2017 : "Je ne veux pas que l’on se trouve devant la triple impasse François Hollande - Nicolas Sarkozy - Marine Le Pen"

Invité du "Grand rendez-vous d'Europe 1" ce dimanche 11 octobre, le président du MoDem a exposé sa vision de la France et prôné une méthode de gouvernement "efficace et rassembleuse".

Arnaud Leparmentier : Bonjour Monsieur Bayrou.

François Bayrou : Bonjour.

Syrie, Ukraine, Yémen, Afghanistan, Tchad, Israël, Turquie… Tous les conflits dégénèrent, est-ce que cela en fait une troisième guerre mondiale ?

On ne peut pas employer ce mot parce que la troisième guerre mondiale aurait des aspects de mobilisation absolue de forces ultimes et d’armes ultimes ! Or ce n’est pas la situation dans laquelle nous sommes. Nous sommes dans un conflit endémique qui sans cesse s’accroît. Il faudrait ajouter à ce conflit d’autres fragilités qui sont en train d’apparaître dans le monde : par exemple, le Brésil qui hier apparaissait comme une puissance émergente est pour ainsi dire au bord de l’implosion. On a ainsi des zones d’inquiétude qui augmentent. Vous voyez que la situation est plus grave qu’elle n’est apparue depuis probablement trente ans.

L’ennemi, c’est Daech ? L’État islamique ?

En tout cas, nous sommes obligés de classer le risque, d’apprécier son urgence ! Et la première urgence, et la plus lourde, est celle qui vient de cette folie fondamentaliste, qui veut soumettre tout à sa loi, y compris profaner la vie humaine, le visage humain, le patrimoine de l’humanité…

Bachar el-Assad est-il secondaire ?

Disons second ! « Secondaire » n’est peut-être pas le mot.

Jean-Pierre Elkabbach : Vous dites ce que disait cette semaine sur Europe 1 Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense : l’ennemi numéro un est Daech, Daech, Daech. Alors qu’en début de semaine, d’autres disaient que les deux, ensemble, étaient les ennemis concomitants.

Mais je ne crois pas que l’on puisse lutter ensemble contre deux ennemis à la fois. On est obligé de choisir l’urgence. Et l’urgence est en effet de ne pas laisser cette terreur, cette horreur, l’emporter. Bien entendu, je n’ignore pas que parmi tous ceux qui fuient la Syrie, il y en a beaucoup qui fuient aussi le régime de Bachar el-Assad mais ce sera pour moi une deuxième étape. J’ai cru comprendre, si l’on regarde bien, qu’il y a peut-être des évolutions – par exemple du côté de la Russie – qui peuvent permettre d’envisager que cette deuxième étape puisse être un jour abordée sous l’angle du remplacement de Bachar el-Assad.

Il y a un rapprochement en ce moment,  peut-être théorique mais qui est en préparation diplomatique, entre la Russie de Vladimir Poutine et la France de François Hollande.

Je perçois quelques évolutions et j’ai regretté que la France depuis longtemps ne réalise pas cette affirmation de l’urgence.

Michaël Darmon : Presque 100 morts après l’attentat d’Ankara hier en Turquie. Là aussi, vous y voyez la main de l’État islamique ?

Je ne sais pas, je suis comme vous. J’ai lu les analyses qui disent qu’au fond il y a deux sources possibles de cet attentat : les anti-Kurdes et notamment…

Le président Erdogan n’a pas reconnu la montée de l’opposition kurde. En déclenchant des élections anticipées, est-ce qu’il a allumé le feu, est-ce qu’il n’a pas fait une faute politique ?

Moi je n’ai pas qualité pour aller juger de la politique intérieure de la Turquie. Comme vous le savez, j’étais de ceux qui pensaient qu’il était imprudent de faire adhérer la Turquie à l’Europe à l’époque où il y avait une espèce de flambée…

Heureusement qu’elle n’y est pas entrée.

Oui, parce que les problèmes de la Turquie, le labyrinthe dans lequel elle se situe, le paysage géopolitique dans lequel elle est, et son paysage culturel, ne sont pas des paysages européens. Donc les enchaînements de conflits dans lesquels la Turquie peut se trouver ne sont pas les enchaînements de conflits que l’Europe devrait affronter. La Turquie est dans notre voisinage, j’espère un jour dans notre voisinage coopératif, amical, constructif, mais je n’ai jamais pensé que la Turquie faisait partie de l’Europe.

Arnaud Leparmentier : En Israël, en est-on à la troisième Intifada selon vous ? Après les pierres, les couteaux ? Est-ce que Monsieur Netanyahou ne devrait pas appeler plus au calme ?

La situation est en train de se dégrader de manière à nouveau considérable en Israël et en Palestine. Il y a une tension qui monte et le caractère désespérant de la situation c’est qu’aucune ouverture ne semble en mesure d’être faite.

Jean-Pierre Elkabbach : L’Élysée vient de dire que l’escalade des violences est extrêmement préoccupante et dangereuse et qu’il faudrait tout faire pour apaiser le climat. Est-ce que l’on ne peut pas demander à Monsieur Netanyahou d’abord d’arrêter la colonisation, d’essayer ensuite de reprendre les négociations de paix avec Monsieur Abbas, c’est-à-dire l’autorité palestinienne, d’autre part lui demander que son armée n’ouvre pas le feu aussi facilement et que quand elle tire, elle ne vise pas des civils ? Est-ce que l’on peut aller jusque-là quand on est un homme politique ?

En tout cas, on peut dire quand on est un homme d’État un certain nombre de choses engageantes. Les appels au calme, à faire baisser la pression, à entendre les autres sont des déclarations qui ne sont pas très engageantes ! De ce point de vue, naturellement, le Président de la République française a raison d’avoir dit ce qu’il a dit. Ouvrir une porte pour que quelque chose se dessine à l’avenir n’a pas été fait depuis longtemps et je trouve que la France de son côté, et l’Europe de son côté, devraient être actives.

On entend le premier ministre israélien qui appelle ses concitoyens à porter des armes, à se défendre eux-mêmes. N’est-ce pas l’abandon pour le coup de toute responsabilité politique quand on est dans sa position ?

Jean-Pierre Elkabbach disait à l’instant : « Netanyahou, il faudrait lui dire… ». Il y a 15 ans que Netanyahou conduit la même politique…

Jean-Pierre Elkabbach : Il a été élu par les Israéliens démocratiquement, mais en même temps il y a le désespoir des Palestiniens…

Mais il y a le désespoir de beaucoup d’Israéliens aussi ! Il ne faut pas penser que le désespoir ne soit que d’un seul côté !

Qui donne un horizon politique à ces deux désespoirs ?

Personne ne donne d’horizon politique parce que personne ne voit d’issue. Moi j’ai toujours pensé, même si cela paraît irréaliste aujourd’hui, que la seule issue possible du conflit entre Israéliens et Palestiniens était l’issue que nous avions vécue, nous, entre Français et Allemands : c’est-à-dire pas seulement un armistice, mais une construction en commun qui permettra dans l’avenir à deux États non pas seulement de se supporter, mais aussi de construire ensemble une démarche qui permettrait, comme ça a été le cas entre la France et l’Allemagne pour rompre avec la guerre perpétuelle – nous étions depuis 100 ans en guerre –, de prendre ce que nous avions de plus précieux, et d’essayer de le gérer ensemble. Je vais vous énoncer les trois sujets qui, à mon sens, pourraient être gérés de cette façon. Le premier ce sont les réfugiés, le deuxième c’est l’eau, et le troisième ce sont les lieux saints.

JPE : Quand je vous entends, on dirait Shimon Pérès, c’est ce qu’il dit depuis longtemps.

C’est une référence qui me fait plaisir. C’est l’homme d’Etat israélien avec lequel j’ai le sentiment de partager des choses très profondes.

JPE : C’est une prophétie. Vous dites qu’aujourd’hui c’est irréaliste mais ce serait un horizon.

MD : Si on reprend votre classification des dangers et des risques. La France qui cible ses frappes en Syrie sur les QG de préparation d’attentats en France et en Europe, ce sont des frappes pratiquement extra-judiciaires, est-ce que vous êtes d’accord ?

Que la France participe à cet engagement, je suis pour et je soutiens la décision qui a été prise en ce sens. Est-ce qu’il y a la capacité de savoir exactement ce qui se prépare et où, et de le faire par des photos aériennes comme le président de la République l’a dit lors de sa conférence de presse, j’ai un peu plus d’interrogations sur ce sujet.

ALP : Est-ce qu’il faut cibler les Français qui font le djihad en Syrie ?

JPE : Où tous les djihadistes ?

Vu du ciel, il est très difficile de savoir la nationalité de quelqu’un…

JPE : Mais les services de renseignements, aidés par les Américains et indirectement par les services secrets syriens, peuvent dire où sont rassemblés les djihadistes étrangers, donc Français, qui s’entrainent à tel o tel endroit. La question est : est-ce qu’on est en légitime défense ?

Oui nous sommes en légitime défense et nous sommes en obligation de réagir devant une horreur qui menace ce que nous avons de plus précieux. Nous, Français, société française, mais plus encore nous, membres d’un univers qui a le minimum des minimums de civilisation.

ALP : Mais il y a deux manières sur place. Soit vous stoppez l’Etat islamique qui progresse contre Bachar al-Assad, soit vous ciblez des camps qui vont attaquer en France et en Europe. Est-ce que vous pensez qu’il faut cibler ces camps, et donc des citoyens français ?

Je suis très sceptique sur cette deuxième définition.

JPE : Les Français qui combattent la France, sont-ils des citoyens français ou des ennemis de la France ?

On a le devoir de se battre contre eux, de ne pas se laisser faire, d’utiliser des armes qui sont des armes de sécurité pour nous, et en même temps on participe à l’effort international que j’espère le plus large possible. Vous savez que je pense que la Russie devra y être associée, la Turquie et l’Iran aussi.

JPE : Ils y sont.

Ils y sont mais on ne veut pas le dire. On n’accepte pas de le voir.

JPE : N’êtes-vous pas impressionné par la puissance mondiale militaire nouvelle de la Russie telle qu’elle se déploie en ce moment en Syrie et ailleurs ?

Je n’ai jamais pensé que la Russie avait été effacée de la carte militaire, ni politique, du monde. Et je pense, au contraire, qu’il est de l’avenir de l’Europe d’avoir avec la Russie des liens privilégiés. Alors, évidemment, le mode de gouvernement de la Russie n’est pas toujours ce que nous préférons. Mais il demeure que, si vous regardez sur le plus long terme, quels sont les intérêts de la France et de l’Europe ? Ces intérêts passent par un équilibre et j’espère une entente avec la Russie.

MD : La Russie est un acteur plus efficace que l’acteur américain maintenant ?

Non, l’acteur américain est très puissant et très efficace. Sa manière de voir le monde ne nous ressemble pas souvent et on a vu, notamment au moment de la guerre en Irak, que cette manière de voir le monde entraînait les Etats-Unis à faire des erreurs, et je suis très heureux d’avoir appartenu au pays qui a dit non à cette erreur.

JPE : Et le président de la République, on voit bien qu’il est en train de chercher à établir, sinon à maintenir, avec Mme Merkel, un équilibre entre Barack Obama et Vladimir Poutine, parce qu’on voit bien que tout peut arriver dans cette confrontation en Syrie. Donc vous dites qu’il ne faut pas craindre la Russie, il faut constater son retour et s’accorder.

Il faut être lucide. Il faut être franc, il faut s’exprimer. Mais, à propos de François Hollande, je ressens une très grande frustration à l’égard de la manière dont il conduit ces choses.

ALP : François Hollande négocie avec les Russes, les Saoudiens, les Egyptiens, donc je ne vois pas pourquoi vous vous dites un peu insatisfait de François Hollande dans sa politique mondiale.

« Un peu » est un mot faible.

JPE : On entre dans la politique intérieure ?

Non, on entre dans l’exercice de la fonction présidentielle. François Hollande et Angela Merkel sont allés au Parlement européen cette semaine. Pour dire quoi ?

JPE : D’abord, un mea culpa de l’Europe sur les réfugiés. Ensuite, qu’il faut plus d’Europe. Et ensuite, dans l’improvisation de François Hollande contre à la fois les Anglais qui veulent sortir de l’Europe et le Front national, il a dit trois choses : pour l’Europe, statu quo à 28, renforcement de l’Europe et le fait que sortir de l’Europe, de l’euro et de Schengen ce serait sortir de la démocratie. Vous pourriez être d’accord ?

Oui, sur les déclarations générales.

JPE : Donc ils ont dit quelque chose.

Non, ils y sont allés pour mettre en scène une visite en commun sans avoir de message commun.

ALP : Vous auriez dit quoi, vous ?

Moi j’aurais proposé que l’Europe change son mode de fonctionnement et qu’elle puisse dire enfin aux citoyens où elle va, ce qu’elle fait.

JPE : Elle le dit au Parlement européen.

Si vous prenez aujourd’hui mille Français au hasard, il n’y en a pas 1% parmi eux qui sache dans quelle direction on se dirige, où l’Europe va aller. Ce que je ressens, c’est une absence de ligne politique pour l’Europe. Angela Merkel, dans cette séquence, en donne peut-être insuffisamment mais, ce qui me frappe en tout cas, c’est que François Hollande, lui n’en donne pas. Vous êtes en responsabilité, président de la République, chef de l’Etat, le peuple des citoyens attend une chose de celui qui exerce cette fonction, c’est qu’au moins il lui dise où on en est, quel est le cadre de ce que l’on vit et dans quelle direction on va.

JPE : Ce n’est pas la peine de leur dire, ils le savent.

Non, ils ne le savent pas !

JPE : Ils savent qu’il n’y a pas d’Europe, qu’il y a du retard, que les pays ne veulent pas accueillir de réfugiés et que Mme Merkel a des difficultés quand elle dit « on va en accueillir 800.000 » et que ça se transforme en 2 millions bientôt.

Ce que je ressens moi, c’est plutôt une tragique absence de la parole politique, notamment de la parole politique du chef de l’Etat. Une espèce, au fond, de résignation à être simplement celui qui accompagne et pas celui qui trace, qui dirige et montre un chemin.

MD : Est-ce que vous regrettez votre appel de 2012, quand vous nous expliquez tout ça ?

François Hollande avait des atouts en 2012 et il avait pris des engagements qu’il n’a pas respectés.

ALP : Vous regrettez votre vote ?

Je ne regrette pas ce genre de choses, je regrette qu’il n’ait pas été lui en situation de respecter ses engagements.

JPE : Donc c’est lui qui s’est trompé et pas vous ?

Oui, absolument.

JPE : Parce que vous ne vous trompez jamais ?

Ce sont des sujets trop graves pour que nous soyons sarcastiques. La situation est celle-ci : il y a des millions de Français qui, en 2012, ont cru, notamment en raison de ses déclarations, de ses orientations et de son style, que François Hollande pouvait ouvrir un chemin et, c’est ce qu’il avait dit, qui ne ressemblerait pas aux chemins que l’on avait pris avant. Et si vous prenez la tirade fameuse « Moi président de la République », vous découvrirez ligne après ligne qu’il n’a pas respecté ses engagements. Je prends un exemple : « Moi président de la République je ne m’occuperai pas des partis politiques »…

JPE : Mais vous avez déjà vu, avec votre expérience, un président de la République qui ne reçoit pas les partis ?

Dans ce cas-là, on ne prend pas d’engagements.

ALP : Donc, vous avez tiré les conséquences de cette déception et vous êtes revenu à droite pour les régionales ?

Je vais aller au bout de ma phrase parce que c’est très important. Tout le monde voit bien qu’il faut changer la manière dont s’organise notre vie politique dans le pays.  Il est absolument honteux, scandaleux et insupportable – je fais souvent ce compte – que 50% des Français n’aient pas de représentation dans les instances parlementaires. C’est honteux, ça n’existe pas dans les autres pays.

JPE : Vous avez beaucoup de courage mais vous n’en avez pas assez de crier dans le désert les mêmes arguments ?

Non, je pense qu’au contraire ce sont ceux qui maintiennent les mêmes arguments qui, au bout du compte, ont une chance de convaincre.

ALP : Les mêmes arguments mais avec un changement de tactique…

Je n’ai pas fini !

MD : Mais votre démonstration, comme vous le dites, vous l’avez souvent faite. Donc, si on peut avancer…

Il se trouve que non, j’ai tout à fait l’intention de terminer ma phrase et je vous promets qu’après vous aurez tout le temps de parole que vous voudrez ! Donc, dans la tirade de François Hollande, il y avait une phrase très importante : « Moi, président de la République, j’instaurerai la proportionnelle pour que tous les courants du pays soient représentés ». Et vous mesurez bien qu’à cette époque, ces engagements ont joué un rôle très important. Or, François Hollande, non seulement n’a pas instauré la proportionnelle ni même de la proportionnelle, mais il a complètement méprisé l’engagement qui était le sien. Ce qui signifie que la vie politique française est condamnée à jamais à l’impuissance avec deux partis qui monopolisent le pouvoir, qui monopolisent la représentation et qui nous entrainent dans l’impasse où nous sommes.

ALP : Comme vous êtes pragmatique, je reviens à ma question : vous vous êtes alliés avec la droite aux régionales ?

Je suis dans l’opposition et, en effet, je souhaite que l’opposition et les Français qui vont s’exprimer à l’occasion de ces élections envoient au pouvoir un coup de semonce sans ambiguité.

C’est la droite, l’opposition ?

Non, j’ai dit l’opposition, c’est vous qui avez affecté des étiquettes. Il se trouve que je suis le centre, au centre de la vie politique française, et que je n’ai pas l’intention de changer.

JPE : D’accord. Et comme vous n’êtes pas partisan du Front de gauche ou autre, l’opposition dont vous parlez est plutôt centre et droite. Vous refusez un accord global, si je comprends bien, avec Les Républicains, mais il y a des accords locaux et ponctuels. Est-ce que vous manquez d’autorité, est-ce qu’il y a des représentants locaux qui désobéissent ou est-ce que c’est un double langage ?

Non, j’approuve les choix qui ont été faits dans la plupart des régions par mes amis. En effet, je ne participe pas à un accord national parce qu’il se trouve que je voudrais que les élections régionales aient une dimension régionale avant tout.

ALP : Mais vous venez de nous dire qu’il fallait envoyer un message au gouvernement.

C’est exactement pourquoi je dis que j’approuve les accords qui ont été faits de ce point de vue là.

JPE : Est-ce que les centristes ne seraient pas plus forts et plus audibles si le MoDem et l’UDI de Jean-Christophe Lagarde se réconciliaient et faisaient un front commun ?

Sans aucun doute. Le centre sera fort le jour où il sera uni et indépendant. Pour l’instant, il n’est ni l’un ni l’autre, pas assez en tout cas.

JPE : Vous dites hélas ?

Hélas, je trouve que ça fait perdre des chances, mais je sais qu’il est inéluctable, qu’il est écrit dans les étoiles – en tout cas si les hommes et les femmes qui l’animent sont à la dimension de leur mission – qu’un jour cette unité et cette indépendance s’affirment. Vous voyez, je pense que l’organisation de l’opposition n’est pas la bonne. Et je ne le pense pas depuis aujourd’hui. L’idée d’un parti unique qui réunit tout le monde dans une espèce de melting pot qui empêche l’expression des sensibilités empêche chaque courant principal de jouer le rôle qui devrait être le sien. C’est la raison pour laquelle, comme la droite n’apparaissait pas assez affirmée, le Front national est monté, et comme le centre n’occupait pas son espace, le Parti socialiste est monté. Donc, depuis 2002, à mon sens, l’organisation de l’opposition n’est pas allée dans le bon sens.

JPE : Pour le moment, qu’est-ce qui manque à Alain Juppé pour gagner la primaire chez lui ?

Alain Juppé a choisi – et ce n’était pas mon avis, comme vous le savez – le mécanisme de la primaire. Il l’a même imposé. Or, ce mécanisme de la primaire, pour moi, fait courir des risques parce qu’il est très rare qu’une primaire fasse apparaître les plus modérés. Vous regardez les primaires américaines, Donald Trump les domine depuis des mois…

JPE : Mais elles n’ont pas encore eu lieu.

Mais il domine.

JPE : Il monte, il amuse la galerie et puis après il y aura la phase sérieuse.

Peut-être, espérons-le. Si on voulait dire des choses précises, en effet le scénario que vous décrivez a des chances de se réaliser, du moins je le souhaite. Pourquoi ? Parce que la primaire américaine se fait en quinze ou vingt étapes, quinze ou vingt scrutins. Il se trouve qu’en France, cette primaire, ce mécanisme qui a été organisé, n’a pas toutes ces étapes de décantation. Il n’y a qu’un vote.

MD : Vous faites partie de ceux qui, ces jours-ci, conseillent à Alain Juppé de partir de la primaire, tout simplement ?

Non, je pense que ce n’est pas possible et qu’il ne le ferait pas, c’est quelqu’un de loyal. Je pense qu’il ne le ferait pas, sauf s’il y avait des trucages ou une organisation malveillante. Mais je ne crois pas que ce soit dans les intentions d’Alain Juppé.

JPE : Et c’est dans l’intention de Nicolas Sarkozy, président du parti Les Républicains, de truquer, comme vous dites ?

Je ne le crois pas. Je ne sais pas.

MD : Irez-vous voter à la primaire de la droite ?

À titre personnel, de citoyen, de François Bayrou individuellement, non.

MD : Pourquoi ?

Parce que si je vais voter à la primaire de la droite, je suis engagé par le résultat de la primaire. Je suis loyal.

JPE : Donc vous dites à tous les centristes de ne pas aller voter ?

Pas du tout. Je pense que beaucoup de mes amis iront.

JPE : Mais parmi les électeurs centristes, si vous ne les encouragez pas à aller voter, vous affaiblissez Alain Juppé, votre candidat.

Ce n’est pas ce que je dis. Alain Juppé sait exactement ce que je dis, parce que nous en avons parlé souvent. Beaucoup de mes amis – il y en a d’ailleurs présents dans cette salle – iront. Parce qu’ils ont envie d’essayer d’apporter de l’aide et du soutien au candidat qui apparaîtra à ce moment le plus proche de nos convictions.

MD : Si vous n’y allez pas vous-même c’est pour pouvoir être candidat le cas échéant ?

Non, si je n’y vais pas, c’est pour pouvoir garder mon libre arbitre devant la situation qui sera créée par le résultat de la primaire.

MD : Pour pouvoir être candidat ?

Non, je n’ai pas dit les choses comme ça. J’essaie de dire des choses précises. J’aime bien garder ma liberté parce que cette liberté peut être précieuse.

MD : Mais les gens qui vous écoutent et qui vous regardent aimeraient aussi savoir où vous êtes vraiment. Cette transparence que vous prônez peut s’affirmer. Si vous dites que la primaire favorise les plus durs, donc Nicolas Sarkozy serait candidat, donc vous seriez amené à être candidat ?

Ce jour-là, je vous le dirai.

JPE : Donc vous ne l’excluez pas ?

Je ne l’exclus pas. Je n’exclus rien qui appartienne à l’ordre de ma responsabilité. Il se trouve qu’un homme engagé, quelqu’un qui a acquis aux yeux des Français un peu de crédit, d’expérience, a en effet le devoir de dire ce qu’il ne veut pas. Ce que je ne veux pas est très clair. Je ne veux pas que l’on se trouve devant l’impasse ou devant la triple impasse Hollande-Sarkozy-Le Pen. Je ne le veux pas. Comme citoyen, comme père de famille, je ne l’accepte pas.

JPE : En 2012, en vous ralliant à François Hollande, vous avez fait battre Nicolas Sarkozy. Est-ce que cinq ans après, pour faire battre Sarkozy vous pourriez faire élire François Hollande si ce sont les deux qui sont là ?

Monsieur Elkabbach, on peut apporter une nuance ! Nicolas Sarkozy n’est pas mon obsession. Je ne me suis pas du tout engagé dans la vie politique pour cela ! Il se trouve que Nicolas Sarkozy a choisi, pendant la période où il était Président de la République et après, une manière d’aborder la politique qui ne me parait pas aller dans le sens de l’intérêt du pays. Les hommes changent rarement. Il se trouve qu’il a choisi une orientation constamment conflictuelle, qui consiste - pour mobiliser son camp et peut-être parce que c’est sa nature ou sa manière d’être - à dresser les gens les uns contre les autres. Ce n’est pas une affaire personnelle, c’est l’idée que je me fais de l’intérêt du pays dans une période de crise qui caractérise notre différence. En période de crise, il ne faut pas dresser les gens les uns contre les autres, il faut les rassembler, les entraîner, les fédérer !

Est-ce que contrairement à ce que tout le monde pense, dans l’intérêt de votre camp, si jamais Nicolas Sarkozy gagnait la primaire, vous pourriez vous rapprocher et même vous accorder avec lui ?

Vous ne m’avez pas bien entendu. Nous sommes aujourd’hui le 11 octobre 2015. Parlant le 11 octobre 2015, l’idée que je me fais de l’intérêt du pays n’est pas de se retrouver avec un vote sur la table duquel il n’y aurait que comme bulletins crédibles que François Hollande, Nicolas Sarkozy, Marine Le Pen.

Le 11 octobre, vous dites que vous ferez tout pour empêcher un deuxième tour François Hollande contre Nicolas Sarkozy ?

Non, je ferai tout pour empêcher un premier tour dans lequel il n’y ait que ces trois impasses, c’est clair ! Et c’est la raison pour laquelle j’ai dit - ce qui n’arrive pas très souvent dans le monde politique - qu’ayant un socle électoral, étant passionné par cet avenir du pays, je suis cependant prêt à apporter mon soutien à quelqu’un qui n’est pas de mon parti parce que je considère que ce quelqu’un a la possibilité de faire naître un climat nouveau dans l’opinion ! Il est d’intérêt national que la fonction présidentielle soit enfin plus indépendante des partis politiques qu’elle ne l’a été depuis des années.

Pensez-vous que c’est Monsieur Cambadélis qui tient François Hollande ?

Je n’ai pas dit cela sous cette forme mais les habitudes de François Hollande et sa manière d’être sont partisanes, elles restent à l’intérieur du PS et de ses pratiques. Il suffit de voir les nominations ! Et il n’a pas fait ce qu’il avait promis de ce point de vue.

Tous les Présidents de la Vème République n’ont-ils pas fait cela ?

Pas tous. Valérie Giscard d’Estaing ne l’a pas fait et le général de Gaulle avait une autre vision. Je pense que Georges Pompidou lui-même ne l’a pas fait.

Michaël Darmon : Est-ce que François Fillon qui vient d’exposer récemment son projet à travers un livre participe quelque part de cette diversité que vous prônez ? Avez-vous lu son projet ? Qu’en pensez-vous ?

Je pense que François Fillon est quelqu’un d’absolument respectable avec qui j’ai des liens amicaux depuis longtemps. Aujourd’hui la question est de savoir comment s’organisent ceux qui ont cette autre vision de l’avenir et c’est la raison pour laquelle, moi, je souhaiterais que François Fillon et Alain Juppé se rapprochent pour qu’ils puissent présenter ensemble un horizon pour le pays.

Est-ce que vous êtes d’accord avec le projet de François Fillon qui est quand même très libéral en économie ?

Je ne suis pas d’accord avec tout, mais il se trouve que François Fillon, lui, est d’accord avec moi sur un certain nombre de sujets que je défends depuis longtemps et qu’il a repris dans son projet. Je vais prendre un exemple très simple : l’allocation sociale unique par point, c’est-à-dire le fait que l’on n’ait plus des dizaines d’allocations de différents organismes : François Fillon en a fait un projet. C’est une idée que je défends depuis longtemps.

Et donc vous voulez que François Fillon et Alain Juppé…

Je vouDRAIS !

Vous vouDRIEZ qu’ils se rapproCHASSENT… 

(Rires)

Très bien ! Si au moins nous pouvons réhabiliter l’imparfait du subjonctif dans cette émission, nous ferons de grands progrès. Je souhaiterais qu’ensemble ils proposent une alternative mais ce n’est pas mon affaire, ce n’est pas mon parti.

Michaël Darmon : Qu’est-ce que vous avez à gagner avec la victoire d’Alain Juppé ? Devenir Premier ministre ? Refaire un groupe ? Faire revivre ce centre français qui a disparu ?

Peut-être que cela va vous surprendre mais il se trouve que je n’interprète pas ou que je ne pose pas cette question sous l’angle de l’intérêt personnel. Il y a beaucoup de responsables politiques qui, chaque fois qu’ils prennent une position, sont en réalité en train de préparer un avantage pour eux. Ce n’est pas mon cas. Je souhaite que la manière dont on gouverne la France change pour que ce gouvernement devienne efficace et rassembleur. Nous sommes depuis des années dans l’impuissance et la division. Le pays est perpétuellement dressé contre lui-même. Cela nous empêche de résoudre les questions que nous avons devant nous ! Cela nous a conduits où nous sommes. Alors oui, je souhaite que cela puisse permettre à un courant puissant du centre dans le pays de se reconstruire, de se reconstituer et de jouer le rôle qui devrait être le sien.

Regardez aujourd’hui le Journal du Dimanche. Un Français sur trois est prêt à voter pour Marine Le Pen. Avez-vous peur d’elle ou vous vous dites « chic il y a plus de deux Français sur trois qui n’en veulent pas » ?

Je ne vis pas avec la peur. Je n’ai pas peur, je suis déterminé à me battre. Pourquoi ? Non pas parce que Marine Le Pen est un épouvantail, mais parce que les solutions préconisées pour le France sont – je pèse mes mots – mortelles, dont il est impossible que le pays se tire, dont il est impossible que nous fassions quelque chose de bien ! Cela arrive très souvent qu’en politique il y ait des imperfections – vous citiez François Fillon, je ne suis pas d’accord avec TOUT, Alain Juppé c’est pareil – mais là, dans la proposition que le Front national fait au pays, je ne vois que des solutions mortelles.

Donc vous ferez tout pour la victoire de Xavier Bertrand dans le nord et de Christian Estrosi en PACA ?

Je ferai tout pour que les courants républicains et modérés l’emportent.

En ce moment au Caire, il y a eu un accord, Jean-Yves Le Drian a signé avec le Président al-Sissi et son ministre de la défense sur les deux Mistral que l’on devait vendre aux Russes et que l’on vend au même prix à l’Égypte. Est-ce bien ?

C’est mieux que de les garder sur les bras.

ALP : Et demain, Manuel Valls va récupérer toute une série de contrats en Arabie Saoudite ; vous pensez que la France a raison d’être alliée à ce point à l’Arabie saoudite ? Surtout lorsque l’on voit les décapitations, une amputation d’une jeune Indienne par son employeur. Est-ce qu’on ne fait pas trop de business ?

Si vous me demandez si le rêve géopolitique qui est le mien c’est qu’en effet la France soit à ce point dépendante de ces puissances – l’Arabie Saoudite, le Qatar… – non, ce n’est pas mon rêve. Autant que je pourrais, j’essaierais de diversifier…

JPE : D’accord, mais vous ne vous couperiez pas de pays comme le Qatar, le Koweït, le Soudan… ?

La responsabilité d’un chef d’Etat c’est de prendre le monde comme il est, en le façonnant autant que possible.

MD : On va prendre juste pour une question le monde du football comme il est. Est-ce que vous pensez que la France doit continuer à soutenir l’organisation de la Coupe du Monde au Qatar compte tenu des évolutions ?

Je suis pour la séparation des ordres, des fonctions. Je pense que le sport a son organisation, que la politique a son organisation…

JPE : Mais elle est complètement vérolée cette organisation, elle est corrompue.

Vous auriez dû le dire !

JPE : On l’a toujours dit ! Est-ce que vous soutenez Michel Platini ? Est-ce que vous croyez que la France doit le soutenir ?

Si vous regardez la situation dans laquelle les Français découvrent, ébahis chaque jour un peu plus, que tout est pourri par l’argent : le monde du sport, le monde de la politique, la corruption dans des Etats qui sont des Etats puissants… Et si vous me dites que, en effet, cette vision du monde, il faut s’en satisfaire, non je ne m’en satisfais pas.

MD : Est-ce que vous soutenez Platini ?

Je n’ai pas de compétence. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé exactement.

JPE : Mais est-ce que la France doit le soutenir ? On entend des voix officielles, pas toutes et avec de plus en plus de nuances… Mais est-ce que François Bayrou dit « il faut de toute façon Platini à la tête de la FIFA » ou vous dites « je m’en fous » ?

Je n’ai pas de compétence. Je ne vais pas vous dire que je m’en fous, tout m’intéresse. Mais vous voyez bien que, lambeau après lambeau, les gens « de base » découvrent que tout ça est un monde pourri, et moi je ne m’accommode pas d’un monde pourri. Ni en France, ni dans le monde, ni dans le sport, ni dans la politique.

JPE : Donc, s’il y a corruption, il faut un coup de balai, c’est ça ?

J’espère que nous aurons la force et la volonté de mettre de l’ordre, de la propreté. Et je souhaite que Michel Platini, qui est un grand sportif et que l’on aime bien, puisse faire la preuve complète de son innocence dans ces manipulations auxquelles, à la vérité, je ne comprends rien. 

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