"Aucun des problèmes du pays ne peut se résoudre dans l'affrontement des deux camps"

Invité de #DirectPolitique (Ouest France / 20 Minutes / L'internaute) ce jeudi matin, François Bayrou a affirmé que le seul courant possiblement majoritaire en France était celui qui pourrait unir les réformistes raisonnables et enthousiastes des deux "soi-disant" camps.

Notre invité ce matin est François Bayrou, maire de Pau et président du MoDem. Bonjour François Bayrou, merci d’être avec nous ce matin dans Direct Politique.

Bonjour.

Fabien Dabert : Avec moi sur ce plateau pour co-présenter, Michel Urvoy, éditorialiste politique de Ouest France et David Blanchard, rédacteur en chef de 20 Minutes.

François Bayrou, si vous le voulez bien, commençons par l’actualité qui a marqué cette nuit. François Hollande, avec Angela Merkel, a rencontré Vladimir Poutine, et le président ukrainien toute la nuit à Minsk. On parle d’un accord en vue, qui va être signé dans les prochaines heures. Ca y est, peut-on dire enfin que l’espoir de paix se concrétise ? Est-ce que vous y croyez ?

On verra. On ne sait pas s’il y aura accord à l’heure où l’on se parle et on ne sait pas ce qu’il y a dans cet accord. Ce que l’on sait, c’est que la France et l’Allemagne ont pris une initiative et elle est bienvenue. En tout cas, on peut espérer de celle-ci que quelque chose bouge. Qu’est-ce que l’on va trouver au bout du chemin ? C’est cela la question. Pour moi, il y a à peu près trois éléments de certitude. Le premier : on doit retrouver les éléments du précédent accord de Minsk ; le deuxième : on doit respecter l’intégrité territoriale de l’Ukraine, c’est-à-dire qu’il faut qu’il y ait un cessez-le-feu et un retrait de toute intervention russe ; le troisième : il faut une organisation intérieure de l’Ukraine qui respecte les deux cultures, les deux communautés de langue différente qui vivent sur le sol de l’Ukraine. Il faut donc une fédéralisation de l’Ukraine. Pour moi qui suis quelqu’un qui croit que l’Europe est l’avenir pour nos nations, en gardant notre identité, le fait que l’on sorte d’un conflit par une fédéralisation est un élément important. On fait ensemble ce que l’on ne peut pas faire tout seul et pour le reste il y a une marge de liberté, d’affirmation culturelle pour les deux communautés : l’une russophone, l’autre plus attirée par l’Union européenne et de langue ukrainienne.

On peut être à peu près sûr que, s’il y a accord, il y aura accord sur ces bases. La question est évidemment où place-t-on les frontières ? Ou bien les délimitations – pour ne pas employer le terme de frontières. Comme vous le savez, ces temps-ci, le front a beaucoup bougé, les partisans du rapprochement avec la Russie ont progressé.

Faut-il un territoire particulier pour les zones annexées ?

Je ne dis pas un territoire particulier, je dis que dans cette Ukraine de l’avenir, il faut que les deux communautés vivent ensemble et qu’elles aient une certaine marge d’affirmation, notamment culturelle, de langue. Il y a, comme vous le savez, une décision – qui est une décision lourde de conséquences – qui a été de supprimer le statut de langue officielle du russe, alors que l’Ukraine est comme tous les pays charnière. La grande question du temps est : est-ce que l’on peut vivre ensemble en ayant chacun son identité ?

Michel Urvoy : Quelle lecture faites-vous, au-delà de l’Ukraine, de la stratégie de Vladimir Poutine ? 

Vladimir Poutine est un dirigeant extrêmement puissant en ce qu’il est soutenu par son peuple. Le soutien à la politique d’affirmation de l’identité russe, du nationalisme russe et du retour de la Russie trouve chez les citoyens russes un écho très important. D’autre part, c’est un dirigeant qui a à l’esprit l’idée que l’essentiel est dans les rapports de force. Et ceci est, pour moi, un des grands enjeux de la négociation que nous sommes en train de vivre. Qu’y a-t-il derrière tout cela ? On dit « Poutine est inquiet de l’Union européenne, de l’extension de l’Union européenne, et de l’OTAN ». Il faut que les dirigeants russes, et spécialement Vladimir Poutine, comprennent que s’il y a un ensemble qui s’est construit au travers du temps, sans volonté de puissance ni d’impérialisme, sans désir de contrôler les autres, cet ensemble c’est l’Union européenne. Le projet de l’Union européenne est probablement dans l’Histoire le premier projet d’une puissance non-impérialiste, dont le but est la paix chez elle, la paix avec les autres et la prospérité chez elle et la prospérité des autres.

Fabien Dabert : Donc il faut dire à Poutine « Ne vous inquiétez pas, nos ambitions ne sont pas belliqueuses » ?

Le mot ferait peut-être sourire Poutine. Je pense qu’il est très important de montrer et d’affirmer clairement que telle est notre volonté, notre dessein. Donc il y a là un enjeu évidemment très important.

David Blanchard : Est-ce que, au cours de ces négociations, il faut reconnaître l’annexion de la Crimée par la Russie ? Comme semble pousser à le faire Nicolas Sarkozy ?

On peut chercher d’autres situations comme celle de la Crimée, en Géorgie. Il y a là une violence qui a été faite au droit. On ne peut pas effacer les violences faites au droit d’un coup d’éponge sur tableau comme l’on semble vouloir le faire. Cela dit, il y a une chose qu’il faut prendre en compte aussi, c’est la volonté des communautés – pour ne pas dire des peuples. Vous savez, la vieille idée du Général de Gaulle, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, qui est une idée majeure pour nous tous. Il n’y a qu’une possibilité d’articuler ces deux impératifs – le droit d’un côté et la volonté  des peuples et des communautés de l’autre – c’est une démarche de type fédératif, de type fédéral. L’idée que, finalement, cela n’est pas si difficile de vivre ensemble et de partager l’essentiel, chacun étant ce qu’il est, assumant son identité culturelle, linguistique, la reconnaissance des liens que l’on a avec des grands ensembles.

Fabien Dabert : Et donc sur la Crimée, il faut que le droit international reconnaisse la Crimée ?

Si vous me permettez, je vais aller encore plus loin, et faire un pas de plus. On vit ensemble mais chacun est responsable de ce qui tient à son identité, à son propre destin à l’intérieur de l’ensemble. Pour moi, c’est aussi la seule possibilité pour que, un jour, au Proche-Orient, la paix se fasse. Je ne crois pas à ce que nous avons essayé de faire si difficilement et avec tant d’échecs pendant 30 ans, entre les deux guerres, entre la France et l’Allemagne, qui est la coexistence, le voisinage, on met un terme au conflit et puis chacun chez soi. Je n’y crois pas. Quand l’Europe occidentale, la notre, est-elle sortie de la guerre ? Pas le jour où l’on a décidé qu’il y aurait un armistice, mais le jour où l’on a décidé que désormais on vivrait ensemble ; et que sur ces enjeux absolument essentiels que sont l’énergie, les matières premières ou les règles du marché, désormais nous vivrions ensemble, nous déciderions ensemble. Ce n’est pas la même chose, le voisinage et le choix de se choisir un avenir commun !

On va décliner cette pensée-là, justement, à l’échelle de l’Europe.

Vous voyez bien que c’est une pensée qui a un fondement original, qui a son identité, c’est même une pensée singulière absolument incomprise pendant des années et des décennies en France. Chaque fois que l’on prononce le mot de fédéral, en France, alors on croit qu’il s’agit de la volonté de donner le pouvoir à d’autres. C’est exactement le contraire. L’idée fédérale est que l’on va vivre ensemble en partageant des sujets essentiels et pour le reste, en assumant chacun notre identité, notre avenir, notre histoire, notre patrimoine.

Si vous le voulez bien, François Bayrou, on ouvre le chapitre de la politique économique et on va commencer par une question d’ordre générale avec l’élection de Tsipras, vous le savez, qui a fait beaucoup de bruit et a été très commentée. On parle d’une nouvelle page qui peut s’ouvrir pour l’Union européenne. Est-ce que l’on peut concilier et comment concilier une politique d’austérité, une politique de maitrise budgétaire, une politique de carcan des dépenses et de la limitation de la dette avec la logique du respect du suffrage universel grec ?

Grande question. Pour ma part, je ne suis pas optimiste sur le respect, comme vous dites, des promesses faites au suffrage universel par Syriza. La manière dont ont été organisées les relations entre la Grèce et ses grands créanciers n’a pas été bonne. La manière violente que l’on a imposée au peuple grec – je l’ai dit dans d’innombrables émissions pendant cette période – était porteuse de menaces. Le peuple grec a subi une violence réelle et symbolique très importante. Est-ce que les promesses qui lui ont été faites peuvent être respectées ? Je ne le crois pas, pour une raison très simple : la Grèce, comme la France, a besoin d’emprunter tous les jours pour payer ses fonctionnaires et le train de vie minimal qui est le sien. De surcroît, elle a fait des promesses pour 12 milliards, 15 milliards, d’augmentation des salaires, de recrutement des fonctionnaires, tout ce que l’on appelle fin de l’austérité. Et quand vous avez besoin d’emprunter tous les jours pour vivre et que vous allez voir votre banquier en disant « Je vous préviens, je viens vous emprunter de l’argent mais ne vous attendez pas à le revoir parce que je ne vais pas rembourser ma dette », la banquier, alors, ne prête pas. C’est vrai pour le banquier privé, avec votre voisin si vous allez lui emprunter 100€, et c’est vrai avec le banquier de grande dimension que sont les grandes banques et c’est vrai avec les États. Pour ma part, cette confrontation entre des promesses qui exigent d’emprunter et, d’un autre côté, l’annonce que l’on ne remboursera pas est purement et simplement impossible.

Il y a aussi un pari de relance par la consommation.

Oui, c’est une blague. Il y a deux issues extrêmes dont l’une est « On ne respectera pas nos engagements », donc il y aura une déception énorme parmi le peuple grec et parmi tous ceux qui, en Europe, ont dit « Voilà la voie à suivre ». La deuxième est « On sort de l’euro ». Voilà les deux issues, on espère que l’on trouvera une solution à moyen terme mais cette solution sera, de toute façon, décevante pour ceux qui ont cru que quelque chose pouvait changer. Le problème est que les gouvernements successifs, pas les derniers mais les gouvernements précédents, ont détruit, déstabilisé la situation intérieure de la Grèce en ayant des comptes publics et un endettement qui étaient au-delà du possible. C’est là que l’on retrouve – vous me pardonnerez de revenir à quelque chose que j’ai plaidé devant les Français depuis 15 ans – qu’un endettement excessif détruit - comme un ménage ou une entreprise - un Etat, en tout cas supprime son indépendance. 

Michel Urvoy : Justement, venons en à la France et à la politique économique française. Vous aviez été très critique depuis le début du mandat de François Hollande. On a eu des baisses de charges, le pacte de responsabilité et aujourd'hui la loi Macron. Est-ce que ces décisions vont dans le bon sens, est-ce qu'elles sont suffisantes ?

François Bayrou : Qu'il y ait un mouvement de réalisme, c'est certain et c'est heureux. Ce n'est pas moi qui vais dire le contraire, vous vous souvenez que c'est un mouvement que j'attendais depuis le début, depuis le premier jour. Est-ce que ce mouvement de réalisme est bien pensé et est-ce qu'il suffit, je ne crois pas que ce soit le cas. Je pense qu'il n'est pas bien pensé. Pourquoi ? Parce qu'il est pensé dans le cadre existant. On ne change rien.

Si vous me permettez d'ouvrir une parenthèse très rapide sur la dernière conférence de presse de François Hollande - la dernière conférence de presse de François Hollande, elle dit deux choses : elle dit je vais prendre une initiative en Ukraine, premier point, et deuxième point, je ne changerai plus rien.

Or cette deuxième affirmation dit que la loi Macron est la dernière étape, et Dieu sait que la loi Macron ne suffit pas, que ce ne sont que des petits pas. J'ai découvert à cette occasion qu'il fallait une loi pour organiser des lignes de bus, je n'aurais jamais imaginé qu'on ne pouvait pas organiser des lignes de bus en France, c'est une grande naïveté mais c'est comme cela. C'est bien qu'on libéralise, que l'on rende possible un certain nombre de choses, que l'on donne aux maires - ce n'est pas encore le cas car ce n'est pas encore fait - la possibilité que les commerces fonctionnent pour que les centres villes soient vivants, ce qui est le cas d'une demande de beaucoup de maires, de beaucoup de villes, de beaucoup de communautés, sans que pour autant toutes les grandes surfaces s'y mettent. Si on avait une liberté de cet ordre, je trouverais cela très bien.

Est-ce que cela suffit ? Non. Pourquoi ? Parce que le gouvernement ne prend pas la mesure d'un impératif qui est pour moi la condition même de la vitalité et de la créativité du pays. Nous sommes devant des maquis, des labyrinthes, des jungles de lois, de règlements, de normes, de contrôles, qui empêchent les entreprises, les entrepreneurs, les artisans ou les commerçants, d'être dans l'idée du développement. Ils disent « non, on ne veut pas prendre ce risque d'embaucher ou de créer quelque chose, car cela sera trop compliqué, on va avoir tellement de pyramides sur le dos ».

Fabien Dabert : C'est plus une question de contraintes que de coût du travail ou de charges ?

François Bayrou : Pour moi c'est essentiellement une question de contraintes. Il n'est pas vrai que le travail soit trop payé en France. On a au contraire un travail peu payé, pour ne pas dire mal payé. Les charges sont extrêmement lourdes. Vous vous souvenez que j'avais proposé dans cette idée de simplifier, que pour un ou deux emplois par entreprise on puisse supprimer les charges pendant cinq ans, histoire de lancer un coup de booster. C'était une idée qui essayait de répondre de manière simple à cette observation. Tant que l'on n'aura pas une démarche, qui soit une démarche de réécriture, avec une volonté de simplification de tous ces codes énormes, qu'aucun artisan, qu'aucune PME ne peut connaître ou lire, tant que l'on n'aura pas une possibilité nouvelle avec le contrat de travail, tant que l'on n'aura pas plus de confiance que de contrôle …

David Blanchard : Justement sur cette polémique de la question du boulanger qui souhaite ouvrir dans votre région 7/7 jours, à qui on l'a interdit par arrêté ; vous avez dit que vous souhaitiez qu'on le laisse travailler. La confédération nationale de la boulangerie s'est prononcée contre en disant que les arrêtés préfectoraux ne sont pas faits pour empêcher les gens de travailler mais, pour trouver des équilibres, promouvoir la qualité des produits et instaurer des règles équitables – on voit pourtant que c'est la profession elle-même qui freine des quatre fers pour cette ouverture.

De quoi s'agit-il ? Il s'agit d'un artisan qui veut ouvrir le dimanche après-midi. Mon idée c'est qu'à chaque fois que l'on est dans une entreprise artisanale, commerciale, avec quelqu'un qui a quelques emplois, celui-là, on le laisse autant que possible développer son activité.

Ce n'est pas la même chose que d'avoir une grande surface - avec tous les moyens qu'elles ont - qui décide que son activité sera ouverte 7/7 jours.

Quelqu'un qui est dans l'initiative, qui essaie d'inventer quelque chose, il faut le laisser faire autant que possible. Il me semble qu'en France – sans doute pour répondre à des principes d'égalité qui, en théorie sont bienvenus – traiter de la même manière le très grand et le tout petit, ce n'est pas de l'égalité.

David Blanchard : Mais la profession elle-même souhaite qu'il en soit ainsi ?

Encore une fois, je ne vais pas ouvrir une polémique avec la fédération de la boulangerie, je comprends aussi. Au demeurant, allons jusqu'au bout. Vous croyez que c'est le dimanche après-midi qu'ils vont faire leur chiffre d'affaire ? Je ne le crois pas.

J'ai l'impression que ce boulanger, petit entrepreneur, avait à l'esprit une espèce d'image de marque qui dit « chez nous vous trouverez toujours du pain et des gâteaux quel que soit le jour et quelle que soit l'heure ». Laissez le vivre ! Je ne dis pas cela pour ouvrir une polémique.

Pour le reste il y aura 99,9 pour cent des boulangers qui seront ouverts le dimanche matin, notamment en ville et qui fermeront le dimanche après-midi. Ce sera le cas partout en Bretagne, et chez nous en Béarn. Laissez les vivre ! Laissez les vivre et faire. Laissez les innover. C'est comme cela qu'une société et une économie avancent.

Fabien Dabert : François Bayrou, on va passer au chapitre de « l'union nationale », celui que l'on a baptisé « l'esprit du 11 janvier ». Il ne reste plus que deux ans et demi avant la prochaine échéance présidentielle. Comment concrètement empêcher le Front National d'accéder au second tour ? Que peut-on dire aux électeurs du Front National pour les convaincre ?

François Bayrou : Je vais vous dire quelque chose. J'ai lu qu'un dirigeant socialiste avait dit « j'ai honte et j'ai peur ». Ce sont deux sentiments qui me sont étrangers. Je ne porte pas du tout ce genre de jugement.

Le Front National a prospéré sur les impuissances et les blocages des majorités successives et de nos institutions. En France, 50 % du corps électoral n'est pas représenté dans la vie parlementaire...

Michel Urvoy : Vous souhaiteriez donc une réforme des institutions ?

François Bayrou : J'y viens. Quand vous avez ainsi, des gens qui sont exclus, ils deviennent le réceptacle de toutes les insatisfactions. C'est normal et c'est humain.

Fabien Dabert : Une réforme des institutions en mettant de la proportionnelle, en changeant le mode de scrutin …

François Bayrou: Ai-je pour autant la moindre indulgence à l'égard du Front National ? Aucune. Pour une raison extrêmement précise : je considère que les obsessions qu'ils cultivent - en employant des mots qui laissent entendre qu'ils disent tout haut ce que tout le monde pense tout bas - et leurs propositions - sortir de l'Europe, sortir de l'euro, les mêmes que Syriza en Grèce, raison pour laquelle Marine Le Pen a soutenu explicitement l'extrême gauche - grecque - sont le malheur de la France.

Michel Urvoy : Il y a urgence Monsieur Bayrou. François Hollande a fermé la porte à une réforme des institutions, toujours dans sa conférence de presse …

François Bayrou : Grave erreur.

Michel Urvoy : Les résultats économiques ne seront pas mirobolants, comment fait-on pour contrer le Front National, faut-il une candidature unique de la droite et du centre et comment ?

François Bayrou : Vous avez dit que François Hollande ne changerait plus rien à nos institutions, c'est une grave erreur. C'est même une faute. Y compris une faute contre lui-même puisque son programme annoncé aux Français, c'était qu'il changerait quelque chose.

On parle de nos institutions. Je ne suis pas pour un changement de nos institutions, je suis pour un changement de loi électorale. La règle électorale française, règle dangereuse - et on risque de s'en apercevoir - exclut un très grand nombre de Français de la représentation. Or, si il y a une représentation nationale, un Parlement, c'est pour que tous les grands courants du pays y soient représentés. Or, l’extrême-gauche, l’extrême-droite et le centre, ne sont pas représentés dans ces institutions. Pour être représenté en France, il faut aller baiser la babouche du Parti socialiste ou de l'UMP ! Si vous allez faire allégeance, si vous vous prosternez, si vous acceptez le rôle de roue de secours, alors on vous fait une place. Même si vous ne pesez rien électoralement.

Michel Urvoy : Mais la réalité est celle-là aujourd’hui donc comment fait-on ?

François Bayrou : S'il y a un impératif, c'est de changer la loi électorale en tenant compte de la promesse que François Hollande a faite au moment de son élection : introduire une part substantielle de proportionnelle.

Fabien Dabert : Vous imaginez bien que ce ne sera pas fait d'ici, un, deux ou trois ans, et là il faudra décider d'une stratégie.

François Bayrou : Qu'un journaliste brillant comme vous, dans un média de liberté, dise « vous imaginez bien que ça ne sera pas fait »...

Fabien Dabert : Disons que c'est peu probable …

Michel Urvoy : C'est François Hollande qui l'a dit …

François Bayrou : Attendez, arrêtons-nous. Ne pouvez-vous pas comme observateur, et moi comme acteur du jeu politique français, dire « vous avez fait une promesse, cette promesse est vitalement consacrée par la réalité, alors pourquoi ne la tenez vous pas ? ». Si on continue comme cela, c'est le scrutin majoritaire qui va régler la question. En faisant des vagues. Vous savez le scrutin majoritaire, c'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Vous avez un vase qui se remplit, puis il y a une goutte d'eau et alors le vase déborde !

Michel Urvoy : C'est votre désaccord avec Alain Juppé d'ailleurs ?

François Bayrou : Nous en avons beaucoup discuté ensemble et je pense, je crois, qu'il n'est pas éloigné de cette idée. On peut, si on est si fortement attaché à l'idée de majorité, trouver des moyens : introduire une part substantielle qui représente tous les courants d'opinion dans le débat national. Une idée simple : on peut avoir un scrutin majoritaire sur les deux tiers des sièges et une représentation proportionnelle sur le tiers restant. Ce qui permettra de compenser le caractère antidémocratique du scrutin majoritaire.

Michel Urvoy : Je reviens à ma question sur 2017, comment fait-on pour contrer Marine Le Pen, fait-on une candidature unique de la droite et du centre, ou chacun part-il de son côté ?

François Bayrou : Cela dépend de qui veut incarner cette entente. Il y a des gens qui peuvent, qui ont la possibilité, la faculté, le caractère, l'expérience, pour qu'une large entente se fasse. Il y a au contraire des personnalités – je ne vais entrer dans les noms – qui organisent la confrontation et l’agressivité.

Michel Urvoy : On a compris qu'Alain Juppé et Nicolas Sarkozy ce n'était pas la même chose.

François Bayrou : Vous limitez à deux. Je ne sais pas ce qu'il va se passer.

Michel Urvoy : Vous participeriez à une primaire où vous vous sacrifieriez, pour que quelqu'un qui a votre faveur puisse gagner ?

François Bayrou : Je n'ai pas d'attrait particulier pour ce qu'on appelle une primaire. Pourquoi ? Parce que les primaires – et je l'ai dit à Alain Juppé – favorise le noyau le plus dur du camp. Si ce noyau pèse un dans un ensemble qui pèse dix, son poids n'est pas aussi déterminant, mais, s'il pèse un dans un ensemble qui pèse trois, à ce moment il devient déterminant. C'est là que le choix se fait.

David Blanchard : Ce n'est pas ce qu'il s'est passé aux primaires du PS. Quand la ligne de François Hollande, émerge ce n'est pas la ligne la plus dure du PS.

François Bayrou : Si vous y réfléchissiez, vous remarquerez qu'Arnaud Montebourg avait rejoint François Hollande.

David Blanchard : Oui, mais ce n'est pas Arnaud Montebourg qui a été élu ?

François Bayrou : Arnaud Montebourg avait fait 17 % de mémoire à l'intérieur de la primaire et a rejoint François Hollande. Donc d'une certaine manière, il a fait la différence. De plus, les circonstances avec l'affaire Dominique Strauss-Kahn n'étaient pas tout à fait les mêmes. Peut-être avez-vous raison. On va voir. Si Alain Juppé gagne ce pari, j'en serai pour ma part très heureux et je l'aiderai.

Michel Urvoy : L'aider de quelle manière ?

François Bayrou : On n'en a pas discuté de manière précise, puisque l'on n'a jamais fait Alain Juppé et moi, de négociations. Si Alain Juppé était choisi, oui nous pourrions - nous ce courant démocrate du centre français – nous entendre avec lui.

David Blanchard : Mais vous préféreriez à des primaires la création d’un mouvement avec la gauche de l’UMP, le centre voire la droite du PS ?

D’un mouvement, je ne sais pas si c’est le mot. Mais vous savez mon idée, elle est affirmée chaque fois que je le peux. Aucun des problèmes du pays ne peut se résoudre dans l’affrontement des deux camps. Des soi-disant deux camps ! Ils disent qu’ils sont deux camps, mais ce ne sont pas des camps. La droite est coupée au moins en deux, la gauche est coupée au moins en deux. La seule possibilité est un ensemble au centre qui soit réformiste, qui soit si possible compréhensif de ce qui se passe dans le pays, qui ne passe pas son temps à exciter les gens les uns contre les autres, qui au contraire essaie de voir ce qui rassemble, qui trouve des mots et un enthousiasme différents, une manière de faire de la politique différente, qui ne soit pas perpétuellement dans les privilèges - dans le fait de jouer avec les règles perpétuellement en considérant que la loi n’est pas la même pour ceux qui sont au pouvoir et pour les autres… Tout ça, cette manière inédite dans nos institutions de pratiquer la politique, c’est une nécessité pou notre pays et c’est le seul secteur sur lequel puisse s’organiser le jour où cela deviendra possible par le changement de règle électorale une vraie majorité. Toutes les autres sont des fausses majorités.

Fabien Dabert : Une respiration politique, une offre nouvelle entre l’UMP et le PS rassemblant des gens qui peuvent être convaincus sur une même ligne.

Il y a un seul courant possiblement majoritaire, vous le voyez bien, c’est celui qui en effet pourrait unir les réformistes qui soient à la fois raisonnables et enthousiastes des deux soi-disant camps.

Michel Urvoy : Et donc cela exclut une primaire. Cela suppose un accord politique entre personnes de bonne volonté, ardemment modérées.

C’est la cinquième République. Moi je ne crois pas que la primaire soit la cinquième République mais j’ai un débat avec Alain Juppé sur ce point. Nous avons une différence d’appréciation, cela ne nous fâche pas pour autant. Au fond, il a fait ce choix par affection pour l’UMP, c’est son bébé ! De même que les mouvements du centre sont les miens et j’y suis viscéralement attaché. C’est une partie de son œuvre politique, donc il est attaché à l’UMP, donc il a fait ce choix. Moi je ne crois pas que la primaire corresponde à la cinquième République. La cinquième République, c’est : « au moment de l’élection présidentielle se forme un soutien à une politique portée par un homme ou par une femme ». Là se trouve l’origine du pouvoir exécutif. Si vous relisez le discours de Bayeux du Général de Gaulle après la guerre, alors vous allez entendre cette vision que je considère juste : au fond le pouvoir exécutif ne vient pas de combinaisons parlementaires comme on voudrait nous le faire croire, il vient du soutien que le peuple accorde à une vision portée par une femme ou par un homme. C’est cela le contrat de la cinquième République. Ce contrat je le crois juste. Cela vous surprendra peut-être venant d’un homme du centre ! Seulement je pense que ce contrat doit être rénové par un changement assez profond de la pratique parlementaire en particulier.

Michel Urvoy - Mais la nature humaine fait dans votre hypothèse qu’il y aurait plein de candidatures et que Marine Le Pen serait à coup sûr au second tour.

D’abord, je signale qu’avec tout cela elle y est, enfin si les sondages ont raison. Encore une fois : se servir du Front national comme épouvantail pour empêcher tout renouvellement de la vie politique française, ce n’est pas mon point de vue. Je n’ai pas l’intention de me laisser épouvanter par les épouvantails. J’ai au contraire l’intention de porter une vision dynamique, qui soit un renouvellement dans l’avenir de la vie politique française.

Fabien Dabert : nous avons une question de Régis sur internet, qui nous dit « où est l’Alternative, François Bayrou ? Est-ce que vous pouvez travailler main dans la main avec Jean-Christophe Lagarde ? ».

Nous pouvons travailler ensemble. Je crois que Jean-Christophe Lagarde l’a dit hier sur un média. Je le dis devant vous : nous pouvons et devons travailler ensemble. Alors la différence ou le problème, c’est que les uns sont plus proches de l’UMP et les autres plus indépendants mais pour moi le centre ne peut être qu’indépendant, sinon ce n’est pas le centre !

Michel Urvoy : Alain Juppé disait hier « On peut travailler avec François Bayrou, à condition qu’il n’ait pas le cul entre deux chaises ». Avez-vous le cul entre deux chaises ?

Ce sont des expressions qui ne sont pas adaptées à la situation surtout pour quelqu’un qui a l’habitude de prendre des risques. Je ne pense pas que l’on ait pu dire que j’étais hésitant dans la responsabilité politique. J’ai pris plus de risques qu’aucun des responsables politiques français. Et je n’en regrette aucun. Ce type d’expression n’est pas juste. Mais pour moi cela est très clair : je n’approuve pas la manière dont le gouvernement et l’exécutif et le Président de la République ont traité les grands problèmes du pays ces dernières années. Je pense que les choix qui méritaient d’être faits et les mots qui méritaient d’être trouvés ne l’ont pas été.

David Blanchard : Concrètement, pour les élections départementales, avec qui le MoDem va-t-il s’allier ? Est-ce que vous avez une idée de la proportion d’investitures avec l’UDI ?

Dans la plupart des cas, ce sont des alliances dans l’opposition qui sont faites. Et puis pour le reste, c’est avec des divers comme on dit, des gens qui refusent des étiquettes et il est vrai que le MoDem de ce point de vue là manifeste une liberté et une indépendance.

David Blanchard : Il y aura un appel national avant le second tour à voter pour les candidats UMP dans le cas de duels UMP / PS ?

On n’en est absolument pas là car si vous connaissez les élections départementales et si vous regardez la composition des tickets, très rares sont les cas où c’est « investiture UMP » ou « investiture MoDem »… Non, ce n’est pas comme cela que ça s’organise. On essaie de trouver dans les cantons, y compris dans les Pyrénées-Atlantiques, les meilleures personnalités et ce n’est pas facile à trouver parce que cette élection a au moins le mérite de faire se renouveler une partie du personnel politique par la féminisation. C’est moins partisan qu’on ne le croit. Moi en tout cas, ma démarche politique est moins partisane que celle que l’on me recommande.

Fabien Dabert : On a beaucoup de gens qui se posent des questions sur cette affaire, cette polémique au sujet du président des jeunes populaires (UMP) qui n’a plus de titre de ce séjour. Stéphane Le Foll a déclaré hier à l’Assemblée que l’UMP était rattrapée par elle-même à force d’instrumentaliser les questions d’immigration. Est-ce que vous partagez cette analyse et est-ce qu’il faut naturaliser ce jeune homme ?

Il y a quelque chose d’un peu ironique dans cette affaire. C’est tel est pris qui croyait prendre. C’est un garçon – d’après ce que j’ai lu, car je n’ai jamais eu l’occasion de le rencontrer – qui se manifeste fortement contre l’immigration et les sans-papiers et qui lui-même se retrouve l’être. En même temps, je n’aime pas que l’on cible des personnes comme cela. C’est un jeune garçon qui a été pour le moins imprudent, sans doute pris par l’ivresse de la « responsabilité » politique, d’avoir été choisi par Nicolas Sarkozy… Je n’ai pas envie de me perdre en commentaires éternels sur cette petite ironique affaire.

Fabien Dabert : Ce sera le mot de la fin. Merci beaucoup François Bayrou d’avoir été ce matin dans Direct Politique.

Je reçois la lettre d'information du Mouvement Démocrate

Engagez-vous, soyez volontaires

A nos côtés, vous serez un acteur de nos combats pour les Français, pour la France et pour l'Europe.

Chaque engagement compte !

Votre adhésion / votre don

Valeur :

Coût réel :

20 €

6,80 €

50 €

17 €

100 €

34 €

Autres montants

Qu'est ce que la déclaration fiscale sur les dons ?
Filtrer par