Affaire Tapie : "Il fallait évidemment le feu vert de l’Elysée pour l’arbitrage"

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François Bayrou estime que l’État a "le devoir de déposer un recours contre l’arbitrage" rendu en faveur de Bernard Tapie, dans une interview publiée vendredi par Libération.

Pensez-vous que Nicolas Sarkozy a facilité l’issue de l’arbitrage qui a conduit le CDR (le Consortium de réalisation, l'organisme dépendant de l'Etat français chargé de solder les vieilles affaires de l'ex-banque publique Crédit Lyonnais) à verser 403 millions d’euros à Bernard Tapie ?

Sous la Ve République, en particulier entre 2007 et 2012, il n’est pas imaginable qu’une affaire de cet ordre soit traitée sans approbation de l’Elysée. On demande un tel accord pour la nomination d’un recteur ou d’un sous-préfet ! Alors pour 400 millions, dans un tel climat de contestation, il faut évidemment le feu vert de l’Elysée ! Il faut que l’Elysée approuve l’ensemble du scénario. Cela ne fait aucun doute.

La présidence peut-elle avoir approuvé la procédure mais sans interférer dans l’arbitrage ?

Je n’en sais rien. Que disent les juges d’instruction ? Primo, la qualification "d’escroquerie" définit qu’il y a eu détournement d’argent sans cause fondée, et secundo que cette dérive est le fait d’une bande organisée. Il y a donc une organisation qui a décidé et mis en scène cette manœuvre. Bien entendu, cette chaîne de décisions exigeait la pleine implication des responsables politiques.

Néanmoins, après son audition devant la Cour de justice de la République, Christine Lagarde a été placée sous le statut de témoin assisté mais pas mise en examen...

C’est en effet le cas à ce stade. Mais l’instruction est toujours en cours. J’ai été frappé que Mme Lagarde déclare que si elle avait eu les informations dont elle dispose aujourd’hui, elle n’aurait pas pris cette décision. C’est une déclaration très importante. Et les Français ont le droit de savoir de quelles informations sensibles il s’agit. Enfin, si la qualification d’escroquerie est confirmée, les magistrats chercheront qui en sont les responsables. Je suis de ceux qui se demandent qui sont les responsables et quel a été leur mobile.

Vous avez toujours contesté la légalité de cette procédure d’arbitrage...

Oui. En 2010, j’ai attaqué Bercy en justice pour deux raisons : d’abord pour avoir utilisé cette procédure, illégale selon moi, car le CDR n’est qu’une devanture de l’Etat. Or l’arbitrage est interdit à l’Etat. C’est tellement vrai que c’est l’Etat qui aujourd’hui veut se porter partie civile. Cette illégalité est à ce point établie que dans les semaines qui ont précédé la présidentielle de 2007, il y a une tentative de rendre légale la procédure d’arbitrage pour l’Etat et les collectivités publiques, que le Conseil constitutionnel a cassée. La deuxième raison portait sur le refus de Mme Lagarde de contester l’arbitrage final. Christine Lagarde avait en effet donné instruction d’empêcher tout recours. Nous avons été déboutés par le tribunal administratif, mais il apparaît aujourd’hui évident que notre recours était pleinement fondé.

Que doit faire le gouvernement ?

Le ministre de l’Economie, Pierre Moscovici, a le devoir de se porter partie civile au nom de l’Etat et de préparer un recours contre la décision d’arbitrage. Le motif de la mise en examen du juge arbitre Pierre Estoup, "escroquerie en bande organisée", laisse supposer qu’il y a eu fraude. Or en droit, s’il y a eu fraude, l’arbitrage est nul. Logiquement, l’Etat et la justice doivent alors exiger le remboursement des sommes détournées.

Cette affaire ne risque-t-elle pas d’alimenter la défiance des Français envers les politiques ?

La faute, c’est de commettre des actes frauduleux, pas de les dénoncer. Heureusement, une justice indépendante, des juges qui peuvent travailler, cela change tout. C’est ça, la démocratie. J’espère que ce rebondissement va renforcer la détermination des citoyens à bâtir une démocratie où de telles dérives ne seront plus possibles. C’est avec cet espoir que les républicains déterminés, dont je suis, militent par exemple pour un Parlement de plein exercice et une vraie séparation des pouvoirs. 

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