypothèse qu’on puisse examiner même en buvant un coup au bistrot donc c’est hors de toute réalité. Vous voyez bien ce qui se passe, le gouvernement n’a plus de majorité, et la majorité est elle même engagée dans une lutte sans merci entre des tendances ennemies, cela signifie que tout est à reconstruire. 

Est ce que l'on n'a pas aujourd’hui les prémisses d’une nouvelle composition de la politique française avec des extrêmes gauche/droite et avec du centre, du centre droit, du centre gauche. C’est ce que dit Emmanuel Macron par exemple. Est-ce que vous croyez encore à ce clivage droite/gauche ? 

Ce n’est pas à moi que vous allez poser la question.  

Vous êtes sur la même longueur d’ondes. 

Il y a des années que je vois ce clivage absurde être totalement dévalué. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a plus de droite et il n’y a plus de gauche. Il y a des droites en guerre les unes contre les autres et des gauches en guerre les unes contre les autres. Simplement nos mécanismes, nos règles électorales empêchent que le grand centre français - pas un centre mou, pas un centre entre les deux, pas un centre assis entre deux chaises - mais un centre original qui a une vision différente de l’avenir du pays qu’il existe. Un jour ou l’autre cette digue cédera. 

Le temps viendra-t-il à la prochaine élection présidentielle ?

Vous savez bien que c’était l’engagement de François Hollande, qu’il n’a pas respecté, puisqu’il avait dit : « Moi, Président de la République, j’instaurerai la proportionnelle », c’est-à-dire cette règle juste qui permet d’avoir des rassemblements. Il ne l’a pas fait. Malheureusement cela ne va pas se faire d’ici la prochaine élection présidentielle. Et quand on perd du temps comme cela, c’est un temps qui se rattrape très difficilement.

Merci François Bayrou. 

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