Entretien de François Bayrou dans Le Journal du Dimanche 

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Retrouvez ci-dessous l'entretien accordé par François Bayrou au Journal du Dimanche ce samedi 23 décembre.

Propos recueillis par Antonin André.

Le JDD. Une majorité de Français se dit favorable à la plupart des mesures contenues dans la loi immigration, notamment les plus fermes. Quels enseignements en tirez-vous ?

François Bayrou. Les Français approuvent massivement cette loi, dans tous les courants de l’opinion, même à l’extrême gauche. Et tout responsable politique conscient devrait aussi approuver le principe d’une telle loi. Car c’est la situation actuelle qui est inacceptable, insupportable et inhumaine.

D’un côté, l’impression d’une impuissance généralisée face à la pression migratoire. Déclarations multipliées, mais efficacité jamais atteinte. Le droit d’asile est détourné. Le droit d’étudier souvent aussi.

D’un autre côté, la situation des migrants, livrés aux mafias de passeurs et, lorsqu’ils parviennent en France, enfermés dans la clandestinité. Dans une ville comme celle dont je suis maire, à Pau, ils sont plusieurs centaines. Des dizaines et des dizaines de jeunes hommes, confinés ensemble aux frais de l’État dans des hôtels réquisitionnés, interdits de travail, condamnés à l’oisiveté avec tous les risques de dérives, de bandes communautaires, que les associations et les mairies occupent comme elles peuvent en les faisant jouer au foot. Accepter que cette situation dure, cela aurait été pure lâcheté.

Mais que s’est-il passé pour parvenir à ce que vous avez vous-même qualifié de désordre ?

Le projet du gouvernement était équilibré. Il a été présenté d’abord au Sénat et amendé. Il aurait dû être ensuite débattu par l’Assemblée nationale. Mais il s’est passé un fait inédit. Les oppositions, extrêmes de droite et de gauche, ont additionné leurs voix pour décider que l’Assemblée ne devait pas examiner le texte ! Ils sont élus pour faire la loi et ils décident qu’ils ne feront pas leur travail ! Dès lors, le texte du Sénat restait le seul. Et la procédure où sept députés et sept sénateurs cherchent un accord était difficile.

On ne doit pas devenir français « à l’insu de son plein gré ».

S’en est suivi le coup de Trafalgar du Rassemblement national destiné à faire croire que c’est l’extrême droite qui était à l’origine de cette loi et que le gouvernement était pris en otage. Nous avons pu déjouer cette manœuvre en prouvant que les voix des extrêmes n’avaient pas été nécessaires à l’adoption. On est passé près d’un accident politique.

Que répondez-vous à ceux qui estiment que certains dispositifs consacrent la victoire idéologique du Rassemblement national ?

À aucun moment et sur aucun article du texte cette affirmation n’est justifiée. Par exemple, ceux qui voulaient supprimer l’aide médicale ont été écartés. Soigner les malades, d’où qu’ils viennent, c’est le devoir de tout médecin. Enlever la nationalité française à des binationaux auteurs de crimes, c’est la moindre des choses.

Lorsque François Hollande proteste aujourd’hui, il oublie que c’est lui, lorsqu’il était président, qui a voulu l’introduire. Quant au droit du sol, demander à un jeune qui souhaite devenir français à 18 ans d’en faire simplement la demande solennelle, c’est prendre au sérieux son choix et l’appartenance à notre nation. On ne doit pas devenir français « à l’insu de son plein gré ». Ernest Renan disait : « La nation, c’est un plébiscite quotidien. » Nous ne devons pas être un pays qui braderait sa nationalité.

Vous souscrivez à tout ?

Bien sûr que non, je n’approuve pas l’obligation d’exiger une caution pour les étudiants étrangers. Cela signifie que les plus pauvres n’auraient pas la chance de venir étudier chez nous. On aurait ainsi écarté Senghor ? De la même façon, la possibilité de régularisation par le travail, par la langue et par la formation à nos valeurs républicaines aurait pu être mieux rédigée.

Les deux blocs, c’est fini ! Le pluralisme est la loi de l’avenir.

La majorité présidentielle a montré des signes de grande fébrilité, ça aurait pu finir plus mal. Comment l’expliquez-vous ?

Nous n’avons pas encore appris les règles et la pratique parlementaire d’une assemblée sans majorité absolue. On ne comprend pas que le pluralisme est la loi de la démocratie, et que cela ne cessera pas. Les deux blocs, c’est fini ! À droite, certains députés étaient favorables à la loi, d’autres y étaient opposés. À gauche, les anciens amis de Manuel Valls, ceux de Bernard Cazeneuve, l’auraient sans doute votée.

Le pluralisme est la loi de l’avenir. Mais il faut en réapprendre la pratique. Grâce à nos institutions, le pluralisme ne conduit plus au désordre. C’est pour cela que la Ve République a été créée par le général de Gaulle. C’est au président, élu au suffrage universel, de prendre en compte les différentes sensibilités, et à son chef de gouvernement de chercher le consensus le plus large sur les lois qu’ils portent.

Vous appelez Emmanuel Macron à prendre « un nouveau départ » après les fêtes. En clair, plaidez-vous pour un changement de Premier ministre et de gouvernement ?

Je ne donne pas d’injonction au président de la République. Je dialogue avec lui et ne mets jamais en cause les prérogatives de sa fonction. Le cap qui est le sien, porter toutes les réformes nécessaires, tout en gardant le pays uni, c’est pour moi l’essentiel.

Il y a deux sortes de politiques : il y a ceux qui cherchent leur carburant politique dans la division, dans la détestation et la haine de l’adversaire. C’est ce que fait Trump par exemple. Et c’était mon désaccord avec Nicolas Sarkozy. Et il y a ceux qui ne perdent pas de vue l’indispensable et vitale unité du pays. C’est en cela que le cap d’Emmanuel Macron est pour moi fort et juste. Quitte à affronter des tempêtes, à commettre des erreurs.

On garde le cap, mais on change de Premier ministre et de gouvernement ?

Avec cette loi sur l’immigration s’achève une période de dix-huit mois qui a été très difficile. Les suites du covid, la guerre en Ukraine, l’inflation, la loi sur les retraites, l’immigration, les tensions dans le pays, dans le gouvernement parfois, c’était dur et il a fallu résister. Une nouvelle page s’ouvre. Il faut un élan nouveau, un renouvellement. Mais avec quelles personnalités, quelle architecture gouvernementale semblable ou différente, la même ou plus resserrée, comme je le souhaite ? C’est au président de le décider.

Faut-il ouvrir le gouvernement à des personnalités issues des Républicains ou du Parti socialiste ?

La Ve République, ce ne sont pas des accords d’appareil, avec des partis qui tirent à hue ou à dia. C’est un projet, porté par une personnalité élue au suffrage universel, autour de laquelle on forme une équipe. Cette équipe doit garder sa cohérence et son centre de gravité. Dès lors, les personnalités différentes, riches d’expérience sont les bienvenues.

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